26. À la haine qui détruit
— Jeno.. Jeno.. debout..!
Une main m'avait secoué l'épaule doucement, me tirant d'un sommeil lourd, sans rêve, au court duquel je n'avais cessé de tousser.
Je m'étais tourné lentement pour faire face à la source de mon ennui, n'ouvrant les yeux qu'à moitié pour ne pas être aveuglé par le jour, alors que je sentais un couteau s'enfoncer dans ma tempe, me rappelant à quel point j'étais malade et épuisé.
Un faible sourire avait illuminé mon visage, à la vue de Mark, son sac à dos sur les épaules.
Et un bouquet de cosmos à la main.
Doucement, pour ne pas exploser dans une quinte de toux, je m'étais assis, me frottant les yeux d'une main ensanglantée, marmonnant, à moitié endormi :
— Salut, Mark..
— E-Euh.. ouais, b-bonjour, avait-il balbutié, ses joues prenant une teinte rose.
— Ça va..? l'avais-je interrogé, intrigué par sa mine étrange.
— Oh, oui, t'inquiète! avait-il rit, reprenant ses esprits, et son tempérament confiant habituel. Dis-moi.. c'est les bonnes fleurs qu'elle m'a vendu? Parce que sérieusement.. elle avait l'air complètement paumée!
Il parlait sans doute de la fleuriste qui lui avait préparé le bouquet.
C'était un bouquet magnifique d'ailleurs.
Dense. Avec certaines tiges terminées de bourgeons sur le point d'éclore. Et d'autres totalement épanouis, étalant leurs pétales dans la clarté du matin.
Des pétales jaunes. Violacés ou parfois orangés, comme un couché de soleil.
Mais surtout rouges.
Ses préférés.
— Elle ne s'est pas trompée, t'en fais pas, avais-je souris, me laissant finalement retomber dans les coussins du canapé avec un soupir, mon crâne me hurlant de me rendormir tant il souffrait.
— Merci, Jeno! s'était exclamé le blond, courant partout dans son appartement à la recherche d'un vase, ou de quelque chose qui y ressemblerait.
Au bout de quelques minutes qu'il avait passé à retourner tout son appartement, il s'était finalement arrêté, glissant le bouquet dans un verre d'eau. M'en tendant un second, puis posant un cachet d'aspirine sur la table basse.
— Prends-en un, ça te fera du bien. Et n'hésite pas à en reprendre dans la journée, j'ai fais un détour par la pharmacie exprès. Et j'ai aussi trouvé quelque chose pour ta gorge.. j'crois que c'est un sirop, tu m'en diras des nouvelles!
J'avais souris à nouveau, touché.
Sentant mon coeur enfler dans ma poitrine.
Parce que j'étais enfin heureux.
Parce que le vide immense qu'il avait laissé se remplissait doucement.
Du rire de Jaemin. De ses baisers. De son regard si doux. De sa présence.
Mais aussi de l'amitié de Mark. Quelque chose dont j'avais oublié depuis longtemps les couleurs.
— Merci, Mark.
Il avait incliné la tête, humble.
Je lui devais beaucoup.
— J'peux bien faire ça pour le mec de mon meilleur pote, non? m'avait-il dit, un sourire malin sur les lèvres.
Il l'avait fait exprès. Parce qu'il savait que ça me faisait sourire. Et parce que ça me gênait énormément. Parce que ce statut n'avait rien d'officiel. Parce que Jaemin continuait de me mentir. Parce que, malgré ça, je l'aimais éperdument, et qu'il me manquait plus que tout.
Mais il n'était pas là.
— Bon, faut que j'y aille! J'ai laissé les clefs de l'appart dans l'entrée, si jamais tu veux sortir.
Il avait fait une pause, précisant, comme s'il parlait à un enfant :
— Jaemin m'a dit que tu n'avais jamais quitté ton village.. alors ne va pas trop loin, d'accord? Il y'a un parc pas loin, et quelques boutiques..
