Chapire 2 : Une famille de coeur


Heureusement pour lui, Ren avait toujours des somnifères pour l'aider à dormir. Sinon l'idée des retrouvailles avec les Gardiens du Premier monde l'aurait empêché de fermer l'œil, en plus de ses terreurs nocturnes habituelles. Il avait un peu honte d'être sous traitement depuis six ans, mais sans ses précieux somnifères il ne dormait plus du tout, saisi par son angoisse de l'obscurité et des chimères qui rodaient à l'intérieur.

Il dormit comme une masse jusqu'à l'aube, sans mauvais rêve et refit ses bagages sans traîner. En une demi-heure il était habillé, cheveux attachés et prêt à partir. Sac sur le dos, il partit rendre ses clés à l'accueil, mangea rapidement un croissant et un café au restaurant du motel et demanda où il pouvait trouver un véhicule. On lui indiqua un magasin de location à quelques rues.

Une heure de palabre plus tard et allégé de quelques dizaines d'euros dans sa carte bleue, Ren fit tourner les clés d'une voiture de location, monta dans le véhicule, claqua la portière et démarra. Il s'attacha, régla son GPS direction Occlasia City. Il n'avait pas remis les pieds là bas depuis la sortie du lycée et s'y rendait en train la plupart du temps. Il était à environ deux heures de route. Il alluma la radio pour s'occuper durant le trajet. Les nouvelles qui y défilaient étaient tout sauf réjouissantes... Voir déprimantes. Ren éteignit l'engin, lassé d'entendre les bilans des attaques d'Ombres en dehors des villes.

La route était déserte. Dans un premier temps, Ren ne croisa aucun usager sur le chemin. Ce fut quand il rejoignit la départementale à moins d'une demi-heure d'Occlasia qu'il se rendit compte que la circulation était plutôt normale. Il se rappela que la ville et ses environs avaient été parmi les premières zones sécurisées du pays, étant le point de départ des invasions d'Ombres. Six ans après la première épidémie, les détraqués et les Ombres avaient déserté la région, la rendant à ses habitants.

Ren ralentit un peu sa voiture en voyant les collines de la ville se dessiner peu à peu. Les forêts et les marais s'étendaient à perte de vue autour des habitations de l'agglomération. Culminant au sommet de la ville, on pouvait voir le château de l'Academy et le campus de l'établissement. Cela lui faisait tout drôle de se retrouver ici cinq ans après.

Il s'engagea en ville, dans un quartier composé d'habitations en rangée le long de la route, modernes et s'élevant sur trois étages. Ren tourna dans une rue et l'aperçut soudain au loin, assise sur une barrière séparant le trottoir de la route. Courbée en avant, une jeune femme observait les coins de la rue, portable en main. Sans savoir pourquoi, Ren sentit un mélange d'appréhension et de hâte en songeant qu'il allait enfin revoir Gabi en chair et en os après tout ce temps.

Ren s'avança en baissant la vitre côté passager et arriva lentement à la hauteur de son amie de lycée. La jeune femme leva le nez de son portable et l'aperçut derrière le pare-brise. Le seul sourire franc et naturel qu'elle savait faire, un mince rictus de travers, s'afficha sur son visage au teint gris. Elle lui indiqua une place de parking, juste devant une Twingo vert chewing-gum. Ren se gara en créneau, tira le frein à main et coupa le moteur. Il récupéra son sac posé sur le siège passager et sortit de la voiture.

Il contourna le véhicule et s'avança à la rencontre de Gabi. Elle avait tant changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Ses cheveux noirs coupés courts étaient propres et brillants comme une aile de corbeau, avec des reflets bleus. Une mèche de cheveux masquait toujours son œil droit en émeraude. Ses yeux cernés de mauve, verts, mi-clos et blasés constituaient l'élément caractéristique de son visage. Son sourire s'élargit un peu plus et Ren s'arrêta à deux pas d'elle.

— Je t'ai presque pas reconnu, dit-elle. Ça faisait longtemps.

— Toi aussi t'as changé, fit remarquer Ren.

Gabi brisa l'espèce de tension entre eux et fit un pas vers lui en ouvrant les bras, sourire en coin. Ren roula des yeux.

— Allez t'as gagné.

