Chapitre 4

 Nous sommes jeudi et je ne l'ai pas revu depuis lundi. J'espère au fond de moi qu'elle va bien. Ma vie monotone continue. Je suis à la bibliothèque avec Alvin depuis maintenant une heure. Nous devions développé une thèse pour notre cours de philosophie mais c'est un échec total. Alvin passe l'heure à dessiner ou à me parler des dernières nouvelles. Il paraît qu'une fête a dégénéré mardi soir dans le bar où nous allons régulièrement. Ce qu'Alvin me raconte m'intéresse plus ou moins jusqu'au moment où :

- Salut Jayden.

Je me retourne. Elle me sourit en serrant son éternel livre sur la reine d'Ecosse. Je me lève lentement, très étonné de la voir.

- Hey.

J'ignore les clins d'oeil d'Alvin et m'approche d'elle. Elle m'emmène un peu à l'écart des regards.

- Je voudrais encore te remercier pour lundi soir. Vraiment, tu n'étais pas obligé de rester mais tu es resté. Une personne normale aurait fait comme si elle n'avait rien vu ou je ne sais quoi mais pas toi.

- Est-ce que tu en déduis que je ne suis pas une personne normale ?

- J'espère bien, dit-elle avec un adorable sourire.

Je me surprends à sourire. Un sourire que je ne me suis pas forcé à faire comme à mon habitude. Je ne devrais peut-être pas poser la question mais je me dois de le faire.

- Tu vas bien aujourd'hui ?

- Je vais bien aujourd'hui, répond-elle.

Nous sommes interrompus par la sonnerie et Alvin m'appelle pour me rappeler que nous avons cours dans le bâtiment d'à côté. Elle me dit qu'elle ne me retient donc pas pour pas que je sois en retard. Je n'ajoute rien et rejoins Alvin tandis qu'elle file s'assoir dans le fond de la bibliothèque. Je sens le regard d'Alvin insisté alors que nous marchons à l'extérieur pour rejoindre notre salle de cours.

- Arrête ça tout de suite, dis-je.

- Mais explique-moi ! C'est toujours la fille de vendredi soir ? Tu la revu entre temps ? Elle s'appelle comment ?

- Tu poses trop de question.

Nous arrivons à notre salle et le cours débute rapidement, ce qui stoppe les questionnements d'Alvin. Quatre heures plus tard, la sonnerie annonce la fin des cours pour nous. Alvin me propose d'aller boire un verre et comme je n'ai aucune envie de rentrer chez moi, j'accepte. Nous allons alors dans le bar où nous allons toujours au centre-ville. Nous nous installons dans un coin banquette comme à notre habitude et le barman nous apporte nos boissons habituelles. C'est devenu un ami à force de venir.

- Alors ? Quand est-ce que tu vas me parler d'elle ? demande Alvin en sirotant sa bière.

- Te parler d'elle ? Je ne sais rien d'elle.

- Vous vous êtes pourtant parler ce matin et apparemment, ce n'était pas la première fois vu qu'elle connaissait ton prénom.

Le connaissant par coeur, il insistera jusqu'à ce que je crache le morceau. Je lui raconte alors la première fois que je l'ai vu dans le métro. Je fais l'impasse sur l'anniversaire d'Harry puisqu'il sait qu'elle y était et que je lui avais parlé pour la première fois ce soir-là. Je lui raconte ensuite les évènements de lundi soir sans trop entrer dans les détails.

- Je comprends mieux. Elle te plaît hein ?

- C'est tout ce que tu retiens toi ?

Il me donne une tape sur l'épaule et j'entame ma boisson en détournant le regard. Je ne répondrai pas à sa question de toute façon. Alors que nous changeons de sujet, le destin semble vouloir me suivre jusqu'au bout. Elle rentre dans le bar en compagnie du garçon métisse. Il n'avait pas l'air de lui vouloir du bien l'autre soir, pourquoi reste-t-elle avec lui ? J'écoute que d'une oreille ce qu'Alvin me raconte sans la perdre de vue. Elle s'installe au bar près de son ami qui commande des boissons. Elle ne dit rien. Son ami semble connaître tout le monde ici et il parle au mec installé sur le tabouret d'à côté. J'ai l'impression qu'elle n'avait pas envie de venir ici. Sans prévenir Alvin, je me lève et j'ignore les appels de mon ami. Je m'approche d'elle et lorsqu'elle tourne la tête et qu'elle me voit, elle sourit.

