Chapitre 8 : Plan B


Lorsque Ren et Scorpio étaient descendu dans le bar clandestin, le reste du groupe en avait profité pour faire du repérage. Ils avaient notamment déniché une sorte d'auberge nommée Le Terrier. Le nom correspondait plutôt bien à l'établissement : une sorte d'hôtel troglodyte, creusé dans la roche, perché sur les hauteurs d'une crypte adjacente à la cavité du bar La Plume cendrée. Gabi avait estimé qu'ils seront très bien dans cet établissement, le temps des investigations...

La réceptionniste leur souhaita simplement la bienvenue comme s'ils étaient des clients de longue date. Gabi la paya grassement, dépitée de voir son porte feuilles se vider aussi vite. Elle qui avait fait un peu de monnaie... La réceptionniste leur fila les clés et ils montèrent à l'étage. Un dortoir très rustique les attendait. Huit lits alignés de part et d'autres de la pièce sans fenêtre, un plancher qui grinçait, une micro salle de bain et une mégalopole d'araignée au plafond.

— Ça nous fait un lieu pour loger en sécurité... dit Gabi.

La sécurité restait à voir, mais à première vue les couloirs et la salle de restauration ne craignaient pas trop. Les bagages furent posés pour une durée indéterminée.

— Bon faut mettre un point une stratégie, lança Gabi en jetant son sac sur un des lits. Visiblement le bar possède bien des infos qui pourraient nous intéresser.

— Sauf qu'ils n'ont pas l'air de vouloir coopérer, grommela Luka en désignant Ren et Scorpio.

Le premier était à moitié malade et le second semblait bien euphorique. Ren se laissa tomber sur le couvre lit en espérant que la pièce arrête de tanguer comme la cabine d'un bateau en pleine tempête.

— Va donc falloir continuer notre enquête en allant là bas, continua Gabi. Mais il faut trouver un moyen détourné de traquer les infos. En demandant directement on va se faire jeter.

— Et tu proposes quoi ? demanda Charlie.

— On peut aller là bas et tendre l'oreille ? suggéra Talia. Qui sait, quelqu'un aura peut-être quelque chose à nous apprendre.

— C'est trop bête en sachant que le patron a certainement la réponse à notre question, marmonna Scorpio.

— Il connaîtrait donc nos jumelles ?

— Évidemment, pourquoi nous droguer sinon ? rétorqua le réincarné. Il cache des choses ce bellâtre.

— Bon pour l'instant je propose qu'on se repose un coup, coupa Charlie.

— Tu as raison. Il est tard et la journée a été longue, approuva Talia en baillant.

S'en suivit de l'interminable tour des douches. Ren était en train de piquer du nez quand ce fut son tour. La salle de bain avait déjà été envahie par les trousses de toilettes de chacun, des gels et savons de douche s'alignaient sur le rebord de la baignoire et il y avait déjà un échantillon des cheveux de tout le monde dans le siphon. Bah... De toute manière c'était une sorte de camping et ce n'était que provisoire...

Après cela chacun se pieuta dans son lit. Charlie avait rapproché le sien de celui de Scorpio pour faire une sorte de lit double et dormir avec lui. Talia avait grommelé qu'au moindre roucoulement de la part de l'un des deux, elle les flinguerait. Ren goba un somnifère et s'enroula dans ses draps en soupirant. Demain sera une journée chargée.

***

Le jour suivant, Charlie et Talia décidèrent de tenter une incursion dans le bar, afin de ramener des informations en béton sur leurs Gardiennes. Estimant que les hommes avaient fait un boulot lamentable la veille, il était temps de laisser les femmes prendre les choses en main !

— Oh et bien qu'elles y aillent ! grommela Scorpio. Attendez de les voir revenir et après on conclura sur l'impossibilité de la tâche !

Attablés à la salle de restauration de l'auberge, lui, Ren, Luka et Gabi grignotaient un bout. Avec la soirée de la veille chargée, ils avaient dormi jusqu'à tard dans la matinée. Le temps de manger le midi, élaborer la stratégie de Charlie et Talia et attendre pendant une bonne éternité l'ouverture de La Plume cendrée,  il devait être dix neuf heures. L'heure parfaite pour l'apéro : quatre chopes de bière dorée trônaient sur leur table, en compagnie d'amuse bouche.

