Chapitre 3

Après sa réconciliation laborieuse avec Lysa, qui avait impliqué des dizaines de cadeaux en tout genre ; Alexander avait tenté de redevenir le petit-ami parfait. En vain, apparemment. La dernière semaine avait été ponctuée de disputes et d'incompréhension. Au lieu de le féliciter pour ses progrès, la jeune femme ne cessait de pousser son copain à sortir ; le blessant sans même s'en apercevoir. Au bout de huit longs jours, Stefaniel, jusque-là spectateur passif et discret, perdit son sang-froid. Il saisit le poignet de Lysa et la fit s'éloigner de son protégé.

—Cela suffit !

Sa voix était grondante, presque surnaturelle.

—Te rends-tu compte du mal que tu fais à celui que tu es censée aimer ? Ton égoïsme nuit à ses progrès. Tu devrais le féliciter et l'encourager, pas le forcer et le braquer.

—Je ...

—Tais-toi.

Alex aurait juré que les iris bleus de l'ange luisaient d'une flamme menaçante.

—Alexander est mon protégé. Mon rôle est de l'aider à guérir de son traumatisme afin que sa vie reprenne le chemin de l'espoir. Sache que je ne cautionne pas la présence d'éléments perturbateurs, quel qu'ils soient.

L'étudiante frissonna, mais ne se démonta pas pour autant, vexée.

—Serait-ce une menace ?

—Absolument. Les anges ne peuvent pas mentir. Par contre, tuer n'est pas un problème.

Lysa écarquilla les yeux, soudain terrifiée. Tremblante, elle tourna son regard vers son petit-ami.

—Alex ... Dis quelque chose voyons ! Comporte-toi comme un homme pour une fois ! Déjà que tu es plus petit que moi, si tu continues à te montrer si fragile, je vais avoir l'impression d'être avec une femme.

L'informaticien fut choqué par ces paroles. Depuis quand était-elle si méchante ? Pourquoi l'insultait-elle de la sorte ? Il ne méritait pas ça.

—Lysa, tu vas beaucoup trop loin là.

Son ton était froid. Quelque chose venait de se briser en lui.

—Désolé si le décès de mes parents a contrarié ta vie. Désolé d'être en deuil et de galérer à reprendre une vie normale. Est-ce que tu comprends qu'à dix centimètres près j'étais mort moi aussi ? Est-ce que tu sais ce que ça fait d'être assis à côté des cadavres ensanglantés de tes parents en attendant qu'on te porte assistance ? Les gens hurlaient Lysa. J'ai vu un enfant se prendre une balle en plein cœur. J'ai ...

Sa voix se brisa.

—Casse-toi. Tes fêtes en boîtes de nuit, Noël chez tes parents ... Tu oublies. Casse-toi s'il te plaît.

La jeune femme semblait figée devant la violence des propos d'Alex, lui qui était toujours si calme et soumis.

—Dégage !

Devant le regard menaçant de Stefaniel, elle s'enfuit de l'appartement sans demander son reste.

—Je ... Merci.

Il attrapa une cigarette dans le but de se calmer. Déverser ainsi sa rancœur ne lui ressemblait pas, signe que Lysa était allée beaucoup trop loin.

—Est-ce que tu l'aimes?

Le mortel jeta un regard interrogateur au céleste et fut incapable de lui répondre.

Enfants, Alexander et Éléa Wirlak avaient pour habitude de partager leur calendrier de l'Avent. Ils passaient ensuite des heures entières devant la cheminée du salon, chantant des cantiques de saison.

L'informaticien soupira en envoyant sa dernière application à son patron. Ce contrat était enfin fini ; il avait réussi et ne s'était pas fait virer. On lui avait également accordé deux mois supplémentaires en télétravail. Il s'étira et jeta un œil à la date. Dix décembre. Noël approchait à grand pas et il ne se sentait absolument pas prêt. Sa sœur, coincée en Australie par son travail, serait malheureusement absente. Quant à lui, il était pour l'instant hors de question qu'il monte dans un avion.

Le cœur lourd, Alex se leva et caressa du bout des doigts la photo de ses parents. Comment allait-il passer les fêtes de fin d'années sans eux ? Personne ne l'avait préparé à une telle éventualité. Une larme s'échappa et il l'essuya rageusement du revers de sa manche. Pourquoi n'existait-il pas un mode d'emploi dédié ?

—Tout va bien Alexander ? Ton âme s'est soudainement assombrie.

Commençant à s'habituer à ce genre de remarque assez étrange, il ne releva même pas.

