4. Jouer le jeu

Remise de mes émotions, je retrouve Roméo qui a l'air aux anges après avoir passé la matinée en compagnie de sa vraie petite amie. Tandis que nous reprenons le chemin de la maison de ses parents, il me balance d'ailleurs une information pour le moins inattendue.

« Je crois que je vais demander à Jenny de se marier avec moi.

— Oh. »

Lui parler du bel inconnu me démangeait, mais voilà qui mérite toute mon attention.

« Ça fait un moment qu'on est ensemble, elle et moi, et c'est du sérieux. On a tous les deux une carrière bien lancée et je commence à en avoir marre de vivre loin d'elle. Je crois que je me sens prêt à passer à l'étape supérieure.

— C'est génial, ça ! C'est un beau projet, mais... tu comptes en parler à tes parents avant ?

— Je ne sais pas trop... J'appréhende leur réaction.

— Tu n'as pas besoin de leur validation, mais ce serait peut-être pas mal de les mettre au courant. Je veux dire, tu ne vas pas non plus leur demander de se marier avec les Capdeville, ni même de se réconcilier. Et puis, tu n'aimerais pas qu'ils soient présents pour un évènement aussi important ?

— Si, bien sûr. Mais j'ai tellement peur que ça bouleverse notre relation. Je ne les ai jamais déçus, tu comprends ? Là, on touche à une corde hyper sensible. On parle d'un conflit ancré depuis des années, je te rappelle.

— Quelle que soit leur réaction, tu te sentiras mieux après leur avoir dit. Tu gardes ça depuis trop longtemps. T'imagines leur cacher en plus que tu es fiancé ? Et puis, je suis sûre qu'ils comprendront. Ils ont l'air de beaucoup t'aimer et de vouloir ton bonheur.

— Tu as peut-être raison...

— Profite de ce séjour chez eux pour trouver le bon moment et leur dire la vérité, mais aussi ce que tu ressens.

— Cette semaine ?

— Oui.

— Je vais y réfléchir.

— Sérieusement, il faut que tu le fasses. Je ne vais pas pouvoir te servir de couverture indéfiniment.

— D'accord, d'accord. Je te promets d'essayer de leur parler. Prépare tes bagages et tiens-toi prête à fuir avec moi si ça tourne mal.

— Ça se passera bien, j'en suis sûre. Tu vas choisir qui comme témoin ?

— Toi, bien sûr !

— Bien, bonne réponse. »

Lorsque nous entrons dans la maison, une valise est posée dans l'entrée et de joyeux éclats de voix nous parviennent.

« Ça doit être ton frère et sa petite amie, entend-on Marie-Louise. Venez, nous sommes au salon. »

Cachée derrière mon faux-petit ami, je me fige en entrant dans la pièce. Un étui de guitare qui m'est familier est appuyé contre un fauteuil.

Mon regard passe de l'instrument à celui du nouvel arrivé et mes yeux s'agrandissent. D'un froncement de sourcil, ce dernier transforme subtilement son expression faciale surprise en interrogatrice.

« Guillaume, je te présente Maggui. » déclare mon meilleur ami en passant un bras autour de mes épaules.

Heureusement qu'il me tient, car la tentation de partir en courant se fait pressante.

« Ton amie, dit-il sans me quitter du regard.

— Ma petite-amie. » le corrige Roméo en insistant sur les trois syllabes supplémentaires.

Quand nous passons à table, je n'ai toujours pas décroché un mot. Je me contente de sourire pour masquer ma gêne. Cette coïncidence est tout bonnement improbable. Que doit-il penser de moi ?

« Comment s'est passée votre balade, ce matin ? s'enquiert Lionel.

— J'ai montré à Maggui les incontournables. L'église, la tour de l'...

— C'était vraiment très intéressant, le coupé-je précipitamment. Le patrimoine de votre ville est très riche.

— Avez-vous vu la bibliothèque ? questionne Marie-Louise. C'est le lieu favori de Guillaume.

— Pas encore, mais il paraît que c'est magnifique.

— Ça l'est, répond posément l'aîné de Montfort. Vous êtes ensemble depuis longtemps ?