— Je vais profiter que Charlie ne soit pas là pour appeler Ashe, proposa Gabi en consultant l'heure sur son portable.

Elle colla son smartphone à l'oreille après avoir appuyé sur le numéro de son tuteur. Elle grogna quand elle vit que ça ne répondait pas. Elle tenta le numéro du fixe avant de se rappeler que les cours à l'Academy avaient repris et que par conséquent toute la famille recomposée était retournée à l'internat. Elle essaya une dernière fois avec le numéro de la surveillante des dortoirs du collège. Cette fois ci on décrocha et elle demanda Emi. Une minute plus tard, l'adolescente répondait enfin. Gabi ne mit pas le haut parleur, mais le son était suffisamment fort pour que Ren puisse suivre la conversation en rapprochant l'oreille.

— Par les Douze Emi, tu peux me dire pourquoi Ashe ne répond pas ? grogna Gabi.

— Déjà bonsoir hein, répliqua Emi.

— Bonsoir, pourquoi Ashe ne répond pas ? répéta Gabi, agacée.

— Mmmh.... Les darons des gamines sont dans le coin ?

Gabi jeta un coup d'œil rapide à Scorpio qui lui lançait un regard signifiant à la fois qu'il serait tolérant et que Ashe ne savait pas les risques qu'il encourait.

— Emi... lança Gabi sur le ton de l'avertissement. Y a... pas de soucis, n'est-ce pas ?

— Nan aucun. Isis et Raphaëlle sont juste là dans mes pattes. Je dois les surveiller pour la soirée.

Gabi marqua un temps d'arrêt pour intégrer l'info. Si Emi devait garder les filles, ça voulait dire que Ashe était absent... Carton rouge...

— Et où est-ce que monsieur Lissandres est passé ??

— Restaurant, répondit Emi.

Ren et Gabi se jetèrent un regard en fronçant les sourcils.

— Précise.

— Ah. Tu te souviens de Coco ?

— Constance, l'infirmière scolaire oui....

— La médecin, corrigea Emi.

— Et ben quoi Coco ?

— Ben tu te rappelles que ces derniers temps Ashe insistait beaucoup pour accompagner les blessés des cours de magie à l'infirmerie ?

— Oui, son soit disant devoir de prof et tout...

— Et du coup tu sais que c'était en grande partie pour aller voir Coco ?

— Tu peux abréger s'il te plait ? demanda Gabi en se passant une main sur le visage.

— Oui ben il se trouve que les deux papotaient pas mal, prenaient souvent un café ensemble et là tonton l'a enfin invité au restaurant. J'ai cru qu'il le ferait jamais.

Ren ne put retenir un sourire amusé en apprenant cela. Gabi lui jeta un regard blasé. Nul doute que son absence de réaction montrait qu'elle s'y attendait.

— Donc Ashe est parti au restaurant avec Coco et toi tu es de corvée de baby-sitting pour la soirée...

— Wep. T'inquiète il leur arrivera rien. En plus y a la surveillante des dortoirs pour aider si jamais. Elles ont même leur propre chambre juste à côté de la pionne. Avec la veilleuse et tout.

Gabi eut l'air rassurée, mais ne laissa pas passer le coup du restaurant. Elle décida d'utiliser Emi comme intermédiaire pour punir son tuteur de s'être absenté.

— Tu diras à Ashe que t'as droit à trente euro d'argent de poche pour la soirée. 

— Cool ! Bisous ma grande sœur !

— Bisous. 

Gabi raccrocha, dépitée. Elle jeta un regard craintif à Scorpio, qui attendait en pianotant des doigts sur la table en bois.

— Les filles vont bien... tenta prudemment la brune

— C'est tout ce qui compte alors, dit Scorpio en buvant un peu de bière.

Comme il ne rajouta rien, Gabi considéra que l'affaire était close.

— Alors comme ça Ashe et Coco... ? commença Ren.

