Chapitre 16 : Au chevet d'une démone
Ce fut Gabi qui ouvrit la porte du dortoir de l'auberge. Une brève étincelle d'effarement passa dans son regard émeraude quand elle découvrit le trio sur le perron de la porte. Ren et Luka, portant une Sarah quasiment inconsciente, le ventre couvert de sang.
— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? demanda la brune en s'écartant pour les laisser passer.
— Aucune idée, répliqua Ren. On l'a trouvée en train de tuer une déchue et puis elle s'est effondrée par terre. Elle est blessée au ventre.
— Par contre elle pue le sang, pesta Luka. Le sang séché.
— Mais on s'en fout de ça, faut la soigner et vite ! pressa Ren.
— Je vais rappeler les autres. Allez chercher la trousse de secours, ordonna Gabi.
La brune s'immobilisa ensuite au centre de la pièce, le temps d'attraper les fils invisibles reliés aux esprits des trois Gardiens manquants. Ren traina Sarah jusqu'à un lit inoccupé de la pièce et la posa le plus délicatement possible au dessus des draps, craignant de la blesser davantage.
— Elle va dégueulasser le matelas, dit Luka. Vraiment elle est crade.
— Luka ?
— Quoi ?
— Ta gueule.
L'hygiène un peu douteuse de la démone n'importait absolument pas sur le moment : la priorité était de faire quelque chose pour sa blessure au ventre. Ren partit chercher la trousse de secours trainant au fin fond de son sac à dos et revint au chevet de la blessée. Il posa la trousse au sol et s'agenouilla pour être à la hauteur du matelas.
— Je vais t'enlever ta cape, prévint-il.
Sarah hocha la tête, une grimace de souffrance au visage. Le brun défit la fermeture éclaire de la cape et lui retira le manteau sombre, porté par-dessus un sous pull sans manche. Il s'immobilisa quelques secondes en voyant l'état de ses bras en dessous. Des épaules jusqu'aux poignets, de curieuses arabesques noires ondulaient sur la peau de Sarah, formant le motif d'un brasier sombre. Les flammes tatouées sur sa peau rouge étaient entrecoupées par endroits par des marques foncées et irrégulières... Des cicatrices de brûlures anciennes...
Ren s'obligea à revenir à la réalité, remonta prudemment le haut sombre de la démone et retira les serviettes en papier déjà imbibées de sang, pour accéder aux blessures plus récentes. L'entaille qui saignait toujours n'était vraiment pas belle. Infectée, à peine cicatrisée par endroit, elle avait dû se rouvrir après un faux mouvement. Vu l'aspect et l'odeur, elle devait déjà dater de quelques jours.
— Elle s'est pris un coup de couteau, diagnostiqua Luka qui avait jeté un rapide coup d'œil. Pour le reste, hormis une balle dans la tempe, j'ai aucune idée de comment ça se soigne.
Ren se força à expirer longuement pour calmer les palpitations effrénées de son cœur face à l'état de Sarah. Il attrapa compresses et désinfectant dans sa trousse de secours. La porte du dortoir s'ouvrit alors, laissant Scorpio, Charlie et Talia entrer.
— Bon sang Luka !! s'exclama le doyenne. Tu ne fais plus jamais ce genre de coup !! On s'est fait un sang d'encre pour toi quand on a vu que tu n'étais pas rentré !
— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? questionna Scorpio.
— Gabi vous a pas expliqué ? s'étonna Luka.
— J'aime autant garder mon énergie quand je vous communique par la pensée, rétorqua la brune. Un simple « revenez vite » c'est déjà beaucoup pour moi.
— Attendez une minute, fit Charlie en remarquant soudain la blessée. C'est...
La blonde reconnut alors Sarah, qu'elle avait rencontré durant le tout premier voyage de Ren dans le Deuxième monde. Cela remontait bien à sept ans.
— Par les Douze que lui est-il arrivé ? glapit-elle en voyant le sang sur les draps.
