Chapitre 12 : Les combattants masqués


Luka passa les jours qui suivirent à ruminer ses pensées, ne prêtant quasiment aucune attention à ce qui se disait dans le bar. De toute façon, les gens ne faisaient que répéter en boucle les moindres détails du combat que tout le monde avait vu. Ça et ils radotaient sur leur jiangshi et leurs cadavres de déchus. Affairé à la préparation de ses cocktails, le roux n'en pouvait plus d'entendre la même chose dans chaque conversation...

La seule chose qui le préoccupait était ce plan B... Plus les jours passaient, plus l'échéance du combat d'arène se rapprochait et plus les autres lui mettaient la pression. Et à chaque fois il revenait sans la moindre information supplémentaire sur Isaac ou sa famille... Dès le premier jour, Luka avait catégoriquement refusé d'appliquer ce plan à la noix : il n'y arrivera et n'y survivra pas ! Il avait décidé d'ignorer les autres et attendre que ça se passe. De toute manière, ils trouveront forcément Faïza et Astrid en fouinant l'hypogée du Colisée, alors lui ne servirait à rien.

Pourtant...

Pourtant plus la date buttoir se rapprochait, plus le roux sentait la culpabilité l'envahir... On lui demandait de faire quelque chose, on comptait sur lui et il allait échouer. Juste parce qu'il n'avait même pas essayé. Ce plan lui était inconcevable et le rebutait, mais la mission des Gardiens n'était-elle donc pas plus importante que sa petite personne ?

À contre cœur il décida de tenter... C'était le tout dernier service avant le combat. Il n'avait aucune idée de comment il allait s'y prendre, mais il devait tirer des informations de la part d'Isaac et chercher à l'accompagner dans sa tribune ce soir. Sur le chemin il passera par l'hypogée pour assister au briefing des combattants, vérifier que c'étaient bien les Gardiennes, en profiter pour faire le pacte de sang et le tour était joué !

Maintenant comment procéder ? Parce qu'en prenant cette décision aussi tard, à quelques heures à peine du coup d'envoi du combat, il n'avait littéralement aucune marge de manœuvre. Pas le droit à l'erreur, pas le droit de perdre la moindre seconde, rien ! Il s'était tout seul mis dans une situation catastrophique sans aucune chance de réussite. Abruti !

— Au fait Luna, t'es de fermeture ce soir ! lança Crystal.

Le timing était beaucoup trop beau pour être vrai... Luka lui demanda de répéter, comptant sur le brouhaha du bar pour justifier le fait de ne pas avoir entendu.

— J'ai dis : t'es sur le planning pour fermer !

— Ah. Okay...

Bon c'était parfait au final... Il en profitera pour discuter avec Isaac, amener la conversation vers le combat et après... Et après... Le cerveau de Luka se bloqua et se mit en off pour terminer le service, tant ce plan B le paniquait et le mettait dans tous ses états. Impossible d'échafauder la moindre stratégie de bataille. Et quelques heures plus tard, il se retrouva comme un idiot sans savoir quoi faire, en train de nettoyer le comptoir avec son chiffon, alors que les balaies magiques s'occupaient de la salle.

A-B-R-U-T-I.

Tel un automate, il rangea les bouteilles d'alcool de contrebande à leur place en se disant qu'il était foutu. Il n'arrivera jamais à exécuter le plan B. Les autres allaient le tueur pour de vrai, ils vont galérer à cause de lui pour trouver les Gardiennes, ça se terminera en bain de sang parce que c'était sûr qu'elles étaient des brutes sanguinaires et ils vont tous mourir pour de vrai et la mission des Gardiens repartira à zéro et tout ça à cause de LUI.

— Oh t'es encore là toi ?

Luka se releva d'une traite en manquant de crier comme un malade mental. Il fit volte face et croisa le regard mordoré d'Isaac. Le patron de La Plume cendrée venait de sortir de la réserve et s'avança derrière le bar pour se rapprocher de Luka. Le barman se hissa sur le comptoir pour s'y asseoir.

