Chapitre 6 : De fins limiers
Le groupe partit s'installer à la terrasse du bar de l'hôtel, située au premier étage. Tout comme au restaurant la veille, ils ne servaient pas d'alcool et ne proposaient que des jus ou des cocktails soft. Ce détail indigna Luka une fois de plus alors qu'un serveur apportait leur commande, dix minutes après qu'ils se soient attablés.
— Alors ? fit Scorpio en touillant son jus d'ananas.
— Cet après-midi on s'est arrêté dans un lycée, Gabi et moi, raconta Ren en se calant au fond de son fauteuil en osier. On s'est dit qu'on pouvait demander, vu qu'une école ça voyait passer du monde. On a sorti une histoire vaseuse à propos de cousins perdus et récemment retrouvés et le CPE a voulu nous filer un coup de main.
— Il nous a montré les photos de classe de ces dernières années, en nous indiquant tous les jumeaux ou jumelles qui avaient été scolarisés et devinez quoi ? continua Gabi.
— On a trouvé nos Gardienne ! compléta Ren.
Il attrapa son portable dans la poche de son cargo et montra la photo qu'il avait prise. Talia ouvrit des yeux ronds, sans croire qu'ils aient pu trouver leurs Gardiennes aussi vite.
— Effectivement, commenta Scorpio en regardant l'œil droit et nacré du duo. Ce sont bien elles.
— Vous les avez vraiment trouvé ! s'exclama Charlie. Bravo à vous deux !
— Maintenant on connaît leur nom, leur apparence et on sait qu'elles ont été dans cette ville il y a sept ans, résuma Gabi.
— Bon c'est bien beau de savoir qu'elles ont été là, enchaîna Talia. La question c'est : est-ce qu'elles sont toujours ici ?
— Ne nous précipitons pas, dit tranquillement Scorpio en se prélassant sur son fauteuil en osier. On est jour un et on en sait déjà plus sur les Gardiens. On sait que ce sont deux femmes, on sait à quoi elles ressemblent et on connaît leur nom, c'est déjà énorme.
— Elles s'appellent Faïza et Astrid Aquila, informa Ren.
Sur la terrasse du bar, une serveuse se ramassa la figure à terre. Heureusement elle n'avait qu'un plateau et une coupelle en métal dans les bras : aucune perte à déplorer, sinon sa dignité.
— Noté, dit Scorpio. Encore bravo à vous deux, vous faites de sacrés limiers.
Ils trinquèrent tous à ce début de victoire, sauf Luka qui mâchouillait la paille de son jus d'abricot sans un mot depuis le début.
— Quelle hérésie d'interdire l'alcool, grogna-t-il.
— Ça va te faire du bien, insista Charlie. Au fait Gabi : on peut appeler Ashe s'il te plaît ?
La brune resta de marbre même si intérieurement elle avait espéré échapper à cet appel. Elle attrapa son portable, se rendit sur l'application « téléphone » et appuya sur le numéro de son tuteur. Elle mit le haut parleur afin de garder la main mise sur son smartphone. Impatiente, Charlie trépignait des deux pieds contre le plancher de la terrasse. Heureusement Ashe décrocha avant qu'elle ne se mette à paniquer parce que ça sonnait dans le vide depuis trop longtemps.
— Allô j'écoute ! fit la voix d'Ashe à l'autre bout du fil.
— Salut Ashe, marmonna Gabi. T'es sur haut parleur.
— Comment va ma filleule ? demanda le professeur d'une voix enjouée. Vous avez fait bon voyage ?
— Tranquille, on est posé à l'hôtel depuis hier.
Gabi donna vite fait les dernières nouvelles et Ashe fut ravi d'apprendre qu'ils avaient déjà trouvé la trace de leurs Gardiennes. Ravi au point d'en faire tomber un saladier en métal contre le carrelage étant donné le son des enfers qui s'échappa du combiné.
— Et de ton côté ? demanda Gabi une fois le fracas passé.
— Isis et Raphaëlle sont là ?? demanda Charlie en criant au dessus du smartphone.
— Ben moi ça va, le temps d'adaptation hein, répondit Ashe. Les filles vont bien.
— Elles ont mangé quoi ce midi ??? questionna Charlie toujours en hurlant comme si Ashe était à l'autre bout de la rue.