— Oui, ça fait quelques temps qu'ils s'intéressent l'un à l'autre, répondit Gabi. Vraiment j'ai jamais vu deux personnes se tourner autour comme ça et attendre le déluge pour se jeter à l'eau.

— C'est pour ça que t'avais pas l'air surprise...

— Non parce que de une : comme j'ai joué aux surveillants à l'Academy ces dernières années j'étais au courant des ragots. Et de deux : Ashe n'arrêtait pas de blablater sur Coco à la moindre occasion. Comme quoi elle est trop belle, trop intelligente, trop cultivée et qu'ils ont pleins de points communs. Leur addiction au café par exemple... Forcément à force de parler devant nous, ça fait des témoins, et Emi profitait d'avoir ces infos confidentielles pour lui faire du chantage quand il lui refusait des trucs.

— Ah t'as bossé à l'Academy ? s'étonna Ren.

— Oui, histoire de m'occuper et me faire deux trois sous... J'ai toujours aucune idée du métier que je veux faire plus tard, soupira Gabi. Alors en attendant je fais la « pionne » dans les cours de récré ou en salle de permanence.

La brune poussa encore un soupir, l'air au bout de sa vie. Ren lui dit que pour l'instant ce n'était pas grave de ne pas savoir le métier qu'ils allaient faire plus tard. Actuellement leur mission de Gardien primait sur tout le reste. A ce propos, Ren jeta un œil à sa montre. Les minutes filaient et toujours aucune nouvelle de Charlie ou Talia. Bientôt ces minutes se transformèrent en heures... Tous commençaient à s'inquiéter quand enfin la porte de l'auberge s'ouvrit sur les deux femmes.

— Les voilà ! s'exclama Luka en se levant de sa chaise.

Bras dessus, bras dessous les deux femmes n'avaient pas l'air de marcher droit. Leurs joues rosies et leur manière de brailler un chant de marin annoncèrent rapidement la couleur. Un sourire satisfait s'étala sur le visage de Scorpio. La jubilation suintait dans sa voix quand il lança : 

— Je vous l'avais dit.

Ils durent attendre un bon moment pour que les deux femmes décuvent un peu. Réunis dans leur dortoir, tous attendaient le débriefing de la descente dans le bar. Étant la plus lucide, Talia se chargea de relater la chronologie des événements, aussi précisément que sa gueule de bois pouvait le permettre.

— On est descendu dans le débit de boisson... commença-t-elle, assise sur son lit et coudes plantés dans les cuisses.

Ses doigts croisés sous son menton, ses sourcils froncés et son regard dans le vide montraient qu'elle bataillait ferme pour rassembler ses souvenirs. La doyenne poursuivit :

— Ah on s'est installées au bar ! Une serveuse nous a demandé ce qu'on voulait boire. J'ai dit tout de suite qu'on ne voulait pas perdre de temps, mais Charlie m'a fait remarquer que c'était moins suspect de commander quelque chose. Alors on a pris un cocktail, délicieux au passage. Ensuite j'ai demandé à la serveuse si elle ne connaîtrait pas des jumelles.

— Et là c'était suuuuuper bizarre ! intervint Charlie. La serveuse nous a souri et elle a dit « un instant » ! Puis elle est partie ! Pouf !

La blonde retomba tête la première dans son oreiller, repartant pour une courte sieste. Talia continua en se grattant la tête.

— Cette serveuse s'est éloignée et s'est rapprochée d'un homme. Très très grand, peau brune, bras tatoués.

— Baraqué aussi ! ajouta Charlie en levant le nez de son oreiller le temps de parler. Il avait de ces biceps ! Et ces pecs avec son haut moulant chinois...

Elle retomba sur son matelas et se rendormit instantanément en ronflant.

— Ça devait être ce Isaac, déduisit Scorpio.

— La serveuse lui a dit quelque chose à l'oreille, continua Talia. À ce moment là il nous a regardé avec une expression étrange. Un peu sinistre. Il s'est rapproché avec un grand sourire en nous souhaitant le bonsoir. La suite est très floue. Je ne me souvins de pas grand-chose, comme si j'avais trop bu alors que je suis sûre de n'avoir pris qu'un seul verre.