— Je te croyais au spectacle ! s'exclama le roux.

Logiquement, vu l'heure à laquelle commençait le combat, Isaac aurait dû être dans les tribunes ou quelque part pour être en avance et faire on ne sait quoi en tant que capitaine !

— J'ai encore une demi heure, justifia le barman en pianotant ses doigts vernis de noir sur le comptoir. Je me suis dis que j'allais mettre mon temps à profit pour revenir te voir.

— AH, glapit Luka sans pouvoir se retenir avant de plaquer une main sur sa bouche et se reprendre : ben je vais me dépêcher pour ne pas être en retard au spectacle. Je ne voudrais pas rater ça.

Il s'empressa de finir de ranger les bouteilles, avant de reprendre son chiffon et son produit pour nettoyer certaines tables que le matériel de ménage magique avait boudé... Tendu il passa un coup de chiffon sur une première table basse, sous l'œil attentif d'Isaac. Le silence pesant qui s'installa pendant un long moment l'incommodait pour une fois...

— J'aime bien le thé, lança soudain le barman.

Dérouté, Luka cessa de laver sa table pour redresser le menton vers lui. Isaac lui sourit en penchant la tête sur le côté.

— Je vois bien qu'aucun sujet de conversation n'a l'air de vouloir venir, alors on peut juste se dire des trucs sans intérêt. Chacun son tour, donc moi d'abord : j'aime bien le thé au caramel. Et toi ? T'aime quoi en boisson ?

Déstabilisé le roux mit un temps avant de répondre et il réalisa qu'il ne fit que répéter ce que venait de dire Isaac :

— Moi j'aime bien le thé au caramel...

Nouveau sourire qui le fit détourner le regard. Il reprit un semblant de cadence et passa à une autre table.

— À toi, invita Isaac.

— Euh... Ben... J'aime bien les gaufres.

Ça lui était venu comme ça. C'est vrai qu'il adorait cet aliment. Avec de la pâte à tartiner aux noisettes. Ça faisait six ans qu'il adorait en manger. Peut-être parce que c'était la première chose qu'il avait mangé au moment de rencontrer les Gardiens. Ce jour là, sur la promenade du port du Havre, il mourrait de faim. Ren et Stone, ces deux jumeaux tarés, l'avaient ramené avec eux et lui avaient donné des gaufres en attendant le dîner. C'était juste avant le tournant de sa vie, le début de son existence de Gardien alors oui : il aimait les gaufres et elles avaient une certaine symbolique.

— Crêpe, répliqua Isaac avec un rictus de défi. Tu peux en faire des tonnes avec chacune une garniture différente.

— Non gaufre, rétorqua Luka. T'en manges une et t'es calé. En plus chaque petit carré peut contenir tout plein de garniture, comme de la pâte à tartiner. Donc les gaufres sont les meilleures.

— Ton carton tout sec ? Les crêpes c'est bien mieux.

— Tes éponges toutes fades ?

Isaac arqua un sourcil amusé avant de rire. Sûrement par mimétisme, Luka se joignit à lui. Il n'avait aucune idée de pourquoi il riait tout d'un coup, mais ça lui fit du bien de lâcher un peu de leste. Le barman descendit de son comptoir et vint lui filer un coup de main dans son opération de nettoyage. Au fil des tables ils continuèrent un jeu de questions réponses, comme un ping pong, avec des informations sans intérêt sorties de façon aléatoire.

— J'ai vingt six ans, lança Isaac.

— Ah je te pensais plus vieux, dit Luka. Enfin pas physiquement ! se rattrapa-t-il. C'est ta situation qui prête un peu à confusion...

Mais comme à chaque fois, le barman ne fit qu'un sourire amusé.

— Moi j'ai vingt-cinq ans, répondit le roux. À mon tour : j'ai des pouvoirs de glace.

— Tricheuse, je le savais déjà ça, rigola Isaac. Mais on va rester honnêtes pour ce jeu. Moi je maitrise l'éther. Un des pouvoirs de soin et de guérison les plus efficaces au monde.

