Acte I - Scène 3: L'escapade nocturne

La nuit tombée sur Rome éveilla en Sextus un nouvel espoir. La ferme décision de fuir s'était imposée à son esprit. Le plan était simple : trouver la clé correspondante au collier et fuir de l'insula. Limpide en théorie, c'était l'exécution qui l'inquiétait. Titus Mennenius était légionnaire. Il avait été dressé aux réveils impromptus et aux sommes suspicieux. Ses sens plus aiguisés que la moyenne n'accorderaient aucune erreur à Sextus.

Dans son entreprise de fuite, il avait passé le reste de l'après-midi à étudier l'ouïe du centurion. Le jeune homme passait derrière lui dans le plus grand silence, et cherchait à voir si son gardien le remarquait. Titus Mennenius se retournait systématiquement et le gratifiait de sourires aimables, que Sextus s'appliquait à ignorer, le menton levé, les sourcils haussés.

Son obstination à lui refuser toute communication fit s'interroger Titus sur sa capacité à parler, mais, inlassable, il continua à lui poser toutes sortes de questions. Il ne souhaitait plus obtenir de réponses, et espérait simplement lui manifester sa sympathie, le mettre en confiance, entrer dans la confidence de ses peines. Titus culpabilisait d'obliger le patricien à cette condition humiliante. Il s'était attelé toute sa vie à exécrer l'esclavage, et ce revirement de situation l'embarrassait, d'autant qu'il ne s'expliquait guère cette pulsion soudaine, ce foudroiement qui l'avait frappé en le rencontrant.

Le légionnaire s'était trouvé des excuses qui le dédouanaient de ses actes sans le soulager. Un éventuel affranchissement n'aurait pas réglé les dettes du patricien. Sans doute aurait-il été de nouveau vendu. Il était évident pour les deux hommes qu'aucun autre maître romain ne se serait montré aussi affable, et une fois laissé à des mains moins délicates, la soif de liberté de Sextus serait devenue le cadet de ses soucis.

Titus avait conscience de la haine qu'il provoquait chez son jeune esclave. Une fois libre, il ne le reverrait plus. La simple pensée de le voir partir déclenchait l'angoisse. Il n'avait jamais cru aux possessions, ni aux appartenances. Titus croyait aux voyages, aux rencontres inattendues, aux passions brûlantes que l'éphémère sublime. Il avait tenu, tout au long de sa vie, à ne posséder personne, à croiser des destins qui se mêlaient au sien, puis se détachaient et ne se renouaient pas. Sextus était différent. Il avait déclenché le besoin d'avoir et de maintenir. Il l'avait vu et s'était surpris à songer que c'était ainsi qu'il devait être, à lui et personne d'autre. L'idée, depuis, refusait de le quitter.

Les pensées assaillaient ainsi l'esprit de Titus, tandis qu'il gigotait dans son lit en quête de sommeil. Le légionnaire n'était pas coutumier des troubles spirituels. Pour lui, exister se résumait à manger, dormir, et satisfaire ses besoins. Aveuglément confiant en le sort que les Dieux pouvaient lui réserver, Titus suivait le chemin que le sort lui traçait, toujours comblé, sobrement heureux.

À cette journée riche en émotions se mêlaient toutes sortes de réflexions récalcitrantes. L'une d'elles s'insinuait en permanence dans son esprit, malgré ses efforts laborieux pour la faire taire : il aurait mieux aimé dormir avec lui.

Dans la chambre adjacente, Sextus attendait, les yeux grands ouverts sur l'obscurité, que les grincements du lit aient cessé de témoigner du mauvais sommeil de son geôlier. Tendu et nerveux, il ne pensait qu'à quitter cet endroit.

Bientôt, les crissements s'estompèrent. Sextus patienta longtemps dans le silence complet. Pas de vue. Pas d'ouïe. La privation sensorielle s'avérait plus sinistre que prévu. Un calme absolu régnait dans la domus. Une chape de plomb semblait s'être abattue sur la ville. Le vent au-dehors soufflait entre les feuilles des arbres. La faible lumière de la lune éclairait à peine les alentours et dessinait sur les murs des formes fantasques.

Dans un silence de ténèbres, il se leva. Il avait mémorisé l'emplacement de chaque obstacle jusqu'à la porte. Ses yeux habitués à l'obscurité accompagnaient ses déplacements aveugles. Il s'aventura sur la pointe des pieds dans le couloir, et tendit l'oreille à l'approche de la chambre du légionnaire. Ses pas se firent plus silencieux encore. Il n'entendit rien, ne repéra aucun mouvement. Il lui sembla voir un corps allongé sur le lit, sans qu'il n'en soit tout à fait certain. Sextus cessa de respirer. S'il en avait été capable, il aurait étouffé ce cœur qui battait trop fort dans sa poitrine et menaçait de le dénoncer à tout instant.

