à la lueur d'une bougie ( ou 22H58 deuxième édition )


La flamme est faible. Elle vacille.

Pourtant, je n'ai pas l'impression qu'il ait du vent.

Peut-être est-ce parce que je ne le sens point. Ma robe noire et ses longues manches couvertes de roses aussi rouges que le sang ne permettent pas à la brise de venir caresser mon épiderme fragile. Ou peut-être qu'il n'y a pas de vent, pas de brise, pas de phénomène météorologique bien trop abstrait pour mon propre esprit. Peut-être qu'il y a tout autre chose.

La conscience de la bougie.

Car lorsque je la regarde, j'ai la vague intuition qu'elle bouge pour moi. Comme si elle voulait me captiver et ne plus jamais me laisser repartir. J'ai beau essayer de m'en détacher, de revenir à la réalité et de me concentrer sur le monde qui m'entoure, cela m'est impossible.

Tout comme si la flamme était vivante. Comme si, si je la laissais m'attirer un peu plus à elle, je pourrais jurer entendre ses murmures. Comme si les nuances qui la constituaient me susurraient à l'oreille. Peut-être ne voudriez-vous pas me croire, mais je vous en fait la promesse : le feu a des secrets et si vous lui accordez ne serait-ce qu'un instant, vous aurez peut-être le privilège de l'entendre vous murmurer à l'oreille.

Alors ce soir d'été, à cette table de jardin perdue au milieu des rosiers, les conversations des adultes naviguant à travers la brise et ne me parvenant qu'à moitié, j'ai écouté les secrets de la chandelle... et je lui aie confié les miens.

Tout ce qui est à la fois trop obscur et trop lumineux pour en parler. Tous ces interdits que je cache aux yeux du monde. Toutes ces folies qui me feraient passer pour celle que d'autres n'osent même pas imaginer. Toutes ces hontes qui ne verront jamais la lumière du jour et ces interrogations reléguées au fond du placard. Tous ces regrets que je ne pourrais jamais complètement effacer.

Perdue dans sa lueur, j'ai sombré dans un autre monde, à la frontière du réel et de l'irréel.

De la lumière et de l'obscurité.

De l'éden et du néant.

Du mensonge et de la vérité.

Je pense à tout ce dont j'ai besoin de me libérer.

Je pense à mes 18 ans.

À ma peur de l'avenir. À tout ce qu'il y aura demain, car oui, viendra le jour où il y aura ce fameux demain. À l'aube de mes 18 ans, quand le lycée prendra fin et qu'on jettera un morceau de papier au format ordinaire entre mes mains. Quand tout ce que j'ai toujours connu s'envolera en fumée et où il faudra tout recommencer.

Tout recommencer... alors que je n'aie même pas terminé.

Lors des repas de famille, on me demande si je suis déjà sortie avec un garçon, si j'en ai déjà embrassé un, parce que, quand même, c'est comme ça qu'on devient vraiment grand ! On me demande si j'ai déjà commencé mon code. Si j'ai déjà ma voiture. Si je sais déjà ce que je veux faire comme études. Si j'ai déjà choisi mon appartement étudiant. On me demande si j'ai déjà pensé aux prix des études, le boulot que je prendrai à la seconde où j'aurai mon diplôme, l'entreprise en particulier, si je pense à... si je réfléchis à... si je me suis renseignée sur... si ...

Est-ce que je sais ce que je vais faire de ma vie ?

Bah oui c'est vrai ça.

Qu'est ce que je vais faire de ma vie ?

À vrai dire, si vous voulez vraiment tout savoir... et bien je n'en aie aucune fichue idée.

Je dois être un cas d'angoisse extrême pour le club des conseillères d'orientation : 17 ans, à quelques jour de la rentrée de terminale, à ne pas savoir quoi faire de son existence. J'ai déjà peur de quitter le lycée, mes amis et tout ce que j'ai toujours connu. Alors si en plus, je dois décider quoi faire de mes 40 prochaines années en quelques secondes pour répondre à cette question... je plains franchement la conseillère d'orientation.

Écrivaine peut-être ?

On me dit que ce n'est qu'un rêve et que je ferais mieux de songer à un vrai métier.

À un vrai métier.

Un vrai métier ? Je me demande ce qu'est un vrai métier et je me demande si le plus important n'est pas d'aimer ce qu'on fait.

Parce que j'aime écrire. J'adore ça. Ça me permet de me libérer, de mettre tout ce que je ressens par écrit et d'alléger mon cœur. Je ne me rends même pas compte que j'écris... je laisse simplement ma main s'activer sur le carnet jusqu'à ce qu'elle tombe d'épuisement.

Alors, juste le temps d'une pleine lune, j'ai écrit et je me suis libérée. Je n'ai même plus peur de l'avenir. Je ne pense plus qu'à l'instant présent et à la flamme qui danse sous mes yeux, celle qui m'a offert tant de ses secrets et à qui j'ai donné tant des miens.

Cette nuit, j'ai pansé mes plaies en laissant l'encre couler et j'ai fait taire mes angoisses en écoutant les murmures de la chandelle... et j'ai l'infime certitude que dans quelques années encore, il subsistera encore un peu de moi dans sa lueur.

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