39. À la date
Les vagues se jetaient sur la grève et leurs murmures résonnaient sur la plage vide, silencieuse, où seul le crépitement des flammes retentissait, couvrant nos respirations régulières, nos deux corps blottis l'un contre l'autre, éclairés par le brasier qui nous réchauffait péniblement.
Je n'avais pas vraiment froid, mais l'air était glacial, et le souffle de Jeno se transformait en un nuage translucide quand il soupirait, sa mâchoire éclatante, brillait de milles couleurs, ses bleus reflétant l'éclat du feu de camp qu'il avait allumé.
Comme d'habitude, il était merveilleux. Et je le contemplais sans rien dire, ses bras se resserrant autour de moi de plus en plus fort, ses grands yeux clairs brillant douloureusement.
Savait-il?
J'aurais voulu que ça ne soit pas le cas. J'aurais voulu qu'il ne souffre pas. J'aurais voulu ne pas souffrir non plus. Mais l'amour serait toujours une douce souffrance, que la mort soit au bout du chemin, ou non. Peu importait, souffrir avec lui à mes côtés suffisait à mon bonheur et je savais que son sourire était franc lorsque nos regards se croisaient. Je savais que malgré tout, lui aussi était heureux.
Nous étions muets, et comme toujours, ça ne nous gênait pas. Les mots étaient inutiles, ils auraient gâché la beauté de nos derniers instants. Alors nous profitions seulement, lui regardant la lune, passionné, et moi, le regardant lui.
Quand les rayons pâles s'étaient voilés, à cause d'épais nuages qu'il était impossible de distinguer tant la nuit était profonde, il avait finalement tourné son visage vers le mien. Nous nous étions fixé, longuement, et il avait fini par sourire, baissant les yeux, un peu intimidé alors que je glissais une main dans sa nuque, faisant courir mes doigts dans ses cheveux, sa peau se couvrant d'un frisson que je connaissais bien. Je l'avais attiré à moi, mon dos se brisant dans le sable, ses mains venant encadrer mon visage.
— Dis, Jen.. tu pensais à quoi? avais-je demandé, contemplant ses lèvres un moment, avant de me plonger sous ses longs cils.
— À toi, avait-il répondu aussitôt, confiant, souriant tendrement.
Et je l'avais embrassé passionnément, nous faisant rire doucement. Parce que notre désir nous faisait toujours peur. C'était si fort. Et à chaque fois, le tonnerre grondait, des éclairs me foudroyant sans cesse lorsque nos corps se touchaient un peu plus.
Ses lèvres étaient descendues dans mon cou, frôlant ma peau, une tension palpable nous liant follement, alors qu'il glissait un doigt sur les marques qu'il m'avait laissé, ce matin, caché dans mes draps.
— Toi aussi, ça te va bien, avait-il murmuré, un sourire horriblement séduisant sur le visage.
Et je nous avais revu dans la salle de bain de Mark. Quand j'avais effleuré la trace violette que j'avais laissé sur sa peau. Et qu'un éclair m'avait électrifié violemment, pour la première fois.
L'attraction qu'il exerçait sur mon corps n'avait cessé d'augmenter, et depuis, dès qu'il posait ses mains sur moi, je sentais mon esprit s'obscurcir de nuages, qui embuaient mes pensées et me rendaient dingue.
Et le tonnerre craquait à chaque fois.
L'orage qui avait éclaté ce matin avait été la consecration de tout. L'apogée de notre « nous » si précieux.
Et l'orage qui s'abattait sur nous, à l'instant était bien différent.
Celui là nous avait trempé en quelques secondes, et éteint notre pauvre feu, nous coupant dans notre élan, alors que j'éclatais de rire, me cachant sous son torse, mes mains posées sur ses hanches, l'utilisant comme un parapluie.
Il avait juré, marmonnant qu'on allait attraper la mort. Et cyniquement, je lui aurais bien répondu que c'était déjà fait. J'étais né avec elle. Mais.. je ne voulais pas y penser.
Je m'étais mis debout, alors qu'il s'occupait de protéger nos affaires sous des rochers encastrés dans la côte et je m'étais jeté sous la pluie avec bonheur, le visage tourné vers le ciel qui s'émouvait de notre amour.
— Jen! l'avais-je appelé.
Il s'était retourné brusquement, et je lui avais fais un coeur du bout des doigts, lui dévoilant mon torse nu, mon pull étalé dans le sable.
Il avait rit, et s'était frotté la nuque, ne pouvant quitter mon corps du regard, tellement heureux que s'en était communicatif.
Deux petites secondes plus tard, je lui avais lancé mon pantalon sur la tête, et il l'avait jeté sur nos affaires, me courant après, son rire s'envolant sous la pluie qui dévoilaient sa peau dorée sous son T-shirt blanc, éclairé dans la nuit.
Mes pieds nus avaient fini par rejoindre les remous, et il s'était arrêté, forcé de se déshabiller lui aussi pour me rattraper, alors que je m'avançais dans les vagues, étrangement chaudes sous cette pluie diluvienne.