J'avais ris, me tordant de douleur juste après, la gorge en feu.
— Soigne-toi avant de sortir, et couvre-toi bien. Tu sais que tu peux te servir dans ma chambre autant que t'en as envie.. ah, aussi, j'allais oublier! Ne sors pas sans ton téléphone.. on sait jamais!
Il avait sourit, gêné par l'attention qu'il me portait puis m'avait indiqué le comprimé sur la table basse, et je m'étais fais violence pour me redresser et l'avaler, alors qu'il me laissait de nouveau seul :
— J'repasserais dans l'après-midi.. chercher le bouquet. Mais rassure-toi, tu s'ras pas seul ce soir, j'crois bien qu'un grand brun m'a dit qu'il resterait dormir..
Et il m'avait fait un clin d'oeil, une expression qui voulait en dire bien trop sur le visage, ébouriffant mes cheveux joyeusement, avant de quitter son appartement, la porte effaçant sa silhouette.
Alors je m'étais recouché, la fièvre me faisant frissonner; me rendant compte que je souriais tout seul, à l'idée qu'il resterait avec moi cette nuit.
*
Un cauchemar m'avait réveillé. Sonné. Inquiet. Perdu, je m'étais levé.
J'avais avalé un cachet avec une gorgée du sirop que Mark m'avait dégoté.
Et j'avais enfilé de quoi me fondre dans la masse, saisissant les clefs de son appartement, et renfermant derrière moi.
Ce rêve m'avait paru tellement réel. Comme si j'y avais assisté. Comme si, présent dans cette foutu scène, j'avais pu voir ce qui se déroulait sous mes yeux, impuissant.
J'avais besoin d'air. Besoin de l'air du vallon. Mais je me contenterais de l'inconnu. De l'air âpre de la ville de Mark.
Mais bizarrement, l'inconnu ne m'effrayait pas. Car j'étais toujours assommé par ce songe qui continuait d'enserrer mon coeur.
Aux aguets, j'avais dévalé les escaliers de l'immeuble du blond, fixant tout, autour de moi, hésitant à poser un pied sur le trottoir. Bondé de monde. De gens, pressés. Furieux. Les bouches couvertes de masques. Vêtus de couleurs fades, se mêlant en une masse compacte, qui m'avait porté jusqu'au fameux parc dont Mark m'avait appris l'existence.
Le nez en l'air, j'observais le décor autour de moi. Rien ne semblait réel.
Et le vallon me manquait.
J'avais l'impression d'être un de ces animaux élevés en captivité qu'on jetait en pleine nature, si faible et inconscient qu'il aurait pu se faire tuer en quelques secondes.
J'avais foulé les chemins de graviers, observant ces arbres alignés, taillés parfaitement, ces pelouses rases, ces bancs parfaitement peints, ces faux cours d'eau qui gargouillaient dans un bruit de métal artificiel.
Derrière le rideau de feuilles, des géants de bétons me fixaient. Et je détestais la ville.
Je dévisageais les gens, malgré-moi.
J'étais sortit pour me détendre, mais finalement, j'aurais sans doute mieux fait de rester à l'intérieur.
Noyé dans la foule, dans le trop plein de ce parc vide, je redoutais le moment de rentrer. De retrouver l'appartement.
Puisqu'ils se ressemblaient tous.
Notre clairière me manquait, elle aussi.
Et plus j'y pensais, plus je m'enfonçais dans ce parc, sans voir où j'allais, revoyant derrière mes paupières souvent closes son corps rouler dans l'herbe tendre. Son sourire contre mes lèvres.
Me rappelant son souffle court.
Jaemin était malade..
Je me faisais difficilement à cette idée. Mais je m'y faisais tout de même, acceptant sa souffrance comme une amie. Une compagne de route, qu'il nous faudrait supporter.
J'étais prêt.
Je ne la laisserais pas entraver notre bonheur.