— Elle s'est pris un coup de couteau ! lâcha Ren, tendu. C'est... C'est infecté ! Je ne sais pas depuis combien de temps elle a ça, mais faut la soigner, sinon... Sinon...
Sa voix commençait à trembler face au stress de la situation. Ses mains parcourues de soubresauts nerveux peinaient à ouvrir une des compresses stériles qu'il avait attrapé. Allez, ce n'était pas le moment de perdre ses moyens ou d'avoir la tremblote !
— Laisse moi faire, déclara Scorpio en se baissant à hauteur du lit.
— Non, refusa Ren en secouant la tête. Tu viens du Deuxième monde, tu ne peux pas l'aider ! À part vous tirer des balles, vous savez pas soigner les gens là bas !
— Je t'ai dit de me laisser faire, insista Scorpio.
Il l'attrapa par le bras et le força à se lever et s'éloigner pour lui laisser de l'espace. Ren refusa de lâcher sa compresse quand le réincarné voulut la lui prendre des mains.
— Vous vivez depuis quatre milles ans sans savoir comment soigner la moindre blessure !! rappela Ren, au bord de la crise de nerf. Vu que vous avez votre solution de facilité à la con de vous suicider à la plus petite égratignure, y a zéro progrès dans votre médecine !! Tu pourras rien faire pour elle !!
Scorpio lui arracha ses compresses des mains. Ren vit rouge et hurla, son sang froid lui ayant totalement échappé :
— Bordel rends moi ça !!! Laisse moi soigner Sarah !!! Sinon elle va... Elle va... !
Soudain Scorpio lui saisit la mâchoire à une main pour le faire taire et le forcer à lui faire face. Il plongea un regard noir dans le sien. Deux yeux en topaze qui en avaient trop vu dans la vie. À ce moment là, en voyant l'aura terrifiante autour du réincarné, Ren se souvint qu'il était le dieu de la mort en personne. Topaz le Huitième ordonna d'une voix sourde :
— Casse-toi, Ren.
Il le lâcha presque aussi brutalement qu'il l'avait saisi et lui tourna le dos. Presque essoufflé, le cœur cognant, Ren fit un pas en arrière. Un mélange de stress, d'angoisse, de crainte et de peur bouillonnait en lui, lui soulevant l'estomac et lui donnant au passage une légère nausée. Il sursauta en sentant quelqu'un dans son angle mort, mais ce n'était que Charlie qui avait posé une main bienveillante sur son épaule.
— Viens Ren, allons faire un tour... dit-elle d'une voix douce.
Elle lui entoura l'avant bras avec ses mains et l'entraîna sans aucune violence en dehors du dortoir. Ren eut juste le temps de graver dans son esprit le corps inerte et couvert de sang de Sarah, étende dans son lit, avant que la porte ne se referme. Souffle court, tremblant, il se passa les deux mains sur le visage. Il était vraiment à deux doigts du craquage émotionnel...
— Je t'offre une tisane, proposa Charlie.
Elle lui posa une main dans le dos et l'invita à avancer avec une légère pression entre les omoplates. Ainsi ils descendirent au comptoir du bar au self du Terrier. Charlie commanda deux tisanes, dont une au tilleul. Ren avait suffisamment entendu ses amis plaisanter là dessus qu'il sut d'office que ce genre d'infusion calmait les nerfs et le stress... À chaque fois qu'il explosait au lycée, il y en avait toujours un dans la bande pour sortir un « il va percevoir sa tisane au tilleul et se calmer, sinon il va s'en prendre une ». Quand les tasses arrivèrent, Charlie fit pousser une sorte de fleur avec ses pouvoirs et la laissa infuser avec le reste des plantes.
— Tiens, ça va te faire du bien mon grand.
Ren la remercia et souffla sur sa tasse. Il était rassurant d'avoir Charlie à ses côtés. Toujours bienveillante, elle était ce genre de personne calme et maternelle qui veillait sur les autres et prenait soin d'eux. Même si le brun était adulte, il trouvait la présence de la jeune femme apaisante et sécurisante.
