2. Bienvenue à Vérone
Nous avons travaillé notre scénario pendant tout le trajet. La théorie pour jouer au couple parfait maintenant assimilée, il ne nous reste plus qu'à l'appliquer. Roméo n'a pas tort ; notre complicité est notre meilleur atout. Ce ne sera pas si difficile d'avoir l'air proche sans qu'un étalage excessif d'affection soit nécessaire.
Malgré cette scrupuleuse préparation, je redoute l'instant où je vais rencontrer les géniteurs de Montfort. La seule information dont je dispose à leur sujet, c'est qu'ils sont un peu vieux jeu. J'espère qu'ils vont m'apprécier. J'espère surtout que je ne vais pas gaffer et qu'ils ne verront que du feu à notre jeu d'acteur dont je doute de la qualité.
« Qu'est-ce que tu lis ? m'interroge Roméo sans quitter la route des yeux.
— Un article. "5 choses à savoir avant de rencontrer ses futurs beaux-parents".
— Sans blague ? se marre-t-il.
— Te moque pas. Imagine qu'ils me détestent au point qu'ils préfèreraient même que tu sortes avec Jenny.
— Ça, ça risque pas. Quoi que, ce serait une solution envisageable pour faire passer la pilule...
— Stop. On arrête là, m'alarmé-je en sentant l'idée germer dans son esprit. On vient de passer une heure à établir toute la stratégie, on va pas en changer maintenant.
— Relax, je rigolais. Et puis, je suis pas fou. Même en essayant, jamais tu n'arriverais à te faire détester par qui que ce soit.
— C'est quoi l'équipe de foot préférée de tes parents ?
— Ils ne suivent pas le foot. Toi non plus, je te rappelle.
— Une passion pour la pêche ? Des références cinématographiques à placer ? Est-ce que je dois savoir cuisiner une blanquette ? »
Sa main se décolle du volant pour m'arracher mon téléphone qui part dans un vol plané jusqu'à la banquette arrière.
« Reste toi-même, tout va bien se passer. Je te le dis, même si t'essaie, il est impossible qu'ils ne t'apprécient pas.
— J'ai tellement peur de tout faire rater.
— Prends ça comme un jeu. C'est juste une affaire de bluff, comme au Poker.
— J'ai jamais gagné au Poker. »
J'omets de préciser que mon absence de victoire est probablement liée au fait que je n'y ai jamais joué. Espérons que je bénéficie de la chance du débutant.
Le calme de mon complice m'impressionne. Il y a beaucoup d'enjeux, surtout pour lui, et pourtant il est aussi serein que s'il s'apprêtait à opérer un patient dont l'état ne nécessitait pas plus que trois points de suture sur le genou.
La quiétude passagère durement obtenue sur la fin du trajet grâce aux efforts et à l'humour de Roméo s'envole lorsqu'il appuie sur la sonnette.
« Faut faire quoi ? paniqué-je dans une montée d'adrénaline. Faut qu'on se tienne la main ? Et si j'oubliais tout ce qu'on s'était dit ?
— Hé, déstresse. Ça va bien se passer, je suis avec toi. »
Tout naturellement, il passe un bras autour de mes épaules alors que la porte s'ouvre sur une dame élégante et raffinée. Elle nous offre un grand sourire avant de prendre son fils dans ses bras.
« Roméo, mon chéri. Comment vas-tu ?
— Bonjour maman. Je te présente Maggui.
— Ravie de vous rencontrer, madame, m'avancé-je tout en me demandant si je dois tendre une main ou une joue.
— Bienvenue chez nous, Maggui. Appelez-moi Marie-Louise, règle-t-elle la question en me faisant la bise. Entrez, Lionel va monter vos bagages dans vos chambres. »
Évidemment, étant donné que nous ne sommes pas mariés, nous allons dormir dans des chambres séparées. Connaissant leur côté traditionnel, je m'en doutais. En revanche, je ne m'attendais pas à ce qu'ils me vouvoient en retour.
Malgré ces manières auxquelles je suis peu habituée, mon malaise se dissipe au cours du déjeuner. L'accueil est chaleureux et pas du tout pompeux. Ils sont heureux de revoir leur fils et peut-être même de faire ma connaissance.
Je ressens dans ce foyer une ambiance qui ne m'est pas familière. L'affection qui les uni transparaît dans leurs échanges avec une simplicité déconcertante. La complicité et l'amour des parents saute aux yeux, tout comme celui qu'ils portent à leur fils.
J'en viens à douter que ces mêmes personnes puissent s'opposer à sa relation avec Jenny, ou qu'elles soient impliquées dans un quelconque conflit perpétuel.
« Alors, racontez-nous, comment vous êtes-vous rencontrés ? » s'enquiert le père de famille.
L'interrogatoire que nous avons soigneusement préparé commence. Je prie pour que nous ayons suffisamment anticipé les questions. J'aurais peut-être dû lire un article supplémentaire.
« Lors de notre première année à l'université, déclare fidèlement Roméo.
— Oh, vous êtes médecin, vous aussi ? relève sa mère.
— Kinésithérapeute.
— En hôpital ou en libéral ?
— Dans un cabinet, mais j'exerce aussi en maison de retraite de temps en temps. »
Ils hochent la tête avec un intérêt qui paraît sincère.
« Mais alors, depuis quand êtes-vous ensemble ?
— C'est assez récent, éludé-je.
— Nous nous sommes fréquentés longtemps en tant qu'amis avant de nous rendre compte de nos sentiments l'un pour l'autre, il y a 6 mois.
