0. « Elle va partir en voyage ? »
//Bonjour à tous ! (Je sais, ça change du traditionnel "SALUUUUUUT LES GENNNNS", mais bon, j'avais besoin d'être solennelle.).
Je partage aujourd'hui avec vous une petite nouvelle visant à contrer l'homophobie (les homophobes on dégage merci. Ou je retrouve, je vous emmène dans ma cave et je vous fais subir plein de tortures bien douloureuses, qui vous vous laisser en sang comme pour les gros sexistes peuplant cette terre. (Désolée pour toute cette violence, c'est pas dans mes habitudes, mais il y a des moments où ça manque pas.) Voilà, vous êtes prévenus. Reprenons : ). J'espère que ce (plus ou moins petit) texte vous plaira. J'essaie d'améliorer mon style d'écriture en ce moment... Dites-moi si vous trouvez que ça a changé, vous serez gentils ! Ah, et aussi ! Pour ceux qui lisent mes autres histoires, vous aurez remarqué qu'avec cette courte histoire, je change de mon domaine de prédilection, à savoir la fantasy, pour me plonger dans quelque chose de tout à fait différent. Vous pensez quoi de ce changement ?
Bonne lecture...\\
Elsa Lémist, sept ans et demi, serrait de toutes ses forces les bords de son siège, si fort même que ses jointures en blanchissaient. Cela faisait désormais une bonne demi-heure que la blonde et sa sœur patientaient dans le couloir sans fenêtres à l'odeur aseptisée. Les deux gamines étaient assises sur d'inconfortables chaises en plastique blanc vissées au mur de même couleur. Lesdites chaises pouvaient passer pour la cause de l'incessante gesticulation de Méline. Tout en balançant les jambes par-dessus le carrelage d'un blanc immaculé, la petite lançait, de temps à autres, des regards qu'elle pensait furtifs, mais qui ne l'étaient pas, à son aînée, ses yeux vert pomme emplis d'interrogations sous les sourcils bruns intensément froncés. Elsa, quant à elle, gardait les yeux résolument braqués sur le mur d'en face, comme s'il représentait une source d'attraits toute particulière. Son impassibilité contrastait violemment avec l'apparente impossibilité de Méline à rester en place. Mais si la blonde paraissait calme de l'extérieur, elle était en intérieur dévastée. Effrayée. Et surtout, surtout, elle appréhendait. Tentant de mettre ses craintes et réflexions de côté, elle se tourna vers sa cadette, dont elle avait bien remarqué le gigotement. Il était temps que cet insupportable ballet s'arrête.
— Allez, pose ta question, exhorta la blonde en rabattant ses longs cheveux derrière son épaule.
— Hein ? Quoi ? sursauta Méline, prise de court. De... de quoi est-ce que tu parles ?
— Ne joue pas à ce petit jeu avec moi, soupira Elsa en se retenant de lever les yeux au ciel. Tu fais toujours ça quand tu as une question ou une demande.
— Ça quoi ? Je ne comprends pas ce que tu veux dire, assura la petite avec une parfaite mauvaise foi.
— C'est ça, fiche toi de moi, grommela la plus grande. Et pour répondre à ta "question", te trémousser comme un poisson hors de l'eau. Sans compter tes regards en coin toutes les dix secondes, explicita-t-elle, une pointe d'exaspération nettement perceptible dans la voix.
Méline inspira, expira, se mordilla une ou deux fois la lèvre et se lança.
— Est-ce que tu sais pourquoi Papa est venu nous chercher à l'école en pleine après-midi ? questionna-t-elle, entortillant inconsciemment une mèche de sa tignasse brune autour de son index. Tu.. tu penses que c'est pour la voir ?
— Je suppose, répondit Elsa d'un ton se voulant indifférent mais qui ne l'était sûrement pas.
— M... mais pourquoi maintenant ? bredouilla la gosse, confuse. Elle... elle va si mal que ça ?