— Je comprends que tu puisses réagir comme ça. Dans le Deuxième monde la médecine n'est pas vraiment développée. Mais je t'assure que Scorpio pourra soigner ton amie avec ses pouvoirs.
— Mais comment ? Il invoque des esprits, il ne guérit pas les gens !
— Son pouvoir d'invocation permet de réveiller les morts. Il fonctionne extrêmement bien sur des figures connues de l'Histoire, créant des esprits très puissants. Et tu sais pourquoi ?
Ren but une gorgée brûlante de sa tisane puis secoua la tête.
— Grâce à la mémoire collective. Tout le monde se souvient de Cléopâtre, alors l'invoquer est simple et donne une apparition surpuissante . Si tout le monde se rappelle d'une personne, alors cette personne peut être ramenée par Scorpio. Il peut donc très bien invoquer les plus grands médecins et chirurgiens de ce monde...
Le brun serra ses mains autour de sa tasse. Il se sentait idiot de ne pas avoir pensé à cette option là. Son angoisse se dissipa légèrement, lui permettant de mieux respirer.
— Ton amie Sarah va être guérie, assura Charlie.
— Et moi j'ai engueulé Scorpio... lâcha Ren, meurtri.
L'urgence de la situation, le stress face à l'état de la démone, sa blessure qui n'en finissait plus de saigner l'avaient aveuglé. Il avait vu Scorpio comme un obstacle, l'empêchant de sauver la vie de Sarah, alors il lui avait hurlé dessus sans réfléchir. Pensant qu'il serait inutile et ne ferait qu'aggraver les choses.
— Il en a vu d'autre. Tu parles à un fossile vivant pour rappel, rit la blonde. Ne t'en fais pas pour ça.
Ren souffla sur sa tisane avant d'en boire une gorgée. La fleur que Charlie avait rajoutée avait déployé ses pétales dans l'eau, diffusant un parfum apaisant. Le brun la remercia encore.
— Heureusement que t'es là, dit-il.
— Bah ! Je suis un peu la grande sœur du groupe ! rit la blonde. Ou la petite maman. C'est normal de veiller sur vous. Parlant de maman... Mes filles me manquent...
— Étant donné que Luka a trouvé les jumelles, on a bientôt fini notre voyage à Kyklona. On ne devrait plus trop tarder à rentrer.
— Oh c'est formidable ! Il a réussi son infiltration !
— C'est ce qu'il m'a dit quand je l'ai trouvé ivre mort au comptoir d'un bar. Apparemment on est censé retourne à La Plume cendrée demain vers treize heures pour discuter avec les jumelles. Mon petit doigt me dit que ça ne sera pas très simple...
— Ne t'inquiète pas ! Je suis sûre qu'en leur expliquant, elles accepteront tout de suite de nous rejoindre.
— Si tu le dis...
Les deux terminèrent tranquillement leur tisane en continuant à discuter, puis ils décidèrent de remonter au dortoir. Ren sentit son angoisse prendre son cœur en étau quand il approcha la main de la poignée de la porte. Il craignait ce qu'il allait voir dans la chambre... En fermant les yeux il revit les flashs de Sarah, en sang, inerte sur un des lits... La main rassurante de Charlie passa dans son dos avec douceur. Puis Ren ouvrit la porte...
Scorpio était tranquillement installé sur une chaise, en train de lire la gazette des Cryptes. Et au dessus du lit dans lequel Sarah était étendue, il y avait trois fantômes, flottant dans les airs. L'un d'eux, arborant une longue barbe et un turban, finissait de recoudre le ventre blessé de la démone. Hormis le sang séché sur ses vêtements et les draps, il n'y avait plus rien. Ren se rapprocha pas après pas. Lui qui avait retenu son souffle se força à respirer à nouveau.