Luka resta émerveillé en apprenant que le barman possédait ce genre de magie. Il aspergea du produit désinfectant sur la table et passa son chiffon. Le reflet de Luna apparut nettement sur la surface de verre. Luka décida alors de tenter un coup de poker, profitant du fait que le jeu du ping pong durait depuis assez longtemps et que chacun répondait honnêtement à chaque information.

— J'ai une sœur aînée que je déteste, dit-il.

— J'ai deux sœurs cadettes que j'adore, répliqua Isaac.

Bingo...

— La chance, poursuivit Luka. Ma grande sœur m'a exécré dès le plus jeune âge. Tes sœurs ont de la chance d'avoir un grand frère qui les aime.

— Disons qu'on a toujours été très proches tous les trois. J'ai que peu d'écart avec elles et on s'entend super bien. De vrais triplés qui faisaient tourner en bourrique le monde entier !

Les théories capillotractées semblaient justes : Isaac avait bien deux sœurs. Restait à savoir si c'étaient bien Faïza et Astrid Aquila...

— À mon tour, continua le barman.

Mais avant de dire quoi que soit, quelque chose vibra dans la poche de son sarouel bleu-vert. Isaac en sortit ce qui tenait lieu de téléphone dans ce monde – un smartphone ou portable selon les dires des autres – et il consulta l'écran. Il leva la tête vers l'horloge murale du bar.

— Merde j'avais pas vu l'heure. Pour le coup je vais être à la bourre pour le spectacle.

— Ah mince, moi aussi ! s'affola Luka.

Il s'empressa de finir sa table puis rangea rapidement son chiffon et sa bouteille de produit.

— Bon sang, j'y serai jamais à temps ! s'exclama-t-il en regardant l'heure à l'horloge. Avec toutes les cryptes à traverser... Désolé je dois filer, je ne dois pas manquer le début du combat !

— Ben attends, fit Isaac.

Luka dérapa sur le carrelage alors qu'il courrait vers la sortie. Il se retourna et regarda le barman.

— Je connais des passages secrets par ici qui accéderont directement à l'hypogée du Colisée. Viens avec moi, ça ira plus vite. Je passerai vite fait voir mes champions avant le combat et après on rejoindra la tribune. La vue sera meilleure en plus, t'en dis quoi ?

Il fallut un long moment à Luka pour réaliser que Isaac venait de mâcher le boulot du plan B. Le roux n'avait pas eu besoin de forcer, pas besoin de stratégie foireuse : le barman l'invitait de lui-même dans sa tribune... Il allait pouvoir vérifier lui-même, dans l'hypogée, si Remus et Romulus étaient les personnes que les Gardiens cherchaient ! Il approchait du but.

— Si ça te dérange pas... commença le roux avec prudence.

— Bien sûr que non ! Ça va être sympa même. Toi, moi, en train d'aller à un spectacle : vois ça comme un rencard, ajouta Isaac avec un clin d'œil.

Les joues de Luka prirent la même couleur que ses cheveux de feu et une horrible bouffé de chaleur accompagna la pigmentation de son visage.

— Un... QUOI ?

— Je déconne, plaisanta Isaac. Allez viens, sinon on va vraiment être à la bourre !

Il s'empressa de rejoindre la porte de son bar, attrapa le poignet de Luka au passage et après avoir fermé il escalada l'escalier à toute vitesse en trainant le roux derrière lui. Le barman avait un grand sourire au visage et ses yeux dorés pétillaient. Comme si aller à un spectacle accompagné avait ramené un peu d'intérêt dans sa vie. Quant à Luka il ne s'entendait même plus penser tant son cœur cognait fort dans sa cage thoracique. Admettons qu'il puisse penser à quoi que ce soit en ce moment...