— Pas la peine de crier il t'entend, grogna Gabi.
— Ce midi ? répéta Ashe avant d'avoir un immense temps de réflexion. Euh purée mixée bien lisse ! Elles ont beaucoup aimé et ont tout mangé. Même les haricots verts et la moitié d'un steak haché !
— Il ment, on a bouffé fast-food ! cria la voix d'Emi en bruit de fond.
— C'est quoi fast-food ? demanda Charlie, perdue.
— C'est... Un service de livraison ! se rattrapa Gabi. On commande ce qu'on veut et on se fait livrer à domicile. Donc vous avez commandé purée, haricots verts et steak haché, n'est-ce pas ? questionna la brune avec insistance, le visage figé.
— Tout à fait ! continua son parrain, allant dans le même sens qu'elle.
— Oh ben ça me rassure ! s'exclama Charlie avec un soupir de soulagement. Elles ont bien dormi ?
— Oui ! Jusqu'à huit heures ce matin. Un peu du mal à s'endormir hier soir, forcément, mais j'ai laissé la lumière du couloir allumée !
Ashe avait le don de rattraper n'importe quelle situation. Évoquer l'application des conseils de Charlie aida la blonde à se détendre.
— Bon ben ça va, je peux te laisser mes filles en toute confiance alors.
— Mais oui, assura Ashe.
Gabi coupa le haut parleur en entendant le début de l'alarme du détecteur de fumée retentir. Elle clôtura la conversation et programma un Facetime d'ici le lendemain en soirée. Puis elle raccrocha en soupirant, moitié rassurée moitié exaspérée par son tuteur.
— Tu vois ! répéta Scorpio. On n'a rien à craindre.
— Peut être que je m'inquiète trop...
— Bien sûr que tu t'inquiètes trop chérie !
Ren et Gabi s'échangèrent un regard, chacun imaginant Ashe mettre le feu à l'appartement tant il était doué aux fourneaux, puis regarder l'immeuble brûler depuis la rue avec Isis et Raphaëlle dans les bras... Tant qu'ils allaient tous bien et que Charlie ne l'apprenait pas, le professeur pouvait mettre le feu à toute la rue s'il le voulait... Ren termina son jus cul sec alors que le ciel se teintait de rose et de mauve. Le soleil avait disparu derrière les bâtiments et les nuages et l'air frais de la nuit arrivait.
— T'as entendu la dernière ? murmura une voix au niveau du comptoir du bar.
Ren tourna discrètement la tête et aperçut l'équipe de serveur en train de discuter à voix basse autour du bar.
— Émilie s'est faite arrêté ! dit un des serveurs.
— Quand ?
— Très tôt ce matin, sur le coup de trois heures. Les officiers l'ont trouvée ivre morte avec tout l'argent des paris.
— Mais quelle imbécile ! C'est elle qu'on a tiré au sort pour descendre assister au combat, on lui confie tous nos paris et elle n'est même pas foutue de rester sobre et de tout ramener.
— Pour une fois qu'on avait bien misé et que la cote était intéressante, grogna une serveuse. Tant pis. De toute façon le prochain combat se déroule demain soir, on se rattrapera à ce moment là.
Ren fronça des sourcils en les voyant s'échanger discrètement des papiers pliés avec soin. Un serveur les récupéra et les rangea dans la poche de son pantalon. Il s'agissait des mêmes papiers que les officiers de l'empire avaient confisqués à la serveuse ivre la nuit dernière. Des paris sur des combats, qui se déroulaient dans les « cryptes » dont parlaient les démons... Sans savoir pourquoi, Ren se dit qu'il pourrait s'agir d'une piste supplémentaire à explorer. S'ils ne trouvaient pas leurs Gardiennes à la surface, peut-être que ça valait le coup d'aller chercher en dessous.
Ren se redressa et tira la manche de chemise de Luka pour attirer son attention. Le roux pivota ses yeux améthyste vers lui en fonçant les sourcils.
— Quoi ? fit-il, sur la défensive et en se dégageant.
— J'ai besoin d'un coup de main. Tu sais toujours faire les poches des gens ?
Son passif de pickpocket allait lui être utile sur le moment. Luka jeta un regard à Charlie, Scorpio et Talia, dubitatif avant de marmonner tout bas :
— Ils sont pas censé savoir que je continue, quand c'est vraiment la dèche certains mois, mais oui... Pourquoi ?