— Et tu ne nous la présentes que maintenant ?
— Je voulais être sûr que ce soit sérieux, se justifie-t-il habilement. À vrai dire, j'allais bientôt vous en parler mais j'ai été pris de court par Evelyne.
— Ne lui en veut pas, elle était tout heureuse de nous raconter qu'elle t'avait vu avec ta petite amie. Elle pensait que nous étions déjà au courant.
— Ça aura accéléré les choses.
— Et que font vos parents, Maggui ?
— Ils sont à la retraite, mais ils étaient tous les deux ingénieurs-chercheurs. »
Les questions s'enchaînent sans encombre, davantage orientées sur moi que sur notre relation montée de toutes pièces. Ça ne rend pas l'exercice plus confortable, mais ça facilite la tâche.
En débarrassant la table à la fin du repas, mon regard est attiré par une photo encadrée sur le mur de la cuisine. Deux adolescents y posent côte à côte. Je reconnais sans mal Roméo et ses cheveux châtain. Il a à peu près la même tête que lorsque je l'ai rencontré, au tout début de nos études. Contrastant avec mon meilleur ami qui grimace, l'autre garçon sourit avec un air sérieux, presque solennel.
« T'as déjà trouvé le moyen de fouiller ? plaisante Roméo.
— Je compte bien profiter de mon séjour ici pour dénicher des trésors du passé que tu ne m'as jamais révélé. C'est un de tes amis ?
— C'est mon grand frère. Je sais, on ne se ressemble pas. »
Effectivement, que ce soit par la forme de leur visage, la couleur de leurs cheveux ou leur expression qui laisse entrevoir des personnalités différentes, je n'aurais pas pu deviner que ces deux personnes font partie de la même famille.
« Il arrive demain, il va rester pour la semaine, ajoute Marie-Louise.
— Tiens, tu as réussi à le convaincre lui aussi ?
— Douterais-tu encore du talent de persuasion de ta mère ? » charrie Lionel.
Roméo ne me parle pas souvent de son frère. J'en ai conclu qu'ils n'étaient pas très proches. Je suis fille unique, mais je suppose que ce sont des choses qui arrivent, dans les fratries. Les affinités ne peuvent pas tenir qu'aux liens du sang.
« Tu viens, je vais te montrer ta chambre, lance Roméo en m'entrainant hors de la cuisine.
— Je veux voir la tienne aussi.
— Voyons, s'exclame-t-il en prenant un air faussement choqué. Ce n'est pas convenable, mademoiselle. »
Je pouffe en espérant que ses parents ne l'ont pas entendu.
« Ne crois pas t'en sortir comme ça, je vais réussir à déterrer des secrets croustillants. »
Quand il ouvre la porte de son antre, je suis presque déçue. Comme la totalité de la maison, la pièce est soigneusement rangée. Tout est propre et rien ne dépasse. Connaissant l'état de son appart, j'ai du mal à croire que mon meilleur ami y ait vécu un jour.
« C'est donc à ça que ressemble ta chambre d'ado.
— Te fait pas avoir par les apparences. Mes livres de révisions du bac et ceux de prépa n'ont pas bougé, sûrement pour donner un côté studieux, mais mes posters et mes CD sont cachés dans le placard. »
Il s'empresse de me le prouver en ouvrant une grande armoire qui révèle les souvenirs de son enfance. Tout y est : des posters de séries qu'on regardait au lycée aux CD de groupes passés de tendances à légendes, en passant par des cartes de collection, des figurines de jeux vidéo, des DVD de films d'animation ainsi qu'une impressionnante quantité de peluches et de bidules inutiles.
« Alors, satisfaite ? J'ai dû batailler pour les garder.
— C'est collector, mais ça ne m'apprend rien que je ne sais déjà.
— Dommage pour toi, me nargue-t-il avant de sortir de la pièce.
— Ta chambre est juste à côté. Au bout du couloir, tu as la salle de bain. Les toilettes sont en bas. La porte en face de la tienne, c'est la chambre de mon frère. Celle de mes parents est au rez-de-chaussée.
— Merci pour la visite, je vais essayer de m'y repérer, assimilé-je en entrant à sa suite dans la pièce qui m'a été attribuée.
— Je peux toujours te faire un plan, si tu veux. »
Je m'assieds sur le lit en soufflant. J'ai l'impression d'avoir déjà consommé toute mon énergie.
« Bon. On s'en est pas trop mal sorti, non ?
— Tu vois, c'était pas si compliqué.
— Tes parents sont chouettes. Tu crois qu'on a réussi à les convaincre ?
— Ils ont l'air de bien t'apprécier. Je suis sûr qu'ils ont marché.
— Y a plus qu'à convaincre ton frère, c'est ça ?
— Ça devrait pas être trop difficile. De toute manière, on ne s'intéresse pas vraiment à la vie l'un de l'autre.
— Pourquoi ?
— Tu le verras par toi-même, mais on est assez différents. C'est pas qu'on ne s'entend pas, c'est juste qu'on a jamais eu de réelle affinité.
— C'est dommage.
— J'aurais aimé que ce soit différent, mais bon. Ainsi va la vie. Je te montre le jardin ? »
Je le suis, plongée dans mes pensées. Quelle curieuse famille. Ils semblent si ouverts malgré les tabous qu'ils entretiennent, et paraissent plein d'une affection qui ne s'est étrangement pas répliquée entre les deux fils.
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