Au lieu de traverser le pont du canal pour ensuite descendre au Colisée, Isaac prit un rapide virage à gauche une fois en haut de l'escalier de son bar. Face à un mur de briques brunes, il lâcha le poignet de Luka pour glisser ses mains dans une fente. Après avoir forcé sur ses bras tatoués, il déplaça un pan entier de mur, révélant un passage secret juste derrière.

— On descend ça et on sera presque immédiatement à l'hypogée, dit-il. Suis-moi.

Le cerveau en coton, Luka lui emboîta le pas. Il posa ses mains glacées sur ses joues pour les refroidir un peu et s'engouffra dans le passage secret. Les marches de pierre se succédèrent, parfois irrégulières. La descente dura une bonne éternité. À mi chemin, Luka pouvait entendre au loin le grondement de la foule en train de prendre place dans les gradins du Colisée. Des dizaines de marche plus bas, ils posèrent enfin pied sur le terrain plat de l'hypogée.

La lumière chaleureuse des torches était presque éblouissante comparée à l'obscurité du passage secret. Luka découvrit un grand couloir au sol, aux murs et au plafond en pierre, légèrement circulaire. Des traces d'infiltration serpentaient sur les murs depuis la voute, en compagnie de cultures de mousses et de champignons profitant des conditions humides des lieux. Le roux rattrapa Isaac en train de s'éloigner dans une sorte de couloir secondaire, sous une arche de pierre. Une enfilade d'anciennes cellules s'étendait de chaque côté de ce couloir. Des salles de préparation, contenant armures, râteliers et autres.

— Je vais passer en coup de vent voir Remus et Romulus.

— Ils ont été impressionnants face aux favoris, la semaine dernière, dit Luka qui avait retrouvé sa langue.

— J'ai été le premier surpris, confia Isaac en se grattant la tête. Je n'étais absolument pas sûr de moi ce soir là, même en envoyant mes combattants les plus forts. J'étais même prêt à abandonner le combat quand ça a tourné au vinaigre. Seulement...

— Tu as failli te prendre un coup de couteau dans la main en voulant appuyer sur le buzzer... compléta Luka.

— Oui...

Il semblait plein de regrets.

— Au moins tu leur as laissé une chance de gagner, rassura Luka.

— On peut voir les choses comme ça aussi. Mais là ce soir, elles vont se coltiner un dragon : au moindre danger j'arrête tout.

Le cœur de Luka manqua un battement. « Elles »... Remus et Romulus étaient bien des femmes.

— Elles ? fit-il pour alimenter la suite.

Isaac ralentit le pas en pinçant les lèvres, dans une expression qui laissait entendre qu'il en avait trop dit.

— Bah. Vu que t'es mimi et que je t'aime bien, je suppose que tu peux le savoir... Remus et Romulus sont des femmes oui.

Luka manqua de louper l'information, son cerveau ayant buté sur la première... Mimi... ? Il l'aime bien... ? Il s'administra tout de suite une gifle mentale pour se remettre les idées en place. À quoi il pensait bon sang ?? Comme si c'était possible d'abord ! De toute manière, il était encore sous couverture et déguisé en « Luna ». C'était elle qui était mimi et que Isaac aimait bien, pas lui. Il fallait qu'il se détache et qu'il arrête.

— Les voici justement ! s'exclama le barman, le sortant de ses pensées.

Ils venaient d'arriver devant une salle de préparation, à quelques mètres à peine des grilles débouchant sur la fosse de l'arène. Des bancs en bois entouraient une table centrale, il y avait un sac de frappe vomissant sa garniture de mousse dans un coin et il était impossible de circuler sans se cogner dans une pièce d'armure ou une arme.

— Bonsoir les affreuses ! lança Isaac en s'avançant dans la salle.

— Bonsoir gourdasse !! rétorqua une voix de femme.

Elle provenait de derrière un grand rideau couleur crème, tiré devant une bonne partie de la pièce. Luka cogna dans un casque en fer posé sur la table et le fit tomber. Il se traita mentalement d'empoté et le ramassa. Ses yeux se posaient à peine sur la fente du casque que le rideau s'ouvrit d'un seul coup, avec un bruissement de tissu.