Après une attente interminable, il put expirer l'air qui lui brûlait les poumons, puis il continua d'avancer, aux aguets, à peine plus paisible, jusqu'à être saisi d'effroi.

Un bruit. Il y avait eu un bruit. Il en était convaincu. Quelque chose de léger. Comme un froissement de draps. Ou une feuille. Peut-être un tissu. Un tissu contre de la peau. Un rêve, sans aucun doute. Ses sens, autant angoissés qu'exacerbés, étaient bien capables de lui jouer des tours.

Plus rien. Le silence était revenu. Que faire ? Continuer d'avancer ? Faire machine arrière et recommencer plus tard ? Prétexter un besoin urgent ? Et être forcé de parler ? Avec lui ? Lui adresser la parole aurait sonné comme une capitulation. Le silence était un refus, un refus de la servitude. Il ne serait pas esclave. Jamais.

Il osa enfin regarder derrière lui. Le silence était revenu. Impassible. Effrayant. Le marbre glacial lui mordait les orteils. La domus, si petite en journée, paraissait gigantesque, plongée dans l'obscurité. Noire et sombre. Abominable. Une ombre. Il se figea. Des sueurs froides mouillaient son front. Il y avait quelque chose. Une silhouette se dressait dans un coin de la pièce. Sa forme était presque humaine, mais trop haute et trop large, bien trop monstrueuse. Il aurait juré avoir vu deux yeux jaunes et luisants rivés sur lui.

Sextus cessa de vivre. Sa tête lui tournait. Son souffle était court. Il fixait l'ombre de ses yeux écarquillés, tel une proie menacée. Ça ne bougeait pas. Ça n'était rien.

Il poursuivit son chemin à travers l'atrium. Son pied ne rencontra soudain plus le sol. Il se rattrapa de justesse et évita un plongeon dans le bassin central. Ses inspirations saccadées devinrent sonores. Il avait fait un bruit en se rattrapant. Celui de la plante des pieds qui se ventouse au sol. Celui de la respiration suspendue, coincée entre les bronches. Rien n'avait bougé. Il se calma du mieux qu'il put avant de traverser le vestibule, gagné par l'excitation.

La porte était là. Il songea à fuir sans chercher la clé, empressé d'inspirer l'odeur du dehors, effrayé des sons qu'il allait provoquer. Elle était dans cette pièce, il en était certain. Mais comment la trouver sans troubler le silence ? Le ciel était trop sombre pour qu'il puisse fouiller. Il se risquait à perdre un temps précieux. Il bénissait déjà les dieux du miracle de ne pas s'être fait attraper, mais en sortant dans cet état, il serait retrouvé au bout d'une semaine, s'il était habile. Il ne l'était pas. On l'avait capturé le matin-même sans que personne ne le cherche. Avec la milice à ses trousses, il n'avait aucun espoir. On l'exécuterait en mettant la main sur lui. Il avait besoin de la clé. Tant pis pour le miracle.

Il entreprit de fouiller les quelques meubles disposés dans le vestibule : une commode surmontée d'un vase et une armoire en bois. Le premier tiroir ne révéla rien d'intéressant. Quelques tuniques et autres toges soigneusement pliées. Des bibelots superstitieux en lesquels Sextus ne plaçait qu'une croyance vaseuse, des vestiges d'armes disposés dans des écrins de bois. Le deuxième tiroir s'ouvrit dans un bruit tonitruant. Le mécanisme rigide râlait, secouant les objets de fer qui crissaient à l'intérieur. Sextus manqua de pousser un hurlement terrifié, mais il n'entendit rien de plus. C'était à se demander s'il n'était pas tombé sur le plus mauvais centurion de Rome. L'angoisse trop forte exagéra ses émotions. Il laissa échapper un petit rire nerveux d'entre ses lèvres.

Après avoir repris une contenance, il fouilla à tâtons le tiroir rempli d'objets en métal, sans parvenir à en voir le contenu. Ses mains se posèrent finalement sur différentes clés. L'une d'elles, grosse et lourde, fermait la porte d'entrée. Quatre autres clés étaient posées çà et là dans le placard. D'abord tenté de toutes les tester, pour découvrir celle qui correspondait à son collier, il se ravisa et empocha la totalité.

Une présence. Il se retourna brusquement. Rien. Il était pourtant sûr d'avoir perçu une chaleur humaine passer derrière lui. Il n'avait rien entendu, rien vu. Sans perdre plus de temps, il attrapa la grosse clé d'une main tremblante et la tourna dans la serrure. Le cliquetis du loquet sonna comme un prélude à sa liberté. Le cœur rempli d'angoisse et d'excitation, il entrouvrit la porte sur la nuit fraîche.

— Tu vas quelque part ?



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