— J'aurais besoin de récupérer un papier plié dans le poche de ce serveur là bas, expliqua discrètement Ren en indiquant l'homme en question, occupé à débarrasser une table. Poche avant gauche.
— Un papier ?
— Une piste supplémentaire.
Luka posa lentement son verre sur la table basse en osier, l'air de réfléchir à la manière d'aborder le problème. Ses yeux balayèrent le bar, cherchant le meilleur angle d'attaque. Puis il se leva en emportant son verre avec lui, direction le comptoir d'une démarche assurée. Ren le suivit discrètement des yeux. Arrivé au bar, le rouquin demanda un deuxième verre de jus, le tout avec un grand sourire charmeur pour la barmaid. Il vérifia d'un coup d'œil la position du serveur qui l'intéressait. Il arrivait en sens inverse, un plateau surchargé sur le bras.
— Oh attendez, j'ai oublié de prendre mon porte monnaie, dit-il à la barmaid. Je reviens.
Avec un timing parfait, Luka fit volte face en bousculant le serveur. Ce dernier manqua de faire chuter son chargement instable et le roux rattrapa le plateau in extremis.
— Pardon, je ne vous ai pas vu arriver ! s'excusa-t-il en remettant le plateau bien droit sur les bras du serveur. Pas de casse ?
Ren ne le vit même pas glisser les doigts dans la poche du serveur. La seule chose qu'il vit fut la main de Luka ranger quelque chose dans sa poche arrière à lui.
— Non tout va bien, répondit le serveur en lui souriant. Vous avez de bons réflexes, rit-il en indiquant son plateau, passé à deux doigts de la chute si Luka ne l'avait pas rattrapé.
— Je m'excuse encore, dit Luka en s'écartant sur le côté. Promis je ne gène plus le service. Bonne soirée monsieur !
— Bonne soirée à vous aussi mademoiselle, répondit gaiment le serveur.
Ren vit le sourire charmeur de Luka s'effacer progressivement puis se crisper d'agacement alors qu'il revenait vers eux. Il fourra le fameux papier dans la main de Ren avant de repartir chercher son verre au comptoir. Le brun le vit agiter son porte feuille en l'air. Conscient que le roux n'était pas censé l'avoir il tâta sa poche. Vide...
— En dédommagement ! grogna Luka, de dos.
Ren laissa passer pour cette fois et déplia le papier dérobé. Il s'agissait d'une sorte d'affiche au format A5, presque déchirée à force de se faire plier et passer de main en main. On aurait dit l'annonce d'un spectacle, prévu le lendemain soir comme Ren avait entendu. Le rendez-vous était donné à vingt et une heures, dans un certain « Colisée ». Le brun n'avait encore rien vu de tel dans la cité...
En lisant il découvrit les noms de plusieurs combattants, prévus de passer dans l'arène. On garantissait spectacle, hémoglobine, alcool et frissons, ainsi qu'une belle somme d'argent à gagner si on pariait sur le vainqueur. Apparemment on devait s'adresser à « La Plume cendrée » pour plus de renseignements et la prise de paris.
Des activités clandestines... Voilà à quoi s'adonnaient l'équipe de l'hôtel et la serveuse arrêtée le matin même... Des activités interdites se déroulant sous le sol de la ville, dans les cryptes de Kyklona. Qui aurait cru que sous ce vernis d'ordre et de sécurité se cachait tout ce qui régissait les rues de la cité il y a quelques décennies... Tout ce qui avait été interdit avait l'air de continuer sa vie, bien caché sous la surface...
Ça leur fera une piste supplémentaire à explorer si jamais leurs recherches en surface ne donnaient rien. Ren rangea le papier dans sa poche à lui et fit glisser la fermeture éclair par précaution.
— Mademoiselle, grinça Luka en revenant et en tapant des pieds. Je sais depuis des années que j'ai un charme très androgyne, mais quand même !! Ma voix là, ça s'entend que je suis un homme !
— Ben... fit Charlie, hésitante. Ça peut aussi être la voix d'une femme qui a fumé et qui est donc très très grave... N'empêche que c'est bizarre, parce que d'habitude ça te trahit tout de suite quand tu parles...