— Je ne sais pas, Méline ! s'énerva la blonde, tentant de cacher son inquiétude derrière de l'agressivité, sa voix résonnant dans le couloir désert. Tu crois que c'est à moi de m'occuper de ce genre de choses ? Non !, cria-t-elle en réponse à sa propre question. Je ne suis ni Papa, ni Maman, ni un médecin ! Alors je crains fort de ne pas pouvoir répondre à ta question, désolée.
En voyant que sa petite sœur avait quasi-imperceptiblement reculé, en apercevant sa lèvre inférieure trembler et la peur poindre légèrement dans ses prunelles, Elsa comprit qu'elle était allée trop loin, et culpabilisa aussitôt. Elle se rapprocha, rétablissant ainsi la proximité qu'elles partageaient autrefois, et qui avait commencé à leur faire défaut au fur et à mesure que la maladie d'Anaïs s'était aggravée.
— Je suis désolée, murmura la petite fille en passant un bras qui se voulait réconfortant autour des épaules de la plus jeune. Je n'aurais pas dû réagir comme je l'ai fait. J'ai laissé la colère prendre le dessus, encore une fois. À croire que je suis incapable de rester calme quand j'ai peur, soupira-t-elle en une grimace amère. Je ne fais que du mal à ceux que j'aime.
— Quand cesseras-tu de te dévaloriser, Elsa ?! s'indigna Méline. Tu as parfaitement le droit de céder à la colère, comme tout le monde sur cette terre ! Tu n'as pas besoin de cacher ce que tu ressens en toutes circonstances, et surtout, tu as le droit de dire ce que tu as sur le cœur, de te confier quand tu as besoin.
Elsa esquissa un sourire amusé devant l'étonnante maturité dont faisait preuve sa sœur. Étrange, pour une enfant de six ans. Mais elle fut une nouvelle fois tirée de ses pensées par Méline, qui reprit sa tirade enflammée :
— Dis moi ce qu'il se passe ! Est-ce que c'est en rapport avec... avec A-
Le minuscule hochement de tête suffit à l'interrompre. Elle observa longuement son aînée, attendant qu'elle parle, enfin.
Mais Elsa restait muette, une véritable tornade faisant rage dans son esprit. Lorsqu'elle parvint enfin à mettre ses idées au clair, ce qu'elle refusait d'admettre finit par réussir à s'imposer à elle. L'effet fut immédiat. Les épaules de la blonde s'affaissèrent comme si un immense poids venait d'y être déposé, en même temps qu'un immense vide emplissait son âme et que son cœur se fendillait. Se fichant bien de l'hygiène, pourtant le credo des hôpitaux, elle ramena ses pieds sur le rebord de son siège et enfouit son visage dans ses genoux. Désormais privée de vue, elle pouvait faire le vide dans sa tête et se concentrer sur les sons qui lui parvenaient. C'était un des seuls moyens qu'elle avait trouvé pour tempérer ses émotions : oublier quatre des cinq sens et se concentrer sur le dernier, l'ouïe.
Ainsi Elsa perçut-elle la légère respiration de Méline, juste à côté d'elle. Elle remarqua le bruit du tissu que l'on froisse, signe que sa cadette avait recommencé à martyriser son gilet ou son T-Shirt, au choix, en en tordant et retordant l'ourlet entre ses doigts. Elle écouta, quelque part au-dessus d'elle, le bruit d'un chariot ou d'un lit à roulettes qu'on pousse, les rires d'un enfant et les pleurs d'un autre, plus loin. En tendant l'oreille, elle réussit à entendre le doux murmure des conversations qui filtraient à travers les portes des chambres prétendument insonorisées. Elle se concentra encore, et les bruits quotidiens signalant que les pièces, dont les portes s'étalaient le long du long couloir, étaient presque toutes occupées, parvinrent à l'apaiser encore plus.
