Acte I - Final: La liberté c'est l'esclavage
— Et donc, à part retourner ma domus, tu n'as rien fait d'utile.
Une pointe d'amusement perçait dans la voix de Titus. Il se tenait sur le pas de la porte et admirait le travail de son esclave. Ce dernier avait déposé le contenu de chaque tiroir un peu partout dans l'insula, à la recherche d'une occupation. Dans tous les cas, il n'avait pas jugé utile de ranger derrière lui.
Deux petits yeux bleus surmontés d'un monticule de cheveux apparurent dans l'obscurité crépusculaire, cachés derrière le dossier du divan dans lequel Sextus avait passé l'après-midi. Ils le fixaient avec la défiance d'un chat surpris en plein méfait.
— Tu n'as rien laissé à manger ?
— Je n'ai rien préparé, bougonna Sextus d'une voix endormie.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne sais pas comment on fait.
La phrase attendrit Titus bien plus qu'il ne l'aurait fallu. Il ressentit un soupçon de culpabilité en imaginant le jeune esclave perdu, tournant en rond à la recherche d'un aliment comestible.
— Il faudrait que je prenne un esclave pour qu'il s'occupe de mon esclave, ironisa-t-il.
— Quelle idée d'acheter un patricien, en même temps.
Sextus ronchonnait et Titus n'arrivait pas à se mettre en colère. Il se retenait même de rire, et ne voulant pas l'inciter sur une voie d'impertinence, le légionnaire s'efforçait de rester sérieux. Lui aussi, avait grand besoin d'être dressé, bien plus que le pauvre bougre de sa centurie, mais contrairement à ses soldats, la sauvagerie de Sextus lui plaisait beaucoup.
— Je vais préparer quelque chose. Et toi, tâche de nettoyer tes bêtises.
L'esclave marcha alors jusqu'à sa hauteur et secoua ses chaînes sous son nez d'un air revanchard.
— D'accord, mais j'y arriverais mieux détaché.
— Si tu as pu tout déranger comme ça, il n'y aucune raison que ça ne fonctionne pas dans le sens inverse.
Sextus souffla et s'éloigna. Ranger n'avait rien de satisfaisant, et pour l'ancien patricien, la frustration était une découverte. Il n'avait ni désordonné la domus de Titus pour l'embêter, ni eu la présence d'esprit de remettre les éléments à leur place. Dans sa villa, s'il déplaçait quelque chose, l'objet revenait miraculeusement à son emplacement d'origine dans les minutes suivantes. Et même s'il savait depuis longtemps que l'événement n'avait rien de surnaturel — comme il l'avait longtemps suspecté durant son enfance — il n'avait pas encore réalisé que les mains qui devaient nettoyer étaient désormais les siennes.
— Et tu en profiteras pour faire les poussières quand tu auras fini.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Que tu prends un torchon et que tu nettoies les meubles.
— Un torchon ?
Sextus entendit Titus soupirer de l'autre bout de l'atrium. L'éducation risquait d'être longue, mais le légionnaire semblait patient. Le patricien ne parvenait pas à s'expliquer sa gentillesse. Si Sextus avait eu un esclave aussi pénible et incapable, son pater l'aurait achevé depuis longtemps. Or, Titus n'avait pas encore levé la main sur lui. Il ne l'avait même jamais disputé. Pourquoi ? Était-ce un signe de respect pour le nom de son père qu'il portait ? Craignait-il de le corriger, puisqu'il ne possédait personne d'autre ? Et d'ailleurs, pourquoi était-il seul ?
— Pourquoi n'as-tu pas d'autres esclaves ?
— Je n'ai jamais voulu en avoir. Je crois que tous les hommes devraient être libres et égaux.
Sextus le jugea en lui-même et ne répondit rien. Le légionnaire était définitivement un original. Les hommes, libres et égaux ; c'était inimaginable. Certes, il aurait ainsi évité l'esclavage, mais il considérait que le monde ne pouvait pas fonctionner autrement. Certains hommes ne devaient exister que pour faciliter la vie des autres. L'esclavage, c'était le nerf de la guerre. Il y en avait partout. Il y en aurait toujours. Même s'il prenait des formes différentes, même s'il devenait invisible, tant qu'il y aurait des hommes libres, il y aurait des esclaves. Sinon, il n'y aurait plus de citoyens libres, mais des gens prisonniers de leurs corps et ses besoins. La liberté, c'était l'esclavage, que ça lui convienne ou pas.
— Alors pourquoi m'avoir acheté ?
— Parce que tu me plais. Et si je ne l'avais pas fait, tu serais probablement mort.
Son corps réagit étrangement à cette révélation. Il plaisait à son maître. C'était la véritable motivation de son achat. L'autre n'était qu'une excuse avec laquelle il innocentait ses actes. Sextus avait passé tant d'heures à être aveuglé par la colère qu'il n'avait pas pris la peine d'observer son geôlier. S'il lui plaisait, ça changeait tout.
— Viens manger, c'est prêt.