— Eh toi !! cria la voix de tout à l'heure. Tu poses ça et tu touches à tes fesses !!

— 'Tain Astrid, ferme ce rideau je me change !

Les yeux mauves de Luka s'écarquillèrent en découvrant la propriétaire de cette voix. Face à lui, une femme immense et musclée s'avançait en tapant furieusement les semelles en métal de ses bottes contre la pierre du sol. Sa peau était un peu pâle. Ses cheveux blanc et bouclés étaient rassemblés en trois nattes, une tombant dans son dos et les deux autres sur ses épaules. Enfin elle avait les yeux vairons : celui de droit était noir et confondu avec la pupille tandis que le gauche était jaune clair. Un trait d'eye-liner entouraient ses yeux et rappelaient un peu des yeux d'aigles, cernés de noirs

Luka manqua de s'étouffer avec sa salive devant la furieuse impression de déjà vu qui le traversa de part en part à la vue de l'œil en nacre. Ses pensées n'eurent pas le temps de formuler « c'est elle !! » que la femme lui arracha le casque des mains. À moins de cinquante centimètres de lui, Luka réalisa soudain qu'elle était vraiment grande. Un mètre quatre vingt sûrement, vu qu'elle lui mangeait aisément sur la tête.

— C'est qui ça ? questionna-t-elle en le reluquant de la tête au pied.

— Une collègue, répondit Isaac en s'asseyant sur la table, les pieds posés sur le banc. Elle s'appelle Luna.

— C'est ta nouvelle copine ? Tu l'as déjà foutue dans ton lit celle là ou pas ?

— Non je l'ai invitée au spectacle, corrigea Isaac, une pointe d'agacement dans la voix.

— Pfffff ! Invité ?? s'étonna la femme. Wow. Tu changerais enfin de stratégie pour te taper tes serveuses ?? Bravooooo Isaac !

Le barman lui jeta un regard froid puis leva son majeur accessoirisé d'une bague en métal noir. La femme aux tresses blanches lui tira la langue. Isaac tourna ensuite la tête vers Luka qui se sentait bien petit et gêné.

— Excuse ma sœur Astrid, dit-il d'un air tendu. Elle manque de politesse parfois. Non, pas parfois : tout le temps ! ajouta-t-il en fixant la jeune femme.

Astrid lui adressa un doigt d'honneur sans ciller.

— Sinon, ta sœur va bien ? demanda Isaac en l'ignorant.

— Elle veut pas te parler ! siffla Astrid.

— Je suis là, fit la copie de sa voix.

— Tu fais chier Fa' ! pesta Astrid, apparemment vexée qu'on la contredise.

Le rideau s'ouvrit entièrement sur une deuxième femme, tout aussi grande que la première. En terme de physique, c'était la copie conforme d'Astrid. Sauf que sa peau était couleur cannelle et ses cheveux bouclés et châtains sombre étaient tirés en queue de cheval. De nombreuses cicatrices criblaient ses bras tout en muscles. Son œil gauche était jaune tandis que le droit était grisé, clair, nacré et sans pupille, tel un œil d'aveugle. Comme les yeux des rapaces, les siens avaient les mêmes motifs noirs tout autour.

— Prête pour ce soir Faïza ? questionna Isaac.

— Et moi alors, tu t'en fous c'est ça ??? s'offusqua Astrid.

— Prêtes à pourfendre un dragon quoi... marmonna Faïza.

L'impression de déjà-vu se renforça et Luka bondit intérieurement de joie. Il les avait trouvées ! Il avait trouvé Faïza et Astrid Aquila ! C'étaient elles ! C'étaient celles qu'ils cherchaient depuis tout ce temps à Kyklona ! C'étaient Remus et Romulus ! C'étaient les sœurs cadettes d'Isaac ! Il avait réussi !! Il eut du mal à garder son effusion de joie pour lui et cela dut se voir de l'extérieur puisqu'une des jumelles braqua ses yeux vairons d'aigle sur lui.