Alors, désormais sereine au possible, Elsa se redressa, et croisa le regard de la petite brune, qui avait patiemment attendu que son aînée se calme, sachant pertinemment qu'il serait inutile, et même contre-productif de la brusquer. La blonde, ses yeux bleus toujours fichés dans ceux, verts et attentifs, de sa cadette, se mit enfin à parler.
— Il y a deux jours, vers 22 heures, je n'arrivais toujours pas à dormir. J'avais besoin de parler, mais Papa était resté ici, avec An, pour la nuit. Je suis donc allée voir Maman.
Tout en parlant, Elsa avait fermé les yeux, et les souvenirs avaient déferlé. Pendant que ses lèvres continuaient de bouger pour former les mots, ses cordes vocales de vibrer pour produire les sons, les images de cette conversation avec sa mère avaient défilé derrière ses paupières closes, pareilles à un film que l'on regarde à nouveau, un peu après l'avoir visionné une première fois.
¤¤¤
Elsa se tournait et se retournait dans son lit, ne parvenant définitivement pas à trouver le sommeil. Elle jeta un rapide coup d'œil à son réveil et soupira. 22 h 28. Son esprit, rempli de tonnes d'interrogations et d'inquiétudes, tournait à cent à l'heure. Elle avait, à sa plus ou moins grande surprise, besoin de parler. Il n'était pas dans ses habitudes de se confier mais ça ne pouvait pas lui faire de mal. Elle s'extirpa donc de son lit, et se mit aussitôt à frissonner. Elle ne pouvait décemment pas sortir dans son simple pyjama frappé de l'écusson de la maison Serdaigle. Elle s'enveloppa donc dans une polaire toute douce, et poussa un soupir de soulagement quand la chaleur l'envahit, avant de se diriger à petits pas vers la porte de la chambre de ses parents, seulement occupée par sa mère en ce soir de novembre, étant donné que son père s'était... absenté.
Elle longea le couloir sur la pointe des pieds, d'une part pour ne réveiller personne en faisant grincer le parquet, d'autre part pour poser le moins possible ses pieds nus sur le bois froid. Elle grimaçait en frissonnant. Un tel froid milieu octobre, ce n'était absolument pas raisonnable. Elle n'était pourtant pas frileuse de nature, bien au contraire. Elle aurait même été du genre à se balader en simple sweat-shirt dans la cour de l'école. Bon, elle l'avait déjà fait, sous la neige en plus, et avait passé dix bons jours clouée au lit par une grosse grippe, après un sévère savon maternel empli de reproches, tels que « Tu es inconsciente ! Sortir sans manteau en plein mois de février, sous la neige ! Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ?! Encore heureux que ce ne soit qu'une grippe ! et gna gna gna. ». Mais elle avait adoré l'expérience, et aurait bien aimé la renouveler, juste pour voir l'air indigné de ses amies, dégoûtées que le froid qui les rongeait malgré leurs doudounes, écharpes, bonnets et gants ne l'atteigne pas. Alors si elle, Elsa Lémist, se les gelait en plein automne, elle n'avait décidément pas hâte que l'hiver arrive.