Les deux firent immédiatement disparaître le gouffre qui s'était creusé entre eux au fil des années en s'étreignant. Ren serra Gabi dans ses bras, heureux de retrouver sa camarade de destin. Car la jeune femme brune était aussi un Gardienne, celle d'Emerald la Deuxième.

— Je suis contente de te revoir, dit Gabi avec une tape sur l'épaule de Ren.

Le jeune homme ne pouvait qu'approuver. Lui qui se sentait si seul dernièrement était à la fois soulagé et heureux de retrouver une vieille amie. Revoir Gabi gomma une partie de ses années à ruminer seul dans son coin.

— T'as d'autres bagages ? questionna Gabi en rangeant les mains dans les poches de sa veste à capuche.

— Juste mon sac sans fond. J'ai récupéré toutes mes affaires chez moi et je suis parti. Y avait plus rien ni personne là bas...

— Encore désolée pour toi...

— Pas grave, ça m'a donné l'occasion de revenir vers toi.

Gabi s'avança ensuite à la porte d'entrée de l'immeuble juste à côté, tapa un code et ouvrit la porte vitrée du hall. Elle escalada ensuite un escalier jusqu'au troisième étage, suivit par Ren. La brune attrapa une poignée de porte, écrasa le bouton de la sonnette dans le seul but de faire du bruit plutôt que de s'annoncer et elle entra dans l'appartement.

— Quitte tes pompes, Ashe a fait le ménage, conseilla Gabi en retirant ses baskets avec les talons.

La brune posa son téléphone dans une coupelle sur le meuble de l'entrée. Ren déchargea son sac au sol et défit les lacets et la fermeture Éclair de ses rangers. En chaussettes, le sac au bout du bras, Ren suivit Gabi depuis l'entrée jusque dans un grand salon lumineux, naturellement éclairé par une large porte fenêtre orientée plein Sud.

— C'est toi Gabi ? demanda une voix provenant de la cuisine.

Ren reconnut immédiatement l'intonation joyeuse de son prof de sport et de magie du lycée. Il sentit l'excitation l'envahir à l'idée de le revoir.

— Non c'est un cambrioleur, répliqua Gabi avec son sarcasme habituel.

Ren sourit en voyant Ashe débarquer de la cuisine, vêtu d'un tablier par-dessus un jean et un teeshirt. Rarement le brun avait vu le professeur porter autre chose qu'une tenue de sport. Les yeux d'Ashe, couleur péridot, pétillèrent en voyant Ren. Le prof afficha un immense sourire lumineux et blanc, qui contrastait à merveille avec la couleur bronze de sa peau.

— Ren ! Ça fait trop plaisir de te revoir !!

— Moi aussi je suis content de te retrouver, dit Ren.

Le brun accepta l'étreinte d'Ashe, qui était plus qu'un simple professeur de lycée. C'était avant tout un grand ami et un Gardien, celui de Peridot le Cinquième dont il tenait l'œil en cristal à droite. Une partie de ses longs cheveux blancs comme la neige était tirée en demi queue à l'arrière de sa tête, formant une sorte de chignon rapide, tandis que le reste cascadait en ondulations sur ses épaules. Si les comptes de Ren étaient bons, il allait vers sa trente-quatrième année, mais il gardera à jamais son âme d'enfant.

— Alors qu'est-ce que tu deviens ? demanda Ashe avec bonne humeur. Tu dois avoir des choses à nous raconter depuis le temps ?

— Ashe tes oignons... dit Gabi.

Ashe renifla l'air autour de lui avant de se rendre compte que ça sentait le caramel tirant sur le cramé. Il se précipita en cuisine en manquant de glisser et se ramasser la figure sur le carrelage.

— Ouh mince !! Merci Gabi !

Ren et Gabi se pointèrent en cuisine, dont la table était envahie de condiments en tout genre, d'épluchures d'oignons et de saladiers remplis de sauce tomate ou de légumes marinés et coupés finement. Ashe s'affairait devant la gazinière dont les quatre plaques chauffaient chacune une casserole. Le prof alluma la hotte aspirante pour chasser l'odeur de brulé et la fumée opaque qui commençait à envahir la cuisine.

— Qu'est-ce que tu prépares ? demanda Ren.

— Un petit plat bien de chez moi : du rougail saucisse ! répondit Ashe.

— Monsieur Lissandres a beau être d'une maladresse légendaire, il arrive quand même à être doué en cuisine, dit Gabi. On va se régaler tu vas voir.