— Ren, voici Louis Pasteur, Abu Al-Qasim et Ignaz Semmelweis, présenta Scorpio en indiquant les esprits. Tous considérés comme des pères de la médecine, de l'immunologie ou de la chirurgie dans ce monde.
Le brun se laissa tomber à genoux au chevet de Sarah. Ses yeux se posèrent sur son ventre, soulevé par une légère respiration. Certaines plaies semblaient déjà guéries et l'entaille principale était refermée par des points brillants. Aucune trace des saletés ou de l'infection... Il leva le menton vers les fantômes des trois hommes d'une autre époque, qui le saluèrent d'un mouvement de tête respectueux. Leur travail étant terminé, ils disparurent progressivement.
— Tu vois Ren, dit Scorpio en lui posant une main sur l'épaule. Je suis peut-être une momie, mais j'ai encore de la ressource.
— Je... je suis désolé de t'avoir engueulé Scorpio, s'excusa Ren. Pardon... De ne pas t'avoir fait confiance.
— J'accepte. Mais une chose : t'avais beau être sur les nerfs ou stressé à cause de Sarah, ce n'était pas une raison pour te laisser emporter. Tu es adulte, apprends un peu à te maîtriser et garder ton sang froid.
Sur ce léger sermon, Scorpio se leva de sa chaise et partit frapper à la porte de la salle de bain pour savoir si la place allait se libérer. La porte s'ouvrit à la volée et Luka sortit en grognant, se frottant la tête avec sa serviette de bain.
— Bon apparemment tu as trouvé les jumelles ! lança Charlie. On est fiers de toi mon Lulu !
— Apparemment ? répéta Luka avant de rougir. J'y crois pas, tu lui as raconté !?!
Ren détourna la tête de Sarah, endormie, quand il réalisa qu'on lui parlait.
— Oui je lui ai dit que t'avais trouvé Faïza et Astrid Aquila.
Luka jeta un coup d'œil furtif à Charlie, souriante. Puis à Talia, endormie en position assise dans le fauteuil du coin de la pièce, un livre ouvert dans ses mains. Et enfin Gabi sur son ordinateur, en tailleur sur son lit.
— Et... Rien d'autre ? insista le roux.
— Juste que tu te bourrais la gueule parce que t'avais le béguin pour...
Ren ne dit pas un mot de plus : un véritable blizzard lui souffla à la figure depuis la main tendue de Luka, lui gelant le bas du visage. Bâillonné par une couche de glace, le brun le fusilla du regard. Rouge comme une pivoine, le roux l'aurait descendu sur place si ses yeux pouvaient tirer des balles.
— Quoi, quoi, quoi ? piailla Charlie en se redressant tel un suricate. Ai-je bien entendu ?
— Espèce d'enfoiré ! cracha le roux en direction de Ren, avant de partir étendre sa serviette de bain.
Ren retira avec peine la couche de glace qu'il avait sur le menton et la bouche, ce qui lui arracha à moitié la peau et les quelques maigres repousses de barbe. Qu'est-ce que c'était froid !
— Bref dans tous les cas on a rendez-vous à treize heures à La Plume cendrée, conclut Ren en jetant le reste du glaçon. C'est bien ça ? Luka, tu confirmes ?
— Oui !! pesta brusquement le roux.
Ce qui réveilla Talia en sursaut avec « woooouah ! » exclamé d'une voix d'outre-tombe, comme si on venait de la ressusciter.
— Bon ben demain à treize heure et demi grand max on pourra compter de nouvelles Gardiennes avec nous ! s'écria Charlie en battant des mains. Après tout ce temps, on y est enfin arrivé ! Et c'est grâce à toi mon Luka : bravo !!
Elle entoura le jeune homme avec ses bras et lui claqua un bisous sur la joue, ce qui le dérida à peine. Charlie demanda ensuite à Gabi pour faire un appel avec Ashe, car ses filles commençaient à lui manquer. La brune lui rappela qu'il était près de minuit et que tout le monde dormait certainement.