C'était la tête emplie ce genre de futiles pensées que Elsa finit par arriver devant la porte de la chambre parentale. Elle hésita une bonne trentaine de secondes, se demandant si, au final, elle ne ferait pas mieux de s'en retourner se morfondre dans sa chambre, avant de se dire que, quitte à ne pas réussir à dormir, autant qu'elle reste avec sa mère plutôt que seule. Elle écarta l'hypothèse que sa génitrice soit déjà endormie, c'était hautement improbable. Les adultes se couchaient tard, c'était bien connu. Elle prit donc son courage à deux mains (Si jamais il était possible d'attraper un idéal, un concept n'ayant pas d'existence physique. Elle avait toujours trouvé cette expression idiote et illogique, même si cela ne l'empêchait pas de l'utiliser.), et frappa doucement à la porte, avant de laisser retomber son bras le long de son corps. Elle entendit nettement la voix maternelle, donc sa mère en elle-même, lui répondre d'entrer, bien qu'étouffée par l'épaisseur du battant. Elsa déglutit, remarquant que le « Entrez » avait été prononcé d'un ton las, inquiet, et relâcha sa respiration, qu'elle avait inconsciemment retenue dans l'attente de la réponse. Elsa posa une main sur la poignée de la porte, et ramena ses cheveux derrière ses oreilles, dans l'espoir de se redonner une contenance, avant d'appuyer, de pousser la porte et de pénétrer dans la pièce uniquement éclairée par deux lampes de chevet disposées de part et d'autre du grand lit. Lit dans lequel sa mère était pelotonnée, l'air totalement exténuée, les yeux cernés et le front plissé par l'inquiétude.
— Elsa ? questionna-t-elle, étonnée que sa fille ne soit pas endormie à cette heure tardive. Que fais-tu là ? Tu devrais être couchée depuis longtemps, reprocha-t-elle d'un ton mécontent.
— Je... je n'arrivais pas à dormir, avoua la blondinette après s'être mordillé trois ou quatre fois la lèvre inférieure. J'avais besoin de te parler.
Julia Lémist, ne se trouvant pas le courage de réprimander sa progéniture, tapota la place à côté d'elle en un sourire se voulant avenant et réconfortant, mais qui n'atteignit pas ses yeux. Elsa sourit à son tour, avant de se précipiter sur le lit et d'y sauter, arrachant un bref éclat de rire à sa mère. Mais son visage se renferma aussi vite qu'il s'était éclairé, effaçant du même coup le sourire de Elsa . Elle qui voulait dérider sa mère, qui paraissait plus tendue que la corde d'un arc, ce n'était décidément pas brillant.
— Quand est-ce qu'Anaïs rentra à la maison ? questionna la petite en se blottissant au creux des bras maternels, en appréciant la chaleur qui contrastait violemment avec le froid du couloir, dans lequel elle grelottait même pas trois minutes plus tôt.
La petite grimaça aussitôt en sentant les épaules de sa mère s'affaisser, puis se tendre encore plus. Elle se maudit intérieurement et intensément d'avoir posé cette question en premier, alors que c'était la dernière chose à faire. Décidément, elle enfilait les gaffes, ce jour-ci.
— Tu n'es pas obligée de répondre, hein, tenta-t-elle de rectifier bien minablement. Je... je peux comprendre que tu ne veuilles pas. D'ailleurs, je crois que je vais arrêter de te déranger. C'était stupide de venir maintenant, de tout façon, termina-t-elle en commençant à s'extirper du cocon de chaleur.
Mais elle fut aussitôt stoppée par sa mère, qui ramena délicatement le petit corps tremblant tout contre elle, lui caressant le dos de la main du pouce. Julia soupira. Elle ne voulait pas parler de tout cela maintenant à sa fille. C'était trop tôt, elle était trop jeune pour tout cela. D'autre part... si elle ne le faisait pas maintenant, quand ? Il ne restait, à son immense horreur, que peu de temps. Trois semaines – voire quatre –, grand maximum. Après ce serait trop tard. Ça leur tomberait dessus, à elle et sa sœur, et leur mère n'était pas sûre qu'elles s'en relèvent. Julia prit donc la douloureuse décision de lui expliquer, choisissant les mots avec précautions.
— Écoute-moi bien, Elsa. Je ne sais pas quand Anaïs reviendra. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il va falloir être courageuse, très courageuse, dans les mois à venir. Et il faudra que Méline le soit aussi. Je sais que tu sauras lui expliquer.
