Chapitre 9 : L'espion


La nuit fut assez courte pour tout le monde. Bien que le terme « nuit » fut plutôt arbitraire, étant donné que tous avaient perdu la notion des cycles jour-nuit. Il était huit heures quand Scorpio réveilla tout le monde en ouvrant la porte du dortoir avec fracas, des gobelets de café brûlant dans les bras.

— Debout là dedans, on a du boulot !

Des grognements retentirent çà et là dans les rangs. Ren n'aurait pas été contre l'idée de quelques heures de sommeil supplémentaires... Ses somnifères faisaient encore effet sur son système nerveux et il se sentait plus léthargique que jamais. L'odeur du café l'aida à émerger un peu quand Scorpio posa un gobelet sur son chevet.

— Charlie et Talia vous irez préparer notre espion, pendant que moi, Ren et Gabi fignolerons notre plan. On va les trouver ces jumelles, où qu'elles soient dans ces Cryptes.

Talia s'arracha de son lit la première. Elle attrapa une trousse à maquillage dans sa valise et pressa Charlie de se lever. Cheveux en pétard, la blonde se tira de sous ses draps et ramassa un sac de vêtements traînant à côté de ses bagages.

— Allez mon loulou, encouragea-t-elle. C'est l'heure de te préparer.

— Je ne veux pas ! répliqua Luka en rabattant son édredon sur sa tête. Je suis toujours contre !

— Luka... fit Charlie d'une voix douce.

— Non pitié, ne prends pas ce ton suppliant et adorable avec moi ! pesta le roux.

— On a besoin de toi Luka, tu es le seul à pouvoir réaliser cette mission.

Toujours au fond de son lit, Ren songea que Charlie savait toujours trouver les mots et le ton à utiliser pour convaincre quelqu'un. En plaçant Luka comme « leur seul espoir » – ce qui était vrai – elle avait une chance de le faire changer d'avis.

— On te demande juste une mission d'espionnage en mode incognito, continua la blonde en s'accroupissant à la hauteur du roux allongé dans le lit. Tu es le seul à pouvoir la mener à bien. Tu es le seul à pouvoir trouver les informations qui nous conduiront aux jumelles.

Ren se redressa sur ses coudes et vit qu'il n'était pas le seul à guetter la réponse de Luka. Immobile sous ses draps, il ne répondit rien.

— S'il te plait mon Lulu, ajouta Charlie avec un sourire bienveillant.

L'édredon et le drap furent balancés d'un air agacé au pied du lit et un Luka ayant capitulé sortit de sa grotte. Hargneux, il se dirigea vers la salle de bain en marmonnant.

— Ça va c'est bon, j'ai compris. Je vais le faire !

Scorpio lança un clin d'œil complice à sa compagne pour la féliciter de l'avoir convaincu. Charlie s'empressa de rejoindre Talia et Luka à la salle de bain et elles s'y enfermèrent afin de préparer leur espion.

— Ça va marcher ? questionna Ren en attrapant son gobelet de café.

La boisson noire et amère le réveilla un peu. Scorpio hocha la tête en soufflant sur son café pour le refroidir.

— Si il fait ça bien, alors oui. On en a discuté : ce bar constitue notre seule piste solide pour le moment.

— Et nous on va faire quoi en attendant ? questionna Gabi.

— On grenouillera par ci par là pour trouver d'autres infos. On finira bien par les trouver ces jumelles.

L'heure qui suivit fut seulement entrecoupée par des protestations sonores de Luka et des grommèlements de la part de Talia et Charlie, le tout provenant de la salle de bain. Scorpio en était à son troisième café quand enfin la porte s'ouvrit. Ren et Gabi pivotèrent leur tête et virent apparaître une Charlie radieuse et toute excitée, ainsi qu'une Talia pleine de fierté.

—  Ça n'a pas été simple, mais on a fait du bon boulot ! s'exclama la blonde. Viens par là Luka !

Scorpio cracha violemment son café sous le coup de la surprise quand l'intéressé s'avança entre Charlie et Talia. Ren et Gabi restèrent bouche bée en découvrant sa nouvelle apparence.

— Tadaaa ! fit Charlie en présentant leur espion comme leur plus belle réussite.

— Vous me le paierez, jura Luka.

