Epilogue
8 août 3994, Deuxième monde
Talia Scarlett détestait être habillée en civil. Elle se sentait toujours nue sans son chapeau à plume, son manteau de capitaine ou encore son sabre à la ceinture. Mais pour ce voyage en train depuis le Havre, elle s'était résolue à porter une tenue plus discrète : une chemise blanche aux manches retroussées, un veston rouge ainsi qu'un pantalon sombre. Sa bonne vieille paire de bottes à talons claqua contre le quai de la gare au moment de descendre du train avec sa valise en cuir.
Après quatre mois à travailler sans relâche sur son fidèle Ecarlate et à enchaîner les voyages dans l'Atlantique elle avait posé deux semaines de vacances pour pouvoir venir à Occlasia comme promis depuis sa séparation avec le reste groupe. Lettres, télégrammes et parfois entrevues à l'Horloge avaient conservé un peu de lien, mais rien ne valait des retrouvailles en chair et en os. Après un trajet de quelques heures en train, elle mettait enfin un pied dans cette ville, fief de Scorpio, Charlie et maintenant Luka.
Talia admira les nombreux bâtiments en briques rouges et aux balcons en fer forgé tout autour de la place de la gare. Taxis à vapeur et triporteurs se disputaient la place aux voitures sur la route et tout le monde s'insultait joyeusement, ignorant presque les coups de feu qui fusaient par moment. La capitaine remarqua deux personnes, des assassins, en train de se tirer dessus sur le parvis de la gare. Les gens situés dans leur zone de tir se dépêchaient de passer en panique, courbés en avant pour ne pas se prendre de balle perdue, tandis que ceux plus loin se contentaient de regards désintéressés.
Agacée par le bruit, Talia attrapa son pistolet à sa cuisse, le chargea et tira. Juste deux coups et les deux plombs se logèrent dans la tête des deux assassins en train de se battre à quelques mètres de là. Leurs âmes complétèrent grassement le récolteur de Talia et les deux corps se dispersèrent en poussière avec le vent qui soufflait. La capitaine laissa son esprit divaguer le temps que le métro passe au dessus de sa tête, serpentant le long de son rail aérien. Enfin elle aperçut deux visages familiers se faufiler entre les voitures à l'arrêt dans l'embouteillage.
- Salut Talia !! s'exclama Charlie en venant à sa rencontre. Tu as fait bon voyage ?
La jeune femme blonde se précipita vers la quinquagénaire et lui fit une longue étreinte, ravie de la revoir après tout ce temps. Souriante, Talia la lui rendit de bon cœur puis les deux femmes se firent la bise. D'abord hésitante, la capitaine fit aussi la bise à Scorpio en guise de bonjour.
- Je préfère le roulis de mon bateau plutôt que les vibrations des wagons sur les rails, dit-elle. Mais globalement le voyage s'est bien déroulé. Comment allez-vous depuis le temps ?
- Oh moi la vie suis son cours, lança Scorpio qui avait l'air radieux.
- Et moi je me suis lancée dans des observations et des analyses des techniques des assassins de la ville et ça fait un carton au journal ! s'exclama Charlie, toute aussi radieuse. Mes articles ont l'air d'être bien apprécié !
- Super ! fit Talia.
Scorpio lui proposa de prendre sa valise et ils rejoignirent le trottoir en face de la gare pour se diriger vers un café.
- Et toi ça va Talia ? questionna Charlie, soucieuse. Tu... tiens le coup ?
La capitaine décela immédiatement l'objet de cette inquiétude. Ces quatre mois sans son fils avaient été très compliqués pour elle. Plusieurs fois elle s'était enfermée dans sa cabine pour y pleurer, histoire de soulager sa peine. Mais globalement elle allait un peu mieux. Elle la rassura.
- Je me laisse du temps, dit-elle. C'est difficile, forcément, et ça le sera jusqu'à la fin de ma vie mais Scorpio a raison sur un point : la douleur ne sera que plus facile à supporter.
- Sache que tu auras toujours notre soutien, dit Scorpio.
Talia les remercia tous les deux, puis Charlie finit par entrer dans un café sur le boulevard. Le vélum était rangé à cause du vent qui soufflait fort mais ça n'empêchait pas les clients de se mettre en terrasse en plein soleil. Talia suivit la jeune femme dans le bistrot et s'installa sur une banquette en cuir un peu usé. La capitaine observa la décoration autour d'elle : les poutres en bois, les briques des murs et du comptoir, le métal des tabourets de bar et la verdure dans les pots en terre cuite. Son regard se posa sur Charlie et une fois de plus depuis leurs retrouvailles elle se demanda si elle n'avait pas un peu grossi. Elle avait pris des hanches, du ventre et de la poitrine. Mais elle garda ses commentaires pour elle.
- Lulu qu'est-ce que tu fabriques ?? clama Scorpio à la cantonade.
Le patron du café, Jipé, chercha son serveur autour de lui avant de l'appeler d'une voix forte :
- Luka on a des clients !!!
Talia se souvenait encore de la proposition faite au rouquin : Scorpio et Charlie l'avaient ramené à Occlasia, où il avait pu démarrer une nouvelle vie et travailler. Visiblement le pari avait été réussi. La porte de la réserve s'ouvrit d'un coup et le jeune homme au visage androgyne en sortit, les bras pleins de bouteilles d'alcool.
- Tu n'étais quand même pas en train de te saouler en douce ?? s'énerva Jipé.
Luka lui glissa sa moue méprisante et lui jeta un regard glacial. Il posa ses bouteilles sur le comptoir.
- Je suis juste allé chercher des bouteilles neuves, vieux schnock !