— Tssss. En plus d'avoir un problème aux yeux, les gens ont aussi un soucis aux oreilles !!! Toi là, j'espère que t'as ce que tu voulais !! cracha Luka en s'adressant à Ren.
— Exactement. Tu viens de nous ramener un plan de secours au cas où nos recherches en surface ne marcheraient pas.
***
Le lendemain après midi, Ren se laissa tomber sur un banc de la ville, à l'ombre d'un pin. Il lâcha un râle d'épuisement. La matinée complète avait été un échec côté recherches... Avec Gabi, ils avaient arpentés tous les marchés de la cité – d'ailleurs il y en avait un paquet – sans succès... Tous ceux à qui ils avaient montré la photo des jumelles ne les avaient jamais vu de leur vie.
— 'Taaaain, j'en ai déjà ras le bol, grommela Ren en se passant une main sur le visage.
— Je te signale que j'ai fait la majorité du boulot, rétorqua Gabi, debout à côté du banc. Toi t'as fait que traîner des pieds et bailler toute la matinée.
— Fatigué, marmonna Ren.
— Non, défoncé aux somnifères, corrigea son amie avec un regard coupable pour le brun. Je sais très bien que tu ne respectes pas tes doses, c'est donc logique que tu sois un zombie jusqu'à midi.
— Et d'où tu sais ça ? questionna Ren, curieux de savoir comment Gabi pouvait être au courant qu'il prenait deux cachets au lieu d'un seul.
— Scorpio me l'a dit ce matin au petit déjeuner. J'ai demandé comment ça se faisait que tu dormais dans ton café et il m'a dit que c'était peut-être à cause des deux cachets que t'as pris hier soir.
Toujours aussi observateur ce Scorpio... Ren grommela, bras croisés sur la poitrine et agitant la jambe.
— Je vais pas te faire la morale, prévint Gabi, mais en plus de te créer une dépendance, tu vas te causer des soucis de santé à ce rythme là...
— J'ai déjà des soucis cardiaques, répliqua Ren. Je suis plus à ça près...
— Justement, n'en rajoute pas en te faisant des overdoses de somnifères...
— Putain Gabi, grogna Ren, si je ne me gave pas de ces saletés, je ne dors PAS. J'angoisse toute la nuit à cause de ma phobie du noir ! Et si la dose n'est pas assez forte, je ne dors pas suffisamment profondément pour éloigner mes cauchemars !! Ça revient au même que ne pas dormir, alors oui je préfère dépasser la dose pour être sûr de me taper un coma sans rêve jusqu'au lendemain.
— Ne joue pas avec ça Ren, ça peut vraiment être dangereux pour ta santé...
— Et toi tu ne sais pas ce que je subis la nuit dans mes cauchemars ! rétorqua le brun.
Agacé, Ren quitta le banc sur lequel il était, enfonça les mains dans les poches de son blouson et partit à grandes enjambées en direction des ruelles commerçantes. Gabi le suivit et s'avança à sa hauteur après avoir un peu trotté. Les deux gardèrent le silence, comme pour laisser retomber la tension de leur altercation. Ou bien pour réfléchir à leurs paroles envers l'autre.
— Désolée... marmonna Gabi. Je te fais la morale alors que je ne sais pas ce que tu vis la nuit...
— C'est moi désolé, soupira Ren. Je démarre toujours au quart de tour à chaque fois...
D'un regard, ils conclurent un accord tacite : n'en parlons plus. Ren s'arrêta devant une devanture de boutique et leva le nez. « Mercerie Manvis ». Il lui semblait que le CPE avait rapidement parlé de cette boutique, ayant le même nom qu'un duo d'élèves qu'il avait présenté la veille.
— On rentre ? demanda Ren.
— Pourquoi pas, répondit Gabi. On a fait tous les marchés, autant passer aux boutiques.
L'intérieur était encombré du sol au plafond par des tonnes de morceaux de tissus en tout genre : velours, satin, dentelle, on ne savait plus où donner de la tête... Des bobines de fil et de laine par centaines s'entassaient sur leurs supports ou dans des paniers en osier. Il restait un peu de place pour des boutons ou des aiguilles à tricoter, à l'intérieur de tiroirs cachés derrière de grands drapés. Ah, et Ren aperçut un bout de comptoir et de vendeur au milieu de ce fouillis. Il y avait à peine la place pour circuler dans la boutique et le brun devait avancer courbé à cause des tissus suspendus au plafond.
