3. À la croisée des chemins

Pour ma première matinée dans sa famille, Roméo me propose une sortie en ville. C'est l'occasion de réaliser un peu de tourisme local. Sans être immense, la commune est pleine de vie et son ambiance conviviale de quartier lui octroie un certain charme.

« Maggui ? »

Aussi surpris l'un que l'autre d'entendre mon nom dans une ville où je ne suis censée connaître personne, Roméo et moi nous retournons comme un seul corps.

« Jenny ? Qu'est-ce que tu fais ici ? questionne mon meilleur ami.

— J'habite dans cette ville, je te rappelle.

— C'est un raisonnement qui se vaut. Comment tu vas ? dis-je en m'approchant pour lui faire la bise.

— Moi ça va, mais toi ? Je suis désolée de t'impliquer dans cette histoire.

— Tu n'as pas de soucis à te faire. Je suis logée, nourrie et ça me fait plaisir de vous aider. Je vais vous laisser passer un peu de temps ensemble, vous n'aurez sûrement pas trop l'occasion de vous fréquenter cette semaine. Faites quand même attention, c'est un peu risqué de vous voir ici.

— Tu veux pas venir avec nous ? s'étonne mon faux petit ami.

— Merci, mais je compte pas jouer au chaperon. Je vais plutôt continuer de me promener en essayant de pas me perdre.

— T'as qu'à suivre les panneaux du circuit touristique, tu reviendras au point de départ et tu auras vu la plupart des trucs à voir. On se retrouve ici dans une heure ?

— Ça marche.

— Merci, tu es géniale. »

Suivant son conseil, je me laisse guider par les panneaux. Après avoir visité une jolie église, je me dirige vers la prochaine étape qui semble être une tour perchée en haut d'un escalier. À peine ai-je gravi les premières marches que j'entends derrière moi un craquement de tissu suivi d'objets qui tombent.

« Zut ! »

En tournant la tête, j'aperçois au pied des marches un père de famille en plein désarroi. Visiblement, le panier en tissu suspendu sous sa poussette vient de se déchirer, déversant sur le trottoir le contenu de ses sacs de courses. En plus du bébé gazouillant dans la poussette, il est accompagné d'une autre petite fille en bas âge qui n'a pas l'air d'une grande patience.

Je me précipite pour l'aider à ramasser ses achats. Je ne suis apparemment pas la seule à avoir cet élan, car lorsque j'attrape un paquet de couches, une main se pose contre la mienne. Je relève la tête en même temps que son propriétaire et me fige en croisant son regard.

Wow. Comment on respire, déjà ?

Je ne sais si c'est à cause de notre contact involontaire ou de la profondeur de son regard, mais l'espace d'un instant, je me sens troublée.

Confuse, je retire prestement ma main du paquet alors qu'il bredouille quelques excuses. Je finis à la hâte de ramasser les autres commissions avant de les tendre au père de famille.

J'évite soigneusement de croiser à nouveau le regard déroutant de l'inconnu qui remet lui aussi un sac cabas à son propriétaire avant de ramasser un étui de guitare.

« Merci infiniment.

— Vous voulez de l'aide pour porter vos affaires ? proposé-je spontanément en le voyant seul avec ses deux enfants et les quatre sacs de courses remplis.

— Ce ne serait pas de refus, concède-t-il après avoir évalué sa situation. J'habite à quelques rues d'ici, indique-t-il avec un geste dans la direction des escaliers. Vous êtes sûre que ça ne vous dérange pas ?

— Ne vous inquiétez pas, c'est sur mon chemin.

— Attendez, je vais vous aider à porter la poussette dans les escaliers, avance l'homme à la guitare.

— Je suis désolé de vous embêter comme ça, se confond le père de famille. Vous êtes vraiment généreux.

— Ça ne me dérange vraiment pas, je vous assure. » certifie-t-il en saisissant l'avant de la poussette.

Je récupère les sacs de courses tandis que le jeune papa soulève l'arrière de l'engin et prend sa fille par la main.

Arrivés en haut de l'escalier, l'inconnu me déleste de deux sacs et nous accompagnons la famille jusqu'à chez eux. D'humeur bavarde, la petite fille anime la conversation en nous racontant fièrement la totalité des activités qu'elle a réalisé la veille.

