Chapitre 2
La journée défile plus ou moins vite. Je retrouve Alvin au fast-food au coin de la rue pour midi, j'assiste à mes cours technologiques de l'après-midi, Kyle me rabaisse trois fois et me voilà sur le chemin du métro pour rentrer. J'ai quelques heures avant qu'Alvin ne vienne me chercher. Sur le quai du métro, les écouteurs dans les oreilles, j'observe autour de moi sans grand intérêt. Je regarde alors le quai d'en face et repense à elle. Assise sur le banc, le livre à la main, les cheveux au vent, son regard si spécial. Le train entre en gare et je sursaute. Une fois arrivé chez moi, je claque la porte histoire de montrer que je suis là. Je n'entends aucun bruit. Je m'écroule sur le canapé et allume la télé. Le vendredi soir est le meilleur moment de la semaine. C'est le week-end, je sors souvent le vendredi soir donc je n'ai pas à affronter ma famille. Je consulte mes messages et mon fil d'actualité sur Twitter puis j'entends les clefs tournées dans la serrure. Je soupire et me lève. La porte s'ouvre et mon père et sa mine fatiguée entrent.
- Tiens ! Salut fiston !
Je ne lui adresse qu'un hochement de tête avant de filer dans la cuisine pour me servir à boire. Evidemment, il me suit.
- Comment était ta journée ? Tu sors ce soir ? demande-t-il.
- Oui je sors.
Il a posé la question en sachant pertinemment la réponse. Mon père travaille sur des chantiers de construction au nord de Londres. Je ne le vois que trois soirs dans la semaine. Il semble toujours content de rentrer mais je sais qu'au fond, il est comme moi. Il déteste cette maison.
- Ta mère n'est pas là ?
- Je ne crois pas. Tu fais quelque chose toi ce soir ?
- Je pense que je vais rester tranquille devant le match avec ta soeur. Elle attend ce soir depuis deux semaines, il répond en prenant place à table devant une canette de soda que je viens de poser.
Je hoche la tête en marmonnant que c'est un bon plan. Il me sourit. Je pose ma main sur son épaule en sortant de la cuisine. Je monte alors à l'étage pour me doucher. Alvin sera là dans une heure et demi.
Une fois douché, je me tiens devant le miroir vêtu d'un jean noir seulement et j'essaie tant bien que mal de me coiffer. J'ai les cheveux naturellement ondulés, des boucles assez souples se forment quand mes cheveux sèchent. Si je ne les coiffe pas un minimum, je ressemble à une fille. Après un petit combat capillaire et trois coups de colère, je parviens à dompter ma chevelure et je me brosse les dents. Je retourne dans ma chambre pour enfiler une chemise bleu très clair qui se rapproche un peu du gris. Je lace mes chaussures et je consulte mon téléphone. Sur la conversation groupée de l'anniversaire d'Harry, les invités s'enflamment et parlent tous en même temps. Je vois que certains sont déjà un peu éméchés au vu de leurs fautes d'orthographe, d'autres demandent l'adresse alors qu'elle est indiquée sur l'évènement, des filles se racontent comment elles seront habillées et j'en passe. Dix neuf heures sonnent et mon téléphone vibre, m'indiquant qu'Alvin est arrivé. Je descends et salue mon père qui est dans la cuisine.
- Salut fils ! Sois prudent ! lance-t-il avant que je sorte.
Me voilà dehors. Je m'installe dans la voiture d'Alvin et celui-ci ne tarde pas à faire la remarque que je me suis moi-même faite il y a une minute.
- Je me permets de te féliciter mon gars, tu es à l'heure c'est incroyable !
- Allez roule ! dis-je en lui tapant doucement l'épaule.
Il rigole et démarre dans un nuage de poussière. Nous sommes en route pour les quartiers au nord de la ville. Harry est un ami que j'ai rencontré grâce à Alvin. Tous les deux sont des mecs très drôles. Harry aime s'amuser et ça me suffit. Il m'a invité à sa soirée d'anniversaire alors que nous l'avions croisé dans un bar avec Alvin. Je me rappelle très bien de ce soir-là : nous avions fait un billard, j'avais perdu et j'ai alors payé une tournée à ces deux gaillards. Je souris rien qu'à y penser, c'est moi qui ai du les raccompagner en métro. Je crois bien que ce sont mes seuls amis.