— Pourquoi elle sourit comme une débile elle ? cracha Astrid. Ça t'amuse de savoir que notre capitaine nous envoie à la mort face à un putain de DRAGON ?

— En y repensant t'es juste un grand malade mental Isaac, enchaîna Faïza.

— Ah mais ça c'est pas un scoop !! rectifia sa sœur.

— Des humains je veux bien, mais un dragon ??

— Z'avez qu'à déclarer forfait, fit innocemment Isaac en levant les deux mains.

— Jamais de la vie !

— Alors vous auriez dû me laisser appuyer sur le buzzer la semaine dernière, déclara Isaac.

— On en a déjà discuté, dit Faïza en serrant des sangles de pièces d'armure autour de ses avants bras. Tu dois nous faire un peu confiance frangin. On est fortes toutes les deux, faut juste nous laisser une chance de briller !

— Ou juste le temps de combattre !! pesta Astrid. Ne t'avises pas d'approcher tes sales pattes de pervers de ce bouton buzzer à la con !

— Ou s'il faut négocier : laisse nous un quart d'heure minimum avant d'appuyer. Et pas cinq minutes à peine comme la dernière fois !

— Ah donc si une de vous deux se fait bouffer, j'attends le quart d'heure et je regarde ? proposa Isaac avec impertinence.

— Je suis sûre que tu serais content car ça te débarrassera de nous ! cracha Astrid. En fait je suis certaine que t'as fait exprès de nous mettre face à cette bestiole pour te débarrasser de nous deux !!! Une pierre deux coups !

— Roh lo lo, ce qu'il faut pas entendre, soupira Isaac. Quel sketch tu me fais. Tu sais très bien que je vous adore plus que tout au monde toutes les deux. Et je sais que vous êtes très fortes et imbattables : c'est pas un dragon de rien du tout qui enterrera Remus et Romulus. Alors arrête de faire la gamine Astrid. Ton numéro prend pas avec moi.

Isaac afficha un grand sourire à sa sœur qui lui tira la langue. Luka sentit son corps se pétrifier quand il remarqua que Faïza ne disait rien depuis un moment, mais le regardait. Un haut parleur accroché au mur annonça que Remus et Romulus devaient se tenir prêts pour dans cinq minutes. À ces mots, Faïza enfonça son casque en métal sur la tête.

— Pff on va devoir y aller, grommela Astrid. Toi retourne donc dans ta tribune avec ta petite copine pour nous regarder gagner de l'argent à ta place !

— C'est exactement ce que je vais faire ! ricana Isaac. En sirotant un cocktail tiens.

— Abruti.

— Allez mes frangines : bonne chance quand même et bisous ! conclut Isaac en leur envoyant un baiser avec la main. Tu viens Luna ?

Le barman descendit de sa table et prit la direction des couloirs de l'hypogée. Luka ignora le regard flippant de Faïza au travers de la fente de son masque et celui courroucé d'Astrid et rattrapa Isaac en trottant. Soulagé d'être sorti de cette salle de préparation contenant ces deux brutes de Gardiennes, il s'autorisa à soupirer.

— Je sais : elles sont casse bonbons, compatit Isaac. Mais détrompe toi : on s'adore et on s'aime tous les trois.

— Elles sont hyper impressionnantes vu de près. Ce sont des jumelles ? demanda-t-il.

Histoire de confirmer... et d'alimenter la conversation.

— Yep. Astrid a été oubliée dans un bidon de javelle à la maternité, donc c'est pour ça qu'elle est un peu décolorée... Nan je déconne, dit Isaac en voyant l'air dérouté de Luka. Elle est albinos. Mais sinon elles se ressemblent comme deux gouttes d'eau.

— Et Faïza te ressemble énormément, continua Luka l'air de rien.

— Beaucoup disent que c'est moi en fille et que elle c'est moi en garçon. En fait tous les trois, on se ressemble vachement. En plus comme on a peu d'écart et une relation assez fusionnelle les gens ont tendance à nous prendre pour des triplés.