Le ventre de Sextus gargouilla assez fort pour que Titus l'entende. Le patricien s'assit à table en salivant. Il mourait de faim et le plat sentait bon. Après avoir rangé l'intégralité de ses petits tas de fouillis, Titus, satisfait de peu de choses, le gratifia d'un sourire jovial.
Le légionnaire avait préparé un bouillon de légumes, mélangé à des croûtons de pain. La soupe était très éloignée des pièces de viande fraîches et juteuses auxquelles Sextus était habitué, mais la faim eut raison de son raffinement. Il dévora son assiette sous le regard amusé du légionnaire, puis se resservit plusieurs fois.
— Il faudra que je t'apprenne à cuisiner.
— D'accord.
L'aveu du centurion tournait en boucle dans la tête de Sextus tandis qu'il s'empiffrait. Il prenait des proportions démesurées, lui apportait un nouvel espoir, de nouvelles idées. Certaines options ne s'étaient pas imposées à lui, trop occupé qu'il était à orchestrer sa fuite. Il n'avait pas pensé que Titus lui-même pourrait l'aider à quitter cette mauvaise posture, mais désormais, cela lui paraissait tout à coup évident. Mieux que l'évasion, il y avait l'affranchissement.
S'il le jugeait plaisant malgré son comportement exécrable, il deviendrait fou face à son amitié. Le légionnaire, loin d'être désagréable, déclencherait facilement le sentiment de sympathie nécessaire à Sextus pour en faire un camarade. Il fallait qu'il devienne plus efficace, un vrai bon esclave, assidu et forcené. Ça ne pouvait être que positif. Titus Mennenius, plus confiant, finirait peut-être par lui retirer ses menottes et le laisser sortir au-dehors, ne serait-ce que pour faire les courses. S'il était apte à sortir, il pourrait tenter de retrouver Flava. Il entendait déjà son rire moqueur en apprenant son triste sort.
— Tu es devenu esclave ! Tu aurais mieux fait d'intégrer la légion ! C'est bien fait pour toi.
— Qu'est-ce qui vaut mieux ? Un légionnaire traité comme un soldat ? Ou un esclave reçut comme un roi ?
Sextus passa le reste du repas à s'imaginer se pavaner devant son amie d'enfance. Rien que pour la revoir, il était prêt à mettre sa fierté de côté. L'odeur fleurie de ses cheveux blonds lui manquait, ses yeux bleus comme l'azur aussi. Il voulait de nouveau converser avec elle des nuits entières, en regardant les étoiles. Il voulait continuer de se moquer de ses rêves de bravoure incompréhensibles. Il voulait lui dire à quel point il aimait la sœur qu'elle était à ses yeux.
Le regard de Titus posé sur lui le sortit de sa rêverie. Depuis combien de temps l'observait-il ainsi ? Le légionnaire avait-il sous-entendu autre chose que l'amitié ? Sextus sentit son bas-ventre s'embraser à cette idée. Il n'avait pas pensé à ça. Entamer avec lui une relation plus intime l'aiderait-il à accomplir son nouveau rêve ? Comme il n'en avait aucune idée, le jeune esclave prit la résolution d'être sympathique et de voir où son affection les mènerait. Il n'avait plus l'intention de fuir.
— Si je te détache, tu vas courir au-dehors ? demanda alors Titus, comme s'il avait lu dans ses pensées. Ce dîner a l'air d'être une réelle galère pour toi. Ça me fait de la peine.
Sextus avala lentement sa bouchée, ses deux yeux ronds plantés sur lui. Il semblait tiraillé dans la réaction à avoir. Son air ingénu contrastait si furieusement avec sa colère habituelle qu'il arracha un sourire attendri à Titus.
— Je ne veux pas te faire pitié. Et non, je ne fuirai pas.
— Parfait ! Par contre, je ne serai pas aussi gentil si tu tentes encore quelque chose.
— Aucun risque.
Titus attrapa alors la clé des menottes qu'il avait gardé sur lui et retira une nouvelle fois les entraves de Sextus. Elles s'écrasèrent au sol. Titus, agenouillé devant son esclave, releva la tête et laissa transparaître sa joie. Pour la première fois, Sextus répondit, d'un sourire doux et timide, empreint du renoncement à la liberté édénique qu'il avait tant chérie.
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J'ai envie de prendre de nouvelles résolutions d'écriture parce que je suis dans une mauvaise passe niveau motivation. Comme je suis en train de corriger Egrégore sans rien écrire en premier jet, et que la chose dure depuis quelques mois maintenant, je galère à prendre mon clavier, alors que je suis plutôt habituée à avoir du mal à le lâcher. Il faudrait peut-être que je m'impose des objectifs pour sortir de cette passe un peu reloue... Ou alors je me lance dans une fanfiction pour me remotiver. Je pourrais bien dire que je n'ai pas beaucoup de temps, et c'est vrai, mais j'arrive tout de même à perdre deux heures par jour sur Youtube au bas mot, donc c'est une fausse excuse... Bref, tout ça pour dire que j'ai envie d'écrire plus ^^
Comme j'ai rien posté de la semaine, je vais mettre plusieurs chapitres en ligne aujourd'hui.
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