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- "A tout de suite ma chérie, je t'aime"

Je repose mon téléphone avant de jeter un coup d'œil au projet suivant de mes 4ème 2. Le travail manque un peu de profondeur mais au moins, les trois énergumènes ont rendu quelque chose. Ça me semblait mal engagé au départ.

Je regarde la pendule de la cuisine : 20 h 30. Mes épaules s'affaissent : il ne sera pas rentré avant une bonne heure.

Martin est un passionné, c'est pour ça que je l'aime autant. Mais, parmi ses passions, il y a son métier : son poste de cadre supérieur dans une banque nous permet d'avoir un bon train de vie mais, il nous empoisonne aussi.

La seule chose que je ne supporte pas, ce sont ses horaires.

Au début de notre relation, cela m'agaçait au plus haut point. Les disputes furent nombreuses, parfois violentes.
Et je me suis résignée : impossible pour lui de choisir entre son travail et sa fiancée.

Depuis, j'ai appris à comprendre le langage Martin : quand il me dit à tout de suite, c'est qu'il est encore en train de plancher sur un dossier ou deux.

Je vais faire l'effort de l'attendre encore un peu en grignotant devant la télé. Pas bon pour ma ligne et, si je ne dois pas prendre de poids, c'est bien cette année.

Ma "belle-mère" serait ravie que je ne rentre pas dans la robe de mariée qu'elle a prévue de m'offrir.
La mère de Martin ne m'aime pas. Elle n'a qu'un fils et, elle est issue d'une vieille famille de l'aristocratie française. Elle espérait un meilleur parti pour son fils chéri.

Quand Martin lui a annoncé avoir demandé ma main, elle avait eu la délicatesse de répondre :

- Au moins s'appelle-t-elle du Plessis; de quoi aurions-nous eu l'air si elle s'était simplement appelée Dupont.
J'avais serré les dents, Martin m'avait soutenue. Je ne l'ai aimé que plus.

Martin de la Vanne de Chanzy. Un beau garçon avec qui je ne me serais jamais vu vivre une histoire sérieuse.

Notre rencontre ? Le fruit du hasard.

... J'étais en dernière année aux Beaux Arts, achevant mon projet de fin d'études. Au grand désespoir de mes professeurs, j'avais choisi la voie de l'enseignement.

J'étais convaincue que je serais capable d'initier de jeunes esprits aux mystères et à la beauté de l'art.

Maman et papa m'avaient souhaité bien du courage. Il allait m'en falloir puisque j'avais obtenu mon concours brillamment.
Il ne me restait plus qu'à attendre mon affectation.

- Tu vas avoir l'air maline si tu te retrouves dans un collège pourri du 93, avait ironisé Tania, ma meilleure amie. Avec tes petites jupes et tes chemisiers.

- Et bien je mettrai des jeans et des baskets, lui avais - je répondu.

Tania et moi avions fait connaissance en première année. Son exubérance contrastait avec ma timidité maladive. Elle est aussi brune que je suis blonde.

Nous étions rapidement devenues inséparables.

Et Tania avait sincèrement peur pour moi.

- T'es peut-être faite pour l'enseignement mais dans un bahut du 16, au pire du 8. Si tu m'annonces St Ouen ou St Denis, je vais plus vivre.

J'avais passé ma journée à la rassurer.

Et, je me souviens, son portable avait sonné.

- Lequel de tes amants a le droit de t'appeler à cette heure-ci ? lui avais-je demandé pour la taquiner. Le soleil n'est pas encore couché.

Elle avait levé les yeux au ciel, faussement choquée.

Tania a des tas de qualités mais la fidélité n'en fait pas partie : elle part du principe qu'on ne vit qu'une fois et qu'il faut savoir en profiter.

Elle partageait donc ses nuits entre un garçon de notre promotion et un homme marié.
Je ne voulais rien savoir de plus.

- Aucun ! me répondit-elle. C'est Jeanne, une copine. Elle peut nous faire entrer dans une super soirée place de l'Etoile. Ca te tente ?

- Je ne sais pas.

Tania ne fut pas dupe de ma réponse évasive.

- Gaëlle, vous avez "rompu", si j'ose m'exprimer ainsi depuis près de 3 mois. Tu es magnifique et toute jeune, tu n'as pas à te condamner au célibat. Surtout pour lui.

Tania avait raison mais mon coeur se serrait encore quand je pensais à Frédéric.

Beau comme un coeur, charmant, drôle... Il m'avait joliment fait la cour. J'étais tombée dans ses bras et dans son lit. Où j'avais d'ailleurs été plus que comblée....

Mais, nous étions trop de papillons à voler autour de cette flamme. Je ne supportais pas de me brûler les ailes.
J'avais fait le choix de m'éloigner. Une décision qui me faisait encore pleurer la nuit dans la solitude de ma chambre.

- Quand on tombe de cheval, il faut remonter en selle, comme dit le proverbe, poursuivit Tania. Ce soir, tu viens avec moi !

- Je ne sais pas.

- Tu crois qu'il pense encore à toi ? siffla mon amie en mode guerrière. Je pense qu'il devait galérer pour se souvenir de qui s'appelait comment !

Encore aujourd'hui, j'essayais de convaincre qu'elle avait tort. Il n'avait jamais rappelé.

Sans conviction, je m'étais préparée pour cette soirée. J'avais mis une robe, des bottes et tenté de donner un côté moins sage à mon carré strict.

Tania ne cessait de me dire que j'étais jolie comme un coeur, je me trouvais assez quelconque.

À 20 h précises, j'avais sauté dans sa voiture et nous avions filé à sa soirée.