- J'ai vu sur la conversation groupée qu'il va y avoir des filles de terminales pour une fois, dit Alvin qui me sort alors de mes pensées.
- J'ai vu oui. Je sais déjà comment elles seront habillées.
- C'est des filles, rigole-t-il en comprenant que je parle de leur discussion inutile de tout à l'heure.
Nous arrivons devant la grande propriété de Harry. C'est une grande villa au toit plat et aux murs blanc. De grandes baies vitrées nous laissent voir que beaucoup de personnes sont déjà arrivées. Nous entrons sans toquer comme nous l'indique le post-it sur la porte. Alvin me devance et tape dans la main de quelques amis à lui. Je le suis jusque dans la cuisine et nous nous servons directement un verre. Harry lève les bras en nous voyant et fonce vers nous en trébuchant près du plan de travail.
- Vous êtes enfin là ! Mettez vous à l'aise et faites comme chez vous ! On n'a pas dix-huit ans tous les jours ! crie-t-il.
A ses mots, la foule présente dans le salon hurle en levant eux aussi les bras. Alvin lève son verre vers Harry en lui souhaitant un joyeux anniversaire puis c'est à mon tour. Je trinque mon verre avec le sien et Harry passe un bras autour de mes épaules. Il m'entraîne vers le salon quand la musique éclate. J'entame mon premier verre. Je reste quelques minutes sur la piste de danse auprès d'Harry mais je parviens rapidement à m'éclipser. Je n'aime pas danser.
La fête est incroyable, tout le monde danse et rigole. Harry est comblé. J'ai avalé trois verres en tout et je n'ai rien mangé. J'attrape deux minis sandwichs dans la cuisine avant de sortir dans le jardin. J'enfourne le premier sandwich rapidement et m'approche du salon de jardin. La baie vitrée étant fermée, la musique est étouffée et cela soulage mon début de migraine. Je tire une chaise et m'assois en mangeant le deuxième sandwich. Je m'adosse en soupirant contre le dossier de la chaise en bois puis observe sans grand intérêt le jardin. Il n'y a qu'un énorme arbre au fond puis une piscine trône au centre du terrain. Le salon de jardin séjourne sur des dalles en marbre, un parasol fermé se tient juste à côté de ma chaise et l'horizon est déjà plongé dans l'obscurité. Je jette un oeil à ma montre, il est vingt-deux heures passées. Je me redresse et scrute la table de jardin sur laquelle est posé un livre. Par curiosité, je le saisis et le feuillette. Plusieurs notes écrites à la main recouvrent certaines pages mais je ne les lis pas. Je referme l'ouvrage et lis le titre : Marie Stuart.
- Je ne te dérange pas ? demande une voix soudaine.
Je sursaute et lâche le livre. Je tourne sur la chaise et c'est elle. Eméché ou pas, je la reconnaîtrai entre mille. Cette fois, ses cheveux de feu son tressés et tombent sur son épaule. Elle porte un chemisier blanc et un jean serré noir. Sa peau si blanche ressort si bien dans la nuit. Je suis comme captivé. Je peine à trouver les mots. Les détails de son visage sont imperceptibles dans cette obscurité. Voyant que je ne réagis pas, elle s'approche et pris d'un élan de débilité, je recule et percute un pot de fleurs en pierre. Je m'étale de tout mon long sur l'herbe. Elle se précipite vers moi.
- Tu vas bien ? demande-t-elle en me tendant la main pour m'aider.
Je saisis sa main et me relève. Elle lâche ma main puis je la regarde. Eclairée de la petite lumière extérieure, je retrouve son regard bleu gris et rouge. Je remarque aussi une longue entaille qui part de sa pommette gauche et monte jusqu'au dessus de son sourcil traversant sa paupière. Je bloque un instant sur cette marque. Elle m'adresse un sourire poli et ramasse son livre au sol.
