Chapitre 32: Promenade sur les docks
Après une nuit sans songes, Ren ouvrit un œil, étendu sur le dos dans son lit de la chambre de l'auberge. En tournant le regard sur le côté, il vit la tête de Stone en train de le surveiller, le nez au dessus du matelas et ses yeux rouges aussi perçants que ceux d'un hibou. Le genre de vision idéale pour bien démarrer une journée...
— T'es chelou toi, marmonna Ren en se frottant les yeux.
— T'as l'air d'un gosse quand tu dors, tu le sais ça ?
— Attends, tu me regardes depuis combien de temps là ?? fit Ren en se redressant en vitesse.
— Trois secondes avant que tu te réveilles, ça va ! souffla Stone.
Il se débarrassa de sa couette avec un coup de pied et se mit debout dans son lit tiroir. Il s'étira longuement avant de partir ouvrir les volets de la pièce. Le soleil inonda la chambre et les cris des goélands s'invitèrent au même moment. Yeux plissés à cause de la luminosité, Ren se tira de son lit avec peine. Ce matin en particulier il n'avait aucune envie d'aller traîner sur les quais du port à la recherche de leur Gardienne, surtout après le numéro d'Amethyst pendant la soirée.
A propos de cette déesse... Ren pivota vers l'autre plumard de la pièce. Luka était étendu dessus dans la même position que celle avec laquelle il s'était couché la veille. Ses cheveux rouges étaient plus ébouriffés que d'ordinaire.
— On le réveille ? proposa Stone avec un sourire démoniaque. Go lui sauter dessus !
— Non, fit Ren en le rattrapant par sa chemise de nuit.
— Rah, t'es pas drôle ! Prem's à la salle de bain pour la peine !
L'assassin se jeta sur un tas difforme de vêtements dans sa valise ouverte et se rua à la salle d'eau en ricanant. Ren fit la moue... Il venait de se faire piquer la place... Il se laissa choir dans son lit en ronchonnant, la tête dans l'oreiller. Des coups retentirent à la porte.
— Room service ! lança la voix de Scorpio.
— On arrive... maugréa Ren.
— On est en bas avec Charlie, informa Scorpio. Traînez pas trop.
Ça, ça dépendra du temps que passera Stone à la salle de bain et comme il était d'une lenteur affligeante à se préparer le matin c'était pas gagné. Ren se résigna à se changer dans la chambre et décida de piquer la brosse à cheveux de Stone, qui l'avait oublié dans sa valise. Comme s'il attendait ce moment précis pour se manifester, ce dernier surgit de la salle de bain, les cheveux en pétard.
— Rends !! exigea-t-il.
— Viens la chercher ! provoqua Ren.
Il agita la brosse à cheveux et prit ses jambes à son cou quand Stone fonça sur lui. Ren contourna rapidement son lit, sauta par-dessus puis , d'un petit saut, évita Stone qui venait de se jeter sur lui. Il ricana tandis que Stone était en train de péter un câble. L'assassin rampa sur le lit pour rattraper l'autre. La banane jusqu'aux oreilles Ren contourna l'autre lit dans lequel Luka dormait toujours comme un loir.
Stone ne se formalisa pas d'une présence humaine sur le matelas et passa directement dessus pour attraper Ren, en piétinant Luka au passage. Ce dernier ouvrit un œil et ronchonna.
— Mais ça va pas la tête... ?
Stone sauta du matelas et se jeta dans le dos de Ren, en train de repartir. Emportés par l'élan et le poids de l'autre, les deux chutèrent. Ren s'étala au sol et eut les poumons broyés entre le parquet et le corps de son alter ego. La brosse à cheveux lui échappa des mains. Stone lui mit les doigts dans la figure pour l'empêcher de bouger, tendit le bras et récupéra l'objet convoité.
— Gagné ! s'exclama-t-il.
D'un coup d'épaule, Ren le dégagea sur le côté et se releva. Stone brossa ses cheveux beaucoup trop longs et emmêlés.
— Allez Luka grouille ! pressa-t-il. On va aller prendre le café !