— Puis-je vous aider ? demanda le commerçant, à moitié caché par un pan de tissus brodé de grues dorées.
Comme elle l'avait fait durant toute la matinée, Gabi sortit son portable pour montrer la photo des jumelles.
— On cherche ces deux personnes. Des cousines. Est-ce que vous les auriez déjà vu quelque part ?
Ren s'attendit à la même réaction que toutes les personnes avaient eu en voyant la photo. Regard neutre, plissement de paupière, haussement d'épaule ou secouement de tête, le tout montrant que la personne n'en avait aucune idée. Sauf que cette fois, le commerçant fronça les sourcils. Ça ne dura qu'une seconde, mais ce fut suffisant pour savoir que ces jumelles ne lui étaient pas inconnues. Il détourna la tête, faisant mine de retourner aux comptes de sa caisse enregistreuse.
— Ça ne me dit rien.
— Vous les connaissez ? questionna Gabi, loin d'être dupe.
Elle aussi avait vu cette expression faciale qui avait trahie le vendeur.
— Jamais vues de ma vie, marmonna-t-il. Sortez de ma boutique maintenant.
— Vous n'avez pas le comportement de quelqu'un qui n'a « jamais vu » ces personnes... remarqua Ren.
— Puisque je vous dit que... !! hurla le vendeur en les fusillant tous deux du regard.
Un éclat verdâtre illumina sa pupille et l'homme cessa de bouger. Gabi s'était aussi immobilisée, œil fixée sur sa victime. Elle venait d'activer son pouvoir de manipulation mentale d'un seul regard. Ren sut que ça allait être du gâteau désormais.
— Vous les connaissez ? insista Ren en tapant un ongle sur l'écran du téléphone de Gabi.
Tendu, le front commençant à perler de sueur, le vendeur grimaça. Avec son pouvoir, Gabi lui mettait certainement la pression, en jouant sur son niveau de stress et en paralysant son système nerveux. Comme un insecte pris au piège dans une toile d'araignée, condamné à se débattre en vain face à la bête.
— Alors ? s'impatienta Gabi.
— Croyez moi... commença le vendeur. Ne chercher pas ces gens là. Elles sont tout, sauf recommandables.
Ren arqua un sourcil, étonné par cette nouvelle information. Le vendeur poursuivit, ayant compris que l'araignée libérerait l'insecte qu'il était s'il passait aux aveux.
— Elles trempent dans des affaires louches. Mieux vaut ne pas traîner près d'elle. Si vous continuez à les chercher, il va vous arriver des bricoles alors : ne les cherchez pas, répéta le vendeur, visiblement angoissé.
— Donc vous les connaissez ?
— J'ai entendu beaucoup de rumeurs.
— Est-ce que ces rumeurs vous auraient dit où elles peuvent se trouver aujourd'hui ? demanda Ren en rapprochant le portable du nez du vendeur.
— Quelle question... Là où tous les gens peu recommandables de cette ville se regroupent. Là, en dessous. Dans les Cryptes. C'est tout ce que je sais....
Le vendeur commençait sérieusement à transpirer et trembler de tous ses membres, visiblement terrifié. Ren ne voulait pas imaginer ce que Gabi pouvait faire subir à son mental pour le mettre dans un tel niveau de panique et d'angoisse. Mais c'était bien connu : la peur inhibait souvent les pensées, empêchant de réfléchir correctement et donc de mentir. Elle avait encore bien joué son coup.
— Les Cryptes, répéta Ren.
Une fois encore les événements le ramenaient sur ce petit détail anodin. Ces lieux étranges évoqués par les officiers de l'empire l'autre nuit. L'endroit où se déroulaient apparemment des spectacles interdits, avec paris, argent sale et alcool en prime. Un endroit où les gens peu recommandables se réunissaient... Et leurs jumelles faisaient partie de ces gens peu recommandables... Elles seraient là bas...
— Dites nous en plus sur ces Cryptes, invita Gabi d'une voix sinistre.
Un raclement de pierre tombale aurait été plus chaleureux. Le vendeur déglutit. Ses pupilles étaient dilatées par la peur et ses yeux exorbités.