Quand nous étions arrivées, le club était déjà rempli d'étudiants. Sans être associale, je n'avais jamais été attirée par ce genre de soirées. Une erreur, selon mon amie.

Tania avait assez vite filé au bar, son regard brillant me faisant comprendre que le beau brun tatoué qui se trouvait derrière était très à son goût.

Je m'étais retrouvée seule près du buffet. J'avais vite senti des regards un peu insistants dans mon dos.

Quand je m'étais retournée, j'avais vu deux types qui me fixaient : impossible de dire à quoi ils ressemblaient, il faisait trop sombre.

Je leur avais adressé un sourire que j'espérais pas trop engageant. Puis, j'étais retournée admirer le contenu de mon assiette.

- Mademoiselle, bonsoir.

Un des deux types se tenait derrière moi. Environ 1 m 85, les cheveux courts, mon coeur avait raté un battement : même dans la pénombre, il avait de beaux traits.

- Bonsoir Monsieur.

- Mon ami et moi nous demandions ce qu'une aussi charmante jeune femme faisait seule.

J'avais failli prendre mes jambes à mon cou : encore un mec venu pour se lever une fille dans les toilettes.

- Je ne suis pas seule, avais-je rétorqué. Et si vous voulez bien m'excuser...

J'avais voulu partir : il m'avait retenue par le bras.

- Pardon, je m'y prends comme un con, s'était -il excusé. Mais, mon pote là-bas n'arrête pas de dire que t'es super belle et il a parié des vacances au ski que je n'oserais pas t'aborder.

J'aurais dû être vexée, quelque chose m'a touchée.

- Tu diras à ton pote de ma part que c'est un gros blaireau, avais-je rétorqué.

Il avait ri, sa voix m'avait transportée.

- Et l'ami du gros blaireau a un nom ?

- Martin de la Vanne de Chanzy.

- Ca rentre dans les cases des feuilles de Secu ?

Ma remarque l'avait fait rire de plus belle.

- Et la demoiselle de pique se prénomme ?

- Gaëlle du Plessis.

- Enchantée, mademoiselle Gaëlle.

Il avait déposé un baiser sur ma main.

C'était il y a 6 ans...

***

Une musique de pub un peu trop forte me réveille. Ma soupe a refroidi et j'ai des courbatures partout.

Je me suis endormie lors de mon tête à tête avec Cyril Lignac. Je regarde la pendule d'un œil vitreux : presque 22 h 45.

Je me lève en ronchonnant. Par réflexe, je regarde mon téléphone : pas de message ! Je passe sur Facebook : il y a des jours où Mark Zuckerberg est au courant de la vie de mon fiancé avant moi. Aucun nouveau statut.

Tandis que je débarrasse mon bol, la panique gagne doucement mes nerfs : et s'il lui était arrivé quelque chose ?

Tout en mordillant mon pouce, je fais défiler les numéros de nos amis communs.
Je commence à rédiger un texto quand un bruit de clef dans la porte me fait sursauter.

Je repose mon IPhone et me dirige vers la porte. Dans l'embrasure se tient un Martin qui affiche un sourire gêné. Je ne peux m'empêcher de lui faire les gros yeux, comme à un gosse.

- C'est à cette heure-ci que tu rentres ?

- Pardon ma chérie...

- Gaëlle.

- Pardon Gaëlle.

Je me retourne pour regagner notre salon. J'entends Martin qui jette ses clefs et qui me suis d'un pas précipité.

- Je suis sincèrement désolé, me dit-il. J'ai relevé une incohérence dans le dossier d'une SARL. Je n'ai pas vu l'heure.

- Encore une fois, ne puis-je m'empêcher de soupirer.

- Avec Caro, on s'est dit que ce serait une bonne chose de faite.

Martin se mord la lèvre tandis que je vais en cuisine me faire un thé.

Caroline est la supérieure directe de Martin. C'est une pulpeuse trentenaire, carriériste, qui adore travailler avec mon chéri.

- Tu es certaine que ce n'est pas son dossier préféré ? m'avait déjà interrogé Tania.

J'avais la faiblesse de croire que non.

Deux bras enserrent ma taille et je sens Martin venir se nicher dans mon cou. Ses lèvres frôlent ma gorge, je ne peux réprimer un frisson.

- Pardon Gaëlle, je suis désolé.

Je sens un peu de ma colère fondre sous son baiser.

- Tu aurais pu appeler, lui dis-je. Je me suis inquiétée. Si ça avait été moi...

- Tu as raison.

Il me fait pivoter entre ses bras. Ses lèvres se posent sur les miennes avec tendresse.

Aussitôt, je sens ma colère qui s'amenuise. Et oui, mon Martin a certaines qualités auxquelles je suis incapable de résister. Pauvre de moi.

Ses bras me serrent fort et il m'entraîne vers notre chambre.

Tandis que ses mains glissent sous mon débardeur, je ne peux m'empêcher de le gronder tendrement :

- Martin, ce n'est pas du jeu tu sais ?

- Je sais, chuchote-t-il à mon oreille tout en mordillant le lobe. Mais je dois me faire pardonner oui ou non ?

- c'est vrai mais , tu pouvais aussi m'offrir des fleurs.

- A cette heure-ci, c'est difficile.

Je sens ses mains arrêter de descendre vers mon ventre à la mention de l'heure tardive à laquelle il est encore rentré ce soir.

Tandis qu'il me fait chuter sur notre lit, il ajoute, les yeux brillants de malice :

- D'accord, ce sera des fleurs et des chocolats.

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