Julia se sentit bien minable de déléguer à une enfant de sept ans la lourde et imposante tâche d'expliquer la... situation à sa non moins petite seconde fille. Elsa, quant à elle, essayait de comprendre pourquoi sa mère lui disait qu'elle ne savait pas quand An revenait. Il y avait anguille sous roche, elle en était persuadée. Mais elle ne comprenait pas vraiment quoi. Soudain, un ancien souvenir lui revint en mémoire.
— Elle va partir en voyage ? questionna-t-elle d'une petite voix. Comme Papou l'année dernière ?
— Hein ? sursauta sa mère, brutalement arrachée à ses sombres réflexions. Qui t'a dit ça ?
— Ben... An, il y a deux ans. Tu sais, quand on a raté l'école pendant quelques jours pour aller chez Papou, alors qu'il n'était pas là mais qu'il y avait toute la famille... et que tout le monde avait les yeux rouges... Manon et moi, on lui a demandé pourquoi Papou était endormi dans la grosse boîte, et An a répondu qu'il ne fallait pas s'inquiéter, et qu'il se reposait juste un peu avant de partir pour un long, long voyage pour retrouver Mamie.
— Oui, c'est ça. Anaïs va sans doute partir en voyage pour très longtemps. Elle va aller retrouver Papou, Mamie, et Tata Melly, tenta Julia en déglutissant.
— Mais elle n'est pas un peu trop jeune pour partir seule ? questionna Elsa, ne comprenant définitivement presque plus rien. Mais... Maman, tu pleures ?
Elsa s'écarta en voyant les larmes perler aux yeux de sa mère d'ordinaire si enjouée, si souriante ! Jamais elle ne l'avait vue aussi triste, dévastée, abattue.... Et cela lui faisait tellement, tellement peur. Parce que si sa mère était dans cet état, cela voulait dire qu'il se passait quelque chose de terrible. Elle parcourut le chemin jusqu'à la porte d'un pas lent, tremblant.
— Bonne nuit, murmura-t-elle si bas qu'elle ne fut même pas sûre que sa mère l'avait entendue.
Julia lui adressa un discret signe de tête alors qu'elle tirait le battant vers elle et sortait dans le couloir. Elsa sentit les poils de ses avant-bras se dresser lorsque de lourds sanglots lui parvinrent, à moitié étouffés par la cloison.
Une fois de retour dans sa chambre, la blonde se jeta sur son lit, tira les couvertures au-dessus de sa tête et laissa enfin libre cours à ses pleurs.
¤¤¤
Durant tout le récit de sa sœur, Méline était restée silencieuse, buvant littéralement chacune des paroles de son aînée. Elle n'avait pas totalement compris toute cette histoire. Mais, au fur et à mesure qu'elle faisait tourner son cerveau à plein régime, elle finit par commencer à comprendre. Enfin, comprendre était un bien grand mot. Ce qu'elle avait saisi était seulement que la maladie d'Anaïs s'était grandement aggravée, et qu'elle allait sûrement partir dans une sorte de clinique spécialisée... non ? Elle ne voulait pas qu'An, qui était tellement importante pour elle, s'en aille. Elles partageaient tant, chaque jour ! Anaïs faisait en quelque sorte partie d'elle ! Comment ferait-elle si elle n'était plus là ?
En voyant les larmes affluer aux yeux de sa petite sœur, Elsa se sentit craquer. Ses épaules s'affaissèrent encore plus, tandis que ses propres larmes dévalaient ses joues en masse.
— Pourquoi ? gémit-elle presque entre deux sanglots. Pourquoi maintenant ? Pourquoi elle ? C'est injuste ! Elle est trop jeune pour ça !
À travers le rideau de cheveux bonds qui lui tombait devant les yeux, Elsa aperçut Méline s'approcher pour passer un de ses petits bras autour de ses épaules. Et, enfin, elle vit la porte située à l'extrémité de la rangée de sièges sur lesquels elles étaient assises s'ouvrir sur John Lémist. Il ne fallut pas trois secondes pour que ses filles se précipitent sur lui, bien décidées à enfin voir leur aînée.