Le patron ne releva pas la remarque, comme habitué et Luka s'avança vers leur table. Vêtu de sa tenue de serveur, une chemise blanche aux manches retroussées par des pinces, un tablier court autour de la taille et d'un pantalon noir et droit, il avait l'air d'avoir gagné en assurance.
- Mesdames, monsieur, bonjour, que puis-je pour vous ? demanda-t-il avec un sourire.
- Tu sais que t'es vraiment charmant quand tu fais cette tête là ? demanda Charlie en riant. On va prendre quatre cafés s'il te plait, pour que tu puisses boire un coup avec nous !
Luka répéta la commande au barman qui partit à sa machine.
- Tu as l'air d'aller mieux que lors de notre dernière rencontre, remarqua Talia. Tu te plais ici ?
- Franchement : oui, répondit Luka en dégageant une mèche rouge derrière l'oreille. Rien que travailler tous les jours ça m'occupe et ça me plaît beaucoup. Et puis c'est super cool de recevoir une paye à la fin du mois ! Je sens que je mérite cet argent, contrairement à quand je jouais au pickpocket sur les docks. À ce rythme je vais bientôt pouvoir emménager dans mon propre appartement !
- Il est toujours chez moi en ce moment, clarifia Charlie.
- Ce n'est pas trop embêtant pour toi ? questionna Talia.
- Oh non ! Au moins ça m'a donné l'occasion de passer beaucoup de temps avec Scorpio pour ranger son appartement.
- Mais pas que, ajouta Scorpio.
La blonde se tourna vers le réincarné et son seul regard suffit à la faire sourire jusqu'aux oreilles. Jipé rappela Luka lorsque les cafés furent prêts et le rouquin les apporta en équilibre sur un plateau sans le moindre soucis. Talia lui proposa de s'asseoir avec eux et après autorisation de son patron, Luka s'installa à côté d'elle.
- J'ai croisé nos amis du Premier monde il y a quelques temps au QG, dit Talia. Ils s'occupent des investigations de leur côté et nous avertirons dès qu'il auront une piste sérieuse sur nos jumeaux.
- Je suis un peu déçue de ne pas pouvoir les aider plus que ça, dit Charlie en versant du sucre dans son café.
- On ne peut rien faire pour leur filer un coup de main, soupira Scorpio. La dernière fois que nous avons croisé Pearl et Nacre remonte à plus de quatre millénaires : impossible pour moi ou vos dieux de savoir où elles peuvent se trouver actuellement.
- En clair on ne peut compter que sur ceux du Premier monde pour les trouver ? demanda Luka.
- Exact, approuva Scorpio en le pointant avec sa petite cuillère. Peridot, Emerald et Aguamarine sont ceux qui ont potentiellement croisé les jumelles il y a peu de temps. En comptant sur le fait que nos âmes ne bougent pas tellement dans l'espace entre deux Gardiens, ils pourront retrouver une zone de recherche.
- Eh ben, fit Luka en buvant un peu de café. J'ai beau ne plus être l'ignare du groupe depuis notre rencontre, je suis encore un peu paumé avec ces histoires.
- Ce qu'on va faire de notre côté est plutôt simple au final, continua Charlie. On a juste à récolter vingt milles âmes et souhaiter obtenir un dispositif pour voyager entre les mondes. Comme ça on les rejoindra pour finaliser les recherches.
- Là aussi on va devoir réfléchir à un engin précis, dit Talia. Pas question de demander un objet à usage unique qui aura une chance sur deux de nous envoyer dans le mauvais monde.
- En parlant d'objet à voyager dans le monde... Et Stone ? remarqua Luka.
Les trois paires d'yeux qui se braquèrent sur lui lui firent comprendre que malgré les apparences personne n'avait oublié ce détail. Tous y pensaient sans oser en parler, parce qu'ils ne s'inquiétaient pas vraiment pour l'assassin numéro un de la ville. Mais il fallait se rendre à l'évidence... Quelque chose avait dû mal tourner du côté de Stone pour qu'il ne soit toujours pas là après quatre mois d'absence.
- Il a dit que si il ne revenait pas tout de suite c'était qu'il était en vadrouille quelque part, rappela Scorpio.
- Oui mais quatre mois ça commence à faire long... dit le rouquin. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé de grave.
- Moi aussi je commence à être inquiète, confia Charlie. Mais c'est Stone. Quoi qui lui arrive, il s'en sortira... J'espère juste qu'on le reverra. Sans sa façade de tueur un peu dérangé, on l'apprécie ce garçon.
Luka haussa les épaules puis reprit une gorgée de café. Décidée à changer de sujet, Talia enchaîna la suite de la conversation en évoquant quelques unes de ses anecdotes de voyages. Elle en profita pour sortir quelques bouteilles de rhum ambré de ses bagages.
- Je vous avais promis de vous ramener du stock, lança-t-elle en offrant ses cadeaux. Je n'ai pris que les meilleurs nectars des Antilles, vous m'en direz des nouvelles que je puisse transmettre à mes vieux amis de là bas.
- Oh merci Talia ! fit Scorpio en regardant la couleur du rhum au travers des rayons du soleil.
Il jeta un regard hésitant en direction de Luka dont les yeux pétillaient déjà devant sa bouteille. Connaissant le problème avec l'alcool du rouquin, Scorpio décida de confisquer la boisson de manière préventive.
- Euh Lulu, je pense que tu devrais éviter juste le temps de ton sevrage, dit le réincarné en piochant la bouteille.
- Quoi ?? croassa le roux d'une voix aiguë avant de se jeter sur le rhum pour récupérer le breuvage. Non s'il te plaît je te promets que je serai raisonnable !