— Ce sont des souterrains... D'anciennes catacombes, où criminels, parias et marginaux vivent loins de l'Empire et de ses lois... Je n'en sais pas plus ! Je suis un honnête vendeur moi, je n'ai rien à voir avec la racaille qui vit là-dessous !
— Par où on rentre dans ces Cryptes ? questionna Ren.
C'était désormais sûr et certain que les jumelles qu'ils cherchaient se terraient là-dessous, si on se fiaient aux rumeurs... Il fallait aller chercher dans ces « Cryptes ».
— Je n'en sais rien ! répéta le vendeur. Les entrées sont trop bien cachées ! Seuls ceux qui y sont déjà allés connaissent le chemin. Vous ne comptez pas vous rendre là bas ? réalisa le vendeur.
— Si nos cousines sont là bas, oui, dit Gabi en indiquant les jumelles sur son portable.
— Vous êtes fous à lier ! s'offusqua le vendeur. C'est dangereux là-dessous, il n'y a que des criminels, des déchus et j'en passe ! Toutes les activités les plus illégales grouillent là-dessous ! Ces filles font partie de ces gens dangereux, alors cousines ou pas : n'allez pas les chercher si vous tenez à vous.
L'avertissement aurait presque fait frémir Ren si leur mission n'était pas mille fois plus dangereuse et risquée que de descendre dans des catacombes remplies de criminels. Ils devaient réunir les Gardiens, coûte que coûte. S'ils échouaient c'était la fin du monde tel qu'ils le connaissaient et le retour d'un dieu déchu. Ce n'étaient pas quelques rumeurs qui allaient les faire reculer.
— Très bien, lâcha Ren. Merci pour votre coopération.
Gabi libéra son emprise sur le vendeur qui s'écroula sur son comptoir, tremblant de trouille. Ils leur souhaitèrent une bonne fin d'après midi, l'air de rien, avant de quitter la mercerie.
— Les Cryptes ? Des catacombes abritant des criminels ? répéta Gabi. C'est vraiment ça notre prochaine piste ? Nos jumelles se terreraient là bas ?
Ren sortit le papier dérobé la veille à un serveur et le déplia. Il le relit rapidement.
— Apparemment oui...
— Alors on fait quoi ?
— On va les chercher là-dessous.
— On ne sait même pas où sont les entrées ! Et à part trouver quelqu'un « qui est y déjà allé et qui connait le chemin », on ne saura jamais comment descendre dans les entrailles de Kyklona.
Perdu dans ses pensées, Ren se rappela de toute l'équipe des serveurs de l'hôtel, qui s'amusaient à parier pour des combats clandestins. Eux ils devraient savoir où se trouvent les entrées des Cryptes. Ren avait eu raison de remarquer leur manège et de s'attarder là-dessus. Il avait eu raison d'envoyer Luka chiper ce papier en espérant que ça leur fasse des pistes supplémentaires. En réalité c'était leur piste, la seule et l'unique pour retrouver les jumelles Faïza et Astrid.
— Viens Gabi, je pense que certaines personnes à l'hôtel pourront nous renseigner, lança-t-il en rangeant la petite affiche en papier dans sa poche.
Ils mirent à peine une demi-heure pour remonter à l'établissement. Gabi était au bord de l'évanouissement et de l'arrêt cardio-respiratoire tant ils s'étaient pressés pour gravir les escaliers de la ville. Le quatuor du Deuxième monde était déjà là en train de les attendre devant l'hôtel.
— Vous en avez mis du temps ! attaqua directement Talia. On peut savoir ce que vous...
— On a peut-être une piste ! coupa Ren en entrant directement à la réception.
— Mais c'est qu'ils avancent rapidement dans l'enquête, s'étonna Scorpio. Vous êtes vraiment des fins limiers. Et quelle est cette piste ?
Il se tourna vers Gabi en voyant que Ren traçait sans se retourner. Essoufflée, la brune secoua la tête et fit un signe pour montrer qu'elle avait la respiration coupée. Le groupe suivit Ren dans l'hôtel. Le jeune homme s'avança rapidement jusqu'au bar en terrasse, où les serveurs étaient en train d'installer les tables et les chaises. Il se dirigea rapidement vers celui à qui Luka avait emprunté le papier.
