L'immensité noire

Il fait nuit, du moins d'après l'horloge intégrée à mon scaphandre, il est impossible de le deviner comme ça, rien qu'en regardant.

Vous savez pourquoi ?

Ici, il fait toujours noir, peut importe l'heure. Enfin... noir, pas tout à fait. Il y a des milliers de points lumineux autour de moi. Des milliers, peut être même des millions, trop pour que je les compte en tout cas...

Je tourne légèrement la tête, de ce côté, il y a moins de points, il fait plus sombre. Je me dirige dans cette direction. Je ne sais pas de combien de mètres j'ai avancé. Il est impossible de le savoir ici, dans cette immensité noire.

J'ai toujours adoré les grands espaces, je suis victime d'une clautrophobie aïgue. Je ne supporte pas d'être enfermée, même dans une très grande pièce. Au départ, ça n'a pas posé de problème comme je suis née à la campagne, je pouvais jouer dans les champs à longueur de journée.

C'est quand j'ai du partir à l'université que ça a posé problème. Avant, maman me faisait cours à la maison. Elle s'était toujours débrouillée pour gérer ma claustrophobie et, ne nous mentons pas, c'était une très bonne prof mais, l'université pas moyen d'y couper...

Ça a été un enfer, pendant quatre mois.

Chaque personne présente était pour moi un obstacle,
Un mur,
Quelque chose qui entravait mes mouvements, mon déplacement,
Ma vision...

Je préfère ne rien voir, ne rien toucher, ne rien sentir que d'être piégée. Que ce soit par des gens ou par des murs.

Je préfère être ici, dans le noir presque complet, au milieu de minuscules lueurs que là bas, dans la lumière au milieu d'une foule de gens.

Je me souviens du jour où j'ai échappé aux gens et à l'Université,

le jour de ma fugue
le jour où ma mère est allé rejoindre mon père, au royaume des morts

Ce jour là je me suis enfuie de mon cot d'étudiante en emportant un sac remplit de vêtements et de cauchemars.

Une voix dans mon oreille me ramène à la réalité :

"Abigail, tu me reçois ?"

Je reconnais la voix et je réponds :

"Cinq sur cinq Marco, qu'est-ce qui se passe ?"

"Il se passe que MADEMOISELLE EST DEHORS DEPUIS MAINTENANT ( je devine qu'il regarde sur sa montre ) QUATRE HEURES ! TU À PRESQUE ÉPUISÉ TOUTE TON OXYGÈNE ! Je sais que tu n'aimes pas qu'on te dise ce que tu dois faire ou ne pas faire mais RENTRE TOUTE SUITE !"

"Pas la peine de hurler Marco, je suis claustrophobe, pas sourde..."

"Marco, pourquoi tu hurle ? On t'entends jusqu'aux couchettes... "fait une deuxième voix, celle de Amandine, la nouvelle qui n'a que un an de moins que moi.
"Il fait nuit noire... Enfin il fait tout le temps noir ici mais c'est pas une raison..."

"Abigail est dehors depuis quatre heures !"

"QUOI ?"

( Bruit d'empoignement du micro, surement par Amandine )

"ABIGAIL TU VA ÉPUISER TON OXYGÈNE ! Et tu sais que tu n'as pas le droit de faire une virée en pleine nuit sans avertir personne !"

Je tente de me justifier.

"Je me sentais un peu..."

"À l'étroit, on sait..." firent les deux voix à l'unisson d'un ton las.

Je pousse un soupir et je me dirige vers la base, guidée par Marco. Arrivée là bas, ils m'aident à retirer mon scaphandre et ma combinaison. Amandine me regarde avec un mélange de tristesse et de pitié.

"Écoute..." dit elle d'une voix douce. "On sait que c'est difficile pour toi de rester à la base mais s'il te plait, ne refait plus de virées nocturnes aussi longue, mais si tu te sens vraiment oppresée avertis nous avant de t'aventurer toute seule."

"Ouais, si je n'avais pas été me chercher un verre d'eau, tu serais dehors, à cours d'oxygène et, dans le pire des cas, emportée par les courants..." marmonne Marco.

J'observe leurs yeux, je leur ai fait vraiment peur, ils ont raison, c'était stupide...

"Pardon les amis, je ne le referai plus"

Ils ont l'air contents, ou du moins rassurés, nous retournons nous coucher.

Arrivée dans notre dortoir, je les observe...

Marco, le rigolo de la bande qui crie tout le temps.
Hazel, l'aîné super protectrice qui est incollable en mécanique.
Yaël, l'artiste défenseur des animaux.
Victor, le médecin au sommeil de plon.
Le professeur Nicolas, celui qui nous a tous réunis.
Amandine, la plus jeune qui vient d'arriver et qui s'est déjà intégrée.

Et moi...

Abigail, la claustrophobe, lunatique aux cheveux blonds qui n'ont jamais vu de brosse et qui sort en douce la nuit.

À nous tous, nous formons une famille.

Nous ne sommes pas unis par le sang mais, on s'en fiche, c'est pas grave, on est une famille quand même.

Je m'allonge sur ma couchette et je repense au jour où j'ai rencontré le professeur Nicolas.

Ma fuite de l'Université datait d'une semaine, je courais dans une rue à la lueur de la lune quand je l'ai percuté.