Ren se demanda s'ils étaient seulement quatre à manger ce midi, car Ashe avait visiblement cuisiné pour un empire. Gabi retourna dans le salon et s'exclama en direction du couloir des chambres au fond de l'appartement :

— Emi, sort de ta grotte ! Ren est arrivé !

Aussitôt des bruits de pas martelèrent le lino du couloir et Ren vit une pré-ado lui foncer dessus en criant. Il n'eut pas le temps de réagir qu'Emi lui rentra joyeusement dedans et lui enserra la taille.

— Coucou Ren !!

Emi leva la tête vers lui avec un sourire dont il manquait les canines et les molaires supérieures. Immédiatement Ren sentit en lui cette petite flamme de joie et d'attendrissement qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps. Emi était vraiment la seule à pouvoir rallumer n'importe quelle bougie dans l'obscurité juste avec son sourire jovial et adorable.

— Qu'est-ce que t'as grandi toi, remarqua Ren.

À douze ans, la tête d'Emi lui arrivait à peu près au niveau de la poitrine. Ses membres étirés et sveltes étaient ceux d'une enfant après sa poussée de croissance. La jeune oni avait des cornes pointues dépassant de son front, la peau rouge, des cheveux blancs et mi longs, attachés en demi-queue derrière la tête et des yeux vairons : le gauche couleur rose-orangé et le droit en diamant. Elle aussi était une Gardienne, celle de Diamond le premier.

— Je suis contente de te voir ! dit Emi en s'écartant. Tu peux toujours me porter au fait ?? Avec tes bras musclés ça devrait pas poser de problème !!

Sans prévenir Emi sauta dans les bras de Ren qui, avec plus de peine qu'avant, réussi à la hisser en position assise sur ses avants-bras. Depuis la dernière fois la jeune fille avait dû doubler son poids et sa taille. Cette dernière lui claqua un bisous sur le front.

— Trop fort !

Avant de sauter de ses bras et se jeter dans le canapé du salon. Ren sourit en voyant la pile électrique qu'elle était devenu. Avec Ashe en guise de tuteur ce n'était pas étonnant si elle était aussi joviale aujourd'hui.

— J'ai faim, quand c'est qu'on mange tonton ?? brailla Emi en attrapant la télécommande de la télé.

— Déjà quand j'aurais refait mes oignons, répondit Ashe en sortant de la cuisine en compagnie d'un nuage de fumée. Puis quand ce sera cuit et enfin quand nos invités arriveront.

Ren fronça les sourcils. Il avait eu juste en voyant la quantité astronomique de nourriture qu'Ashe était en train de préparer.

— Vous attendez d'autres personnes ?

— Ah ils t'ont pas dit ? demanda Emi, étalée devant Les Ratz.

— Dit quoi ? demanda Ren.

Gabi se mordilla la lèvre inférieure et se gratta l'arrière de la tête, comme gênée. Ren sentit la frustration se pointer. D'accord donc il ne voyait plus personne depuis des années ce qui était déjà insupportable pour lui, mais en plus à peine revenu il apprenait qu'on lui cachait des choses...

— Ren on est désolés, commença Gabi pour désamorcer la bombe en avance. On aurait dû te prévenir depuis quelques temps, mais... Tu connais le truc : on est occupé, on a pleins de choses à faire et on oublie...

Gabi avait l'air de regretter ses actions et cherchait de quoi se justifier.

— Allez crache le morceau, c'est bon... souffla Ren.

— Bon d'accord. Je t'ai appelé en grande partie pour savoir si tu allais bien après l'attaque des Ombres dans la région. Mais j'avais aussi une petite idée derrière la tête. En fait il y a un mois, avec Ashe on a peut-être trouvé des informations supplémentaires sur les Gardiens des jumelles.

Ren sentit une enclume lui tomber sur un coin de la tête en apprenant tout cela. Un mois plus tard... Un goût amer lui remonta dans la gorge. Personne ne l'avait prévenu.

— Et ça ne vous a pas traversé l'esprit de m'en informer ? demanda Ren en croisant les bras.

— Ren... dit Gabi d'un ton de reproche. On ne te voyait plus du tout à l'Horloge depuis des mois.

Le brun grimaça en se prenant le retour de bâton. Certes, personne ne l'avait contacté, mais il était un peu fautif en jouant les ermites.

— Même... Un message, un coup de fil...