Il était juste... méconnaissable ! Ses cheveux écarlate et habituellement ébouriffés avaient soigneusement été brossés et lissés, tandis que la longue mèche qu'il avait dans le dos avait été tressée sur son épaule. Un peigne décoré de fleur agrémentait la coiffure. Du maquillage accentuait les traits féminins de son visage androgyne. Avec des lentilles pour masquer son œil en cristal, du mascara pour faire ressortir ses cils déjà immenses, du far sur les paupières et une touche de rose sur ses lèvres, il était maintenant impossible de deviner que c'était un homme.

— Elle est pas trognonne notre espionne ? demanda Charlie en posant ses deux mains sur les épaules de Luka.

— J'ai eu beaucoup de mal à avoir ce rendu de maquillage, dit Talia. Mais j'ai un bon coup de pinceau.

— Et sa tenue, vous en pensez quoi ?? questionna Charlie avec un grand sourire, avide de connaître l'avis des autres.

L'air énervé et vexé, Luka croisa les bras devant sa poitrine anormalement généreuse. La blonde expliqua qu'elle lui avait bricolé une fausse poitrine avec de la mousse et des soutiens-gorges superposés, pour que le déguisement fasse plus crédible et réaliste. La tenue que portait Luka était composée d'un haut chinois brodé de fleurs, à col montant pour masquer sa gorge, d'un pantalon de soie évasé et de chaussures dans le style kung-fu. Dans l'ensemble il ressemblait à une très jolie jeune femme, un peu carrée des épaules et étroite des hanches.

— Chapeau les filles, c'est bluffant ! complimenta Scorpio.

— Vous auriez pu lui mettre des manches, remarqua Ren. 

— Pourquoi ? protesta Charlie. Pour cacher ses muscles des bras trop bien dessinés pour une femme ? Balivernes ! Moi je trouve que ça fait carrure de nageuse, c'est joli !

— Je veux crever pour de vrai... maugréa Luka.

Il jeta un regard dépité à son reflet dans la glace sur la porte de la salle de bain. Il se regarda sous toutes ses coutures en pestant puis demanda aux filles comment elles faisaient pour supporter des brassières en permanence à cause des bretelles ou des étiquettes. Enfin il loucha sur son visage maquillé en tirant la grimace.

— Pfff...

— T'inquiète pas Lulu ! rassura Charlie. Personne ne se doutera de quoi que ce soit : tu es l'espion parfait !

— Maintenant on compte sur toi bonhomme ! encouragea Scorpio.

— En attendant l'ouverture du bar, on va travailler quelques points importants pour l'infiltration, lança Talia. Ta voix surtout parce ça te trahit tout de suite, quelques unes de tes manières, parler de toi au féminin cela va de soit...

— T'en demandes pas un peu trop ?? pesta Luka. Les gars ! Dites quelque chose ! Défendez moi !

— Pour quoi faire ? Elle a raison, répondit Scorpio. Écoute la.

— Fais un essai ! invita Charlie avec un grand sourire. Présente toi comme si tu voulais te faire embaucher !

Luka roula des yeux en grognant. Il toussota pour s'éclaircir les cordes vocales et alléger sa voix, la rendant plus aigüe et douce.

— Bonjour, je m'appelle Lu... Luna ? Je suis intéressée par le boulot de serveuse, j'ai beaucoup d'expérience et je serai utile à l'équipe...

Il afficha un sourire crispé de gêne. Charlie n'était pas la seule à être bluffée par le changement vocale et applaudit sa prestation en disant qu'il était maintenant in-soup-çon-nable ! Mais Scorpio secoua la tête, l'air peu convaincu par un détail :

— La voix, nickel, mais ton sourire faux comme ça, ça va pas. Tu peux pas faire celui mignon et adorable que tu fais quand tu fayotes ?

Luka rougit et explosa en reprenant sa voix masculine habituelle en complet décalage avec sa nouvelle apparence :

— Comment ça « adorable » ??? T'as envie de me tuer pour de vrai c'est ça ???

— Allez un petit effort Luka, notre mission dépend de toi maintenant ! supplia Talia.

— C'est déjà suffisamment la honte d'être déguisé en fille et la mission de base est assez angoissante, vous allez pas en plus me demander de régler tous ces « détails » ??

— Mais c'est nécessaire pour ta couverture, pesta Gabi.

