Chapitre 3

Elle est là. Assise au premier rang avec un stylo au bord des lèvres. Ses cheveux flamboyants sont lâchés et ondulés, son t-shirt est rouge, son jean est troué au genou droit, son regard fixe le tableau, je lis la patience sur son visage. Le reste de la classe entre bruyamment et s'installe. Alvin me tire le bras pour me faire avancer et nous nous installons au troisième rang.

- Jay, ça va ? T'es tout pâle, chuchote Alvin alors que le professeur pose ses affaires en saluant la classe.

Je secoue la tête et sors mes affaires. Je rêve n'est-ce pas ? C'est un rêve Jay. Elle n'a jamais été dans ton école. Réveille toi. Réveille toi.

- Réveille toi, mec.

Alvin me secoue le bras et je le regarde avec de grands yeux comme si ils étaient bloqués.

- Hein ?

Il me désigne le professeur qui commence son cours et je reprends mes esprits. Je n'ai jamais fais de rêve aussi réel. Le moindre détail semble vrai. Ma tête tente de se concentrer sur la physique expliquée par le professeur mais mes yeux sont automatiquement orientés vers sa chevelure. Au bout de quelques minutes, je trouve ce rêve bien banal, bien long. Je me penche vers Alvin et lui chuchote :

- Tu la vois toi aussi ?

Il suit mon regard puis reporte son attention sur moi avec l'air de me prendre pour un abruti ou pour un fou.

- Bah oui. T'es sûr que ça va toi ?

Je me pince. Rien. Je passe le reste du cours avec le regard rivé sur elle. C'est plus fort que moi. Je commence à comprendre que je ne rêve pas du tout. La sonnerie retentit et je sursaute. Cette fois, je sais que c'est bien réel. Elle range ses affaires et sort de la salle en même temps que les autres éléves. Alvin me tire pour la énième fois de mes pensées et nous nous dirigeons vers nos casiers.

- T'es bizarre aujourd'hui tu sais. D'habitude, tu participes au cours, remarque Alvin.

- J'ai pas très bien dormi ce week-end. J'avais la tête ailleurs.

- Pourtant tu n'as pas beaucoup bu vendredi soir, me taquine-t-il.

Je le pousse gentiment et il me rend ma bousculade. Dans l'élan, quelqu'un me fonce dedans ou plutôt, je fonce dans quelqu'un. Je me retourne et ma respiration se coupe. C'est elle. Elle me reconnaît puisqu'elle me sourit.

- Tiens tiens. C'est toi le type qui est tombé vendredi soir ?

Le rouge me monte aux joues et je me frotte la nuque nerveusement. J'approuve et elle rigole. C'est vraiment en train de se passer ?

- Je ne savais pas que tu étais en cours ici, dis-je en fourrant les mains dans les poches. Je ne t'avais jamais vu dans ce lycée.

- Je viens d'arriver, c'est sûrement pour ça.

Tout le puzzle s'assemble. Quel idiot. C'est logique non ? Je lui souhaite la bienvenue, elle me remercie et son regard devient froid lorsqu'elle regarde autour d'elle. Plusieurs personnes la regardent de travers et j'en déduis qu'ils observent la marque ou l'iris rouge de cette sublime créature.

- Je vais y aller, dit-elle tout bas.

Elle me dépasse pour sortir dans la cour arrière. Alvin pose une main sur mon épaule.

- C'est pas la fille de vendredi ça ?

J'approuve de la tête. Je regarde à mon tour les personnes qui la regardaient de travers et je leur lance un regard noir. Elles retournent toutes à leur occupation insignifiante. Alvin file à son cours de sport tandis que je monte à l'étage pour mon cours d'anglais. Mes pensées dérivent sur elle comme toujours. J'ai passé le week-end à me dire que je ne la reverrai jamais, que l'avoir vu vendredi était un coup de chance. Etant donné que je ne l'avais jamais vu en ville avant jeudi dans le métro, j'en ai vite conclus qu'elle n'était que de passage. J'avais pourtant gardé chaque détail de son visage en mémoire. Il m'est impossible de les oublier de toute façon, même si je le voulais.

Dix-sept heures vingt, j'arrive chez moi. Je referme la porte derrière moi et lorsque je fais volte face, mes parents se tiennent debout au centre de la pièce. Je les regarde un à un et penche la tête. Oh non. Wendy est assise dans le fauteuil du salon, tête baissée. J'ai peur de ne pas saisir ce qui se passe. Je lâche mon sac et avance de quelques pas.

- Grand-mère est morte ? je demande, plein de sarcasme.