La petite blonde fut frappée par régnant dans la pièce lorsqu'elle y pénétra. Et quand elle parlait de silence, ce n'était pas vraiment de son, mais plutôt d'ambiance, d'atmosphère, dont il était question. Même les murs, pourtant blancs, comme une majorité de cloisons dans cet hôpital, donnaient une impression de sérénité. Et aussi de calme, un calme qui, à force, en devenait terrifiant, malheureusement totalement en accord avec l'injuste situation qui était actuellement celle de la famille Lémist.
À bien y réfléchir, il y avait selon Elsa plusieurs sortes de silence. Trois, plus exactement. Premièrement, on trouvait le silence joyeux. Quand il prenait place, on se sentait calme, en paix avec soi-même. L'on avait pas besoin de parler, de s'exprimer d'une manière ou d'une autre pour montrer que la vie était belle, presque parfaite. Ensuite, on trouvait le silence dit « du rien ». Le silence qui, de ce que Jade en pensait, exprimait tout et rien à la fois. Le silence de quand on avait rien à dire, de quand l'on est plongé dans ses pensées. Un silence à la fois tout à fait impersonnel, et absolument pas commun à chacun, qui n'était propre à personne mais que tout le monde utilisait. Et enfin, il y avait le silence... froid, silencieux. Celui qui existait alors qu'il n'aurait pas dû, qui prenait place là où il y aurait dû avoir des voix, des rires, pourquoi pas des chants. C'était pour Elsa Jade le silence interdit.
Au fil du temps, Elsa avait pris l'habitude, à chaque fois ou presque qu'elle entrait dans un pièce, d'en analyser le ou les silences. Pour elle, même les objets pouvaient être silencieux. Et dans cette chambre, ça ne manquait pas.
Elle classifia les murs, le sol et le plafond silence n°2, le silence impersonnel. Tout de suite, Elsa les préféra à sa famille. Car tout le reste, absolument tout, même l'atmosphère, était oppressant. Et calme. Trop calme. C'était pour cette raison que Jade haïssait de toute son âme le silence froid. Parce que c'était le silence de la mort.
À peine eut-elle franchi le seuil que Méline la doubla et se précipita vers le lit trônant au centre de la pièce, au creux duquel Anaïs, endormie, était allongée. Leur aînée était pâle comme la mort, sa respiration faible. Beaucoup trop faible.
— A-an ! s'exclama, ou plutôt chantonna Méline tout en sautant sur le lit, en froissant les draps par la même occasion. Tu vas bien ? Quand est-ce que tu rentres à la maison ?
Anaïs entrouvrit ses yeux bleus, et passa une main dans la chevelure brune de la benjamine.
— Hey, Méli, murmura-t-elle. Est-ce que toi, ça va ?
Ce fut au tour de Elsa, qui avait bien remarqué que son aînée avait esquivé la question de Méline, de se précipiter sur la rousse et de se blottir contre elle.
— Elsa... tu m'étouffes, articula avec difficulté la jeune malade, la poitrine comprimée par la poigne de fer de sa cadette, qui relâcha aussitôt son emprise, terrifiée à l'idée de lui avoir fait du mal.
— Je... je ne t'ai pas blessée, au moins ? balbutia-t-elle avec inquiétude.
— Mais non ! rit Anaïs. Ne t'inquiète pas. Vous allez me manquer, les sœurettes, finit-elle par murmurer après une courte pause.
— Pourquoi ? questionna Méline, perplexe. Tu... tu t'en vas ?
— En quelque sorte...
— Les filles, intervint leur mère à l'intention de ses deux plus jeunes filles, retenez bien qu'il va falloir être très courageuses aujourd'hui, d'accord ? Et sachez que votre grande sœur vous aime. Énormément.
— Mais pourquoi, Maman ? s'interrogea une nouvelle fois Méline.