— Vous m'emmerdez !! craqua Luka. Je tremble déjà de trouille à l'idée de descendre dans ce bar de malheur, rajoutez à ça ce déguisement et tout le reste je vais crever pour de vrai avant l'heure ! Ou pire ça va me faire les cheveux blancs et les rides !

Installé sur son lit avec un énième café, Ren se dit que la plaisanterie avait assez duré. Il se leva de son matelas et décida de clore tous les débats, pour accélérer les choses qui commençaient à traîner.

— Maintenant ça suffit. Luka tu vas arrêter de te plaindre et tu prends en charge la mission qu'on te confie, c'est clair ? En attendant l'ouverture de ce bar à la con, t'as intérêt à t'entraîner un peu pour que tout se déroule selon le plan. Et tu te fais embaucher à La Plume cendrée avant la fin de la journée, compris ?

— Très bien, Ren... couina Luka.

— On a suffisamment perdu de temps dans cette cité pourrie. Désormais on compte sur toi et t'as intérêt à pas te louper...

***

En fin de journée, Luka se rendit au bar La Plume cendrée, après avoir passé des heures à peaufiner le plan avec les autres. Tous les détails auxquels il devait absolument penser se bousculaient dans sa tête, se mêlant à ses propres appréhensions et créant un maelström de pensées angoissantes. Il savait qu'il ne devait pas se rater, alors il passait en revue tous les points du plan, en boucle. Ce qui avait le don de bien le stresser sur cette mission.

Il souffla sur une touffe de cheveux qui lui tombait dans l'œil et enroula machinalement son doigt autour de sa mèche tressée. Bon sang et avec ce déguisement il ne se sentait absolument pas à l'aise... Plus il avançait, plus il se disait que cette mission allait foirer par sa faute. Peut-être que les gens verront tout de suite la supercherie. Peut-être qu'il règlera mal la fréquence de sa voix et qu'elle le trahira. Peut-être qu'il allait tout simplement se louper en tant que « serveuse ». Peut-être qu'il n'arrivera jamais à gagner la confiance de l'équipe et qu'il ne ramènera aucune info...

Il s'arrêta devant l'arcade en pierre du bar, surmonté d'un panneau en métal suspendu indiquant La Plume cendrée. Il jeta un œil en contrebas de l'escalier, avec au fin fond la porte en bois humide. Le cœur cognant d'anxiété et de trouille, il descendit les marches, raide comme un piquet, en se repassant le plan en tête. Descendre. Dire bonjour plus son texte... Il se répéta mentalement ce texte, en paniquant à chaque mot manquant ou tournure de phrase qui n'allait pas. Alors il tenta de les corriger, se disant que celle là était mieux que celle là...

Ses jambes en coton le conduisirent dans la salle du bar, sous le plafond vouté de la cave. Perdu dans le flot de ses pensées, il n'entendit même pas les sifflements ou commentaires lourdauds sur sa route. Il réussit tant bien que mal à rester naturel jusqu'au comptoir. Il corrigea sa démarche en se disant qu'une fille ne marchait pas comme ça. Ses cours de maintien, vestige de son adolescence tourmentée, lui revinrent en mémoire et ses membres se corrigèrent d'eux même. Voilà. Une démarche soignée, élégante, tout ce qu'il fallait.

S'asseoir au bar, dire bonjour... Le texte... Se faire embaucher... Il s'installa au comptoir en faisant attention à se pas s'avachir sur lui-même et garder le dos droit. Il souffla longuement pour calmer son cœur. C'était bon, il était installé... Plus qu'à dire le texte à une des serveuses... Il devait faire attention à sa voix. Son débit de parole. Son ton. Son articulation... Plus sourire... Plus politesse... Sa jambe commença à s'agiter à cause d'un tic nerveux. Les autres comptaient sur lui, il devait assurer, tout faire parfaitement... Son angoisse ne fit que croître au fil des secondes...

— Bonjour ma belle, qu'est-ce que je te sers ? demanda une serveuse en s'approchant.

Luka sortit du tourbillon de ses pensées en entendant la question. C'était le moment ! C'était là qu'il devait prendre la parole ! La voix. Le sourire. Politesse. Texte. Pas se foirer. Alors qu'il se remémorait les consignes du plan, sa langue s'assécha et sa tête se vida. Bon sang... Qu'est-ce qu'il devait faire ? Qu'est-ce qu'il devait dire déjà ? Bonjour ? Et après ? Il lui semblait que la première phrase était étrange et qu'il l'avait reformulé en chemin. Sauf que comme un idiot il ne l'avait pas notée et l'avait déjà oubliée. Son cœur s'emballa de stress et sa jambe tressautait nerveusement. Il essuya ses mains moites sur son pantalon de soie et la serveuse reposa la question.