- Ne parle pas de grand-mère comme ça, espèce d'abruti fini ! s'exclame Wendy.

- La ferme toi.

- Maintenant, ça suffit Jayden Robert Walker ! hurle ma mère en serrant les deux poings.

Nous sursautons tous. Wendy se rassied en croisant les bras et mon père baisse la tête derrière ma mère, sans rien dire. Comme toujours.

- Il est temps que tu changes ton attitude Jayden. J'en ai plus qu'assez de ta mauvaise humeur que tu nous fais subir au quotidien, commence ma mère plus calmement.

Je la regarde avec de grands yeux. Je me retiens de sourire ou d'exploser de rire. Pourquoi mêles-t-elle mon père et ma soeur ? Comme je ne dis rien, elle continue son monologue en s'approchant de deux pas.

- Cela fait maintenant un an et demi que tu n'es plus le même. J'avais un fils si joyeux, plein de vie et tellement attentionné. Que lui est-il arrivé ?

Je sens qu'elle va craquer et je refuse d'entendre tout ça. Elle sait très bien ce qui s'est passé. Elle ne me fera pas revenir là-dessus.

- Il n'est plus là, dis-je tout bas.

- Qu'est-ce que nous t'avons fais ? Laisse nous une chance de nous faire pardonner.

Je relève la tête et la regarde durement.

- Je crois que la réelle question que tu te poses, maman, est qu'est-ce que tu m'as fais ?

- Pardon ? lâche-t-elle alors que sa voix se brise.

- Ne mêles pas papa et Wendy à ça, c'est compris ? Tout est de ta faute. Tu le sais pertinemment. J'ai changé, je ne suis plus le même parce que tu as tout gâché. Si quelqu'un doit changer son attitude ou se remettre en question ici, c'est toi.

Je ramasse mon sac et sors de la maison en prenant la peine de claquer la porte. Je m'arrête deux secondes pour voir par la grande fenêtre du salon pour apercevoir ma mère en sanglots dans les bras de mon père. Je ne ressens rien. Je passe mon sac sur les épaules et commence à marcher dans les rues sombres.

Plein de souvenirs tournent dans ma tête. Je ferme les yeux et tentent à tout prix de les chasser de mon esprit. Ce sont ces souvenirs, ses actes qui m'ont sali. Ma mère a raison sur une chose : j'étais plein de vie autrefois. J'étais ce garçon volontaire, travailleur et attentionné avec ses proches. J'aidais toujours mon prochain aussi. J'avais tout pour être fier de moi. Il est arrivé ce qui est arrivé. Ce qui me rend le plus enragé, c'est que les responsables ont l'audace de prétendre qu'ils n'ont rien fais de mal. Ils osent mettre la faute sur ceux qui refoulent les actes et changent contre leur plein gré. Sur moi en l'occurence. Cette version de moi aujourd'hui est tellement sombre. Ils ont fait de moi ce que je suis et je les hais pour ça. J'ai été quelqu'un de bien.

Au bout d'une bonne heure de marche, je me rends compte que je suis dans le centre ville. Il n'est que dix-huit heures trente mais les rues sont encore bien remplies. Certains rentrent du travail, d'autres profitent de la fin d'après-midi en famille ou entre amis. Quand je vois les autres sourirent avec ceux qu'ils aiment, je ne peux m'empêcher de ressentir cette douleur. Je sors du centre ville rapidement, impossible de supporter la joie de vivre des autres plus longtemps. Cela me rappelle trop ce que je n'ai pas. Je tourne dans une rue et arrive dans un quartier reculé et calme. Ce ne sont pas les quartiers riches mais les maisons sont très grandes. Je ne crois pas m'être déjà promené dans ce coin de Londres. Je marche sans but précis. Je ne sais pas vraiment où je vais mais ça m'est égal. J'aimerai pouvoir faire taire cette voix dans ma tête qui ne cesse de me répéter que je n'ai plus rien. Je pense un instant à Alvin qui est probablement la seule chose constante dans ma vie, un ami sincère qui me fait oublier que je suis seul. Je pense alors à lui téléphoner pour qu'il me rejoigne mais non. J'éteins au lieu de ça mon téléphone sans tenir compte des appels manqués de Wendy et de mon père. Je m'en veux d'avoir laisser ma soeur et mon père là-bas. J'espère qu'ils ne se sentent pas mal à cause de moi. Je ne veux faire de mal à personne, excepté peut-être ma mère qui, contrairement à mon père et Wendy, le mérite.