- Merci.
- C'est normal, dit-elle.
Elle tourne les talons et retourne à l'intérieur. Est-ce que j'ai rêvé ? Je n'en suis pas certain. Je frotte l'arrière de mon jean et me traite d'imbécile. C'était elle. Elle était là et je n'ai rien su dire. Je suis tombé. Je me tape le front et rentre à mon tour. Je retourne vers mon cercle d'amis et ils m'entraîne tous sur la piste de danse. Malgré que je sois mal à l'aise, Harry insiste et me grade près de lui tout en sautant sur place en chantant. Je suis absolument certain que j'ai l'air coincé tellement j'ai horreur de danser. C'est à nouveau au bout d'une petite heure et demi que je sors de la foule du salon pour m'éclipser dehors. Je choisis cette fois la porte d'entrée pour éviter de me ridiculiser devant quelqu'un d'autre. Je sors et je me fige sur place. La porte claque par inadvertance et assise sur les marches du péron, elle sursaute.
- Encore toi ? s'exclame-t-elle en me reconnaissant.
Elle se lève et je reste à nouveau sur place sans rien faire. Elle a le don de me paralyser. Je ne suis pourtant jamais timide comme ça.
- Est-ce que tu me suis ?
- Quoi ? Non c'est le pur hasard.
- Rassure moi, tu n'es pas bourré ?
Je secoue vivement la tête et elle soupire puis se rassied. Je lui demande alors pourquoi cette question.
- Je ne veux juste pas rester en compagnie d'un mec bourré. Va savoir ce que tu pourrais me faire.
Je n'arrive pas à savoir si elle plaisante ou si elle parle sérieusement. Je me contente de lâcher un sourire et je m'assieds sur la même marche qu'elle mais à l'opposé. Elle rouvre son livre et poursuis sa lecture. J'en profite pour mémoriser chaque détail de sa personne. Je veux m'assurer qu'elle est réelle. J'apprécie la délicatesse de ses paupières qui clignent lentement, sa mâchoire à peine marquée, ses petits cheveux sortant de sa tresse qui flottent au vent, ses petites mains qui tournent les pages du livre doucement. Rien ne m'échappe. Elle tourne la tête vers moi.
- Qu'est-ce que tu as ?
- Pardon ?
- Je ne sais pas, tu n'arrêtes pas de me fixer. J'ai quelque chose au bout du nez ?
Je secoue encore une fois la tête négativement. Je me force alors à regarder ailleurs pour éviter qu'elle ne me prenne pour un fou qui veut l'agresser. C'est juste plus fort que moi. Je sors mon téléphone de ma poche et constate que ma mère a laissé plusieurs messages suite aux appels manqués. Je les ignore car ils parlent tous du fait qu'elle s'inquiète pour moi, qu'elle ne sait pas où je suis etc. Je fais un tour sur Twitter et sur Instagram tout en m'empêchant de tourner la tête vers elle. Je n'aime pas ce petit sentiment d'incertitude en moi à ce moment précis. Je n'ai jamais eu de difficulté à être sociable avec les autres. Pourtant, je suis bloqué. J'inspire profondément.
- Tu t'es bien amusé ce soir ? je demande calmement en m'accoudant sur la marche supérieure.
- C'était super fun, dit-elle sans conviction.
J'en déduis directement que la soirée n'a pas été bonne. Comprenant qu'elle n'a pas l'air de vouloir discuter, je n'ajoute rien.
- Désolée, je ne voulais pas être désagréable. Je ne suis juste pas venue de mon plein gré.
- Tu accompagnes quelqu'un ?
- Bingo.
Elle me répond sans lever les yeux de son livre. Il doit être captivant. Je lui demande qui est son ami qui l'a emmenée ici et elle répond en levant enfin la tête :
- C'est un simple ami. Mon père a insisté pour que je sorte.
- Tu ne sors donc jamais ?
- Si. Mais pas dans ce genre de soirées débiles.