— Donc il vous a drogué aussi à partir du moment où vous avez évoqué les jumelles, conclut Gabi. Bon. Ça se complique.

— Ça veut surtout dire qu'on ne tirera plus rien en demandant directement, même aux serveuses, dit Scorpio. Donc maintenant on arrête de se faire remarquer : plus de demandes directes et on n'envoie plus personne d'autre. Donc Luka et Gabi : interdiction formelle de mettre les pieds là bas. On est déjà quatre étrangers à avoir débarqué en deux jours, ça ferait trop suspect de vous envoyer là-dessous.

— Aucun soucis ! s'empressa de dire Luka. J'avais pas envie de descendre dans ce bar glauque moi !

— Je propose qu'on y aille maintenant en simples clients, sans poser de questions et juste tendre l'oreille pour capter les ragots, ajouta Scorpio. Avec un peu de chance quelqu'un finira par parler de nos jumelles. Mais pour le moment : dodo !

— Quoi dodo maintenant ?? s'offusqua Charlie. Mais...

Elle paraissait bien déçue et profita que Scorpio passe à côté de leur lit pour se jeter à son cou, l'air suppliant. Elle s'y suspendit de tout son poids en geignant.

— Scorpiooooo, je veux pas faire dodo tout de suite moi !! Ça fait trop longtemps qu'on n'a pas fait de câlin !! J'suis en manque de toi !! Viens là s'il te plaît, j'veux qu'on fasse...

— Alors dans d'autres circonstances j'aurais dit oui, coupa Scorpio en lui attrapant les poignets. Mais là ce n'est pas le moment ma chérie, en plus t'es complètement shootée...

Dépité, Scorpio partit ensuite rincer sa compagne à l'eau froide sous la douche, espérant améliorer son état et lui rafraîchir les idées...

— Une fois de plus choux blanc, soupira Ren.

— Appliquez la stratégie suivante alors : tendez l'oreille là bas, répéta Gabi. Moi et Luka on va rester ici ou faire le tour des souterrains pour se repérer... Ce bar ne peut pas être le seul à avoir des infos sur tout le monde !

***

Durant les jours qui suivirent ils appliquèrent leur nouvelle stratégie. Assis parmi les clients Ren perdit des heures à écouter des conversations inutiles et à suivre l'élégant ballet des serveuses avec leur plateau. Les vapeurs d'alcool, la musique, la fumée et l'étrange éclairage du bar donnaient juste envie de laisser tout tomber et de se laisser aller... D'autant plus que les clients étaient tout sauf de bons informateurs...

La logique voulait qu'avec l'alcool les langues se déliaient, l'attention diminuait et les chuchotements devenaient exclamations. Le moindre secret ou la moindre rumeur devrait rapidement circuler. Or Ren n'avait rien appris de ses cinq jours de surveillance. Ça ne parlait que des boissons, de paris, des combats clandestins, de banalités ou de politique. Toujours avec des insultes envers les démons et les anges libres de la surface...

Lessivé, Ren se laissa encore mourir sur sa banquette de bar ce jour là. Avec sa pinte de bière il écoutait d'une oreille distraite la conversation d'à côté, tout en suivant des yeux les vas et viens des serveuses. Deux d'entre elles parlaient au niveau du bar et semblaient se crêper le chignon. Ren se leva l'air de rien pour aller poser son verre vide, assez loins des femmes pour juste écouter sans se faire voir. Un coup d'œil rapide dans le bar lui permit de voir que le patron n'était pas dans le coin.

— Il est pas là le boss ? demanda une des serveuses en apportant un plateau pleins de verres.

Ses collègues se tournèrent vers elle, avant de chercher Isaac autour d'elles. Celle avec des cheveux frisés et violet haussa des épaules.

— Visiblement non... Cette pétasse doit sûrement être au bordel du coin, pour changer... Ou en train de se mettre minable avec sa dose de coke...

Les propos de la jeune femme envers son patron étaient assez durs et grossiers. Ren resta de marbre, mais intérieurement il resta indigné face à ces paroles vulgaires. Il resta en retrait à l'autre bout du comptoir et tendit l'oreille pour suivre discrètement l'échange.