— C'est assez récent, réplique Roméo. Nous étions amis et elle a fini par m'avouer qu'elle était tombée amoureuse de moi. L'histoire est assez drôle, vous voulez l'entendre ? »

Qu'est-ce qu'il fabrique ? Il s'éloigne un peu trop du scénario défini à mon goût. Nous avions convenu qu'il fallait rester simples et concis pour être crédibles. Je déploie des efforts considérables pour que mon sourire ne paraisse pas aussi crispé que je le suis actuellement.

« C'était un soir où je travaillais tard. Elle s'est pointée à l'hôpital, mais je venais juste de partir. Alors elle m'a couru après dans les couloirs pour me rattraper. C'était hilarant, tout le monde l'a prise pour une folle. Finalement, elle m'a dit qu'elle m'aimait devant les urgences, et sa déclaration a même été applaudie par les patients et les ambulanciers qui ont assisté au spectacle. » s'enflamme mon meilleur ami.

Je vois qu'il est inspiré. Il veut jouer à ça ? Très bien, on va jouer.

« En revanche, ce n'est pas moi qui gagne en matière de romantisme. Un jour, quand j'étais en voyage, il m'a demandé quelles étaient mes fleurs préférées. Je n'en avais aucune idée, alors j'ai répondu que c'étaient les pissenlits. À mon retour, il est venu m'attendre à la gare avec un magnifique bouquet de pissenlits. Sauf que, tenez-vous bien, il était allé chez un fleuriste pour les acheter. Bien sûr, ils lui ont dit qu'ils n'en vendaient pas. Il a fait tous les parcs de la ville avant d'en trouver. »

C'est d'autant plus drôle que cette histoire est vraie, si on passe sur le fait que notre héros de la romance sortait d'une nuit festive et plutôt alcoolisée. En tout cas, elle produit son petit effet, car les autres membres de la tribu de Montfort s'éclaffent en entendant cette anecdote.

« Ose me dire qu'un homme a déjà fait une chose plus belle pour toi.

— Ah ça non. À ce jour, tu restes imbattu.

— On sent que vous étiez faits pour vous rencontrer, tous les deux, s'attendrie sa mère. Et toi Guillaume, quand est-ce que tu nous ramènes une jolie jeune femme ?

— Arrête de l'embêter avec ça voyons, rétorque son mari. Il trouvera bien quelqu'un un jour.

— En même temps, il aurait moins de mal s'il n'était pas aussi exigeant, surenchérit Roméo.

— Qu'est-ce que tu veux, c'est un sentimental.

— Je suis là, vous savez, rappelle le concerné.

— Je pense quand même que tu pourrais accorder ta confiance plus facilement, mon chéri. » conclut Marie-Louise.

Il paraît plus blasé que décontenancé, ce qui laisse penser que ce n'est pas la première fois qu'il a à faire à ce genre de question intrusive. Je ne peux pas le lui dire, mais je compatis. Moi aussi, j'ai le droit à ce genre de remarque à chaque fois que j'ai mes parents au téléphone. C'est-à-dire environ une fois tous les trois mois.

Ce n'est qu'à la fin du repas que je parviens enfin à prendre Roméo à part.

« J'ai croisé ton frère, ce matin.

— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?

— Je ne savais pas que c'était lui. On s'est rencontré au niveau de la tour de l'horloge et je lui ai dit que j'étais venu voir un ami. C'est la cata.

— Ok, il a capté que tu n'étais pas avec moi, mais ce n'est pas pour autant qu'il va douter de notre relation. Notre histoire perd peut-être en cohérence, mais on était plutôt convaincants tout à l'heure. En plus, c'est pas comme s'il pouvait en avoir quelque chose à faire.

— Plutôt convaincants ? On aurait dit un mauvais scénario de comédie romantique, ça n'avait rien de réaliste ! Ne me refais jamais le coup de l'improvisation, c'est beaucoup trop risqué.

— Avoue que c'était marrant.

— Flippant, tu veux dire. Pour ta gouverne, j'ai un tas d'anecdotes que je me ferai un plaisir d'utiliser si tu t'avises encore une fois d'être aussi inspiré. »

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