— On a essayé, mais avec les lignes téléphoniques et internet qui sont super bancales en ce moment, c'était compliqué, continua Gabi sans se démonter. Et forcément, jour après jour on oublie de réessayer...

Ren baissa les yeux sur le carrelage du salon, bras croisés devant la poitrine. Il soupira.

— Alors... Les infos sur les jumelles ?

Ce n'était pas si grave que ça qu'on ne le mette au courant que maintenant. Il se dit que s'ils avaient trouvé des informations en béton, Gabi et Ashe se seraient arrangés pour aller le chercher en personne pour ensuite lancer leurs recherches. S'ils étaient toujours à leur appartement sans l'avoir prévenu, c'est que les informations n'étaient pas si solides que ça et ne méritaient pas d'être partagés. Hormis fonder de faux espoirs, l'avertir n'aurait au final pas été utile. Il laissa donc passer les omissions de ses camarades pour cette fois.

— C'est juste une piste pas vraiment claire... dit Gabi confirmant les interrogations de Ren. Mais c'est peut-être la bonne. Alors on a profité qu'à peu près tout le monde soit réuni à l'Horloge pour prévenir les Gardiens du Deuxième monde... Du coup...

Ren commençait doucement à réaliser ce que ça voulait dire quand soudain des bruits sourds, comme des objets massifs après une chute, puis des cris retentirent dans le jardin de la cour intérieure de l'immeuble. Ashe surgit comme un fou de sa cuisine, armé de sa spatule et suivi par la fumée de ses oignons au charbon.

— Ah ben les voilà, dit Gabi en s'avança à la porte fenêtre du balcon.

Elle ouvrit le battant et se pencha à l'extérieur, Ashe lui emboîtant le pas. Le cœur battant, Ren la rejoignit. Il voulait avoir la preuve sous ses yeux que ce qu'il vivait en ce moment n'était pas un de ces énième rêves dans lesquels il se voyait en compagnie de sa famille d'adoption. Sa poitrine se gonfla d'espoir et de joie quand des voix bien connues résonnèrent depuis le jardin au rez-de-chaussée.

— Ça y est on est morts ??? On est morts pour de vrai ?? cria la voix haut perchée d'un homme.

— Non je suis là donc non, maugréa celle, grave et un peu rauque d'un autre.

— Argh bon sang... C'est plus de mon âge tout ça, grommela la voix d'une femme.

— En même temps tu te fais un peu vieille Talia...

— QUI EST VIEILLE ??

Ren se pencha par-dessus le balcon et sentit le gouffre morose de son corps se rétracter un peu plus, remplacé par le bonheur de revoir de vieux amis.

— Du coup les Gardiens du Deuxième monde se sont empressés de faire leur bagages et de nous rejoindre, termina Gabi. Avec le mois de voyage, ils étaient prévus d'arriver pile aujourd'hui.

Ren sentit les commissures de ses lèvres se soulever et il sourit en les reconnaissant tous. Ils étaient tous étendus dans la cour intérieure, comme après l'atterrissage d'une chute. Des bagages en cuir jonchaient l'herbe ça et là. Se relevant sur ses jambes flageolantes, Talia Scarlett posa ses mains sur ses lombaires avant de s'étirer et faire craquer son dos. Sortant d'un buisson en titubant, comme ivre, Luka Omorphia grimaça en voyant la boue qui tachait son pantalon noir.

— Berk ! Ça me dégoûte ! pesta le roux.

Il fit quelque pas dans le jardin et ramassa une sorte de livre relié de cuir qui trainait au milieu des valises.

— Ça a fonctionné ? demanda Charlie Levillier en se relevant à son tour.

— On dirait, marmonna Luka. Le voeu nous a donné cette espèce de grimoire, on a écrit les coordonnées de la destination et on fait le voyage...

— Comme prévu au final. En plus on n'est pas séparé, ce qui est une bonne chose, remarqua Scorpio en rejoignant sa compagne.

Charlie blanchit alors et chercha autour d'elle en paniquant à une vitesse record. Elle se mit à hurler d'une voix stridente et à pleurer sans pouvoir se contrôler.

— Mes bébés ?? Où sont mes princesses ?? SCORPIO !!!

La réincarnation de Topaz le Huitième grimaça en sentant ses acouphènes le reprendre.

— On a les perdues !! hurla Charlie en se mettant à chercher dans chaque recoin du jardin.