— On devrait faire de même, dit-elle en claquant son ordinateur. Qui n'est pas douché ?
— Ben moi, dit Charlie. Et je sais pas si Ren veut y retourner.
— Et la fille aussi ! rappela Luka.
Il parlait certainement de Sarah. Toujours agenouillé près d'elle, Ren s'était contenté de garder le silence et d'observer son visage. Yeux clos, la démone semblait dormir. Ses cheveux sales lui tombaient sur la figure et de la crasse assombrissait ses joues, un mélange de poussière, de sang et de transpiration séchée. Qu'est ce qu'elle avait bien pu faire dernièrement pour être dans un état pareil ?
Elle ouvrit les yeux quand Scorpio échangea sa place à la douche avec Charlie. Ren fit comme s'il n'avait pas passé les dernières minutes à la regarder et lui adressa une ébauche de sourire. Il n'avait aucune inspiration sur le comportement à avoir en cet instant.
— Salut... Comment tu te sens ? demanda-t-il.
L'air encore dans le gaz, Sarah se redressa en position assise avec des mouvements lents et maladroits, comme si elle était droguée. Regard dans le vide, elle observa autour d'elle. La façon assez nébuleuse qu'elle avait d'émerger fit tiquer Ren.
— Vous lui avez fait quelque chose en plus de la soigner ?
— Il se pourrait que je lui ai trituré deux ou trois fils pour la faire un peu dormir, avoua Gabi. Vois ça comme une petite anesthésie générale.
Sarah cligna plusieurs fois ses yeux avant de regarder son ventre à peine recousu. Elle posa une main sur son front et se rallongea, prise de vertiges.
— Je suis où ? marmonna-t-elle d'une voix rauque.
— Au Terrier, informa Ren comme si ça pouvait l'éclairer. Dans un dortoir. T'es en sécurité.
Sarah laissa tomber sa tête sur le côté et ses yeux se posèrent enfin sur lui. Elle les plissa légèrement alors qu'elle lui examinait le visage.
— T'es là... souffla-t-elle.
Ren ne bougea pas quand elle avança un index vers sa figure. Doucement, la démone fit glisser son doigt sur son arête du nez, puis sur sa joue, retraçant sa balafre. Comme pour s'assurer qu'il était bien là, devant elle en chair et en os. Un léger sourire, affaibli, se dessina sur les lèvres de la démone.
— C'est vraiment toi...
— Qui d'autre ? demanda Ren en lui souriant.
Cette réaction le rassurait, plus que le brun ne l'avait imaginé. Ça le rassurait sur le fait que Sarah n'était pas elle-même lors de leur dernière rencontre. Que son comportement inexplicable était peut-être dû à du stress ou un événement qui l'avait changé temporairement.
— Ren... Pardonne-moi... lâcha la démone. Pour la dernière fois... Je... Je n'étais pas... J'ai vraiment été horrible avec toi.
— Ce n'est rien.
— J'ai voulu te poignarder ! rappela Sarah en se redressant. Je t'ai à peine adressé la parole, le peu que je t'ai dit c'était juste immonde et j'ai dû te sembler... glaciale !
— Je suis sûre que t'avais une raison, dit Ren, déterminé à lui trouver des excuses.
Sarah secoua la tête et se mit en tailleur sur matelas. Des larmes commençaient à inonder ses yeux.
— Non. J'avais beau être à cran et avoir la tête dans le guidon, je n'aurais jamais dû te parler comme ça et essayer de t'agresser alors que... Ça fait cinq ans que... Tu m'as tellement...
Sentant sa voix commencer à se briser, Ren ne put retenir son élan vers elle. Il l'enlaça et la serra contre lui. Sarah se tut, les yeux écarquillés de stupeur, alors que le brun s'agrippait à elle comme à une bouée de sauvetage, la tête enfouie sur son épaule. La démone lui rendit enfin l'étreinte en fermant les yeux pour retenir ses larmes. Leur enlacement venait de combler quelques unes des années passées loin l'un de l'autre.
