4. Aux trains qui disparaissent


Le dernier wagon était le plus miteux. Sa peinture rouge s'écaillait, et ses soupirs d'agonie semblaient toujours bien plus bruyant que ceux de ses compagnons de galère.

Malgré son apparence miteuse, c'était bien de celui-ci qu'était sortit le garçon.

Caché derrière une montagne de livres, je le fixais, le cœur cognant dans ma poitrine si fort que j'étais presque sur que de là où il était, l'inconnu pouvait l'entendre. Paralysé comme un animal effrayé, je ne décrivais aucun geste brusque, de peur de le faire fuir. De peur de faire disparaitre cette illusion qui semblait si réelle. De peur de dissiper ce beau rêve.

Depuis ma cachette, blottis contre mon banc, dans un coin retiré de la gare, je scrutais sa silhouette, qui se découpait dans le petit matin, illuminée de rayons chauds.

Il était grand. Ses cheveux ni longs, ni courts. Ni bruns, ni roux. Une couleur chaude et douce, comme le miel. De là, je distinguais ses traits fins, et de grands yeux, aveuglés par le puits de lumière qu'était l'entrée de mon repère.

À la main, il tenait un carnet de feuilles, un grand bloc de papier. Si je plissais les yeux, dans une poche de son pull, au niveau du torse, je reconnaissais la pointe touffue d'un pinceau qui avait de nombreuses années de service derrière lui.

Il avait porté sa seconde main en coupe, au-dessus de ses yeux, pour se protéger de l'éclat intense de l'astre.

Il ne bougeait pas, serrant simplement contre lui ses maigres affaires. Il contemplait le paysage du vallon. Je l'imaginais émerveillé par la beauté de nos champs fleuris. Charmé par les toits de nos vieilles bâtisses. Ébahi devant tant de couleurs rassemblées en un même endroit.

J'étais né ici, j'avais grandi ici. Et jamais, je ne m'étais lassé de la vue qui s'offrait à moi. J'espérais au fond de moi que lui non plus ne se lasserait pas de ce spectacle. J'espérais qu'il ressente la même chose que moi, à la vue du ruisseau au loin.

Mais il venait de la ville. Que pouvait-il bien comprendre d'un vol d'oiseau sur le firmament? Que pouvait-il bien ressentir à la vue de cultures d'une ruralité banale? Que pouvait-il bien penser d'étendues d'herbe à perte de vue?

Rien. Sans doute qu'il prenait simplement l'air, étouffant dans ce wagon décrépi qu'il avait mal choisit. Sans doute changerait-il de wagon en remontant. Sans doute ne descendrait-il plus jamais pour se plonger dans la contemplation du vallon.

Silencieux derrière les pages de mon manuel, j'analysais cet étrange humain qui osait descendre sur le quai de la Gare Abandonnée.

Surpris par le sifflement du train qui annonçait son départ, sa silhouette frémit. Et moi aussi.

Il se hâta alors de sortir quelque chose de sa poche, jetant un coup d'œil au train qui s'impatientait.

Il tendit la main vers l'extérieur, immortalisant nos cultures infinies avec son portable.

Je ne savais si je devais le détester pour posséder ce genre d'objets de familles aisées. De familles des villes. Ou si je devais l'apprécier car il venait, volontairement, de capturer un petit bout de souvenir du plus bel endroit au monde. Un petit bout de ma vie, qu'il aurait toujours dans sa poche.

Souvent, j'avais cru être le seul à chérir cet endroit pour la poésie de sa nature. Mais peut-être ce garçon éprouvait-il la même chose? La même admiration pour cet océan de verdure? J'aurais voulu que ce soit le cas.

Le train avait alors sifflé de nouveau, trépignant sur les rails.

Le garçon au pinceau s'était retourné. Il avait couru jusqu'à la porte de son wagon qui se refermait.

Alors qu'il gravissait les marches, une de ses feuilles s'envola, emportée par la brise qui soufflait sans cesse au creux de nos terres.

C'est à cet instant que nos deux regards se croisèrent. Mon palpitant s'échoua entre mes côtes. Pétrifié par ce contact involontaire, je sentais des frissons me parcourir le corps, mon ventre se nouant aussitôt.

Je ne pouvais me détourner de ses immenses yeux chocolat, le visage imperturbable.

La seconde suivante, un incroyable sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire immense. Plus large que n'importe quel champ du vallon. Plus brillant que les rayons du soleil levant. Plus franc que tous les murmures de notre ruisseau. Plus beau que n'importe quelle fleur que j'avais pu cueillir.

Électrisé par une force inconnue, je m'étais jeté sur la feuille qu'il avait perdu, pensant la lui rendre.

Mais à peine l'idée m'avait-elle effleurée que le train avait disparu.

Debout, seul, mes doigts crispés sur le bout de papier, je fixais l'horizon vide.

Une brusque impression de déjà-vu me broya le coeur.

Cette fois, j'espérais que le garçon descende de nouveau de ce wagon.

Comme j'avais si longtemps espéré en voir descendre Donghyuk.

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