— Mais espèce de folle, elles sont là tes filles ! grogna Luka.

Charlie cessa d'un coup de sauter dans tous les sens pour regarder ce que le rouquin lui indiquait. Derrière une haie séparant les cours intérieures des immeubles, il y avait deux fillettes en bas âge, blotties l'une contre l'autre en dormant comme si de rien n'était. Charlie lâcha un cri de soulagement et enjamba la clôture pour se précipiter sur les deux enfants.

— Mes princesses !!! pleura-t-elle.

— Punaise l'instinct maternel chez elle c'est quelque chose, dit Luka, le regard plein de jugement.

Ren allait les appeler depuis le balcon car aucun d'eux n'avait encore levé la tête vers lui, Gabi ou Ashe quand un cri retentit au rez de chaussée. Un cri de panique devant l'intrusion de six personnes inconnues et habillées comme à l'époque victorienne dans le jardin. C'était une vieille dame locataire de l'appartement au rez-de-chaussée. En réponse, Talia dégaina son mousquet et Luka braqua son flingue sur la pauvre femme.

— HÉ STOP !! hurlèrent Ashe et Ren en alerte.

Le corps d'Ashe s'enroula sur lui-même avant de disparaître d'un coup. Il se téléporta dans le jardin en bas de l'immeuble pour se mettre entre la vieille voisine dont les hurlements venaient de décupler et le groupe de Gardiens du Deuxième monde.

— On se calme !! ordonna le prof en brandissant sa spatule devant lui. Vous, rangez moi ces pistolets !

— Des terroristes !!! hurlait la voisine, à deux doigts de la syncope. Appelez la police monsieur Lissandres !

— Tout va bien madame Robert, rassura le prof. Il ne vous arrivera rien, promis ! Rentrez chez vous, je gère.

La voisine n'attendit pas la fin de l'invitation et effectua une retraite stratégique dans son appartement. Ashe soupira et laissa ses épaules s'affaisser.

— Ah ça, vous avez pas loupé votre entrée tous... Mais par les Douze rangez çaaaa !!

Talia et Luka finirent enfin par rengainer leurs mousquets dans les étuis à leur ceinture.

— Visiblement nous sommes arrivés à bon port, remarqua Talia en reconnaissant Ashe. C'est un vrai plaisir de pouvoir enfin se rencontrer en vrai.

— Le plaisir sera partagé une fois là haut ! lança Ashe en pointant le balcon du troisième étage avec sa spatule. Tenez, je vais vous aidez à monter les bagages !

— Ashe tes saucisses !! cria Gabi depuis la balustrade.

Le prof jura, ramassa une valise en vitesse et remonta instantanément avec son pouvoir de téléportation. Il fonça à la cuisine en demandant aux deux autres d'aller filer un coup de main. Ren ne se fit pas prier et s'empressa de renfiler ses chaussures et de suivre Gabi jusque dans la cour intérieure, baignée de soleil et rempli de voyageurs inter-dimensionnels.

— Ren !! s'exclama Charlie en le voyant.

Sans attendre, la femme se précipita à sa rencontre pour le serrer dans ses bras, comme s'il était son petit frère. Ren lui rendit l'étreinte en souriant. Yeux bleus saphir, cheveux blonds aussi raides que la paille tirés en arrière, tâches de rousseur et sourire éclatant, Charlie était l'incarnation de la bonté et de la joie de vivre. Gardienne de Sapphire la Sixième, son œil droit scintillait comme du cristal. Elle allait sur ses trente-cinq ans, mais était aussi vive qu'une adolescente.

— Par les Douze comme tu as changé !! s'exclama-t-elle. Tu es devenu un homme, pour sûr !

— Et toi toujours fidèle à toi-même, répondit Ren.

Charlie s'écarta en sautillant et le brun pivota vers Scorpio qui patientait à moins de deux mètres. Ce dernier ouvrit les bras et Ren le serra dans les siens, comme un ami qu'on avait perdu de vue depuis longtemps et qu'on retrouvait enfin.

— Salut bonhomme, rit le réincarné.

Grand, peau brune, cheveux de jais tressés sur l'épaule, barbe et moustache courtes et soigneusement entretenues, nez aquilin, yeux en topaze cerclés de sombres, comme du khôl égyptien, l'apparence de Scorpio était définitivement figée dans le temps. Malgré les années, il ne prenait aucune rides, hormis les pattes d'oie à ses yeux caractéristiques des gens souriants.