Luka allégea sa voix et sortit la première chose que son cerveau balança à sa langue :

— Je... J'ai besoin d'un verre... N'importe, tant que c'est de l'alcool...

La serveuse se détourna pour aller chercher une bouteille, sans question ni remarque. Luka se traita mentalement d'idiot : ce n'était absolument pas ça qu'il devait dire !! Il prit sa tête dans ses mains en grommelant. La serveuse lui posa un verre ambré sur la table en lui souhaitant bonne dégustation. Le roux attrapa le verre et le vida d'une traite, histoire d'avoir une dose d'alcool dans le sang. Cela eut pour effet de calmer son stress... Mais la serveuse était déjà partie et avec elle la chance de se faire embaucher. Quel andouille... Luka laissa sa tête tomber dans ses bras et se coucha sur le comptoir. Idiot, idiot, idiot... Un autre verre ne serait pas de trop pour compenser cet échec cuisant... Les autres allaient le tuer pour de vrai...

— Hé ! Un deuxième ! appela-t-il en agitant le verre vide.

Il n'était pas ivre, loin de là. Il lui faudra encore quelques verres pour éloigner l'anxiété et la honte qui lui collaient à la peau... La serveuse de tout à l'heure revient pour le servir du même cocktail délicieux. Elle avait les cheveux frisés et violet et la peau chocolat. Luka vida encore le verre cul sec.

— Sacrée descente ! s'exclama-t-elle.

— L'habitude, répliqua Luka avec sa voix modulée.

— C'est la première fois que je te vois ici, remarqua la serveuse. Nouvelle ?

— Je suis au Terrier, répondit simplement le roux.

D'après les informations récoltées à l'auberge troglodyte, le nom de l'établissement suffirait à justifier le fait de n'avoir jamais été aperçu dans le coin. Tous les nouveaux des Cryptes logeaient là bas un temps. Avec un peu de chance, il fera moins suspect...

— Oh alors bienvenue dans les Cryptes, lança la serveuse. Tu vas voir la vie ici est assez agitée, mais c'est un lieu de choix pour se faire oublier. Tu veux te faire oublier de quoi ma grande ?

Luka tenta de se remémorer rapidement ce qu'il était censé dire pour répondre à la question... Il se rappelait que Ren avait proposé quelque chose, mais l'alcool effaçait les bribes de souvenirs... Il se gratta la tête. Qu'est-ce qu'une personne comme lui, comme « Luna », pourrait faire dans cette ville qui réunissait criminels, parias et marginaux. Il opta pour la première option « criminel ». Quel crime aurait-il pu commettre ? Il se souvint alors que dans le Premier monde, tuer des gens était illégal. Ren avait insisté là-dessus, sans doute que c'était très grave.

Or Luka n'avait jamais compté ses meurtres dans le Deuxième monde. C'était parfait.

— J'ai tué des gens, répondit-il, presque trop détaché.

Le visage de la serveuse se décomposa un peu devant cette froideur.

— « Des » ? C'est à dire ? demanda-t-elle. Combien ?

— Oh je sais plus j'ai jamais compté...

La réponse était on ne peut plus honnête et eut le mérite de ne pas rassurer la serveuse.

— T'es sérieuse ?

— Oui pourquoi ?

— Parce qu'à te voir, t'as pas l'air d'être une meurtrière.

— Tu en doutes ? Attends...

Luka attrapa son fidèle mousquet dans la grande poche de son sarouel, qu'il avait pris avec lui au cas où. Il le chargea et pointa une personne au hasard dans le bar, un vieil ivrogne étendu sur une des banquettes des tables basses. Il s'apprêtait à presser la détente quand la serveuse l'arrêta dans son geste en abaissant rapidement le canon de l'arme. Luka vit dans ses yeux une certaine panique. Elle avait rapidement changé d'avis en le voyant prêt à buter un des clients de sang froid.

— C'est bon, c'est bon je te crois.