Le rouquin se redressa avec peine comme si son corps pesait une tonne. Vu son expression faciale, la soirée un peu trop arrosée de la veille avait eut l'effet escompté : gueule de bois et maux de tête allaient l'accompagner pour la matinée. Il partit se traîner sans un mot à la salle de bain avec ses affaires et s'y enferma. Ren s'attacha les cheveux vite fait en demi-queue à l'arrière de sa tête et Stone nettoya un coup ses bottes en cuir.
Dix minutes plus tard, les trois garçons rejoignirent Scorpio et Charlie au petit-déjeuner. Scorpio beurrait des tartines tandis que Charlie tenait sa tête à deux mains devant un café noir. Ren demanda si elle allait mieux depuis hier soir, ce à quoi Scorpio ricana, moqueur.
— C'est ça de boire quand on supporte mal l'alcool. On dit n'importe quoi, on tient pas debout, on rigole pour rien et on a une magnifique gueule de bois le lendemain. Et encore, vous l'avez pas vu après qu'on se soit dispersé chacun dans notre chambre hier soir...
— Rah tais toi, supplia Charlie en se massant les tempes.
— Intenable l'animal... susurra Scorpio.
Sardonique, il claqua ses dents dans sa tartine avec un clin d'œil. Charlie lui jeta un regard montrant bien qu'elle était à deux doigts de lui retourner la carafe de café brûlant sur les genoux. Au lieu de cela, elle fit passer le récipient aux garçons.
— Et comment va notre nouvelle recrue ? demanda Scorpio.
Luka se servit une tasse complète et fit glisser la carafe à Ren. Stone lui déroba le récipient sous son nez.
— Un peu mal à la tête mais ça va, dit le rouquin. Les matelas sont plus confortables que là où je dors habituellement.
— Pour quelqu'un de ta corpulence qui avait trois grammes d'alcool dans le sang hier, tu t'en sors pas trop mal, remarqua Scorpio.
Ren arracha la carafe des mains de Stone et se servit une tasse. L'assassin attendit le moment où il allait sucrer son café pour lui piquer le sucrier.
— Dis moi Luka, y avait un monsieur Jackob hier non ? demanda Charlie. C'était qui ?
— Ne remets pas ce sujet sur la table, dit Scorpio.
Mains autour de sa tasse, Luka souffla sur son café en regardant dans le vide. Il soupira.
— C'était personne... Juste l'ancien majordome de mes parents...
— Ils font quoi tes darons pour avoir un majordome ? demanda Stone qui versait des cuillères à soupe complète de sucre dans son café.
— Pour faire simple ce sont eux qui gèrent les compagnies de transport et de marchandises du port... Des armateurs, des personnes d'affaires, des bourgeois qui se sont enrichis avec le commerce... Rajoutez des origines nobles vaseuses du côté de mon hideuse de mère et vous obtenez le couple parfait des petits bourges qui se prennent pour des ducs...
— Wow ! fit Charlie, admirative. Donc tous les bateaux et toutes les entreprises du coin appartiennent à tes parents ?
— Quasiment.
— Vu le ton que tu prends, ç'a pas l'air d'être la folle ambiance avec ta famille, remarqua la blonde. En plus t'es à la rue et tu dois voler pour survivre... Ils t'ont mis dehors ?
— Je me suis barré de chez moi, dit Luka avec amertume.
— C'est con, avec tout l'héritage que t'avais, dit Stone.
— Je m'en contrefiche de leur argent... Je pouvais plus vivre au manoir familial, ils me détestaient tous, alors j'ai fugué, c'est tout.
— Ah, et pourquoi ? s'intéressa Charlie.
D'un coup le visage de Luka se ferma et ses phalanges blanchirent sur sa tasse. Il but une gorgée de café.
— Ça vous regarde pas...
— Pas de souci, dit Scorpio sentant qu'il fallait mettre un terme à l'interrogatoire. Qui veut du pain ?
— Et toi rend moi le sucrier ! exigea Ren alors que Stone se préparait un café avec accès direct à un coma hyperglycémique.
