Chapitre 1


Je sais pas comment décrire ça. Elle était juste là, assise sur ce banc, ses cheveux roux au vent. Son regard était perdu et concentré dans sa lecture. Le titre de son livre est écrit trop petit, je ne le perçois pas. Ce que je perçois en revanche, c'est une lueur. Ce n'est pas cette lueur blanche, cette lumière qui étincelle un beau regard non. C'est une lueur rouge. Son iris a le couleur du sang, ce rouge noir profond et intense. Le contraste avec son oeil bleu gris est incroyable. Sa petite fossette qui se creuse lorsqu'elle salue une amie au même moment lui donne un air si enfantin mais si attirant. Son sourire qui se forme en même temps ressemble à la lumière d'un ange. C'est ça, un ange. L'ange lève la main et jette ses cheveux longs derrière son épaule en relevant la tête de son livre qu'elle referme. Elle jette un oeil autour d'elle puis se lève du banc. La voilà qui se dirige dans ma direction. Elle fourre son livre dans son sac en bandoulière noir puis son regard quitte le sol. Il s'élève jusqu'au mien. Le métro arrive enfin et brise le premier contact visuel entre cet ange et moi. Je cligne des yeux et me redresse en serrant la hanse de mon sac à dos. J'entre dans le métro et me précipite à une vitre. Elle est là. Au bord du quai, elle jette son regard sur le côté à la recherche de son métro, celui qui l'éloignera de moi. Elle tourne la tête pour observer l'autre côté. Puis elle regarde devant elle. Vers le wagon dans lequel je me trouve. Je me redresse, prêt à croiser le regard de couleurs de cette créature divine. Le métro qu'elle attendait entre en gare à une vitesse qui m'effraie. Elle disparaît de mon champ visuel. Une vieille dame qui sent la soupe à la tomate s'installe sur le siège à côté du mien et je reviens d'entre les nuages. Lorsque je scrute le wagon qui vient d'arriver, je cherche cette crinière rousse sans succès. C'est comme si elle s'était envolée. Etait-elle réelle ? Tout ceci ne s'est passé qu'en quelques minutes. Je tente de me remémorer les détails de son visage : sa fossette, son sourire, son regard aux deux couleurs, sa mâchoire serrée, ses mèches de cheveux roux qui dansent près de son visage. Tout est d'une précision si spéciale. Mon métro parvient enfin à la station de mon quartier et je marche le long des couloirs dans lequel le vent souffle et décoiffe mes boucles sur mon front. Mains dans les poches, je monte les marches une à une et me voilà au grand air frais de la nuit. Les rues sont éclairées par des réverbères à la luminosité digne d'un film d'horreur. L'habitude fait que je me balade dans ses allées en remuant la tête au rythme de ma musique qui jaillit de mes écouteurs. Je tourne à plusieurs reprises et je m'enfonce dans le quartier bas de la ville. J'arrive enfin devant une maison en briques rouges aux grandes fenêtres. Je perçois à travers la fenêtre de devant ma mère et ma soeur qui lèvent les bras dans tous les sens. Je retire mes écouteurs en montant les marches qui mènent à ma porte d'entrée. Fixant mon reflet dans la petite vitre de la porte, je me concentre dans le reflet de mes yeux brun puis du rouge apparaît. Le rouge s'étend dans mon iris comme du sang qui coule d'une plaie. La peur s'empare de moi et je recule. Mon reflet est accompagné de son reflet à elle. Ses cheveux roux flottent dans l'air et son regard me fixe. Je suis comme pétrifié. Je tourne lentement les talons puis je fais volte face pour faire face à la pénombre de la rue. Je reviens face à la porte lorsque celle-ci s'ouvre en grand. Ma mère apparaît avec un sourire las et des cernes sous ses yeux maquillés.

- Tu es rentré.

    Je l'observe avec de grands yeux et reste immobile comme si j'avais vu un fantôme. J'en ai vu un.

- Jay ? appelle ma mère en agitant la main devant mon visage.

    Je reviens sur Terre et parviens enfin à avancer. Je marmonne que ça va et traverse le salon sans rien dire d'autre. Ma mère referme la porte et je sens son regard me suivre tandis que je gravis les escaliers pour m'enfermer dans ma chambre. Mon sac jeté près de ma fenêtre, je me laisse tomber sur le lit et me frotte le visage. Je tourne la tête vers ma fenêtre qui donne sur la rue plongée dans la nuit. Je n'y vois que mon reflet. Je deviens peut-être fou, allez savoir. J'attrape mes notes d'histoire et me mets au travail jusqu'à ce que ma soeur de seize ans entre dans ma chambre sans frapper. Une sale habitude.