Mais Scorpio mit la bouteille en hauteur pour l'empêcher de la lui reprendre des mains. Luka s'écroula contre la table, avec un regard de chien battu.
- Malheureusement tu nous as dis ça la dernière fois et au résultat on a du vider l'appartement de Charlie de ses bouteilles pour éviter que tu te saoules tout seul le soir et en douce. Donc nous serons les gardiens de ta bouteille en attendant et tu auras l'autorisation de boire un verre uniquement sous notre surveillance !
- Vieux schnock ! pesta Luka.
- On ne te laissera plus seul avec de l'alcool le temps de te sevrer, termina Scorpio d'un ton qui était sans appel. C'est compris ?
Luka croisa les bras d'un air boudeur en fronçant le nez et tourna la tête sur le côté en levant le menton, prétentieux.
- Bien compris Scorpio...
- Je prévoirai du jus de maracuja la prochaine fois, proposa Talia, un peu contrariée par le fait de ne pas avoir pensé au problème de Luka avant.
- Dans tous les cas merci de la livraison Talia ! s'exclama Charlie. Je me ferai bien un petit verre...
Scorpio attrapa sa bouteille et la suréleva en vitesse en secouant la tête.
- Tutut toi t'es interdite d'alcool pendant encore six mois !
- Roooh c'est vrai, maugréa Charlie, dépitée.
Talia tiqua et reluqua à nouveau la silhouette de la jeune femme. Ses kilos en plus sur les hanches et son ventre n'étaient peut-être pas dû qu'à une mauvaise alimentation ou à un manque d'activité. Puis elle pensa trouver et se dit que Charlie avait potentiellement quelque chose à leur dire. Une bonne nouvelle même. Luka arqua un sourcil.
- Ah, pourquoi ? fit-il.
Aussitôt Charlie afficha un immense sourire jusqu'aux oreilles et attrapa la perche qu'on lui tendait. Elle jeta un regard pétillant à Scorpio qui lui rendit son sourire, radieux. Il posa la main sur la sienne et leurs doigts s'entrelacèrent. Fiers et amoureux, voilà ce qui caractérisa le couple en ce moment précis.
- En fait... commença Charlie, qui se dandinait sur son siège, l'air toute excitée.
- On a une bonne nouvelle à vous annoncer, continua Scorpio.
Talia eut un sourire discret, satisfaite de sa perspicacité. Mais ayant déjà vécu un moment semblable il y a maintenant vingt ans, elle préféra faire comme si de rien n'était et laisser Charlie et Scorpio leur annoncer. La jeune femme blonde tapota son ventre, un sourire s'épanouissant à ses lèvres. Elle hésita encore quelques secondes comme pour chercher la formulation, bouillonnante d'impatience puis se lança :
- Disons que... Moi je vais bientôt être maman !
- Et du coup : moi je vais être papa, termina Scorpio.
Les deux leur affichèrent des grands sourires, débordant de bonheur. Visiblement surpris en bien, Luka écarquilla les yeux et lâcha un petit cri de joie.
- Oh c'est vrai ?? Trop bien, félicitations !
- Je suis très heureuse pour vous deux, ajouta Talia.
- Ça faisait un moment que ça me trottait dans la tête et que ça me tordait les boyaux, expliqua Charlie. C'est bizarre parce que y a quelques années je n'aurais voulu d'enfant pour rien au monde. Mais récemment, ça m'a pris d'un seul coup. Je ne sais pas pourquoi, mais j'en avais envie, c'est tout. Ça fait cinq ans qu'on se connaît avec Scorpio ; puis je me suis dit qu'à bientôt vingt-neuf ans, un métier et une situation stable, c'était peut-être le bon moment.
- Tu as bien raison, approuva Talia. Si vous sentez prêts, alors oui c'est le bon moment.
La capitaine sentit alors la conscience de Ruby s'éveiller dans un coin de sa tête et elle sut que sa déesse regardait par ses yeux. Comme à son habitude, la Quatrième toussota doucement pour s'annoncer et éviter de surprendre sa Gardienne en parlant sans prévenir.
- Excuse moi ma Talia, mais j'ai une question qui me trotte dans la tête... C'est à propos de Scorpio. Je l'ai croisé souvent via tes prédécesseurs et toujours il m'a soutenu qu'il ne pouvait pas avoir d'enfant parce qu'il était un dieu. Dieu de la mort qui plus est. Alors comment Charlie peut elle porter la vie grâce à lui ? Pose lui la question ma fille !
Talia soupira en songeant à la longueur de la tirade qu'elle allait devoir répéter. Elle se lança et posa la question directement à Scorpio qui eut un rictus amusé. Il jeta un énième regard attendrissant à Charlie.
- Bah ! Pour faire simple, on va dire que je peux parfois faire des exceptions. Je suis un dieu, je fais ce que je veux.
- C'est idiot, mais je me sens tellement euphorique en ce moment ! s'exclama Charlie. Je suis tellement contente de pouvoir avoir un enfant de toi Scorpio !!
La blonde se jeta à son cou pour le serrer dans ses bras et le réincarné lui rendit l'étreinte avec force et affection. Dans la tête de Talia, Ruby la remercia de lui avoir rendu service et repartit se coucher. A côté d'elle, Luka avait les yeux fixés sur le ventre pas encore arrondi de Charlie, l'air de réfléchir. On pouvait presque voir les rouages tourner au dessus de sa tête.
- Donc ça va être un demi-dieu cet enfant si j'ai bien tout pigé ? demanda-t-il.
- Y a des chances.
- Et ben ça promet ! s'exclama le roux. Ça fait combien de temps que t'es enceinte ?
Un regard s'échangea entre Charlie et Scorpio puis la réponse ne se fit pas attendre.