Luka sourit. Rien de tel pour être crédible que d'offrir un exemple. Lui qui avait l'habitude n'avait même pas eu à jouer la comédie. La serveuse ricana nerveusement.

— Wow, t'es vraiment prête à tuer n'importe qui, n'importe quand. T'es pas une fille qu'on emmerde apparemment. Je me sens presque minable d'avoir juste déserté l'armée. Je m'appelle Crystal et toi ?

— Luna, dit Luka, répétant le premier prénom qui lui était venu à l'esprit en répétant.

— Et bien Luna t'es la bienvenue dans ces Cryptes et ce bar. Une fille dangereuse et jolie comme toi se fera rapidement une place je pense. Repasses quand tu veux.

Sur ce elle partit débarrasser un plateau apporté par une collègue. Luka rangea son pistolet, leur souhaita le bonsoir au passage et quitta le bar. Ce fut seulement quand il s'arrêta dans la rue au dessus qu'il réalisa qu'il ne s'était pas fait embaucher... Qu'il n'avait même pas demandé en fait...

— Rah mais quel andouille !!! hurla-t-il.

Des passants se retournèrent en l'entendant crier et le roux plaqua une main sur sa bouche. Il avait de la chance que sa voix parte dans les aigus quand il criait et perdait son sang froid, sinon il se serait trahi. Il s'empressa de passer son chemin en se traitant de tous les noms pour avoir échoué. Les autres allaient le tuer... Qu'est-ce qu'il allait leur dire ? Un passant sur sa route lui lança un « hé mam'zelle, tu voudrais pas qu'on aille s'amuser tous les deux ? », faisant déborder sa réserve de self-control. Il dégaina son flingue et tira une balle qui loupa de peu la tête du lourdaud et fit exploser la roche de la galerie. Le passant blanchit jusqu'à la transparence et prit ses jambes à son coup.

— Va te faire voir vieux pervers ! hurla Luka au fuyard.

Enfin il arriva au Terrier et la pression qui ne l'avait pas lâchée depuis son départ retomba enfin... Il souffla longuement pour s'empêcher de pleurer sans raison et monta à l'étage. Les autres l'attendaient au dortoir et quittèrent leur partie de Uno pour le fixer, tous plein d'espoir.

— Alors alors ? demanda Charlie.

Luka ricana sans savoir pourquoi et tituba jusqu'à la salle de bain. Là tout de suite il voulait juste arracher la peau de son visage couverte de maquillage ainsi que ses vêtements et sa fausse poitrine. Les soutiens gorges lui irritaient la peau. L'absence de réponse fit passer le doute parmi les Gardiens.

— Luka, commença Scorpio sur le ton de l'avertissement. Ça c'est mal passé l'infiltration ?

— Tu t'es fait embauché j'espère, ajouta Ren en jetant une carte « plus quatre » sur le tas.

Gabi répliqua avec le deuxième joker du jeu et dut expliquer à Talia qu'elle devait piocher huit cartes.

— Pourquoi ? demanda la doyenne. J'ai de quoi continuer, regarde : un quatre vert, ça passe !

Gabi commençait à regretter d'avoir lancé une partie de Uno pour tuer le temps. Leurs compagnons du Deuxième monde ne captait aucune des règles... Talia rouspéta quand elle vit Luka sortir de la salle de bain en se nettoyant le visage avec un coton.

— Le maquillage ! J'avais mis si longtemps à le faire, quel dommage.

— Bon Luka, tu t'es fait embaucher oui ou non ? insista Ren.

Le roux secoua la tête de gauche à droite, n'osant pas répondre.

— Quoi ?? paniqua Charlie. Tu t'es fais démasqué ?? Ça n'a pas fonctionné ?? Oh bon sang qu'est-ce qu'on fait ??

— J'ai pas demandé ! intervint Luka. J'ai pas eu l'occasion !

— Quoi ?? fit Talia.

— T'as respecté le plan au moins ? demanda Gabi.

— Non, je... J'était trop stressé ! se défendit Luka.

— Mais c'était simple pourtant ! soupira Charlie. Tu étais parfait aux répétitions, pourquoi ça n'a pas fonctionné ?

— Fais voir ton haleine Lulu, demanda Scorpio, saisi d'un vieux doute.