— Pardon, s'excusa Ren en s'écartant. Je ne sais pas ce qui m'a pris... Je suis juste...
Il n'avait pas pu lui dire la dernière fois, alors il profita de l'occasion :
— Je suis juste content de te revoir après tout ce temps.
Ren crut voir les yeux de lave de la démone se rallumer, reprendre leur sublime éclat orangé et plein de vie.
— Moi aussi... Moi aussi je suis heureuse de te retrouver.
Ils s'échangèrent un sourire, un regard, n'ayant pas plus besoin de mot pour exprimer ce qu'ils ressentaient sur le moment. Ren sentit sa petite bulle de bien-être éclater quand la porte de la salle de bain s'ouvrit. Il avait oublié qu'il n'était pas seul... Si Talia avait migré vers son lit et dormait déjà sous sa couette, il restait tout de même Gabi, Luka et Scorpio dans la pièce. Plus Charlie qui venait de sortir de la salle d'eau.
— Oh Sarah tu es revenue à toi ! piailla-t-elle. Ça va mieux ma belle ?
La démone posa les yeux sur la journaliste blonde. Lentement, elle observa le reste du groupe, auquel elle n'avait pas tellement prêté attention depuis son réveil.
— Charlie ? Scorpio ? Mais qu'est-ce que...
Ses yeux s'ouvrirent en grand quand elle vit enfin Gabi, échoué sur son lit. La brune leva la main en guise de salut. La démone se leva soudain de son matelas.
— Gabi ??
Avec des pas maladroits, Sarah partit à la rencontre de son amie de lycée. Gabi se leva à son tour et la rattrapa alors qu'elle tombait. Très peu tactile, la brune se laissa tout de même enlacer par la démone, presque en larme.
— Mais... comment ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— On te dira tout plus tard, promit Gabi en la prenant par les épaules.
Émue, Sarah lâcha un petit rire en retrouvant le visage de son amie. Elle se tourna vers Scorpio et Charlie.
— Et vous ? Qu'est-ce que...
— Je sais la miss, dit Scorpio. Tu ne pensais pas nous revoir dans un endroit pareil, sept ans après notre dernière rencontre et surtout dans ce monde. On t'expliquera.
— Mais on est contents de te revoir, ajouta Charlie. Qu'est-ce que tu as changé : tu es devenue si belle !
Sarah lâcha un rire jaune, fatigué.
— Ne dis pas de bêtises... Je ressemble plus à rien. Un tas de muscles, tailladé et brûlé de partout... En plus je suis dégueulasse...
— Tu veux aller te laver un coup ? proposa Gabi.
— Je dis pas non...
Encore prise de vertiges, Sarah manqua de tomber de toute sa hauteur. Charlie aida Gabi à la porter.
— On va te filer un coup de main, dit la blonde. Et c'est non négociable, ce serait bête que tu tombes dans la baignoire et que tu te brises la nuque. Crois moi, ça fait pas du bien, rajouta-t-elle, sous entendant que ça lui était déjà arrivé...
Sarah ne protesta pas, acceptant la main tendue. Escortée par Gabi et Charlie, elle se rendit à la salle de bain.
— Toi là, fit Charlie en indiquant Scorpio.
— Quoi « moi là » ? lui répliqua son compagnon qui peignait ses longs cheveux de jais.
— Rends nous service et change les draps, demanda la blonde. Et défense d'entrer tant qu'on n'a pas fini.
— Bien reçu chérie...
Sur ce, les trois femmes s'enfermèrent à la salle de bain. Résigné et obéissant à sa compagne, Scorpio se débarrassa des draps couverts de sang et de crasse. Il en fit un tas dans un coin de la pièce et refit le lit avec une literie sentant encore la lessive de la laverie.