- Salut, dis-je en venant m'accouder au comptoir de l'autre côté pour faire face à son compagnon.

- Jayden ! Salut, qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je viens souvent avec Alvin.

Je le désigne d'un signe de tête et elle se retourne vers lui. Alvin sourit et lève son verre dans notre direction. Elle me refait face.

- Je vois.

Le garçon métisse se retourne à son tour vers nous et lorsqu'il me remarque, son visage se tend.

- C'est qui lui ?

Elle continue de lui tourner le dos et me regarde. Elle semble agir comme si elle ne le connaissait pas. Moi, je ne le lâche pas du regard. Son ami s'impatiente et lui attrape le bras pour la tirer vers lui afin qu'elle le regarde.

- Je t'ai posé une question ! dit-il en levant la voix.

Je me redresse et l'oblige à lui lâcher le bras. Je m'interpose ensuite entre elle et lui. Pour qui il se prend ?

- Ne la traites pas comme ça.

Il affiche un rictus et se lève de son tabouret. Il fait la même taille que moi et même si il est plus baraqué que moi, il ne me fait pas peur. Pas le moins du monde.

- De quoi je me mêles ? crache-t-il.

- Ne la touche plus comme tu viens de le faire.

Je maintiens mon ton dur et mon regard insistant. Je le défie peut-être même du regard. Il tourne sur lui-même en souriant et il attire l'attention de la clientèle du bar. Une fois qu'il me refait face, il s'immobilise un instant toujours souriant. Sans que je ne le vois venir, son poing s'écrase contre ma joue et mon corps valse sur le côté. Je parviens à rester debout.

- Jayden !

J'entends à peine sa voix. La colère m'envahit. Je me frotte la joue tandis que je vois Alvin se lever. Je ne réfléchis pas et je lui renvoie l'ascenseur en lui donnant un coup dans le ventre. Il se plie un instant de douleur mais il se rue sur moi. Nous tombons sur une table, brisant des verres puis nous roulons sur le sol. Il est sur moi et me donne plusieurs coups au visage. Alvin et le barman le font reculer. Un grand gaillard retient mon agresseur en lui criant de se calmer. Alvin m'aide à me relever puis me force à sortir. Je m'adosse contre la portière de sa voiture et il me tend un mouchoir. Je crois que je saigne du nez et ma main est rouge de sang puis mes doigts sont gonflés.

- Il est fou ce type. Pourquoi il s'en est pris à toi ? se demande Alvin.

Je ne dis rien et je pense soudainement à elle. La voilà qui sort justement du bar. C'est dingue. Elle s'approche avec une triste mine.

- Je suis désolée, c'est un crétin. Tu vas bien ?

Elle regarde ma main ensanglantée et s'excuse encore une fois.

- Ne t'excuse pas. Il l'a cherché et moi aussi.

Je tapote mon nez avec le mouchoir puis la regarde. Alvin ne dit rien et monte dans la voiture en me disant qu'il attend que nous ayons fini de discuter. J'ignore son clin d'oeil et regarde à nouveau cette fille dont je ne sais toujours pas le prénom.

- Je ne veux pas être indiscret mais c'est bien lui qui t'a menacé lundi soir ? Pourquoi est-ce que tu traînes avec lui ? Il te traite mal en plus de ça.

Je l'avoue, ça m'a échappé. Je m'attends à me prendre un râteau ou une réflexion du genre : mêles toi de tes affaires idiot. Au lieu de ça, elle me sourit.

- Je m'appelle Lauren.

M'attendant à tout sauf à ça, je souris. C'est à nouveau un sourire sincère. Je commence à le connaître celui-là. Je lui tends la main.

- Enchanté Lauren.