Le roux le fusilla du regard et ferma sa bouche, n'ayant pas l'intention de souffler au visage de Scorpio. Ce dernier se rapprocha de lui, l'air menaçant et l'attrapa par le bras pour l'empêcher de fuir avant de lui pincer le nez. Il répéta sa demande à Luka, qui retenait son souffle pour ne pas se faire trahir. S'ils apprenaient qu'il avait bu, pour sûr ils allaient le tuer ! Mais il ne retint pas sa respiration bien longtemps et expira l'air de ses poumons pour pouvoir ensuite inspirer. Des relents d'alcool s'échappèrent de sa bouche et Scorpio arqua un sourcil.

— Sérieusement ?

— C'était... Un nouveau plan ! inventa Luka. Je... J'ai eu une idée, et je pense que ça fonctionnera. Alors laissez moi faire je gère !

— On va te croire, grommela Ren.

— Garde tes commentaires le taré ! Je sais ce que je fais.

En réalité il improvisait totalement pour ne pas se faire gronder.

— Laissez moi une semaine. Je vous jure que mon plan va marcher.

Il était en train de s'échafauder en même temps qu'il parlait. Oui il allait faire ça : devenir un habitué du bar et sympathiser avec les serveuses. Si elles amènent le sujet de l'embauche, même entre elles, il se proposera. Comme ça il multipliera ses chances de rentrer dans l'équipe et de gagner leur confiance. Et à lui les infos croustillantes.

— Faites moi confiance, juste une fois, supplia-t-il.

Des regards dubitatifs s'échangèrent entre le reste des Gardiens. Heureusement, Charlie vola à la rescousse du roux en approuvant.

— Pas de soucis mon loulou ! Fais ce qu'il te semble être le mieux pour cette mission. On compte sur toi alors tu as carte blanche.

S'en suivit la mise en place d'une petite routine. Chaque jour Luka passait une heure à se faire préparer, maquiller et coiffer par Charlie et Talia. La doyenne essayait à chaque fois de lui montrer comme faire son maquillage lui-même, à grand renfort de grimace et de répétition de geste. En vain : le rouquin restait une tête de mule et refusait catégoriquement de toucher au moindre instrument de maquillage...

Chaque soir au bar, Luka s'asseyait à la même place et commandait la même chose. A chaque fois il discutait de tout et de rien avec Crystal ou ses collègues. Et chaque jour elles semblaient un peu plus contentes de le voir revenir. Pendant ce temps les autres arpentaient les Cryptes pour en faire une cartographie et repérer les adresses intéressantes.

Jusqu'au jour où, alors qu'il buvait son cocktail habituel à sa place habituelle, Luka entendit les serveuses se disputer, juste derrière le comptoir.

— Victoria se fout en mi-temps thérapeutique ?? s'exclama Crystal.

— Moins fort ! lui somma sa collègue.

— Mais elle abuse ! On est en sous effectif et elle se casse ? Madame est stressée ou quoi ??

— C'est vraiment la merde, on n'arrivera jamais à gérer ce bar à trois, soupira une autre serveuse. Quatre si on compte l'autre salope là. 

— Je peux vous filer un coup de main ?? s'écria Luka en se levant d'un coup de son tabouret.

Il avait tant espéré ce moment qu'il n'avait pas hésité une seule seconde pour réagir. Il se rassit en prenant l'air gêné quand les trois serveuses braquèrent leurs yeux sur lui.

— Tu voudrais nous aider au taf Luna ? s'étonna Crystal.

— Héhé, laissez tomber, j'ai pas réfléchi avant de dire ça, ricana nerveusement l'espion.

Mais les trois cruches s'étaient rapidement rapprochées de lui, très intéressées.

— Non non attends ! On serait prête à te payer cher, tu sais !

— T'as de l'expérience dans la restauration ?

— Ben... J'ai fait six ans dans un café, répondit Luka.

Les trois serveuses se regardèrent avec des yeux ronds et la bouche grande ouverte.

— Oh pitié Luna, tu serais la serveuse parfaite !

— Mais oui, en plus t'as le profile idéal ! Regarde comme tu es belle, si en plus t'as déjà fait serveuse, tu serais parfaite !

— On te payera autant que tu veux ! On peut t'embaucher tout de suite tu sais !

Luka sourit. Elles le suppliaient pour l'embaucher. Pour l'intégrer à leur brigade et le faire entrer dans le cercle des secrets et rumeurs qui finissaient dans ce bar. C'était parfait.

— Oh et bien, je ne peux pas refuser alors !