— Jamais là quand on a besoin de lui en gros ! pesta une serveuse en lavant rapidement les verres que sa collègue avait apportés. On est en sous effectif et il se casse !

— Mais tu crois quoi aussi ? Que ton affiche d'embauche de merde sur la porte ça va attirer des candidates ??

— Moi je me sors les doigts contrairement à certaines. Mais les seules volontaires sont toutes laides au possible ou trop vieilles ! J'allais quand même pas accepter !

— Là je dois avouer que t'as raison... Si on veut rester le bar le plus attractif des Cryptes, faut une nouvelle serveuse toute mignonne.

— J'arrive pas à croire que la stratégie d'Isaac fonctionne d'ailleurs.

— Pourtant ça marche ! Une équipe entière de canons de beauté et les clients n'arrêtent pas d'affluer, de revenir et de donner des pourboires ! Économiquement parlant c'est la stratégie parfaite de n'embaucher que des jolies filles.

— On reste un bar, pas un club pour adultes ! Mais j'avoue que ça fonctionne plutôt bien. Maintenant arrête de jacasser et va servir les gens au bar !

— Au fait, vous avez entendus la dernière info croustillante sur le vendeur d'armes juste en face ? 

Les serveuses se mirent à piailler entre elles, commentant la dernière affaire scandaleuse à propos du vendeur. Dos au comptoir, les coudes posés dessus, Ren fixa ses pieds alors que les rouages se mettaient doucement en marche dans son esprit. L'équipe de serveuse qui se racontaient des ragots en ricanant alimentèrent progressivement la machination. Visiblement ces filles étaient au courant de pas mal de trucs...

Le brun se dit alors que faire partie de l'équipe serait peut-être la solution pour saisir les rumeurs qui circulaient. S'infiltrer  permettrait d'avoir des yeux et des oreilles en permanence dans le bar. Voir même obtenir directement les infos sur leurs jumelles auprès des serveuses ou du patron. En plus elles étaient en sous effectif et cherchaient justement du personnel. C'était l'occasion parfaite de s'introduire dans ce bar de malheur.

Discrètement, Ren quitta le bar, sa nouvelle idée en tête. Il remonta l'escalier jusque dans la rue, traversa un pont enjambant un canal d'eau et rejoignit un des couloirs souterrains, direction Le Terrier. Le reste de l'équipe était en train de diner à la salle de restauration de l'auberge troglodyte. Le réfectoire était aménagé dans une sorte de grande salle au plafond de roche, éclairé par des spots de lumière. Ren s'installa après avoir attrapé de quoi manger au self service.

— Alors ? demanda Gabi en mâchouillant un nems.

— Je vous dirai après, déclara Ren.

Il préférait ne pas trop en parler devant le reste des clients et du personnel de l'auberge. Une fois le dîner terminé, les Gardiens remontèrent dans leur dortoir. Comme d'habitude depuis cinq jours, la porte fut fermée à clé par mesure de précaution. Chacun s'assit au bout de son lit pour le débriefing.

— Toujours rien ? questionna Scorpio.

Lui aussi avait passé quelques heures dans le bar, sans succès. Charlie et Talia avaient préféré faire le tour des Cryptes pour chercher des infos ailleurs, là non plus sans résultats. Quant à Gabi et Luka ils étaient majoritairement restés à l'auberge, afin de rester discrets. Ils avaient récolté quelques informations pratiques sur la vie en règle générale dans les Cryptes. Apparemment Le Terrier accueillait les nouveaux arrivants et les aidait à démarrer leur nouvelle vie clandestine dans ces souterrains. Ils connaissaient donc pas mal de choses aussi. Gabi avait donc décidé de rester tranquillement à l'auberge, le temps de sympathiser avec la gérante qui distillait ses infos assez facilement.

— Au contraire, j'ai peut être un plan B, répondit Ren.

Rapidement il résuma la conversation qu'il avait saisi entre les serveuses, comme quoi l'équipe était en sous effectif et recherchait du personnel.