- Un peu plus de trois mois. Trois mois et demi ! précisa la jeune femme.
- Ah vous avez pas trainé en rentrant du Havre, ricana Luka.
- Faut dire que ranger mon appartement ça aide à se rapprocher, lança Scorpio avec un clin d'œil pour sa compagne.
- Et bien sacrée bonne nouvelle ! s'exclama Talia. Je m'arrangerai pour être là dans six mois, vous pouvez compter sur moi. Encore bravo à vous deux.
- C'est clair ! confirma Luka avant de pivoter vers le comptoir du bar. Hé le vi... Jipééé !! se rattrapa-t-il d'une voix enjôleuse en papillonnant des cils. Une nouvelle tournée de café s'il te plaît ? C'est pour trinquer à la bonne nouvelle.
Le patron lui jeta un regard las, à la fois fatigué et habitué au comportement de son serveur. Il partit à sa machine pour faire couler une nouvelle tournée.
- Ton diable préféré va avoir une descendance ! railla Scorpio quand le barman leur apporta les tasses.
Jipé fut partagé entre présenter ses félicitations pour cette annonce réjouissante ou bien blanchir jusqu'à la transparence en songeant au mini démon en route, bien au chaud dans le ventre de Charlie.
- Oh... Super nouvelle !! dit-il à la place, crispé avant de battre en retraite à l'abri derrière son précieux comptoir.
Scorpio lâcha un rire chaud, ne se lassant jamais des réactions du cafetier à son égard. Le quatuor du Deuxième monde ramassa chacun sa tasse et les récipients tintèrent les uns contre les autres quand ils trinquèrent avec joie.
- À la future naissance d'un demi-dieu !!
***
2 Mai 3994, Troisième monde
« Bonjour Peter.... Si tu vois cet enregistrement, ça veut dire que je suis morte. De toute manière, à l'heure où j'enregistre cette vidéo, il ne me reste plus grand-chose à vivre. C'est pour cela que je vais faire le nécessaire pour tout t'expliquer et tout te transmettre. J'ai une longue histoire à te raconter, alors écoute moi attentivement.... »
Peter Saurac s'était assis sur la chaise du bureau de sa mère alors que l'holordinateur venait de se mettre en marche tout seul. Il appuya sur la touche pause du clavier numérique et regarda les traits tirés mais encore vivants de sa mère sur l'écran en hologramme. Le squelette se retourna vers la fenêtre.
Lorsqu'il était entré dans le bureau d'Eileen Saurac, il avait tout de suite remarqué la baie vitrée constellée de fissures se déployant depuis un point d'impact, comme une toile d'araignée. Ainsi que le sang qui maculait la fenêtre. Il avait contourné le bureau et ses yeux vairons avaient suivi les traînées de sang jusqu'au sol.
Et là il avait vu sa mère, Eileen, gisant à terre, un trou sanguinolent entre ses deux yeux de reptile.
Il n'avait pas eu le temps de réagir que l'holordinateur s'était soudain allumé et avait commencé à diffuser un message vidéo. À la fois sous le choc et intrigué il avait décidé d'écouter ce que sa mère avait à lui dire. Il remit l'enregistrement en route.
« Je vais commencer par le début. On m'a diagnostiqué très tôt une mutation sur un gène et cette mutation faisait que j'avais plus de chances de développer des cancers. J'ai eu mes deux premières tumeurs à treize puis vingt ans... J'ai pu être guérie, mais quand une troisième tumeur s'est manifestée, je me suis dit que je ne voulais pas passer le restant de mes jours avec ce corps si fragile dont tous les organes finiraient par se comporter comme des corps étrangers à éliminer.
J'ai commencé ma carrière de scientifique avec l'espoir de trouver un remède, à moi ainsi qu'à tous ceux qui avaient besoin de se faire soigner de ce type de maladie. J'étais ambitieuse et j'avais encore de l'espoir à l'époque. J'ai rencontré ton père à ce moment là, ce qui a ouvert une parenthèse dans ma vie et m'a changé les idées...
Malheureusement une autre tumeur s'est développée après la naissance de ta petite sœur. J'étais si désespérée que je vous ai tous abandonnés pour reprendre mes recherches. Je devais trouver un moyen de me soigner. Indéfiniment. C'est à ce moment là que j'ai trouvé cet objet maudit qui a changé ma vie à tout jamais. Un éclat de miroir provenant de l'Ancien monde. Une voix me parlait et m'a raconté toute l'Histoire. Les Douze, la Dislocation, l'Entre monde, les Ombres et les trois dimensions. J'ai tout répertorié dans la clé USB que tu trouveras dans le tiroir sur ta gauche. »
Peter remit en pause, le temps de vérifier si ladite clé USB était bien à sa place. Il la trouva comme promis et la rangea immédiatement dans la poche de son pantalon. Il reprit la vidéo.
« Ce miroir m'a aussi mise en contact avec mes alter-égo des autres mondes. Hélène et Elena. Toutes deux des anomalies dans leur monde d'origine. Une sans pouvoir dans un monde magique. Une croyante dans un monde athée... C'est à partir de ce moment là qu'on a échangé sur des tas de sujets. Sur Dieu, particulièrement. J'ai également consigné toutes mes découvertes sur Lui dans la même clé USB.
Un jour, alors que je travaillais déjà ici, une fille détraquée nous a été amenée. Les Ombres rodaient déjà depuis quelques décennies mais sans trop nous inquiéter. C'était la première fois que je voyais ce cas là : complètement possédée, démente, répétant des choses incohérentes à propos de pierres précieuses et comme dévorée de l'intérieur par la créature. C'est là que le miroir m'a suggéré une idée folle. Et je l'ai écouté, trop désespérée par mon propre cas.