Les trois serveuses sautèrent de joie en lui disant qu'« elle » leur sauvait la vie, parce qu'elles galéraient depuis quelques temps. Crystal repéra quelqu'un dans la salle et eut l'air de se rappeler d'un détail.

— On va demander conformation au boss d'abord, mais sinon on te prend tout de suite. Oh Isaac !!

Luka se souvint rapidement qu'il s'agissait du patron du bar, qu'il n'avait jamais vu. Tout ce qu'il savait sur lui provenait des récits des autres... Et on ne pouvait pas dire que c'était très positif. D'après ce qu'il avait entendu c'était quelqu'un d'effrayant, de sinistre, d'hypocrite et qui n'hésitait pas à droguer les gens pour les faire dégager. Ça devait sûrement être un vieux détraqué moche...

— Qu'est-ce que vous avez bande de pouffiasses ? soupira une voix grave et chaude qui se rapprochait dans son dos.

— Va te faire Isaac ! répliqua Crystal. On pense avoir trouvé une nouvelle collègue pour nous aider !

— Ah ?

Peu enthousiaste à l'idée de rencontrer le patron à la réputation discutable, Luka pivota sur son tabouret et leva le menton. Son expression s'effaça complètement et ses yeux s'écarquillèrent. Son cerveau cessa de fonctionner et son cœur s'emballa dans sa poitrine. Tête penchée sur le côté, le patron Isaac lui observait le visage avec l'air curieux des rapaces. Il en avait les yeux, jaunes, perçants et cerclés de noir. Troublé, Luka sentit ses joues chauffer, comme si l'atmosphère avait pris quelques degrés.

— C'est comment ton nom ? demanda la patron en croisant ses bras musclés et tatoués de plumes.

— Elle s'appelle Luna, répondit Crystal. Elle vient tous les jours depuis un moment.

— Elle est prête à nous filer un coup de main ! Elle a déjà fait serveuse !

— En plus elle a de la conversation et elle est super comme fille. Puis honnêtement : elle est jolie hein ?

Les trois serveuses firent de grands souries à leur patron, le suppliant du regard de dire oui à leur demande. Luka resta en apnée sans bouger pendant qu'Isaac le détaillait avec une lenteur accablante, une expression intriguée au visage. Comme si le rouquin n'avait déjà pas suffisamment chaud, son sang décida de migrer intégralement vers son visage pour le brûler de l'intérieur. Qu'est-ce qu'il lui arrivait... ?

Finalement Isaac afficha un sourire franc. Il se passa la main dans ses cheveux mi-long et cuivrés pour les remettre en arrière et déclara :

— Je dois avouer que t'es mignonne. Tu penses être capable de bosser avec nous ?

Luka déglutit sa salive qui s'était bien épaissie et secoua la tête de haut en bas.

— Je serai ravi de filer un coup de main, dit-il.

Nouveau sourire d'Isaac.

— Ça marche alors. Si les pouffiasses veulent absolument t'avoir, alors je leur fais confiance ! dit-il avec un clin d'œil.

— Pétasse toi-même Isaac, répliqua Crystal.

L'homme lui envoya un baiser avec la main avant de faire le tour de son comptoir. Luka cligna plusieurs fois des yeux pour être sûr d'avoir bien vu ce qu'Isaac portait sur le dos. Une sorte de haut à col oriental, noir, sans manches et dont le dos était découvert du bas du cou jusqu'aux reins. L'ouverture laissait voir une grande partie de sa peau brune et tatouée d'une paire d'ailes d'ange. Isaac jeta un dernier regard à Luka.

— On se voit demain soir ? Pour commencer ?

— O...Oui, pas de problème.

— A demain alors, Luna.

Isaac disparut ensuite dans la réserve derrière le bar. Luka ne décrocha les yeux de son dos tatoué que lorsque le double battant de la porte saloon se referma. Les serveuses s'exclamèrent de joie.

— Tu nous enlèves une grosse épine du pieds là !

— Merci Luna !

— Hâte de t'accueillir dans l'équipe !

Le rouquin les regarda tour à tour et répondit à leur sourire. Il remarqua que le bar avait retrouvé sa température fraîche, mais comme il était peu sensible au froid ça ne lui fit rien. Mentalement Luka s'autorisa à soupirer de soulagement et à crier victoire.

Embauché !

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top