J'ose jeter un coup d'œil vers le musicien qui est concentré sur le discours de la fillette. Pourquoi croiser son regard m'a autant perturbée ? C'est vrai qu'il est plaisant à regarder, mais je ne suis pas du genre à me laisser facilement décontenancer. Peut-être est-ce ce contact inattendu sur le paquet de couche ? Bonjour le romantisme.

Nous parcourons plusieurs rues en discutant avant d'arriver devant le portail d'une petite maison de ville. Le père de famille nous remercie une nouvelle fois et sa fille nous salue joyeusement avant de rentrer chez eux.

Je me retrouve seule dans la rue avec le bel inconnu. Nous échangeons un sourire gêné et je m'apprête à partir dans une direction choisie au hasard avant de me rendre compte que je n'ai aucune idée de comment revenir sur mes pas. Je n'ai pas été dotée d'un très grand sens de l'orientation à la naissance, ce qui me fait une fois de plus défaut.

« Excusez-moi, l'interpellé-je timidement. Vous pourriez m'indiquer comment revenir à la tour de l'horloge s'il-vous-plaît ?

— Je croyais que nous étions sur votre chemin, relève-t-il avec un sourire aussi doux et déconcertant que son regard.

— Je ne voulais pas le mettre plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà, réponds-je sans parvenir à dissimuler ma gêne.

— Venez, je vais vous montrer, c'est sur mon chemin. Pour de vrai, cette fois.

— Merci.

— Vous n'êtes pas du coin ?

— Non, je suis venue avec un ami. Et vous ?

— J'ai grandi ici. Je n'y habite plus, mais je reviens de temps en temps rendre visite à ma famille.

— De ce que j'en ai vu, c'est une très jolie ville.

— En effet, acquiesce-t-il.

— Vous pourriez peut-être m'indiquer ce qu'il faut que je voie avant de partir, suggéré-je en me sentant un peu plus à l'aise.

— Eh bien, si vous voulez vous promener, le parc est très agréable en cette saison. Sinon, la bibliothèque est un de mes endroits préférés. Le bâtiment est ancien et très beau architecturalement parlant, mais son contenu est tout aussi riche.

— Vous êtes un passionné de livres ?

— Assez pour en avoir fait mon métier. Je suis libraire.

— Mais alors, vous êtes un littéraire et un musicien ? Êtes-vous seulement réel ? » osé-je plaisanter avant de regretter instantanément mon audace.

Ma remarque lui fait esquisser un sourire terriblement craquant. Non, un sourire. C'est juste un sourire.

« Pour tout vous avouer, je suis encore loin d'être un professionnel. Je suis passé chez un ami pour la faire réparer, explique-t-il en désignant sa guitare.

— En tout cas, c'est super de pouvoir allier votre passion à votre métier, reprends-je en reportant mon attention sur la rue avant de fondre sur place. J'aimais beaucoup lire, moi aussi, quand j'étais jeune. Malheureusement, j'ai perdu l'habitude au cours de mes études et je n'en ai plus vraiment le temps maintenant.

— Vous faites quoi, dans la vie ?

— Je suis kiné. C'était un peu ma vocation, aussi. J'aime beaucoup les gens. Même si certains se plaignent que je les fasse souffrir.

— J'ai fait un peu de kiné, quand j'étais enfant. C'est vrai que ce n'est pas toujours une partie de plaisir. En revanche, j'imagine que c'est valorisant de voir les patients progresser.

— C'est surtout touchant. Tenez, pas plus tard qu'hier, j'étais avec un petit garçon trisomique. Il a marché pour la première fois sans mon aide ou celle de ses parents.

— C'est merveilleux. »

Bon sang, quand est-ce qu'il va arrêter de sourire comme ça ?

Je ris franchement lorsqu'il me livre à son tour quelques anecdotes sur ses clients. Il est aussi doué pour me mettre à l'aise que pour me désarçonner. Il parle moins que moi, mais sa manière de le faire me fascine. Chaque mot semble être naturellement le bon. C'est sûrement un super pouvoir de lecteur.

« Voilà, nous sommes arrivés. »

Déjà ?

« Merci beaucoup, dis-je en masquant ma déception.

— Avec plaisir. Ravie de vous avoir rencontré...

— Maggui. Et vous ?

— Guillaume.

— Bonne journée, Guillaume. »

Je lui offre mon plus beau sourire avant de reprendre l'escalier dans le sens inverse. Il faut que je calme mon cœur, il s'est un peu trop emballé à mon goût. Adieu, bel inconnu.

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