C'est ce qu'elle m'a répondu lundi quand je me suis présenté. Elle rigole et serre ma main. Je me sens si bien alors que je viens de me faire tabasser. Est-ce que c'est normal ? Elle lâche ma main et inspire.

- Je ferai mieux d'y retourner.

Elle recule d'un pas puis ouvre la porte du bar alors que je m'exclame :

- On se voit au bahut ?

- On se voit au bahut.

Elle me fait un clin d'oeil puis entre dans le bar sans rien ajouter. Je souris. Je souris tout seul dans la rue devant un bar dans lequel je viens de me prendre un pain. Je souris alors que j'ai le nez en sang et ma main a doublé de volume. Je monte dans la voiture. Mon sourire n'a pas disparu.

- Jay ?

- Ouais ?

- Pourquoi tu souris ?

- Elle s'appelle Lauren.

Alvin ricane et ma tape l'épaule. Il démarre et me traite de fou en rigolant. Je suis tellement serein. J'ai l'impression d'avoir passer le niveau final d'un jeu vidéo. C'est si étrange comme sensation. Lorsque Alvin s'arrête devant chez moi, ce sentiment agréable est toujours présent en moi. Je remercie mon ami et il me souhaite la bonne soirée. Je monte les marches du péron et entre dans la maison. Je retire mes chaussures et ma mère descend les escaliers au même moment.

- Oh mon dieu Jayden ! Qu'est-ce que tu as fais ? crie-t-elle en se précipitant vers moi.

Elle saisit mon visage dans ses mains en l'inspectant et je lui indique que ça va. Je m'éloigne dans la cuisine et me sers un verre d'eau. Elle me rejoint.

- Pourquoi es-tu tout souriant ?

Je la regarde soudainement. Je m'arrête alors que je portais le verre à mes lèvres. Je ne m'étais pas rendu compte que je souriais encore. Je change d'expression faciale rapidement et ma mère perd cette lueur d'espoir.

- Pourquoi est-ce que tu saignes ?

- C'est rien. Je vais bien.

Je la dépasse et monte dans ma chambre. Plus tard dans la soirée, je revois mon cours de philosophie lorsque mon père toque avant d'entrer doucement. Je retire mes écouteurs et il vient s'assoir sur le bord de mon lit.

- Ta mère m'a dit que tu t'es battu aujourd'hui.

Je soupire bruyamment et me lève de mon lit.

- Je ne suis pas venu te faire la morale. Tu sais que je veux que tu fasses attention à toi mais ce n'est pas de ça que je veux te parler.

- De quoi alors ? je demande en croisant les bras.

- Pourrais-tu être plus... tolérant avec ta mère ? Ce n'est pas facile pour elle.

- Dis moi que c'est une blague.

Je me laisse tomber sur la banquette au bord de ma fenêtre. Il se lève et vient se poser à côté de moi.

- Jay, tu dois apprendre à laisser les choses passées au passé. Avance.

- C'est trop facile. Comment la punir sinon ? Regarde-toi. Tu étais le premier concerné dans l'histoire et tu es là, à parler pour elle, à faire comme si jamais rien n'était passé. Tu ne ressens rien vis-à-vis de tout ça ?

- Evidemment que si. Mais j'ai réussi à me convaincre que si j'avais réagis comme tu le fais, nous n'aurons plus rien. Aucun de nous ne serait dans cette maison à essayer d'avancer.

Je me lève et pousse mes cours par terre. Je me glisse sous ma couette en marmonnant :

- Nous n'avons plus rien.

Je me tourne vers le mur et je l'entends soupirer. Je l'entends ensuite marcher vers la porte et juste avant de la fermer derrière lui, il dit :

- Réfléchis Jayden. Concentre-toi sur ce que peut t'apporter l'avenir et le présent.

Il sort. J'avale difficilement ma salive parce qu'il m'arrive de penser que tout pourrait être mieux dans ma famille si je n'agissais pas si mal. Pourtant, je refuse de vivre comme si notre famille n'était pas brisée. Ce n'est juste pas possible. Je ne sais pas comment Wendy et mon père font pour vivre avec tout ça. C'est juste au dessus de mes forces. 

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