Ren baissa les yeux et les écarquilla de surprise en voyant les deux gamines agrippées chacune à une jambe de Scorpio. C'était une chose de savoir que Charlie et Scorpio étaient maman et papa. Ç'en était une autre de voir de ses propres yeux les deux fruits de leur amour. Scorpio jeta un regard attendrissant à ses deux filles, de cinq et trois ans, qui scrutaient Ren comme l'étranger qu'il était.

— Ren, je te présente mes princesses : Isis et Raphaëlle.

La première et plus âgée était le copié collé de son père. La même peau mate, les mêmes ondulations brunes sur la tête et les mêmes traits de visage, en plus juvéniles et avalés par les rondeurs d'enfants. Seuls ses yeux bleu nuit provenaient de sa mère. Quant à la deuxième il s'agissait d'un savant mélange des deux : cheveux raides et châtain, taches de rousseurs, peau à peine plus claire que son aînée et le visage de poupée de sa mère. Ses yeux étaient ceux de Scorpio : le même jaune scintillait dans ses prunelles.

— C'est drôle, elles ont toutes les deux les yeux en cristal, remarqua Ren.

— Effectivement ! approuva Charlie. Ce sont des demi-déesse après tout !

— Et ben salut vous deux, dit le brun en s'agenouillant à la hauteur des fillettes.

Si Isis resta méfiante et enroula ses bras autour de la jambes de Scorpio, Raphaëlle se précipita vers lui en tendant les bras et en riant. Ren l'attrapa au vol en sentant son cœur revenir dans sa poitrine pour y fondre de tendresse.

— T'as vu Raphaëlle ! C'est Ren ! présenta joyeusement Charlie.

— Ren ! répéta la fillette.

Elle lui rappelait tellement Emi quand elle était petite. Aussi rayonnante et affectueuse. Ren sentit quelqu'un lui tapoter le dos en toussotant. Une tête en dessous de lui, Luka lui servit son sourire hypocrite. Cheveux écarlate, coupés au niveau du menton et en bataille, visage androgyne et yeux couleur améthyste entourés de longs cils noirs, on avait toujours du mal à déterminer si c'était une femme ou un homme au premier coup d'œil. Il avait beau avoir vingt-cinq ans, il en faisait beaucoup moins, sûrement à cause de sa peau glabre. Le roux indiqua Raphaëlle dans les bras de Ren.

— Si je peux récupérer ma filleule... dit-il.

— Ah v'la autre chose, fit Ren, un peu étonné.

Il passa tout de même Raphaëlle à Luka quand celle-ci le réclama en s'agitant comme anguille. Luka bomba le torse, fier et prétentieux.

— Oh mon Loulou, t'es jaloux ? rigola Charlie.

Luka la fusilla du regard en pinçant les lèvres.

— Pas du tout !! Jaloux de quoi d'abord ??

— Que Raphaëlle s'attache à un autre homme que toi ? continua Charlie en riant.

— Tsss, n'importe quoi ! siffla Luka tandis que la fillette lui faisait un gros câlin. Tu sais très bien que tes filles adorent leur parrain. En plus je suis beaucoup plus mignon que l'autre taré, alors j'ai pas à me méfier de la concurrence.

— Parrain ? répéta Ren en se tournant vers Scorpio.

— Et oui. Notre Luka est rapidement devenu la baby-sitter de nos filles, les soirs où on voulait aller au restaurant tranquilles. Si au début il rechignait et se plaignait, il s'est finalement très vite attaché à Isis puis à Raphaëlle. Donc du coup il est naturellement devenu leur parrain.

— Nos filles doivent vraiment êtres magnifiques et adorables si elles ont même réussi à charmer Luka, plaisanta Charlie.

Recevant la pique, le roux changea de couleur et fronça les sourcils. Raphaëlle claqua un bisous sur sa joue, espérant effacer cette expression. Ce fut chose faite : Luka afficha immédiatement un sourire idiot et attendri. Visiblement jalouse de sa petite sœur, Isis lâcha Scorpio, contourna soigneusement Ren en le fixant et se jeta dans les jambes du rouquin.

— C'est mon tour les bras Lulu ! réclama-t-elle.

— Et ben ça commence à faire de sacrées familles recomposées de votre côté, remarqua Ren.