— Si l'un de nous peut se faire embaucher, ça nous permettrait d'avoir des yeux et des oreilles en permanence là bas, clarifia Ren. Je pense que ça nous aidera à récolter plus vite les informations qui nous intéressent et qu'on arrêtera de perdre du temps.

— Pas bête du tout, approuva Talia. Tu proposes donc que l'un de nous aille se faire embaucher ?

— Pas un, une, corrigea Ren. D'après ce que j'ai entendu ils ne prendront qu'une femme « jeune » et « jolie ». Ils n'embauchent que des « canons de beauté » parce qu'économiquement parlant ça a l'air de fonctionner...

— Merde, jura Scorpio. Ça réduit nos possibilités. On peut éliminer Talia et Gabi du coup.

— Je te demande pardon ?? s'étrangla la doyenne en fusillant le réincarné du regard.

Comme toujours Scorpio resta zen et se contenta d'exposer ses arguments :

— Désolé mais Talia t'es plus toute jeune et Gabi... t'es pas vraiment un canon de beauté.

— Je sais, marmonna la brune. De toute façon je ne comptais pas me proposer.

— Enfin bref, j'ai songé à envoyer Charlie, qui aurait été notre meilleure candidate, mais on a un problème, continua Ren.

— Ils l'ont déjà vu, compléta Talia.

— En plus comme on a demandé des infos sur les jumelles, ils se méfient déjà de nous, ajouta Charlie.

— Et si elle demande à se faire embaucher alors que le bar l'a dans le viseur, elle se fera automatiquement jeter, termina Luka.

Les six soupirèrent à l'unisson, dépité par cette ébauche de plan qui s'effondrait déjà.

— Retour à la case départ donc, conclut Scorpio en se passant une main sur sa barbe. Même si on avait le profile, on est déjà quatre à être sur la liste rouge du bar, vu qu'ils savent qu'on cherche des infos qu'ils ne veulent pas donner. Quant à Gabi et Luka qu'ils n'ont jamais vu, ils n'ont pas tellement....

Sourcils froncés Scorpio se tut et pencha la tête sur le côté comme s'il réfléchissait, sans finir sa phrase. Puis soudain il écarquilla les yeux, l'air d'avoir eu une idée. Il tourna la tête vers un des membres du groupe de Gardiens.

Toutes les têtes pivotèrent en direction de Luka, en tailleur sur son lit... Le roux fit sauter son regard mauve d'un Gardien à l'autre, tandis que son expression se décomposait au fur et à mesure.

— Quoi ? fit-il devant le silence de la pièce.

En le regardant, Ren pensa deviner à quoi avait songé Scorpio. Il n'était pas sérieux... ?

— Qu'est-ce que vous avez ? s'impatienta Luka, gêné de se faire dévisager par ses camarades.

— Et si on l'avait finalement notre « candidate » ? dit Scorpio en mimant les guillemets.

Les sourcils froncés, Luka sembla réfléchir encore quelques instants, l'air de chercher où il voulait en venir. Puis soudain il fit un bond sur son lit, comme frappé par la foudre de la révélation.

— AH NON !

— Ne me dis pas que... ! réalisa Charlie en regardant son compagnon.

— Si, affirma Scorpio avec un sourire inquiétant.

— T'es à la fois génial et bien culotté, ma parole, continua la blonde.

— Où veux-tu en venir Scorpio ? demanda Talia qui visiblement n'avait rien suivi.

Le réincarné descendit de son lit pour se mettre debout au centre de la pièce. En bon orateur, il clarifia le fond de sa pensée que tous avaient déjà à peu près saisi. Tous sauf Talia...

— Notre bar clandestin recherche une jolie serveuse pour combler leurs effectifs. Il s'agit donc de notre chance pour nous infiltrer et saisir les informations qu'ils ne veulent pas nous donner. Problème : quatre d'entre nous sommes déjà dans le viseur du bar, donc impossible de se faire embaucher. Il reste donc Gabi et Luka, toujours incognitos aux yeux de La Plume cendrée. Gabi n'étant pas tellement un « canon de beauté », il nous reste donc comme unique candidat : Luka !