Il m'avait bientôt rejoint, s'enfonçant dans l'eau jusqu'à la ceinture, avant de m'attraper par la taille, nos fronts s'entrechoquant avec nos éclats de rires.
— Si je t'embrasse maintenant, avait-il murmuré, ça me fera un sacré combo.
Et son sourire si doux m'avait enchanté, sa voix faisant s'envoler des centaines de papillons dans mes entrailles.
J'avais joué avec ses cheveux tellement mouillés qu'ils semblaient pleurer, des centaines de perles glissant sur sa peau brûlante, que je caressais, relevant mon regard dans le sien :
— Et si c'est moi qui t'embrasse?
Il avait froncé les sourcils et il m'avait poussé dans l'eau. J'avais tout juste eu le temps de lui attraper le poignet, et nous étions tombé dans l'océan, ne sentant même plus les gouttes qui éclataient à la surface tout autour de nous.
— Eh.. c'est moi qui remplit ta liste...! s'était-il plaint, essayant de faire une moue mignonne, qui avait fait fondre mon coeur dans ma poitrine.
J'avais haussé un sourcil, avant de l'éclabousser en nageant un peu plus loin, ressentant une brusque douleur entre mes côtes, due à l'effort soudain que j'avais fourni pour lui échapper.
Une brusque douleur qui devenait lancinante et qui me donnait froid. Qui m'empêchait de bouger, et qui m'étouffait, insupportable.
Alors j'avais toussé, ma gorge se serrant un peu plus alors que nos deux sourires s'effaçaient.
Il était revenu en vitesse vers moi, glissant un bras autour de mes cuisses pour me supporter contre lui, hors de l'eau, histoire que je reprenne mon souffle, mon palpitant se tordant dans tous les sens, essayant d'échapper aux coups de poignards qu'il recevait.
J'avais oublié de prendre mes médicaments ce matin.
Ça m'était déjà arrivé avant.
Ce n'était pas grave.
De toute façon, tant qu'il était là, je ne souffrais pas.
Tout contre lui, la pluie explosant dans mon dos, j'avais inspiré longuement, me sentant faible. Bien trop faible.
Et il avait relevé mon visage, me faisant oublier tous mes maux, pressant ses lèvres contre les miennes, alors que je nouais mes jambes autour de sa taille, mes mains le tenant fermement, ses doigts s'encrant dans ma peau.
Il avait ce pouvoir là. Sur moi, et sur tous ceux qu'ils côtoyaient. Il rendait les gens heureux.
Et moi plus encore.
Et doucement, mon coeur s'était allégé, me permettant de répondre à son étreinte, caressant bientôt ses cheveux humides, alors que je me pressais contre lui, le sentant basculer le visage un peu plus en arrière, à cause de notre position un peu suggestive, dans laquelle je le dominais de toute ma hauteur, au creux de ses bras qui m'élevaient.
Je l'aimais. Je l'aimais tellement.
Et nous étions restés ansi, nous embrassant sous la pluie, infiniment, parfois souriant à moitié, parfois ébranlés d'une tristesse infinie, mais toujours protégés au coeur de nos sentiments.
Nous avions passés tellement de temps dans les bras l'un de l'autre, ses jambes nous encrant dans le sable, luttant contre les rouleaux; que l'orage s'était calmé, la lune se dévoilant de nouveau, illuminant son si beau visage alors que nous nous décollions lentement, à bout de souffle.
Je m'étais replongé dans l'eau pour me réchauffer, et il avait fait de même, alors nous avions souris.
Et nous étions restés là, jouant comme des gamins, nous poursuivant avec une candeur incroyable, nous éclaboussant à nouveau, sans que mon corps ne cède.
Puis la fatigue nous avait gagné, alors on s'était laissé flotter, observant le ciel étoilé en discutant à mi-voix.
Quand nous étions sortis, la lune cédait sa place au soleil, et il m'avait enroulé dans la seule couverture que nous avions prise. Me tenant contre lui, à l'abris du vent, dans les rochers où nous avions rallumé le feu.
— Jaemin-ah.. avait-il sourit contre mon oreille, alors que j'étais assis entre ses cuisses, faisant frissonner mon être entier. J'ai quelque chose à te dire.. avait-il continué, dans un murmure sérieux avant de poser son menton sur mon épaule.
Le coeur battant à tout rompre, j'avais fermé les yeux, attendant la suite.
Mais elle n'était jamais venue, car il s'était endormi, un adorable sourire sur les lèvres.
Alors j'avais fait la même chose, laissant mon âme se réchauffer sous les flammes, et dans ses bras.
*
Le soleil de midi s'était levé depuis bien longtemps quand nous avions ouverts les yeux, les membres engourdis, de sommeil et de froid, que les rayons ranimaient péniblement.
Je m'étais levé, rassemblant nos affaires qui trainaient sur le sable, laissant ma peau nue jouer sous l'astre du jour, sentant un regard bleu sur moi.
Et je l'imaginais très bien. Un petit sourire tendre sur les lèvres qui lui donnait des airs d'ange, ses cils battant doucement sous le soleil qu'ils accrochaient.