—Je pensais juste à Noël. Ce sera le premier où je serais tout seul.

—Si cela peut te consoler, moi, je serais là.

Cette remarque innocente fit sourire le jeune homme.

—Merci.

Les stands du marché de Noël oppressaient Alexander. Il se sentait vulnérable face à cette indécente effusion de bonheur. L'esprit des fêtes de fin d'année semblait lui offrir un sourire narquois, si bien que le jeune homme se demandait pourquoi il s'infligeait une pareille torture. Les guirlandes brillaient trop, les sculptures en pain d'épice sentaient trop fort et les enfants hurlaient inutilement. Il s'apprêta à faire demi-tour au moment où un énième vendeur tenta de lui vendre un pauvre sapin déjà à moitié déplumé ; lorsqu'il se souvint de la raison de sa présence en ce lieu maudit. Il s'agissait de Stefaniel. Ce dernier s'était arrêté quelques mètres plus loin, devant un stand de décorations en verre soufflé. Alex s'approcha de lui.

—Tu as trouvé ton bonheur ?

L'ange lui sourit, probablement pour la première fois depuis son arrivée sur Terre. Et Dieu que cela lui allait bien.

—Tout à fait. Regarde cette boule.

Il lui en indiqua une tout en dégradé de bleu.

—La finition est si parfaite, c'est splendide. C'est incroyable ce que des mains humaines sont capables de créer.

Le jeune homme, attendri, sortit son portefeuille.

—Ça sera ton cadeau de Noël en avance. Tu mérites bien ça pour tout ce que tu as déjà fait pour moi.

L'expression de Stefaniel changea subitement, comme s'il se sentait perdu.

—Tout va bien ?

Seul le silence lui répondit.

—Stefaniel ? Tu as bugué ?

Le céleste cligna des yeux et rangea délicatement la décoration dans son sac.

—Excuses-moi Alexander, je cherchais dans mes souvenirs comment réagir à cette situation.

—Tu sais, un simple «merci« suffit amplement.

L'ange demeura silencieux.

—Quoi ?

—Tu ... Il s'agit du tout premier cadeau que je reçois. C'est si étrange, que l'on m'offre un objet sans rien attendre de moi en retour.

Alex sembla à la fois outré et profondément étonné.

—Ne soit pas choqué. La plupart des gens voient leur ange gardien comme un outil magique et divin, leur apportant une aide qui leur est due. Merci à toi Alexander, tu as réussi à me surprendre.

Le cœur de l'informaticien rata un battement, sans que ce dernier ne daigne s'en apercevoir.

En ce matin du vingt-quatre décembre, la neige tombait discrètement sur la ville ensorcelée par la magie des fêtes. Assis sur son canapé, une cigarette à la main, Alex fixait la télévision sans vraiment la voir. Depuis leur dispute, il n'avait communiqué avec Lysa que par messages. Elle avait été sa première véritable histoire et son premier amour. Il se trouvait désormais dans la plus profonde des confusions. Devait-il mettre un terme définitif à cette relation ? L'aimait-il encore ? Il soupira et jeta un œil accusateur au sapin de Noël miniature. Alex se leva et saisit la décoration en plastique. Au fond de sa mémoire, dansaient les fantômes des Noëls d'autrefois. Il revoyait le sourire de sa grand-mère affairée dans la cuisine, leur mijotant son fabuleux rôti aux herbes. Son oncle dressait la table en riant, se moquant de la nappe choisie par sa sœur. Anita n'avait jamais été particulièrement extravertie, hormis pendant la période des fêtes ; comme si elle s'accordait une pause. Elle pouvait également passer des heures à contempler chacune des décorations, sous le regard attendri de son époux. Plus loin, perdu dans un énième roman, son grand-père rayonnait de bonheur. Alexander serra le sapin factice. Au fil des années, le nombre de places vides autour de la table festive n'avait cessé de croître. À chaque âme envolée, la magie de Noël s'était amenuisée. Aujourd'hui, il n'était même plus certain de vouloir célébrer ce jour, trop écrasé par le poids de l'absence et des regrets. Il jeta violemment le sapin contre le mur et quitta son appartement sous le regard médusé de Stefaniel.

L'ange retrouva son protégé dans le parc central, non loin de son appartement. Il était là, sur un banc, près du lac désormais gelé, grelottant de froid.

—Tiens, je t'ai amené ta veste et ton écharpe.

L'informaticien remercia timidement le céleste.

—Ne vas-tu pas tomber malade en demeurant immobile ainsi ?

—Peut-être.