Je comprends alors pourquoi elle se promène avec ce livre. Aucun fêtard ne vient avec un livre en soirée. Cela explique son air si calme et doux. Elle est anti-fête.
- Et toi tu t'éclates ? demande-t-elle en fermant son livre.
- J'ai connu mieux.
- C'est vrai que parler avec une fille qui lit dans une soirée comme celle-ci n'est pas l'occupation la plus excitante.
Je tourne la tête vers elle. Oui on ne se regardait pas jusqu'à maintenant. Elle en revanche regarde devant elle.
- Je préfère traîner ici qu'à l'intérieur.
Surprise de ma réponse, la voilà qui tourne enfin la tête et nos regards se croisent. Un petit courant électrique me traverse le corps lorsque le rouge de son iris plonge dans mon regard. Elle hoche la tête et regarde sa montre. C'est là qu'Alvin et un garçon au teint basané et au regard sévère sortent de la maison en rigolant. Elle détourne alors le regard en se frottant la nuque.
- T'étais là, s'exclame Alvin en descendant les marches. Allez je te ramène.
Je me lève en même temps qu'elle qui a reporté son attention sur le garçon qui accompagne mon ami. Ce dernier tape dans la main d'Alvin et dit :
- C'était cool. A plus.
Il passe alors son bras sur ses épaules à elle. Elle m'adresse un petit signe de la main avec un sourire puis ils s'éloigent tous les deux vers une voiture garée en face. Je rejoins rapidement Alvin dans sa voiture et nous voilà partis pour rentrer. Alvin me raconte que beaucoup d'invités ont fini bourrés et que lui et Harry ont pris le soin de ranger le plus gros tandis que la plupart des gens rentraient ou sombraient dans un long coma. Il me demande alors ce que je faisais dehors.
- Je prenais l'air.
Il ne relève pas plus et je ne ressens pas particulièrement le besoin de lui parler de cette fille. Je remarque alors tandis qu'Alvin ne dit plus rien qu'un sentiment inconfortable m'envahit depuis notre départ de la soirée. Je gigote nerveusement sur le siège passager sans trop savoir. Nous arrivons devant chez moi et je remercie Alvin de m'avoir ramener. Il repart et je rentre. Je prie pour que ma famille dorme profondément. Il est minuit passé, ça devrait être bon. Je monte doucement à l'étage et lorsque j'atteins le seuil de ma porte, la lumière du couloir s'allume. Je me retourne et découvre ma mère en robe de chambre.
- Où étais-tu Jayden ?
- A l'anniversaire d'un ami. Pas dans un gang de drogués.
J'entre dans ma chambre en fermant la porte mais ma mère ne lâche pas l'affaire et entre à son tour.
- Je me suis inquiétée. Tu aurais pu me prévenir enfin.
Je ne dis rien. Je n'ai pas à me justifier. Elle ne mérite pas que je lui confie tout ce que je fais dans ma vie. Depuis longtemps.
- Bonne nuit maman.
Je tiens la porte en la fixant. Elle me regarde avec des yeux brillants et une mine triste. Je maintiens mon dur regard et elle sort. Je souffle et me déshabille avant de me laisser tomber sur mon lit. Je pose une main sous ma tête et fixe le plafond dans l'obscurité. C'est dingue comme elle peut habiter mes pensées alors que je ne sais rien d'elle. Lui avoir parler était si étrange. Je ressentais de la timidité mélangée à de l'intérêt. J'avais tellement envie de lui parler, de l'observer mais quelque chose me maintenait sur place. Ce n'est pas mon genre, je n'hésite jamais à dire ce que je pense. Je suis tout de même soulagé de constater qu'elle existe bel et bien mais je reste insatisfait parce que je ne connais pas son prénom, je ne sais pas comment la retrouver. Etait-ce le plus grand des hasards de tomber sur elle ce soir alors que je l'avais croisé de loin dans le métro ? Je ne peux m'empêcher de croire que ce n'était pas une coïncidence. Le sommeil finit par me gagner.
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