Un ange, parfaitement diabolique, qui pouvait faire n'importe quoi de moi.
— Arrête de me regarder comme ça! lui avais-je dis, tout sourire, en me tournant vers lui.
— Heureusement que j'dis pas ça à chaque fois que tu me fixes, avait-il plaisanté, levant les yeux au ciel en se laissant tomber sur le dos, roulant jusqu'à son sac d'où il avait tiré la liste.
Quand il s'était redressé, il était couvert de sable, et il dessinait avec application deux petites croix.
— Range pas ton stylo! lui avais-je dis, en me précipitant vers mon propre sac, en sortant mon appareil photo, avec un grand sourire.
Et je l'avais photographié, le faisant baisser les yeux, ses joues prenant une teinte rosée que je n'avais encore jamais vue. Et ça m'avait fait sourire, retombant amoureux de lui jour après jour sans jamais que mes sentiments ne ternissent.
— Jen, avais-je ri, regarde-moi..
Il avait fait non de la tête, cochant avec application un autre de mes voeux de photographe passionné.
Il avait compté, ses lèvres bougeant en silence, mimant les chiffres qui lui passaient à l'esprit.
Puis il avait relevé les yeux, et je l'avais immortalisé, ses prunelles azur ressortant incroyablement sur le cliché.
— Plus que deux, avait-il dit, très sérieux.
Et je m'étais crispé.
La date revenant à mon esprit aussi violemment qu'une claque.
2 jours.
Moins de 48 heures.
Nous nous étions fixés, échangeant un regard entendu. Et je m'étais laissé tomber à côté de lui, mon appareil photo glissant dans le sable.
— Alors tu savais..? avais-je murmuré, regardant mes mains, pour une fois.
Il n'avait rien dit, poussant un petit soupir pour confirmer mes paroles, alors que je l'entendais replier la feuille entre ses mains, la rangeant précieusement dans la poche de sa veste.
J'observais la mer devant nous, ses lueurs me rappelant celles de ses yeux que je n'osais plus croiser. Pas vraiment triste. Seulement déçu. Les entrailles broyées. Pas vraiment triste. Anéanti. Mais près de lui.
Alors la douleur était supportable.
— Je m'en fous, j'y crois pas. Ça s'calcule pas la force. Ça s'calcule pas le courage, avait-il lâché brusquement. Ton médecin ne sait pas compter. Moi oui, et j'peux compter très longtemps.
J'avais esquissé un petit sourire. C'étaient des paroles simples. Un peu enfantines. Mais elles en disaient bien trop long.
— Tu peux pas partir, tu peux pas me laisser.. c'est trop tôt, avait-il marmonné, écrasant du sable dans ses doigts noueux. J'sais que tu vas rester avec moi, j'en suis sur.
J'avais entrouvert les lèvres pour parler, mais il avait balayé mes mots d'une main :
— T'es vivant, et c'est tout ce qui compte, avait-il tranché, tournant son visage vers moi, d'étranges lueurs dansant sur sa cornée humide qu'il avait essuyé d'un revers de main hargneux, juste avant de sourire. Allez.. viens-là.
Alors je m'étais laissé tomber dans ses bras, calant ma tête contre son coeur :
— De toute façon, il me reste deux voeux à exhausser, alors j't'interdis d'partir avant, avait-il rit, mélancolique.
J'avais souris, lui cachant la souffrance qui revenait au grand galop et donnait de grands coups dans mon être faible, le battant, le flagellant, impuissant.
— Tu crois que Mark va bientôt débuter? avais-je dis, retenant une quinte de toux; j'étouffais.
Il s'était renfrogné, et m'avait dit, posant sa joue dans mes cheveux :
— Il peut prendre tout son temps. Parce que si c'est pas toi qui écrase la date, c'est moi qui le ferais.
J'aurais voulu le croire. J'aurais voulu qu'il le fasse. Mais qu'est-ce-qu'il aurait bien pu faire? S'il avait le pouvoir de me rendre heureux, il ne pouvait me guérir. Personne n'avait pu.
Et personne n'avait pu anéantir la date. Même pas moi. Pourtant je l'avais tant voulu.
Elle grignotait mon coeur, l'affaiblissait, me détruisait de jour en jour. Et de plus en plus vite. C'était effrayant. Mais je m'y étais fais.
— Jeno.. avais-je murmuré, tentant de lui sourire alors la douleur étourdissait mon esprit.
— Jaemin-ah.. avait-il chuchoté, inquiet, alors qu'il se penchait pour rencontrer mon regard éteint.
J'avais souris, un peu plus, heureux d'être entouré de son amour, mon coeur implosant, écartelé par la maladie.
Et difficilement, je lui avais dis, un sourire béat sur les lèvres, mes doigts enserrant son bras, peinant à voir son visage qui m'apparaissait trouble :
— J-Je.. t-
Il avait essuyé mes yeux humides, mais je ne le voyais toujours pas, et je souriais. Incapable de parler, étouffé par la maladie. Seulement capable de lui offrir ce sourire qu'il aimait tant.
— J-Jeno.. j'ai mal..
Puis plus rien.
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