— An va... partir. Pour longtemps.
— Mais elle n'a que dix ans ! C'est trop tôt ! protesta Elsa, les larmes aux yeux. Et puis elles revient quand, d'ailleurs ?
Sa mère échangea un regard désespéré avec son mari. Comment pouvaient-ils faire pour expliquer la mort à des enfants d'approximativement sept ans ? Anaïs, quant à elle, avait parfaitement compris ce qu'il se passait, comment tout ceci allait se terminer. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, l'enfant se sentait prête. Elle savait parfaitement que mourir d'un cancer à dix ans était extrêmement injuste. Et encore, le mot était faible. Mais elle l'acceptait, et elle voulait que ses petites sœurs soient heureuse, aussi difficile que cela puisse être. C'est pourquoi elle tapota l'espace qui n'avait pas encore été comblé à côté d'elle, faisant signe à Elsa et Méline de s'y installer, de part et d'autre du lit.
— Vous savez, les filles, débuta Anaïs avec douceur, quand je serai partie, je resterai là, avec vous. Ici, assura-t-elle, une main posée au niveau du cœur.
Elle s'interrompit, prise d'une violente quinte de toux qui la laissa essoufflée et épuisée. Elle se laissa tomber sur ses oreillers dans un soupir.
— Dites, les filles, murmura-t-elle d'une voix encore plus faible qu'avant, j'ai envie de chanter. De chanter notre chanson préférée. Vous voulez bien le faire avec moi ?
— Tout ce que tu voudras ! s'exclamèrent les intéressées, laissant libre cours à leurs pleurs.
—Alors, séchez vos larmes, et avec moi : l'hiver s'installe...
— ... doucement dans la nuit, entonnèrent à leur tour Elsa et Méline, alors que le souffle d'Anaïs se raréfiait, sous les sanglots de leurs parents.
Au moment où elles entonnaient le mythique refrain, Anaïs Lémist, dix ans, trois mois et deux semaines, prit sa dernière inspiration. Sa poitrine se relâcha et elle s'endormit pour l'éternité...
¤¤¤
Sept ans plus tard, après une nouvelle et interminable journée, Elsa tourna enfin la clé dans la serrure de chez elle et poussa le sempiternel :
— Papa ? Maman ? Méline ? Y'a quelqu'un ?
Elle avait à peine suspendu ses clés au crochet qui lui était attribué que Méline, qui avait fini une heure avant elle, se précipita vers elle, ses sourcils bruns froncés par ce qui semblait être de l'inquiétude. Elle ouvrit la bouche, la referma, la rouvrit, laissa échapper un « Salut » approximatif et se tut. Sous le regard interrogateur de sa sœur, qui finissait de retirer son blouson de cuir fétiche, elle mordillait la lèvre, et finit par s'expliquer.
— Est-ce que Papa ou Maman t'ont appelée ou envoyé un texto ? explicita-t-elle en se tordant les mains.
— Non, pourquoi ? demanda Elsa, étonnée que sa sœur lui pose cette question.
— Eh bien, ils m'ont dit ce matin qu'ils iraient boire un café et rentreraient à 19 h, mais ils ne sont toujours pas là.
Elsa jeta un regard distrait à l'horloge digitale suspendue au mur. 19 h 36.
— Boh, ils ont très bien pu être coincés dans les embouteillages. C'est encore l'heure de pointe, fit-elle en haussant les épaules. Ne t'inquiète pas, ils vont arriver.
Méline haussa les épaules, apparemment peu convaincue, et retourna faire ses devoirs de maths dans sa chambre, non sans avoir chipé quelques Granola, un bout de pain et une barre de chocolat dans un placard de la cuisine.
Mais trois quarts d'heure plus tard, même Elsa, pourtant de nature flegmatique, s'inquiétait fortement.
— Mais pourquoi ne sont-ils toujours pas là ? gémissait-elle en faisant les cent pas dans le grand salon-salle à manger.