J'ai fait comme les autres, j'ai réellement cherché à sauver cette fille mais on n'avait pas encore les méthodes ni les remèdes à l'époque et elle a succombé, son énergie vitale et sa magie complètement dévorées par l'Ombre. On a réussi à capturer et enfermer la créature mais la petite était morte. J'ai alors suivi mon idée : discrètement, à la morgue, j'ai récupéré l'essence même de sa vie. Son âme qui dans notre monde persiste après la mort, errant en attendant de trouver la rivière des Âmes puis la Surface.
J'ai par la suite fabriqué une poupée de chiffon à taille humaine, une sorte de réceptacle avec les moyens du bord et j'ai tenté la première expérience d'une longue série sur les corps artificiels. Cela a fonctionné : en implantant son âme dans ce corps la petite est « revenue à la vie ». Ce n'était qu'une version désincarnée d'elle-même, à peine vivante mais marchant et parlant. A partir de ce moment là les idées n'ont pas cessé d'affluer dans mon esprit....
J'ai eu l'illumination. Si j'arrivai à créer un corps parfait et artificiel peut-être que je pourrai y transférer mon âme et vivre éternellement et en bonne santé. C'était mon objectif. Alors j'ai écouté les suggestions du miroir. Lorsqu'on a ramené un deuxième détraqué quelques temps après, j'ai d'abord construit un robot, qui sera plus performant qu'une poupée vaudoue. Cette fois ci j'ai espéré qu'il y passe jusqu'à la fin, puis j'ai récupéré son âme pour l'intégrer au robot. C'était une version améliorée de la poupée, mais il manquait toujours quelque chose.
Il me fallait plus de sujets afin de répéter l'expérience. Plus de détraqués à qui prendre les âmes... »
Peter ne put s'empêcher de faire pause pour regarder le cadavre de sa mère. Il comprenait enfin pourquoi elle avait passé toutes ces années à effectuer ces expériences. Son corps faiblissait et elle voulait le remplacer en transférant son âme dans un autre corps, artificiel et parfait. D'où ses nombreuses recherches et tentatives par le passé.
« Là encore c'est le miroir qui m'a proposé une idée folle. Et je l'ai écouté. J'ai envoyé mes premiers prototypes dans les Souterrains, avec les Ombres qu'on avait capturé en bocal. Comme prévu une fois relâchées sur des sorciers elles les détraquaient sans attendre. On m'a ramené deux autres détraqués sur un plateau d'argent et j'ai continué mes prototypes. Des robots de plus en plus sophistiqués. Avec un simple programme informatique et une intelligence artificielle j'arrivais à les rendre un peu moins désincarné que la poupée originelle. J'en profitais également pour récolter leurs pouvoirs et les stocker, car il s'agit d'une source d'énergie non négligeable.
La machination s'est doucement mise en place. Plus les détraqués venaient à moi, plus je récupérais d'âmes, de pouvoirs et d'Ombres que je relâchais immédiatement dans la nature pour me fournir d'autre sujets. J'avais suffisamment de matière pour tester de nouveaux corps artificiel. Ce n'était qu'une question de temps avant que je ne trouve la forme parfaite qui pourrait remplacer mon propre corps.
Rapidement les gens ont commencé à penser que j'étais leur espoir pour guérir les détraqués. Alors on me les emmenait sans discuter et j'ai gravi les échelons dans cette tour. Il suffisait de dire que le traitement avançait ou encore que je trouvais le moyen de guérir certaines maladies grâce à l'étude des détraqués. On attendait tant de moi. Et j'avais mes sujets d'expérience à foison.
C'est peu après cette période qu'on m'a ramené un jeune garçon aux pouvoirs de télékinésie. Il avait tué plusieurs personnes par accident et était en train de perdre la tête. Ses parents espéraient le guérir. A nouveau j'ai écouté le miroir, mon seul guide dans cet enfer. Un enfant est si simple à formater... Et Alix avait du potentiel. Il était si puissant, si instable...
J'ai organisé tout une équipe pour pouvoir le « programmer » à réagir en fonction de la situation. Ça m'a couté du matériel, du personnel et beaucoup d'argent mais peu à peu on en faisait un démon capable de tout détruire. C'était l'arme parfaite. De plus il m'a permis de mettre au point les sédatifs qu'on utilise toujours sur les détraqués pour qu'ils se tiennent tranquille. Phyllis et Magnolia ont commencé à s'opposer à moi, contre le fait de se servir de ce garçon d'une manière aussi abjecte. Elles ne voyaient pas que c'était un mal nécessaire pour transformer Alix en un être puissant.
Un jour la réserve contenant mon stock de magie a explosé. Une fuite de gaz visiblement. Le surplus d'énergie en un point si réduit de l'espace a alors ouvert un trou noir et a tout englouti dans un périmètre de vingt mètres. Phyllis, Alix et pleins d'autres ont disparu sans laisser de trace. En revanche, ceux qu'on a retrouvé à la place allaient créer un autre tournant dans ma vie.
Des alter-egos tous fraîchement débarqué du Premier monde sont apparus dans les couloirs. J'avais enfin la preuve de l'existence d'un monde parallèle. Le miroir disait vrai. Je l'ai encore écouté. Venant d'un autre univers, ils avaient peut-être le remède pour ma maladie. Alors je les ai étudié un à un en espérant trouver de quoi guérir une tumeur. Rien. Ils y sont à peu près tous passé, hormis le clone d'Alix. Mais j'ai pu découvrir que dans cet autre monde, la magie réagissait différemment et semblait présente chez tous les sujets.