Il était grand, il devait avoir une trentaine d'années, j'en avais dix-neuf. Il avait un visage jovial, des cheveux bruns bouclés et il avait l'air honnête. Sur ce point, personne ne pourrait me contredire, ça se voyait qu'il ne voulait que le bonheur de la personne en face de lui. Il m'a souri, m'a aidé à me relever et m'a demandé si j'étais bien celle qui s'était enfuie de l'Université Lavilia.

Face à n'importe qui d'autre j'aurais pris mes jambes à mon coup mais là j'ai acièscé, ça me semblait inutile de lui mentir. Il m'a alors invité dans un café et, à sa demande, je lui ai expliqué les raisons de ma fuite.

Je lui ai expliqué ma claustrophobie, la mort de mes parents et mon rêve...

Mon rêve impossible de devenir astronaute.

Je lui ai expliqué que si je voulais devenir astronaute, c'était parce que j'avais besoin de l'immensité noire. J'avais besoin de cet endroit, dépourvu de murs et d'entrave, c'était devenu une obsession.

Il m'a dit que si j'en avais tellement besoin ; pourquoi je ne pouvais pas suivre des cours particuliers, pourquoi on ne pouvait pas mettre en place quelque chose qui me permettrait de réaliser mon rêve en dépit de ma claustrophobie ?

Je lui ai expliqué que on m'avait dit qu'il n'y avait que sept candidats retenus sur plusieurs centaines et que même sans traumatisme psychologique c'était très dur et je ferai mieux d'abandonner et de suivre des études normales.

Il a alors sourit et m'a dit :

"Tu sais, l'immensité noire, il y en a une autre que l'espace"

Je lui ai demandé ce que c'était et il a répondu très tranquillement.

Ce qu'il m'a répondu, l'alternative qu'il m'a proposé... Ça m'a semblé tellement évident, je me suis sentie stupide. J'étais tellement omnibulée par mon rêve de devenir astronaute que j'étais passé à côté et ça avait failli me coûter ma santé mentale.

C'est comme ça que je me suis retrouvée ici, dans cette base.

Le professeur Nicolas avait rassemblé une équipe du tonnerre. Une équipe de personnes qui étaient arrivés à un point où ils acceptaient de passer la quasi totalité de leur vie sous l'eau, par passion ou par besoin.

Au fil du temps, l'équipe s'est agrandie et nous sommes devenus une famille. Une famille unie et soudée qui n'hésite pas à faire des sacrifices pour les autres.
Ils n'ont pas hésité à placer d'immenses vitres dans le dortoir pour que je ne me sente pas trop à l'étroit.
Nous n'avons pas hésité à devenir tous végétarien par respect pour Yaël et pour ses convictions.
Et caetera, et caetera...

C'est en ressassant ces souvenirs que je m'endors.

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"Debout, espèce de fainéante ! Même Victor est déjà levé !" me dit Marco.

"Maiiiiisheuuu..."

"Grouille, Nicolas est là. Il a pu se libérer plus tôt !"

"QUOI ?"

Je m'habille en quatrième vitesse, Marco est déjà parti.
Quand j'arrive dans ce qui nous sert de pièce de vie c'est festival d'embrasades. Le professeur vit avec nous dans la station mais parfois il est obligé d'aller sur la terre pour des fonctions administratives.

Il est très content de nous revoir, nous aussi nous le sommes. Aujourd'hui, il apporte un coli de la part du frère de Hazel ; un magnifique coffret à bijoux.

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Un peu plus tard

Nous sortons faire des observations, je suis en train d'enfiler mon scaphandre. C'est à ce moment que je me rends compte d'un truc. En voyant ma combinaison j'ai une brusque révélation. Je me retourne vers le professeur.

"Un problème ?"

Je souris.

"Non, pas du tout. Je viens seulement de me rendre compte d'un truc."

"De quoi s'agit il ?"

"Le jour où nous nous sommes rencontrés je vous ai dit que mon rêve était impossible, que je ne pouvais pas devenir astronaute. Je me suis trompée !"

Il a eu l'air sincèrement surpris.

"Ah bon ?"

"Oui, je vais vous expliquer pourquoi. Mais d'abord ; qu'est-ce que c'est un astronaute ?"

Il a réfléchi un instant puis a compris où je voulais en venir.

"Un explorateur..."

"Exactement, un explorateur. Un explorateur de l'immensité noire... Et nous, que faisons nous ?"

Ça a été a son tour de sourire.

"Nous explorons l'immensité noire."

"C'est ça, nous explorons l'immensité noire. Les astronautes explorent l'immensité noire. Conclusion : nous sommes des astronaute, et comme je fais partie de ce "nous" je suis une astronaute. Donc, j'ai réalisé mon rêve !"

Son sourire s'est élargi.

"Tu as raison, tu est une astronaute. Cependant, peut on vraiment dire que tu as réalisé ton rêve ? Après tout, ton rêve était d'être astronaute dans l'espace or, nous ne sommes pas dans l'espace."

J'ai détourner la tête pour enfiler mon casque avant de répondre.

"Pour une fois, vous vous trompez. Mon rêve était d'être astronaute dans l'immensité noire, pas spécialement dans l'espace..."

Je suis sortie de la station rejoindre les autres. Marco avait trouvé le moyen de se mettre à crier sur des organismes bioluminescents, les fameux point de lumière, et Yaël tentait de le tirer en arrière. Peine perdue...

Je n'arrive pas à y croire, j'ai réalisé mon rêve, j'ai échappé aux murs et aux entraves. Je suis devenue astronaute.

Pas dans l'espace, non...

Je suis une astronaute dans l'océan...

Fin

(Inspirée de "Astronaut In The Océan")

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