- Tu as faim ? demande-t-elle avec un petit sourire. Maman a fait des hamburgers.

- Combien de fois dois-je te rappeler de frapper avant d'entrer dans cette chambre ?

    Mon ton est dur, comme à chaque fois que je parle dans cette maison. Wendy laisse échapper un soupire puis referme vivement la porte. Je secoue la tête. C'est au bout de trente minutes que je décide de descendre avaler quelque chose. Lorsque j'atteins le rez-de-chaussée, ma mère est assise dans le canapé avec un magazine. Wendy est sur son ordinateur dans le fauteuil d'à côté. Maman lève les yeux de sa revue et m'adresse un sourire. Elle n'a pas le temps de dire quoique ce soit que je me dirige dans la cuisine en vitesse. J'ouvre le frigo et hésite cinq secondes entre le reste de ma pizza d'hier soir ou le hamburger qu'à laisser ma mère. Je saisis une assiette et réchauffe ma pizza. Ma mère entre et s'adosse à l'encadrement de la porte puis croise les bras. Elle m'observe sans rien dire. Je m'assois tranquillement à table et commence à manger. Son regard devient trop pesant et je n'aime pas ça.

- Quoi encore ? finis-je par demander.

- Je me fais du soucis pour toi Jay, dit-elle en s'approchant de moi.

    Je ne peux m'empêcher de me lever brusquement en prenant mon assiette. Elle se fait du soucis pour rien, je ne veux pas perdre mon temps à soulager ses inquiétudes imaginaires.

- Je mange en haut, bonne nuit.

    Elle baisse la tête quand je la dépasse. Juste avant d'atteindre les escaliers, Wendy me jette un coup d'oeil avant de dire :

- T'es un crétin Jayden Walker.

- La ferme, je souffle avant de disparaître à l'étage.

    Le lendemain matin, un Klaxon me sort de mon réveil. Je me redresse rapidement avec un mal de dos. S'endormir sur ses cours est une sale habitude aussi. Je regarde l'heure.

- Merde !

    Je sors de mon lit et retire mon t-shirt de la veille pour en enfiler un autre. Je change de jean et saute dans mes chaussures. Je perçois à la fenêtre la voiture d'Alvin garée devant mon entrée. Je passe dans la salle de bain pour me brosser les dents et jeter de l'eau sur mon visage. Je repasse dans ma chambre pour attraper mon manteau et mon sac en fourrant mes cours en vrac à l'intérieur. Je dévale les escaliers, je manque de renverser ma soeur et me voilà dehors. Je m'installe sur le siège passager de la voiture ancienne de mon ami qui me regarde avec un air amusé.

- Désolé du retard, mon réveil n'a pas sonné.

- J'ai l'habitude, dit Alvin avec un sourire avant de démarrer.

    J'ai rencontré Alvin au début de secondaire. Je suis plutôt solitaire mais j'aime beaucoup sa compagnie. C'est un mec très marrant. Dès notre première rencontre, on s'est tout de suite bien entendu. En début de terminale, il a proposé de me chercher chaque matin après avoir constaté que je loupais le métro chaque matin pour cause de panne de réveil.

- Alors t'as fais quoi hier soir ? Je t'ai envoyé des messages mais sans réponse.

- J'ai traîné en rentrant et j'ai révisé jusqu'à je-ne-sais-pas quelle heure. Puis ma famille me prend la tête encore et toujours donc bon.

- Surtout ta mère j'imagine.

- Surtout ma mère ouais.

    Alvin est le seul au lycée qui connaît ma situation familiale. Attendez. Quand je dis ça, on dirait que j'ai une vie de famille monstrueuse. C'est pas du tout ça.

- Elle doit bien avoir une raison de s'inquiéter non ? C'est ta mère, elle sait quand quelque chose cloche.

- Alvin, rien ne cloche, dis-je sèchement.

    Il hoche la tête et on arrive dans le centre de Londres. Une fois la voiture garée, nous avançons vers le lycée. Alvin salue plusieurs personnes jusqu'à ce que nous atteignons son casier. Je m'adosse sur celui d'à côté. Je me sens tout de suite plus détendu et Alvin le remarque.

- Maintenant que tu es de bonne humeur, tu viens à l'anniversaire de Harry ce soir ? demande-t-il en prenant son livre de physique.

- Probablement. Tu y vas en voiture ?

- Je t'emmène.

- Super.

    J'affiche enfin un sourire en tapant dans la main de mon ami. La cloche sonne. Alvin s'éloigne dans le couloir tandis que je monte au deuxième étage pour mon cours d'histoire.

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