— Comme ça notre Luka maniaque ne fera pas de crise cardiaque, dit-il avant de quitter le dortoir chargé du linge sale.
Assis à même le plancher, plongé dans ses pensées, Ren attendit que le temps passe. Il repensa à la conversation avec la démone... Puis cette étreinte, maladroite et imprévue... Il se passa une main au visage en se traitant d'imbécile. Et Scorpio qui lui parlait de se maîtriser... En cet instant précis il n'avait eu aucun contrôle et avait laissé son corps agir tout seul pour enlacer Sarah. Il n'expliquait pas ce geste, il en avait juste eu besoin. Comme pour s'assurer que c'était bien elle, qu'elle était bien là...
À bien y repenser, il aurait pu s'en prendre une pour avoir osé tenter le câlin furtif. Bah. Sarah était sûrement encore un peu dans les vapes, elle n'avait donc pas pu réagir comme elle l'aurait fait d'habitude. À savoir s'écarter brusquement en lui demandant ce qu'il foutait. Avec une baffe en prime. Cette simple perspective le dissuada de recommencer un jour, quand elle sera en pleine possession de ses moyens.
Une bonne demi-heure plus tard, alors que Scorpio était revenu et que tout le monde hormis Ren s'était couché, les filles sortirent enfin de la salle d'eau. Charlie partit étendre la serviette de bain et Gabi soutenait une Sarah propre comme un sou neuf. La brune lui avait prêté un de ses shorts de pyjama et un de ses teeshirts trop grands, arborant le logo du groupe de rock Evanescence.
— Si on m'avait dit qu'un jour je te donnerai le bain... fit Gabi.
— J'avoue que je ne m'attendais pas à des retrouvailles aussi intimes avec toi, railla Sarah en lui faisant un clin d'œil.
Les jeunes femmes ricanèrent entre elles et se sourirent l'une à l'autre, complices. Sans savoir pourquoi, Ren était heureux de les voir ainsi toutes les deux.
— La place est libre, lâcha Gabi d'un ton monocorde au moment de le croiser.
Question amabilité, on avait vu mieux. La brune aida Sarah à s'asseoir sur son lit. La démone pesta qu'elle pouvait se border toute seule. Gabi lui conseilla de dormir un peu, en lui promettant qu'on lui expliquera tout dès le lendemain. Intérieurement, Ren aussi espérait avoir des explications à propos de la démone. Sous le pommeau de la douche, il lista toutes ses interrogations. Que faisait-elle ici, dans les Cryptes ? Pourquoi avait-elle eu ce comportement lors de leur première retrouvaille ? Y avait-il une raison pour qu'elle tue cette déchue, dans cette galerie ? Et quel avait été ce truc à faire ? Pour le moment Ren avait juste besoin d'une bonne nuit de sommeil...
La soirée avait été très longue... Entre le combat au Colisée qu'il avait manqué, l'altercation avec ces trois connards, le retour inattendu de Sarah, son cauchemar avec Stone alors qu'il dormait dans la baignoire, la disparition de Luka puis la discussion avec ce dernier et enfin la prise en charge de la démone blessée, Ren avait l'impression de souffler pour la première fois depuis des heures... Mais la pause sera de courte durée : dans quelques heures ils auront rendez vous avec les jumelles Faïza et Astrid.
De retour dans le dortoir silencieux, hormis les ronflements de Talia et de Luka qui avait trop bu, Ren partit s'enrouler dans ses draps. Il ouvrit sa boite à somnifère et les compta, comme à son habitude. Il allait bientôt être à court de ses médicaments... Il soupira, en avala un, puis coupa un deuxième en deux pour économiser les cachets. Il goba la moitié du comprimé et but un coup à sa bouteille d'eau qu'il posa sur son chevet. Il regarda une dernière fois Sarah, dans le lit juste en face du sien. Mains croisées sous la tête, elle observait le plafond et ses toiles d'araignée. Elle était toujours ainsi quand Ren sombra dans le sommeil.
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