Il alluma une cigarette. Un long silence s'installa, perturbé seulement par quelques courageux oiseaux.

—Malgré mon âge, il s'agira de mon tout premier Noël sur Terre. Habituellement, on me renvoie avant.

Alex tourna la tête.

—Vraiment ? Si j'avais su, j'aurais essayé de faire un effort. Je suis désolé.

—Tu n'as pas à t'excuser, il s'agissait d'une simple anecdote. Toutefois, si et seulement si tu le souhaites, je serais ravi de partager ce repas avec toi.

—Tu ne manges pas.

—Je n'ai pas besoin de manger. Je n'ai jamais dit que je n'appréciais pas ça.

Le jeune homme soupira à travers son sourire.

—Je dois avoir les recettes quelque part sur mon ordinateur, je veux bien tenter.

—Es-tu certain ? Je ne voudrais pas t'importuner.

Alex haussa des épaules.

—J'avais prévu de déprimer jusqu'au vingt-six en buvant des bières. Je suppose que faire découvrir des plats familiaux à mon ange gardien est beaucoup plus sain et constructif.

—Je suis heureux de constater que tu choisisses la voie de la guérison.

—Ouais, ouais. Allons faire les courses.

Le soir même, Alexander préparait les toasts de foie gras, tandis que Stefaniel lui contait des histoires d'un autre temps, notamment celle des arbres fruitiers se couvrant spontanément de fleurs ou encore celle des démons qui traquaient les esprits craintifs, le temps d'une nuit. Le jeune homme déboucha une bouteille de vin blanc liquoreux, probablement offert par Lysa, et en rempli deux verres. Il découpa avec attention le rôti en brioche, tandis que le céleste l'interrogeait sur divers aspects de la recette.

—Il s'agit de mon premier repas en trois cent quarante-cinq ans. C'est délicieux.

—Merci. C'était l'une des nombreuses spécialités de ma grand-mère. Ma sœur détestait cuisiner, alors elle a tenté de m'apprendre à moi.

—Elle a visiblement atteint son objectif.

L'informaticien sourit, visiblement gêné.

—Hormis Éléa, tu es bien la première personne à me complimenter sur ma cuisine. Les parents de Lysa me détestaient autant que mes plats. Quant à elle, étant éternellement au régime, elle n'appréciait guère que je lui présente des pâtisseries ou autres menus caloriques.

—Tes beaux-parents ne t'apprécient pas ?

Alex rit nerveusement.

—En effet. D'après eux, informaticien n'est pas un noble métier. Ensuite, du haut de mes un mètre soixante—cinq, je n'étais apparemment pas digne d'être aux côtés de leur magnifique fille.

Stefaniel semblait perplexe.

—Je ne comprends pas leur point de vue. Ton activité semble utile et intéressante, même si je ne suis pas particulièrement familier de ce secteur. De plus, comment peut-on baser son opinion sur la taille d'une personne ? C'est aberrant.

—Dis celui qui fait au moins un mètre quatre-vingt-dix.

—Alexander, je suis un ange. Ma véritable forme n'a absolument rien à voir, alors j'ai bien du mal à comprendre ce genre de problématique.

—Ce n'est pas important.

Le jeune homme se leva et revint avec une bûche chocolat-noisette.

—Et voici la meilleure partie du repas !

Stefaniel fut amusé par l'enthousiasme de son protégé. Ils discutèrent jusqu'à minuit, dégustant un second verre de vin.

—Tu as l'air épuisé.

Alex étouffa un énième bâillement.

—Oui, je sais. Je n'ai pas envie d'aller dormir. Faire des cauchemars la nuit de Noël, ça craint.

—Je peux t'en protéger si tu veux.

—Et c'est maintenant que tu me le dis ?

—Tu ne m'en as jamais parlé directement et je ne souhaitais pas empiéter sur ton intimité.

—Un point pour toi. Et oui, je veux bien. Ça sera mon cadeau de Noël.

Le sommeil emporta rapidement le jeune homme. L'ange s'assit sur le bord du lit et posa sa main droite sur le front de son protégé. Une douce lueur bleutée en émana, tandis que le regard du céleste semblait perdu bien loin d'ici.