— T'as de la chance... répéta Luka.

Lui... Sa sœur aînée l'a détesté à partir du moment où il était né. Tout ça parce que c'était le « garçon » et donc « l'héritier » de la famille, du manoir au Havre et de tout l'armada du port... Et aussi parce qu'il avait accaparé l'attention de ses parents. Il était beau, gentil, mignon, charmant, intelligent, doué en escrime, en piano et en danse. Le fils de riche parfait. Sa sœur n'en finissait plus de se venger sur lui de toutes les manières possibles, contrairement à sa mère qui chantait ses louanges.

Jusqu'au soir où sa sœur avait vu Thoma lui donner une rose. Elle avait vu le regard et le sourire que les deux garçons s'étaient échangés. Elle avait fait le lien avec pas mal de choses qui la turlupinaient à propos de son frère. Elle avait deviné. Le soir au dîner, elle lui avait innocemment demandé pourquoi il souriait comme un imbécile heureux à chaque fois qu'il voyait Thoma. Pourquoi il passait ses journées à l'observer d'un air rêveur. Pourquoi les deux étaient si tactiles entre eux. Ainsi elle l'avait livré à ses parents, pour être détruit, démoli, humilié. Luka s'était retrouvé idiot face à ce déluge de questions auxquelles il n'avait même pas la réponse... Acculé, au pied du mur, il avait vu le regard de ses deux parents changer en réalisant ce qu'il était...

Sa sœur l'avait dénoncé pour sa satisfaction personnelle. Il se souvenait encore de son sourire sadique à l'autre bout de la table. Elle avait assisté en jubilant à la descente aux enfers de son frère. C'était à partir de ce soir là que ses parents avaient radicalement changé leur comportement avec lui. Ils l'avaient séparé de Thoma. Lui avaient interdit bon nombre de choses. Lui jetaient des regards dégoûtés, l'insultaient, l'humiliaient, le frappaient. Toujours avec son aînée dans les parages pour admirer le spectacle et lui rappeler qu'il avait cessé d'être ce fils parfait et idéal. Tout ça parce qu'il aimait un garçon...

On est fiers de toi Luka !

T'es qu'une traînée Luka...

Une larme roula sur sa joue alors que pensées venaient de faire remonter les démons tapis en lui. Malgré les années, malgré les Gardiens, malgré sa nouvelle famille, ils étaient toujours là... Ce qu'il avait vécu, toutes ses blessures émotionnelles étaient encore là, toujours aussi vives.

— Eh, ça va ? fit Isaac d'une voix douce en le voyant pleurer.

Un frisson le parcourut et Luka préféra faire un pas de côté pour s'éloigner de lui. Il n'avait pas le droit... Le fil de barbelé et les chaînes qu'il avait lui-même forgés pour se protéger se serrèrent encore autour de son cœur. Formant une petite carapace pour protéger les miettes de son muscle cardiaque... Plus jamais il ne le laissera battre et comme ça plus personne ne le tourmentera.

— Eh. Ça va te changer les idées le combat. Je te le promets ! assura Isaac en attrapant la poignée en anneau d'une porte au sommet d'un escalier.

Luka leva le nez en essuyant ses joues. Isaac lui fit un sourire qui ne lui fit rien. Puis le barman ouvrit la porte donnant sur la tribune des capitaines et sur l'immensité de la crypte du Colisée...

***

Dans la salle d'attente, Faïza aidait sa sœur Astrid à finir d'enfiler son armure. Elle serra les sangles de son plastron puis lui ramassa son masque en métal. Ses mouvements assez mous et son silence furent perçus par la benjamine des jumelles comme une marque de nervosité.

— Allez frangine, encouragea Astrid en lui filant un coup de poing sur l'épaule. On va l'éclater ce dragon.

— C'est pas pour ça que je tire la tronche, riposta Faïza en lui enfonçant son casque sur sa tête.