Il ramassa deux valises trainant par terre et s'avança vers Gabi qui discutait avec Talia, loin du remue ménage. À mi chemin entre la cinquantaine et la soixantaine, Talia Scarlett conservait la vigueur d'une jeune femme. Ce n'était pas étonnant quand on était capitaine à bord d'un navire de commerce : elle se devait de garder la forme. Elle ne laissait pas ses cheveux courts grisonner et blanchir, les maintenants avec des colorations châtain et des mèches blondes. Ses rides étaient désormais bien installées sur son visage et ne voulaient visiblement pas en accueillir d'autres. Du far violet ombrait ses paupières et ses lèvres rouges rappelaient la teinte rubis de ses yeux.

Gabi stoppa la conversation en cours et Talia, Gardienne de Ruby la Quatrième, sourit à l'approche de Ren.

— Vous faites connaissance ? demanda le brun.

— On peut dire ça. C'est la première fois qu'on se rencontre en vrai, expliqua Talia. Cela n'a rien à voir avec l'Horloge.

— Qu'est-ce que tu deviens ? questionna Ren.

— La routine, répondit modestement la capitaine de l'Ecarlate. Dès que je peux, je pose des jours pour aller les voir à Occlasia. Ils t'ont dit que j'étais la marraine de leurs deux filles ?

— Pas encore mais maintenant c'est fait, s'étonna Ren.

Il regarda Charlie et Scorpio en train de ramasser les valises en cuir éparpillées ça et là, pendant que Luka composait avec Raphaëlle dans ses bras et Isis accrochée à sa jambe comme un koala à sa mère. Ren hésita un peu avant de demander si le prénom de la benjamine était une sorte d'hommage au fils de Talia, Raphaël, disparu six ans plus tôt durant une attaque d'Ombre au Havre. Il demanda quand même prudemment :

— Le prénom de Raphaëlle... C'est...

— Oui c'est bien en sa mémoire qu'ils l'ont nommée ainsi. Ils m'ont demandé bien avant si j'étais d'accord et jusqu'à sa naissance ils ont hésité. Mais à chaque fois je leur disais que j'étais sûre et que j'étais très touchée par leur geste. J'apprécie énormément ce qu'ils ont fait. Et puis pour moi, il s'agit d'un pas de plus dans mon deuil.

Même six ans après, on pouvait toujours lire la peine dans ses yeux. Gabi ramassa une valise et annonça qu'ils étaient au troisième étage. Le groupe des Gardiens du Deuxième monde s'engouffra dans l'immeuble en s'étonnant de l'architecture de ce monde. Luka grimpa difficilement les marches, chargé d'Isis sur sa jambe et Raphaëlle dans ses bras. Alors Scorpio récupéra l'ainée de ses filles et la jeta en travers de ses épaules, ignorant ses cris de protestation. Ils entrèrent dans l'appartement qu'occupaient Ashe, Gabi et Emi et posèrent leurs bagages dans l'entrée.

— Vos maisons sont épatantes ! s'exclama Charlie qui admirait les meubles suédois de l'entrée.

— Quittez vos chaussures Ashe a fait le ménage, répéta Gabi.

Le détecteur à fumée du salon se mit soudain à hurler et Gabi grommela en se demandant qui avait encore mis le feu à la cuisine. Emi en sortait justement avec l'extincteur de la cage d'escalier, l'air dépité.

— Tonton Ashe a fait cramer la gazinière...

— Mais c'est pas possible... rouspéta Gabi.

Un épais nuage de fumée sortait de la cuisine, mais heureusement Ashe et Emi avaient déjà maîtrisé le feu. Seule une grosse trace de suie noire maculait le mur blanc à côté des fourneaux. Gabi attrapa un escabeau qui trainait sur le balcon et partit éteindre le détecteur de fumée. Ren aida à ouvrir les fenêtres pour aérer.

Puis les deux aidèrent à déplacer les valises dans chacune des trois chambres de la maison, aménagées à l'avance pour accueillir les invités. Scorpio et Charlie étaient prévus de dormir dans la chambre d'Ashe avec leurs filles, Emi partagerait la sienne avec Talia et Gabi et enfin la brune laissait sa piaule à Ren, Luka et Ashe. Des matelas avaient été placés sur le sol, créant de vrai dortoirs de fortune. Une fois les valises posées, tout le monde partit s'installer à la table du salon pour le déjeuner.

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