Alors que les dieux d'antan nous ont presque tous punis de pouvoirs et enfermé sous terre, cet autre monde prospérait dans la magie. À nouveau d'autres idées folles me sont venues. Si je récoltais encore assez de pouvoirs, peut-être arriverai-je à briser cet Entre monde qui nous sépare et ramener la magie et la lumière chez nous.
Tout se bousculait dans ma tête quand un beau jour des parents désespérés m'ont ramené un bébé. Une fillette oni aux yeux vairons. Ils me l'ont laissé parce que son œil droit portait une marque considérée comme maudite dans notre monde : celle des « Elus des Douze ». Elle avait un œil en diamant. Cette enfant n'était pas une malédiction mais au contraire l'espoir de changer le monde.
C'était une Gardienne. Le miroir m'a alors annoncé l'existence de douze de ces êtres divins au travers des mondes.
Si j'arrivai à tous les collectionner, j'aurai le pouvoir des Douze avec moi... Je pourrai me guérir de tout, briser l'Entre monde pour sauver le notre qui dépérit et m'élever aux côté du Dieu qui a divisé le monde en trois.
Je serai omnisciente. Puissante. Éternelle.
C'était ça qui me fallait. Rassembler les douze Gardiens... C'était mon dernier espoir puisque mes recherches sur un corps artificiel et parfait s'enlisaient.
De plus le destin m'était favorable puisque quelques années plus tard, Dieu m'envoie quatre jeunes issus du Premier monde. Parmi eux il y avait une Gardienne à l'œil émeraude et Alix. Après quelques redressements il était finalement devenu l'arme surpuissante qu'il était destiné à devenir. J'en ai profité pour récupérer le pouvoir de l'ange, qui a survécu à l'extraction mais malheureusement ils sont tous partis, emportant également la Gardienne du diamant.
Je n'avais désormais plus que mes détraqués et mes recherches sur les corps artificiels. C'est là que je t'ai trouvé à la morgue Peter... »
Le squelette ressuscité savait qu'il ne pouvait plus frissonner avec son nouveau corps, mais la sensation familière courut sur sa peau quasiment transparente. Il y était, il allait avoir des réponses.
« Ton squelette était dans un sale état mais ton âme était intact. J'ai alors lancé un tout nouveau protocole pour tester un type de corps inédit. Ça a duré des mois, mais à force j'ai fini par recréer le corps que tu as aujourd'hui, dans lequel j'ai pu mettre ton squelette, ton âme et tes pouvoirs. Évidemment tout n'est pas parfait, seul ton visage a pu refaire de l'épiderme par exemple et c'est pour ça que ton corps est translucide. Mais tu étais de loin mon sujet le plus abouti, le plus conservé mentalement malgré le transfert. Ton expérience était si concluante que j'ai immédiatement lancé le processus pour moi-même, avant que ma tumeur au foie ne me rattrape...
Je vais devoir terminer parce que ça commence à faire long. Si tu vois cette vidéo, c'est que ma prothèse à la main ne détecte plus de signe de vie dans mon corps ce qui a ouvert tout le dossier secret dans mon holordinateur. Tu vas maintenant hériter de tout mon savoir Peter, mais pour la suite tu n'y arriveras pas tout seul.
Alors écoute moi bien : prend cette clé USB ainsi que le morceau de miroir, file rejoindre Magnolia, quitte cette ville qui commence à devenir un repaire d'Ombre au fil du temps et rend-toi dans la ville de Holden. Magnolia t'aidera dans tes recherches. Tu vas devoir rejoindre la base des Veilleurs qui se trouve là bas. Rejoins les, donne-leur cette clé USB. Ensuite je compte sur toi pour leur transmettre la dernière mission que le miroir m'a confiée.
Localisez les Gardiens de ce monde et trouvez-les. Quand le moment sera venu, vous devrez les aider dans leur mission.
Crois moi ils sont les derniers à pouvoir nous aider dans ce monde.
Parce que les Ombres s'échappent de l'Entre monde en masse et nous envahissent. L'histoire va se répéter comme au temps de la Dislocation. Mais cette fois peut-être que les derniers Gardiens pourront tous nous sauver....
Consulte le reste du dossier Peter. Toutes les instructions sont là dedans. Reste avec Magnolia et soigne toi bien. Quant à moi je te dis adieu mon fils. »
La vidéo s'arrêta, laissant un Peter abasourdi par la quantité d'informations à digérer d'un seul coup. Il regarda la clé USB entre ses doigts transparent. Les os de sa main se voyaient tous, brillants comme une radiographie. Il devait apporter ça à des personnes basées à Holden... Les Veilleurs...
Il en avait déjà entendu parler dans les cours d'Histoire. Il s'agissait d'une organisation qui avait fait la chasse aux sorciers fut un temps, car avec leur magie ces gens représentaient un lien avec les Douze. Or dans ce monde, ces dieux étaient synonyme de malheur et tout le monde sans exception devait leur tourner le dos. Les personnes ayant eu la malchance de naître avec des pouvoirs magiques se retrouvaient traqués puis exécutés pour trahison envers l'humanité. Heureusement cette pratique s'était peu à peu perdue et aujourd'hui les Veilleurs se contentaient de garder les sorciers à l'œil.
Quant aux Gardiens, l'Histoire en faisait aussi mention, les représentant comme des apparitions démoniaques et cauchemardesques pour apporter le malheur dans leur monde. Ils étaient les nuisibles numéros un depuis la Dislocation et la traque des Veilleurs les avaient fait disparaître des pages de l'Histoire. Nulle doute que, s'ils existaient encore, ils devaient se terrer au fin fond des Souterrains. Eileen voulait que Peter rejoigne ces Veilleurs pour trouver ces personnes. Et les aider dans leur mission.