Au fil des siècles, Stefaniel avait veillé sur des enfants, avait été appelé par des femmes désespérées et par des hommes à l'ego démesuré. Parfois, on lui avait fait des propositions indécentes qu'il s'était empressé de refuser. Certains humains étaient même allés jusqu'à lui tendre des pièges. À travers les âges, il avait également rencontré quelques êtres particulièrement respectables, dont une vielle institutrice entièrement dévouée au bonheur des enfants. Contrairement aux dociles et adorables chérubins, Stefaniel n'appréciait pas forcément les longues périodes qu'il devait passer loin du Paradis. Il détestait les champs de bataille et ce qu'il avait dû y faire. Il haïssait ce monde empli de tromperie, lui qui était incapable de mentir. Il abhorrait la malveillance gratuite et la mesquinerie. Il maudissait ceux qui imaginaient que les anges n'étaient que de simples pions, des outils à plumes leur permettant d'exaucer le moindre de leurs souhaits. Certes, ils n'étaient pas humains à proprement parlé, mais ils n'en étaient pas moins vivants. Parfois, le céleste avait eu l'impression d'être davantage un jouet qu'un être doté d'une conscience.

L'informaticien bougea dans son sommeil et Stefaniel replaça quelques-unes de ses mèches folles. Pour une fois, il avait de la chance et était tombé sur un protégé gentil et altruiste. Bien que ce dernier ait le cœur littéralement brisé et l'esprit hanté par de douloureux souvenirs, l'ange pouvait apercevoir l'éclat brillant de son âme. Alexander Wirlak était quelqu'un de bien et il ferait tout pour l'aider à guérir.

Le lendemain matin, Alex ne s'éveilla qu'à onze heures. En ce vingt-cinq décembre, il se sentait étrangement bien, comme apaisé par sa nuit sans cauchemar ; la première depuis le drame.

—Tu as bien dormi visiblement.

—Oui, merci. Joyeux Noël Stefaniel.

L'ange sourit.

—Joyeux Noël Alexander.

Quelques heures plus tard, alors que le jeune homme en était déjà à sa huitième cigarette, il sentit une main sur son avant-bras.

—Je pense que cela suffit pour aujourd'hui.

—Là, tout de suite, c'est ça ou l'alcool. Lâche-moi.

L'ange soupira et resserra sa prise.

—Pourquoi agis-tu comme un enfant ?

—Tu m'emmerdes.

Alex se dégagea d'un coup sec, tandis que le céleste, visiblement vexé, resta sur la terrasse.

Lorsque le ventre de l'humain gronda, il s'aperçut que la nuit venait de tomber. Il remarqua alors que Stefaniel n'avait pas bougé de sa chaise, son regard bleu perdu dans la neige qui tombait fortement.L'informaticien détestait blesser les gens et il s'en voulait d'avoir été malpoli avec son ange gardien ; ce dernier ne méritant, jusqu'à présent, que de chaleureux remerciements. Penaud, il se leva et rejoignit le céleste.

—Hey ... Je suis désolé pour tout à l'heure, je ne voulais pas te blesser. Cette journée me semble interminable car j'ai l'impression que mes parents vont finir par surgir d'un moment à l'autre. Je n'arrive pas à accepter de passer ce Noël et le restant de mes jours sans eux. Je n'arrive pas à me dire qu'autour de la table, il n'y aura plus que ma sœur, exilée au bout du monde, et moi. T'as raison, je suis comme un enfant ... J'ai peur d'être seul, ça me terrorise. Encore désolé d'avoir été désagréable et grossier envers toi, tu ne mérites pas ça.

Stefaniel détourna ses yeux de la ville endormie et les posa sur son protégé. Il semblait confus.

—Je te remercie. Mais pourquoi t'excuses-tu?

—C'est une question piège ? Je n'ai pas été correct envers toi et visiblement ça t'a fait de la peine. Je m'excuse donc. Ça fonctionne comme ça tu sais.

—Je connais les règles de bienséance des humains Alexander. Je me demandais pourquoi mon ressenti te préoccupait.

Le jeune homme sembla à la fois surpris et légèrement choqué.

—Tu me prends pour un monstre ou quoi ? Tu es mon ange gardien, pas une machine sans cœur. Je n'ai pas forcément de quoi te montrer ma reconnaissance, mais respecter tes sentiments, ça, je peux le faire.

Les iris du céleste avaient viré au bleu marine. Il se leva, tapota gentiment les cheveux de son protégé et retourna dans le salon sans un mot.