— Ah. C'est parce que c'te gourde d'Isaac va appuyer sur le buzzer après quoi... deux minutes de combat ? poursuivit Astrid d'une voix déformée par son masque. Nous laissant donc aucune chance de prouver notre valeur face à l'affreuse bestiole.

— C'est pas ça non plus. Puis tu sais qu'il veut nous protéger !

— Alors quoi ?

— C'est cette « fille »...

— La « rousse » ?

— Il... Tu n'as rien trouvé d'étrange en la regardant ?

— Sa poitrine m'a semblée bizarre... Sa carrure aussi d'ailleurs. Et j'ai l'impression de l'avoir déjà croisée. Il y a longtemps. Mais on s'en serait souvenu je pense !

— Exactement. J'avais l'impression de la connaître dès que je l'ai vu. Et... J'ai aussi senti Nacre en train de regarder par mes yeux et écouter par mes oreilles.

— Pareil !! Pearl était juste là en train d'observer !

— Pourtant y a strictement rien dans notre monde qui les intéresse d'habitude.

— Et là elles se sont montrées dès que cette fille est rentrée !

Un silence s'installa entre les jumelles. Une annonce au micro leur signala de commencer à s'avancer vers la grille. Après avoir saisi glaive et bouclier, les deux combattantes masquées se dirigèrent vers l'accès à la fosse. Elles s'arrêtèrent devant la grille fermée. L'arène était encore vide : le dragon rentrera certainement un peu après elles. A contrario les gradins étaient bondés et le brouhaha hystérique de la foule était assourdissant.

— Dis Fa'...

— Hum ?

— Tu crois que ces histoires ont fini par nous rattraper ?

— Tu penses à ce que je pense ?

— Comme toujours. Cette « fille » n'est pas là par hasard, je le sens. Cette impression de déjà vu...

— Tu crois que les Gardiens ont fini par nous retrouver, c'est ça ?

— Je pense... On fait quoi du coup ?

— Pour l'instant on suit les consignes des Veilleurs.

— On peut toujours voir ce que veux cette fille... ?

— Oui. Après on avisera. Mais faudra choisir entre les consignes de notre famille et ce « devoir de Gardien »...

— Mouais... fit Astrid. En attendant on a du dragon à fracasser !

La grille coulissa vers le haut dans un chuintement de rouille et les deux jeunes femmes foulèrent le sable de l'arène, acclamées par la foule. Remus et Romulus se firent un check avec l'avant bras et le dos du poing fermé.

— J'aurais quand même bien envie de passer vite fait dans la gueule du dragon juste pour faire chier Isaac et voir sa réaction, ricana Astrid.

— Fais pas l'andouille Astr'... C'est un coup à ce qu'il nous laisse plus jamais combattre.

— Oh allez ! Tu sais très bien qu'il est gaga de nous : on peut faire toutes les conneries du monde, il pourra jamais rien nous refuser !

— Bon allez : juste pour le faire chier on va jouer avec le feu ce soir, accepta Faïza.

Le sol l'arène se scinda soudain en deux et les pans s'ouvrirent sur une fosse encore plus profonde. Au fond de celle-ci il y avait une immense créature reptilienne et ailée. La plateforme sur laquelle elle était se mit à monter jusqu'au niveau de l'arène. Son rugissement fit trembler le Colisée tout entier et provoqua une décharge d'adrénaline chez Remus et Romulus.

La présentatrice clama haut et fort les mensurations et caractéristiques de la bête, pour donner une idée de l'ampleur de la tâche qui attendait les combattants. Il en fallait plus pour effrayer les jumelles. Alors que le signal du début du combat retentissait dans tout le stade, les chaînes entravant le dragon se détachèrent de la créature, le libérant dans la fosse. La bête d'au moins dix mètres se jeta sur les jumelles, sa gueule grande ouverte sur une quadruple rangée de dents.

— Comme d'hab !! cria Astrid avec un sourire.

— Et surtout : on s'amuse et on fait faire un infarctus au frangin !!! ajouta Faïza en dégainant son épée.

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