Peter se demandait ce qu'il allait réellement faire de tout ça lorsque la lumière de la pièce vira au rouge et une alarme se mit en route dans tous les étages de la tour. L'assistante virtuelle du système informatique annonça alors une alerte de niveau cinq.
- Tout le personnel est prié d'évacuer dans le calme et rejoindre les abris les plus proches. Alerte de niveau cinq. Ceci n'est pas un exercice. Gardez votre calme. Tout le personnel est prié...
La porte du bureau s'ouvrit à ce moment là et Magnolia soupira de soulagement quand ses yeux, deux billes entièrement bleu marine se posèrent sur Peter. Les tentacules de poulpe qui remplaçaient ses cheveux s'agitaient un peu à cause du stress, comme animés d'une vie propre.
- Tu es là ! Il faut qu'on parte Peter.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Je ne sais pas encore, mais selon les rumeurs, les Ombres sont en train de se déchaîner à l'extérieur. On doit rejoindre un abri en vitesse parce que si elles rentrent ici.... Bref on doit y aller.
Magnolia s'arrêta sur les fissures dans la baie vitrée et se figea en voyant le sang dessus. Elle contourna le bureau et son regard se posa sur la directrice de la tour, morte.
- Oh Eileen... fit Magnolia.
Son ton montrait à la fois sa peine, sa déception mais aussi le fait qu'elle s'y attendait plus ou moins. Elle s'accroupit à hauteur de son ancienne collègue et lui ferma les paupières.
- C'est peut-être mieux pour elle... dit-elle. Une balle dans le front est toujours plus rapide et moins douloureux qu'une tumeur au foie pendant des semaines.
Peter s'attarda sur le trou dans la tête de sa mère. Il chercha autour de lui au niveau du sol, mais il n'y avait aucune trace de son pistolet. Signe qu'elle ne s'était peut-être pas suicidée, comme le pensait Peter au début.
- Quelqu'un l'a tué, dit-il. Un sacré tireur.
- Probable. Malgré les apparences elle avait de nombreux ennemis parmi le personnel. Un de ses robot a peut-être contourné le système...
Peter ramassa le miroir de sa mère qui trainait dans la poche de sa blouse de scientifique. Le reflet lui renvoya un regard tantôt rouge sang, tantôt noir, tantôt jaune. Il le rangea avec la clé USB.
- Magnolia... Faut qu'on s'en aille.
- Oui, allons-y.
- On laisse ma mère ici ? demanda Peter après un temps.
- Oui... Son âme finira bien par trouver la Rivière. J'espère que cette femme sera plus tranquille à la Surface.
Un nouvel ordre d'évacuation résonna dans les hauts parleurs, puis Peter et Magnolia quittèrent le bureau d'Eileen. Dans les couloirs ils marchèrent d'un pas soutenu. Les ascenseurs étant hors services, ils prirent les escaliers pour rejoindre la chambre de Peter. Là, Magnolia récupéra une trousse avec des médicaments et de nombreuses solutions à perfuser, pendant que le squelette partait enfiler autre chose que sa tenue d'hôpital. Un sweat à capuche noir et vert avec une tête de mort dans le dos et un pantalon cargo noir, dans le style cyberpunk de ce monde. Il enfila des baskets à scratch et rejoignit enfin Magnolia dans le couloir.
- On va revenir tu crois ? demanda Peter.
La psychiatre garda le silence suffisamment longtemps pour que le squelette comprenne que ce n'était pas aussi simple.
- Les choses ne sont plus comme avant Peter, dit-elle. Les informations qu'on m'a récemment transmises sont claires : trop de personnes voyagent entre les mondes en ce moment. A chaque voyage, de plus en plus d'Ombre s'échappent de leur dimension et viennent chercher magie et vie ici, ou même ailleurs dans les autres mondes. Et le problème c'est que... Des gens très spéciaux sont en train de se réunir et leurs liens forgés avec des pactes de sang nuisent aussi à la stabilité des mondes... C'est pour cela que tout devient chaotique et que les Ombres nous envahissent....
Peter écarquilla les yeux et échangea un regard avec Magnolia. Elle soupira.
- J'ai entendu Eileen enregistrer la vidéo que tu viens de visionner. Elle t'a dit de venir me voir pour qu'on se rende ensuite à Holden.
- C'est ça...
- Sache que je fais partie des Veilleurs. C'est pour ça que je sais autant de chose. Maintenant on doit les rejoindre dans leur base. Et je pense qu'on risque fortement de rester là bas si la situation continue de dégénérer comme ça. On va arriver au même point qu'avant la Dislocation. On arrive au point où plus aucun endroit ne sera sûr à l'avenir.
- Alors on doit faire quelque chose ! On doit leur apporter la clé USB et transmettre le dernier message de ma mère.
- Oui, il faut les convaincre que les Gardiens sont notre dernier espoir face à la fin du monde. Ils seront les seuls à pouvoir endiguer le mal à la racine.
- Et on devra se débrouiller pour les trouver.
Peter regarda une dernière fois autour de lui. Il allait quitter cette tour, définitivement, et rejoindre cette organisation mystique qu'était les Veilleurs. Son avenir venait de basculer en une seule journée. Ce matin il se battait encore avec sa mère car il n'en pouvait plus de suivre ses ordres et passer ses journées sous assistance. Et cette après midi, il trouvait sa mère morte, recevait son testament sous forme de vidéo, de clé USB et de miroir maudit.
Maintenant il allait quitter cet endroit et cette ville, avec Magnolia, direction la base des Veilleurs à Holden.