Les jours suivants furent relativement calmes, malgré une fulgurante récidive des cauchemars d'Alexander. L'un deux, celui de la nuit du 30 décembre, fut particulièrement violent. Dans ce songe infernal, le jeune homme se tenait debout au milieu d'un champ. En face de lui, une silhouette blafarde et monstrueuse lui tirait dessus avec un revolver. Les coups de feu ne cessaient pas et son corps se contentait de saigner. Il regarda ses mains rougeoyantes avec dégoût avant de les poser sur ses oreilles. Il ne voulait plus entendre les coups de feu. Plus jamais. Il appuya davantage mais les sons lui parvenaient toujours. Ses jambes, affaiblies, se dérobèrent et il tomba sur l'herbe brûlante. Sa peau était devenue douloureuse, comme si l'air ambiant la consumait peu à peu. Il voulut appeler à l'aide, mais son cri fut stoppé par son père dont les mains, à moitié décomposées, commençaient à l'étrangler. Au loin, il vit le cadavre de sa mère s'animer.

Un hurlement de pure terreur résonna dans la petite chambre d'Alexander. Après plusieurs longues minutes de vaines tentatives, Stefaniel était enfin parvenu à l'extraire de son cauchemar. Le jeune homme pleurait, encore traumatisé par ce rêve bien trop réel. Tremblant de tous ses membres, son esprit semblait refuser de se calmer. Avait-il atteint le point de non-retour sur la pente de la folie ? Bien qu'éveillé, il ne ressentait pas le poids de la réalité, seulement une horrible sensation de brûlure sur sa peau. Derrière ses paupières closes, des ombres semblaient vouloir l'emporter dans des abysses de solitude et de désespoir. Était-ce là les démons nés après le traumatisme de l'accident ou était-ce une accumulation de remords et de regrets ? Les griffes spectrales semblaient s'ancrer profondément dans sa poitrine, comme pour arracher son cœur. Il avait mal, si mal ... Était-ce la douleur d'une violente crise de panique ou celle annonciatrice de la mort ?

Les larmes continuaient de couler sur ses joues pâles, sans qu'il n'en ait conscience. Une voix, qui lui semblait lointaine, l'appelait. Son ton était inquiet et insistant. Alex réalisa qu'il n'était pas tout seul. Quelqu'un tentait de l'arracher à la domination des perfides ténèbres. Il sentit alors des zones froides au niveau de ses biceps. C'était agréable et apaisant.

—Alexander ! Par le divin tout puissant, réponds-moi !

L'informaticien sursauta violemment et ouvrit les yeux. Stefaniel se tenait en face de lui, les mains agrippées à ses bras, les serrant. Il semblait particulièrement inquiet et ses iris avaient pris une teinte glaciale.

—Stef'?

Sa voix était faible et enrouée.

—Par tous les saints, merci, tu es revenu à toi. Tu étais si enlisé dans ton cauchemar que je ne parvenais pas à t'atteindre. Je suis désolé d'avoir échoué.

Alex posa ses mains sur celles de l'ange.

—Tu m'as sauvé. Si j'avais été seul, je ne sais vraiment pas ce qui serait arrivé.

Il toussa.

—Je ... Je n'ai plus la force de faire des cauchemars. Je suis épuisé.

Il posa sa tête contre l'épaule du céleste.

—Fais les disparaître comme pendant la nuit de Noël. Je t'en supplie.

Stefaniel, dont les yeux avaient repris leur bleu habituel, esquissa un faible sourire.

—Inutile de me supplier Alexander. Je ferais ce qu'il faut pour ne pas perdre mon protégé.

Ils demeurèrent ainsi, dans un silence agréable, des heures durant, jusqu'à ce que le soleil soit suffisamment haut dans le ciel.

Alors que le 31 décembre touchait à sa fin, Alex et Stefaniel s'étaient installés sur la terrasse. L'humain avait poussé l'ange à accepter une coupe de champagne.

—Allez Stef', c'est le réveillon ! Et puis tu as le droit, non ?

—Pourquoi as-tu raccourci mon nom ?

—Tu dois trouver ça trop familier, je suis désolé.

—Non, je m'en moque. Fais comme tu le souhaites.

L'humain sourit sincèrement et observa longuement les cieux endormis.

—Pour cette nouvelle année, je crois que je vais devoir faire des choix. Mon histoire avec Lysa, mon travail, ma maudite manie de fumer ... Je veux me reprendre en main. J'ai déjà vingt-sept ans, il est grand temps que je devienne un adulte, tu ne crois pas ?

Stefaniel, lui aussi tourné vers les étoiles, lui répondit d'une voix douce.

—Je suis heureux de t'entendre dire ça ; et je t'aiderais avec plaisir.

—Merci. Merci pour tout.

Ils admirèrent en silence les feux d'artifices qui vinrent s'intercaler aux étoiles.

—Bonne année Stefaniel.

—Bonne année à toi aussi Alexander.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top