Je passe devant une maison plus petite que les autres du quartier sans y accorder trop d'importance jusqu'à ce que j'entende des éclats de voix. Je me stoppe un instant et évidemment, cela me ramène une heure en arrière. Je secoue la tête et continue mon chemin. Une porte claque soudainement, ce qui me fait sursauter. Je me retourne. Elle est là. Elle descend les marches de son perron et sors de la propriété en essuyant ses larmes, des larmes qui rendent son regard vide et apeuré. Lorsqu'elle me remarque, je n'ose rien dire. Je perçois de la gêne et elle essuie rapidement ses joues avec la manche de son sweat-shirt trop grand.

- Excuse-moi.

- Non c'est rien, dit-elle d'une toute petite voix.

Je m'apprête à parler mais la porte de sa maison s'ouvre à nouveau et je reconnais le garçon métisse de vendredi soir. Il la rejoint sur le trottoir sans faire attention à ma présence.

- Tu as compris ? Je vous ai dans le viseur tous les deux, dit-il méchamment.

Il me lance un regard noir puis tourne les talons pour disparaître au coin de la rue. Elle reste debout sur le trottoir, les yeux fermés et les bras croisés contre elle. Elle semble terrifiée. Je m'approche doucement d'elle.

- Est-ce que tout va bien ?

Elle secoue la tête de haut en bas en reniflant et de nouvelles larmes viennent envahir son doux visage. Je m'approche encore un peu. Elle se laisse tomber sur le bord du trottoir et s'assied. Elle se recroqueville sur elle-même, la tête dans ses mains. Je ne peux pas m'en aller. Je ne peux pas ne rien faire. Je m'assieds alors près d'elle. Elle a beau avoir dit de la tête que ça va, ça ne va pas. Mais je sais que lorsque ça ne va pas, on ne veut rien dire. La crise de larmes doit avant tout passer. Je reste alors silencieux, près d'elle. Patient, j'ai tout de même du mal à entendre ses sanglots qui s'intensifient. Heureusement, la rue est déserte et aucune voiture ne passe. Une petite brise se lève et moi-même ayant froid, je retire mon blouson et le dépose sur ses épaules. Cliché ? Et alors ? Je ne dis toujours rien. Elle lève doucement la tête et serre le blouson autour d'elle.

- Pourquoi tu fais ça ? demande-t-elle d'une voix brisée.

- Il ne faudrait pas que tu prennes froid.

- Pourquoi tu restes là ?

Je la regarde. Pour une fois depuis que je lui ai parlé pour la première fois, je la regarde dans les yeux avec sincérité.

- Parce que tu en as besoin. Qui serai-je si je partais ?

Elle laisse échapper un tout petit sourire qui disparaît trop vite hélas. Je refuse de lui poser tout un tas de questions même si je voudrais savoir ce qui se passe. Je ne la connais pas mais je n'aime pas savoir que quelque chose ne va pas dans sa vie. Ses sanglots ont cessé, elle renifle plusieurs fois et sa respiration s'est également calmée.

- Merci.

Sa voix a presque regagné son intensité normale. Je lui souris et tend la main vers elle.

- Je m'appelle Jayden.

Elle regarde ma main quelques instants et la saisis.

- Enchantée Jayden.

Nous nous serrons la main et je peux dire que nous nous sommes enfin rencontrés. Nos regards se croisent au même moment et je me sens bizarrement bien. La porte derrière nous s'entre-ouvre pour laisser apparaître un homme d'âge mur avec une barbe de trois jours. Elle se retourne et lorsqu'elle aperçoit cet homme, elle lui tourne le dos. Par politesse, j'agite la tête en regardant cet homme à la triste mine.

- Bonsoir monsieur.

Il m'adresse un léger sourire et son regard s'adoucit. Elle se lève et retire le blouson de ses épaules. Elle me le tend.

- Bonne soirée Jayden, dit-elle avant d'avancer vers la porte.

Je la regarde rentrer tandis que l'homme s'approche de moi. Je reste méfiant jusqu'à ce qu'il dit tout bas :

- Merci d'être rester près d'elle, jeune homme.

- C'est normal.

Il me serre la main et je pense qu'il s'agit de son père. Il a les yeux bleu gris, comme elle. Malgré les signes de l'âge et de la fatigue, il a les traits du visage doux, comme elle. Il tourne les talons et rentre chez lui. Quant à moi, je ne compte pas passer la nuit dehors. Le temps de retourner chez moi, il est bien vingt heures passées. Lorsque j'entre dans le salon, il n'y a personne et heureusement. Je ne prends pas la peine d'aller manger quelque chose. Je m'enferme dans ma chambre et me change, avant de sombrer rapidement dans le sommeil. Ce triste lundi se finit enfin. 

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