Mon téléphone qui vibrait dans la poche du jean trop serré de Mark m'avait ramené a la réalité. Me tirant de mes pensés.
L'angoisse m'enserrant de nouveau l'âme.
J'avais tourné sur moi-même, scrutant les gens pour me protéger d'eux.
Quelque chose clochait avec moi.
Quelque chose n'allait pas.
Et ces gens me tournaient autour étrangement.
Où alors.. étais-ce moi qui leur tournait autour?
J'étais paumé. Complètement paumé.
Puis j'avais vu son sourire disparaitre dans la foule.
J'avais d'abord cru rêver. Comme si je n'étais jamais sortit de ce cauchemar. Mais non.
Nous nous trouvions vraiment l'un face à l'autre.
7 ans après que l'horizon l'ait emporté.
Ses doux cheveux soleil voletaient dans le vent. Et ses yeux ronds, comme deux billes luisantes me fixaient. Sans comprendre.
Mes jambes tremblaient.
Et je serrais les poings. Animé de sentiments que je ne contrôlais pas. Plus forts que moi.
Des sentiments qui m'emprisonnaient.
Depuis tant d'années.
J'avais fait jouer ma mâchoire à travers la peau tannée de mon visage.
Et nous nous étions retrouvés si proches.
Trop proches.
— J-Jen? avait-il demandé, sa voix toujours si enfantine écartelant mon coeur. Le rouant de coups.
Je n'avais rien répondu. Me contentant de battre des paupières pour confirmer ses dires.
Alors il s'était jeté sur moi. Ses yeux humides d'étoiles que je ne reconnaissais pas.
Et je l'avais repoussé. Trop fort. Écartant ses bras en levant la main, celle-ci claquant contre sa peau dorée.
— Me touche pas, avais-je marmonné, ma voix caverneuse roulant dans ma gorge, douloureusement.
Je ne savais plus ce que je faisais.
Et son visage se détruisait. Devant mes yeux clairs qui jubilaient.
Et j'avais souris.
Quelque chose n'allait pas avec toi, Jeno.
— E-Excuse moi, avait-il dit, ses lèvres tremblant furieusement, sa voix mouillée de sanglots qui montaient dans son corps et secoueraient bientôt ses épaules. J-J'aurais dû t'en parler.. avant de partir, avant d-de..
— C'est trop tard maintenant, tu ne crois pas? l'avais-je coupé, amer. Alors pleure pas pour moi. Ça sert plus à rien.
J'étais froid. Glacial. Et mes propres mots me coupaient la langue.
Je bouillonnais d'une rage qui me possédait entièrement. D'une haine qui avait longtemps grandit en moi. Pendant tant d'années, seul, elle avait été ma camarade, discrète, secrète, tenant compagnie au manque et à l'affection.
Et depuis que le trou béant dans ma poitrine se refermait, la haine avait évincé l'affection, piétinant le manque. Sans que je ne m'en rende compte.
Et maintenant que je l'avais devant moi, j'aurais voulu ne jamais avoir pensé à lui.
La veille encore, nos souvenirs heureux m'avaient émerveillés.
Et là. J'étais dégoûté. Déçu.
J'étais faible. Anéanti.
Son masque de bonheur craquelé, il m'avait fixé, dans un silence que je haïssais.
Et j'avais souris. Mauvais.
— Tu peux être fier de toi, voilà c'que t'as fais, avais-je lâché, parlant de moi et de la façon dont son absence m'avait taillé dans le marbre.
Une larme avait roulé sur sa joue.
Et je m'étais détesté. Détesté d'avoir agit de la sorte. De l'avoir blessé.
Mais j'avais continué sur ma lancée, mes paroles m'écorchant vif, engloutissant l'enfant de dix ans qui avait attendu son meilleur ami si longtemps. Trop longtemps.
— Merci pour tout, Donghyuk.
Et je lui avais tourné le dos.
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