— Puis-je vous aider ? demanda-t-il avec un sourire poli.
Ren décida de commencer par le début avant de l'agresser tout de suite avec les Cryptes. Il montra d'abord la photo des jumelles.
— Ça vous dit quelque chose ?
Il vit très rapidement l'expression du serveur indiquer qu'il les avait reconnu. Ce léger papillonnement de paupières, cet infime froncement de sourcil. Puis il vit, un peu plus longtemps, les rouages de son cerveau tourner pour chercher une excuse bidon, à tous les coups.
— Je n'ai jamais vu ces filles.
— Ben voyons... dit Ren en rangeant son smartphone.
Il sortit son joker et brandit l'affiche pliée en quatre. Cette fois le serveur fronça complètement les sourcils, déconcerté. Il amorça un geste pour tâter sa poche, mais se ravisa tout d'un coup. Il venait encore de se trahir.
— Bien... fit le brun. J'ai deux trois choses à vous demander.
— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda le serveur en faisant un pas de recul.
— Savoir qui sont ces filles.
— Des gens pas recommandables... Vraiment pas.
D'accord donc personne ne les connaissait et les seuls qui avaient l'air d'en savoir un peu répétaient la même chose... « Peu recommandables »... Visiblement ces jumelles se terraient bel et bien dans les souterrains lugubres et dangereux de cette cité...
— Et savoir où se trouvent les entrées des Cryptes, continua le brun.
— Comment connaissez-vous...
— Je pose les questions, dit calmement Ren.
Il était presque glacial à vrai dire. Il agita l'affiche des combats clandestins. L'atout restait dans sa manche alors il pouvait très bien en profiter.
— Ce serait dommage que les officiers de l'Empire aient vent de vos petits loisirs, menaça-t-il.
Le serveur resta muet, l'air d'être plongé dans ses pensées et de réfléchir aux conséquences de ses futures paroles.
— Les entrées.... ? demanda doucement Ren en le fixant droit dans les yeux.
— Y en a une pas loin, avoua finalement le serveur.
— Parfait. Alors vous allez pouvoir nous y conduire, moi et ma clique.
« La clique » arrivait justement à ce moment là. Charlie demanda d'un air inquiet ce que fabriquait Ren. Elle venait de remarquer le serveur, mal à l'aise devant le brun. Ce n'était pas étonnant quand on savait que les activités illégales de l'équipe risquaient d'être dénoncées à l'Empire s'il ne coopérait pas.
— Je pense avoir trouvé l'emplacement des jumelles, lança Ren. On m'a répété qu'elles n'étaient « pas recommandables » et d'après un très gentil vendeur à la mercerie ce genre de personnes se regroupe dans les catacombes de la ville. Je demandais donc à ce monsieur où pourrions nous trouver une des entrées. Et il va nous aider, pas vrai ?
Presque encerclé par le groupe de Gardien et réalisant qu'il n'aura pas le choix, le serveur accepta d'un hochement de tête. Il déglutit, embarrassé.
— Je... je vous y conduis dès demain ! promit-il d'une voix tremblante.
— Ce soir, exigea Gabi.
— C'est-à-dire que...
— Qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans : ce soir ?? intervint Talia d'une voix sourde.
Elle dégaina un de ses pistolets qu'elle avait gardé sur elle à l'insu de tous et braqua le canon sur le front de leur serveur qui blanchit d'un coup. Ren et Gabi lâchèrent des exclamations affolées.
— Wow wow wow range ça tout de suite !! ordonna Scorpio qui avait compris que sortir flingues et couteaux ici était le meilleur moyen d'attirer l'attention et terminer en prison.
— Range ça !! exigea Ren.
— T'es vraiment devenue sourde vieille chouette ! cria Luka en se jetant sur Talia.
— Qui est vieille ? grinça-t-elle.
Luka attrapa le canon du pistolet et força la doyenne à baisser son arme et la cacher en vitesse. Blanc comme un linge, le serveur tenta de s'enfuir, mais Ren le rattrapa par l'avant bras. Son regard seul suffit à illustrer la menace qu'il formula d'une voix quasi neutre :
— Pas un mot. Et vous nous conduisez à l'entrée des Cryptes. Si tout se passe bien je songerai peut-être à vous laisser partir avec l'intégralité de vos os...
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