Ren avait cru halluciner en devinant les projets de Scorpio. Il trouva l'idée encore plus folle maintenant que le réincarné la formulait tout haut ! Mais à bien y repenser, les plans les plus insensés étaient de ceux qui fonctionnaient le mieux...

— Mais Luka est un homme ! rappela Talia comme si ce n'était pas évident. Ils n'en voudront pas  !

— Justement vieille folle, répliqua Scorpio. La stratégie sera donc de le déguiser pour qu'il puisse s'infiltrer ni vu ni connu dans ce bar en tant que serveuse !

— PARDON ??? hurla le concerné.

— Excellente idée ! approuva Charlie en battant des mains. En plus tout le monde pense que c'est une femme au premier coup d'œil. Avec un bon déguisement, ils n'y verront que du feu !

— De plus, notre Luka est mignon comme tout. Ils l'auront leur jolie serveuse pour compléter l'équipe ! ajouta Scorpio.

— Mi...Mignon comme tout ?? répéta Luka en piquant un fard, avant d'hurler : et mon avis il compte à moment donné ??? Il n'est pas question que vous me déguisez en femme ! C'est non, niet, mort pour de vrai, jamais de la vie !

Malheureusement la proposition du plan de Ren couplée à l'idée de Scorpio venait rapidement de convaincre tout le groupe à mesure qu'ils observaient le rouquin. Le plan était à la fois farfelu et faisable.

— C'est loin d'être bête et irréalisable, déclara Ren. C'est risqué, mais ça se tente.

Luka lui jeta un regard noir depuis l'autre bout du dortoir.

— Tu approuves ?? Tu approuves cette mascarade ???

— Tu serais l'espion parfait, intervint Gabi. Une fille inconnue au bataillon, jeune et jolie, ils ne se méfieront absolument pas quand tu leur demanderas d'être embauché dans l'équipe. A toi de gagner leur confiance et tu récolteras les informations qui nous intéressent sur Faïza et Astrid Aquila. Nous ça nous permettra de vaquer à d'autres recherches et notre enquête avancera à vive allure.

Dépité, Luka chercha du regard un allié potentiel, quelqu'un, n'importe qui pour le défendre et convaincre les autres d'abandonner ce plan insensé. Mais tous étaient rangés du côté de Scorpio et son idée de déguiser leur nouvel espion. Le roux secoua la tête, l'air furieux.

— Pas question que je me travestisse ! De toute façon je fais quoi après, hein ? Je descends dans ce bar glauque, je me fais embaucher et après quoi ??

— Oh tu te débrouilles, fit Scorpio en baillant. T'es serveur au café de Jipé depuis six ans, donc tu connais le métier. Il ne te restera plus qu'à tendre l'oreille aux rumeurs et papoter avec le reste de l'équipe pour capter les secrets qui courent là-dessous. Vu comment on s'est fait droguer en évoquant les jumelles, c'est obligé qu'ils savent des choses sur elles. Ils finiront par en parler et tu seras là pour les écouter et nous ramener des infos.

— C'est trop compliqué !! protesta Luka. Et si je me fais démasquer d'abord ?

— Ça n'arrivera pas ! jura Charlie en se levant. On va te trouver le déguisement parfait pour notre mission d'infiltration ! Viens Talia ! On va aller acheter deux trois vêtements sympas !

— Quant à nous on a du pain sur la planche, déclara Ren. On va mettre au point notre plan pour être sûr qu'il soit parfait et applicable dès demain.

Il partit s'asseoir à côté de Gabi, en face de son ordinateur pour pouvoir jeter les grandes lignes de leur mascarade sur un document Word. Charlie et Talia partirent pour la boutique de vêtements dans la crypte la plus proche, en promettant de revenir le plus vite possible avec une tenue parfaite. Talia ajouta que sa trousse à maquillage devrait faire l'affaire pour compléter le déguisement. Grinçant des dents au milieu de l'agitation, Luka semblait prêt à arracher la jugulaire de quelqu'un avec les ongles, malgré son aversion pour le sang.

— Je vous hais. Je vous hais tous !!

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