Mais soudain Peter et la psychiatre ralentirent le pas en voyant une silhouette voûtée face à eux dans le couloir. La lumière artificielle de l'extérieur baignait le corridor d'une couleur bleu néon sur toute sa longueur, au travers de la grande baie vitrée. Peter n'en crut pas ses yeux en reconnaissant la silhouette puis ce qui lui remplaçait le sang dans son corps se glaça. Le jeune homme en face d'eux venait de leur braquer le flingue d'Eileen dessus.
Se tenant l'épaule qui saignait, le souffle rauque et le regard rougeoyant sous sa frange noire et effilée, Stone posa son doigt sur la détente et s'avança d'un pas presque théâtral.
- Stone ? fit Peter, sans y croire. Je croyais que tu étais parti ! Il est où Ren ?
Doucement Magnolia attrapa le bras du réincarné pour le tirer en arrière et le protéger au cas où l'assassin ferait feu. Avec son pistolet il indiqua les poches de Peter.
- Vous avez quelque chose à me donner, dit Stone.
- T'es blessé ? demanda Peter, encore trop bienveillant pour ce monde.
L'épaule de Stone saignait malgré sa main plaquée sur la blessure par balle.
- Magnolia peut te soigner ! proposa Peter.
- J'en... ai rien à battre, c'est pas cette égratignure qui va me tuer ! Maintenant vous allez me donner ce putain de miroir.
- Et qu'est-ce que tu vas en faire ? intervint Magnolia.
- Ben c'est évident : le péter et sortir d'ici !
- Tu peux pas rentrer chez toi ? demanda Peter.
- Attends... Stone, dit doucement Magnolia en levant les mains pour l'apaiser. D'abord pose cette arme avant d'avoir un geste que tu regretteras.
Stone cligna des yeux et lâcha un rire hystérique.
- Mais j'ai jamais de regret à tuer qui que ce soit !
- Tu ne peux pas faire ça, continua calmement la psychiatre. Peter et moi nous devons rester en vie car nous avons encore un message à transmettre. Un message de la part d'Eileen.
- Cette folle qui sait pas viser et qui m'a foutu un plomb dans l'épaule ?? Quel genre de message ??
- Dans le genre très important pour la sûreté des mondes : nous devons aller voir les Veilleurs et leurs transmettre ceci.
Magnolia demanda à voix basse à Peter de montrer la clé USB. Le squelette la mit en évidence même si Stone ne pouvait pas savoir ce que c'était.
- Cet objet contient tous les secrets et le savoir d'Eileen. Cette femme avait perdu la tête mais elle a découvert tant de choses qui peuvent nous aider à la compréhension du monde qui nous entoure et aux événements qui se déroulent en ce moment. Il faut qu'on la donne aux Veilleurs, ainsi on évitera peut-être la fin des mondes...
Stone pointa son flingue sur la psy, puis sur Peter, comme s'il hésitait entre les deux.
- Les Veilleurs hein ?
- Oui Stone. Et on doit aussi leur transmettre les dernières paroles d'Eileen. On devra les aider à trouver les Gardiens de ce monde, tu sais de quoi je parle ?
Stone écarquilla les yeux en entendant la femme évoquer les Elus divins. Oh que oui, il savait de quoi elle parlait. Il avait fréquenté ces Gardiens pendant les deux dernières semaines et avait été au cœur de la confidence. Et il avait aussi saisi les enjeux autour de leur réunion. Il baissa son arme et Magnolia perçut ce geste comme une marque de confiance et de curiosité.
- Tu sais comme nous que les Ombres vont envahir nos mondes, continua Magnolia. Et tu sais que les Gardiens seront sûrement les seuls à pouvoir sauver les trois mondes de leur fin.
- Ouais et d'un dieu déchu aussi ? continua Stone.
Cette fois, ce fut Magnolia et Peter qui furent intrigués. Stone eut un sourire carnassier, fier de l'effet qu'il avait provoqué.
- Oui je connais quelques trucs sympas aussi. Faut dire que ma mère était le même type d'illuminée qu'Eileen. Et que j'ai pas mal trainé avec des Gardiens ces derniers temps.
- Alors peut-être que tu pourras nous aider ? proposa Magnolia.
À l'instant t, elle voulait juste qu'il s'écarte pour les laisser passer sans leur tirer dessus mais en y réfléchissant mieux ce garçon leur sera peut-être d'un grand secours à l'avenir.
De son côté Stone se mit à réfléchir. S'il les accompagnait voir ces Veilleurs, il pourrait leur soutirer de nombreuses informations sur les mondes et les Ombres qui les envahissaient. Informations qu'il pourra transmettre plus tard à ses amis les Elus du Deuxième monde. Il serait un excellent agent double. S'il rejoignait ces Veilleurs, il pourra aussi les aider à chercher ces Gardiens du Troisième monde...
L'évidence le frappa de plein fouet. Mais oui ! S'il trouvait en avance les trois derniers Gardiens de ce monde - parce qu'il avait compris qu'il n'en manquait que quatre dont un seul dans le Premier - alors il mâchera le boulot de Ren et des autres ! Si Ren revenait un jour, parce qu'il était certain qu'il reviendrait le chercher, alors il pourra lui dire fièrement qu'il aura déjà retrouvé les trois Gardiens ! Et là son frangin adoré sera super content et le remerciera jusqu'à la fin des temps !
Rester dans ce monde lugubre et sombre encore un moment, c'était peu cher payé en sachant qu'il pourra aider Ren à l'avenir et lui donner le sourire.
Stone termina sa réflexion et prit alors cette décision qui allait changer la suite de sa vie. Il pointa Peter et Magnolia avec son flingue comme on le ferait avec un simple index, en souriant.
- Je pense que je vais rester ici encore un peu. Comme ça, je vous filerai un coup de main pour trouver les derniers Gardiens !
A SUIVRE...
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