— Appelle-les, suggéra Méline qui, assise en tailleur sur un des fauteuils, avait depuis longtemps abandonné ses exercices sur les équations au profit d'une activité moins intellectuelle consistant à se ronger les ongles.
— On a déjà essayé plein de fois, et ils n'ont pas répondu !
— Si par plein, tu veux dire "trois", je suis moyennement d'accord, et de toue façon, est-ce que quelqu'un nous empêche de le refaire ? argua Méli, contrant l'argument bancal de son aînée.
— Rien, tu as raison, admit Elsa en attrapant son smartphone dans la poche arrière de son jean destroy, qui lui était tout aussi fétiche que la veste en cuir. J'appelle ! Ça sonne... mais dans le vide, soupira-t-elle après quelques secondes. Je mets en haut-parleur, au cas où.
Les "bip" de la sonnerie d'attente s'égrenèrent peu à peu dans la pièce silencieuse. Chaque seconde qui passait accentuait l'inquiétude des deux jeunes filles, dont les traits se décomposèrent de concert quand se lança le répondeur téléphonique de leur mère.
« Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Julia Lémist. Comme vous avez pu le constater, je ne suis pas disponible pour le moment, mais vous pouvez laisser un message après le bip. »
— Salut M'man, commença Elsa d'une voix étranglée, moins d'une demi-seconde après le susdit bip. Comment ça se fait que vous ne soyez toujours pas rentrés ? Pourquoi est-ce que vous répondez pas ? Méline s'inquiète, et moi aussi. Rentrez vite... s'il vous plaît.
Quinze autres minutes s'écoulèrent, quinze minutes d'angoisse supplémentaires. Et lorsque les premières notes du solo au violoncelle de Mercredi Addams dans la série portant son nom s'élevèrent du téléphone d'Elsa, posé par les soins de la jeune fille sur la table basse, annonçant un appel entrant, la collégienne crut que son cœur allait s'arrêter, et se précipita vers son bien. Mais son espoir dégonfla tel un ballon de baudruche percé lorsqu'elle vit le nom de son oncle s'afficher à l'écran.
— Allô ?
— Elsa ? C'est toi ? fit son oncle à l'autre bout du fil.
— Ben... oui..., répondit Elsa, qui avait constaté avec effroi que des trémolos nettement perceptibles dansaient dans sa voix d'ordinaire si enjouée.
— Est-ce que ta sœur est avec toi ?
— Oui...
— Vous êtes chez vous, au moins ? questionna-t-il encore.
— Oui aussi.
— Ok. Ne bougez pas, j'arrive, ordonna Jackson Celtin sans plus d'explications.
—Attends ! s'énerva Elsa, sous le regard interrogateur de Méline, qui ne pouvait pas suivre la conversation. Ça fait une heure qu'on est sans nouvelles de Papa et Maman ! Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Vous... vous n'êtes pas au courant ? bafouilla son oncle.
— Au courant de quoi ? balbutia Elsa avec difficulté.
— Mets en haut parleur, s'il te plaît, fit Jackson alors que Méline se rapprochait.
— Les filles, il... il y a eu un accident rue Andersen. Alors que vos parents y étaient.
— Quoi ?! s'exclama Elsa, perdant toute contenance, alors que son monde se fracturait une nouvelle fois et que sa cadette devenait toute blanche. Comment ça ? Qu'est-il arrivé à Papa et Maman ? Réponds, Jack ! cria-t-elle sous le silence de son oncle.
— Oh, les filles, murmura ce dernier. Je... je suis tellement désolé.
Silence. Dans la pièce et dans les cœurs des deux sœurs, qui s'étaient brisés à nouveau.
//Alors ? Ça vous a plu ? Votez, partagez, et surtout, commentez ! La suite bientôt. Les sujets LGBT seront abordés dans le chapitre suivant.\\
4848 mots ^^.\\
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