***
Ce jour là, le groupe fit une pause dans les recherches intensives pour se promener ensemble sur le port. Charlie avait envie d'aller faire un tour aux boutiques pour y dépenser des sous et des âmes. Ils marchèrent le long des magasins en tout genre, profitant du soleil et du vent du large. Malgré la tension du petit déjeuner, elle faisait la conversation avec Luka, en évitant les sujets sensibles dont Scorpio avait donné la liste.
— T'aime le thé Luka ? piailla la blonde devant la boutique en question.
La devanture « Palais des thés » avait beau être d'un autre siècle, c'était la même que dans le monde de Ren. L'odeur subtile du thé émanait depuis l'intérieur de la boutique.
— Euh... Oui, dit le roux. Au caramel surtout...
— Viens, je t'en prend un sachet ! invita Charlie en lui attrapant le bras.
Et elle entra d'un air joyeux dans la boutique en le traînant derrière. Scorpio eut un sourire.
— Sacrée Charlie.
— Une pipelette ultra sociable, définit Ren.
— Ecoute ça a l'air de marcher, dit Scorpio. Regarde notre Luka a l'air de se dérider au fur et à mesure de la promenade.
Ils attendirent que Charlie finisse de vider la boutique de ses thés en se rapprochant des digues de la promenade du port. Ren profita du soleil et de la brise pendant que Stone prenait un crabe en chasse entre les rochers.
— Dis à propos d'Amethyst... commença Ren. Tout ce qu'elle a dit la nuit dernière... T'en penses quoi Scorpio ?
— Quand elle a expliqué pourquoi elle voulait abandonner sa mission en quelques sortes ? Ma foi, je la comprends totalement. Quitte à choisir, je ne voudrais pas recroiser le chemin d'Obsidian. J'avoue avoir été lâche il y a quatre milles ans en m'éventrant pour éviter le combat. Mais dans tous les cas j'étais mort et il était hors de question que ce soit ce sale gosse qui ait ma peau. Sauf que contrairement à vous, moi je suis sûr de devoir l'affronter à nouveau...
— C'est-à-dire ?
— C'est simple. Tous les Gardiens que j'ai croisé se disent qu'ils mourront avant le retour d'Obsidian. Cent ans c'est court pour une vie humaine de ce monde... Mais moi j'ai l'éternité pour attendre le retour d'Obsidian. Et je serai obligé de le recroiser, parce que je reste un dieu... C'est comme ça...
Ren leva le nez vers Scorpio. Il regardait le large, l'air ailleurs. Physiquement on ne lui donnerait pas plus de quarante ans, mais l'espace d'un instant Ren put voir le poids et la fatigue des années sur son visage. L'homme face à lui avait vécu quatre milles ans... Il avait vu défiler les siècles et les époques... Ren ne pouvait pas imaginer tout ce qu'il avait traversé...
— Tu appréhendes ? demanda-t-il.
— Le combat contre mon frère ? A vrai dire ma vie a été tellement longue que j'attend plus rien... Puis si je meurs contre lui... Finalement je crois que ce sera plus une délivrance qu'autre chose...
Des pas retentirent dans leur dos puis Charlie pointa le bout de son nez, les bras chargés de sac en papier rempli d'une dizaine de boite de thé. Elle avait visiblement dévalisé la boutique et Luka tenait son paquet de thé au caramel à ses côtés.
— Comme ça on fait des stocks ! se justifia-t-elle. Les prix sont beaucoup plus abordables ici, vu que y a pas le coût du transport en train jusqu'à Occlasia.
— Et bien on tiendra jusqu'à l'hiver prochain au moins.... fit remarquer Scorpio avec humeur.
— Ça vous réchauffera en rentrant du boulot, ajouta Ren.
Pendant la mauvaise saison, lui et ses amis allaient toujours boire un chocolat ou un thé bien chaud au café de l'école, lorsqu'ils sortaient des cours transis de froid. Charlie se tourna vers Ren, l'air intriguée.
— Nous réchauffer ? Ben y a pas besoin pourquoi on... Ah, il fait encore froid dans ton monde peut-être ?
— Ben oui...
— Ah okay, réalisa Charlie. Sache que chez nous les hivers en dessous de dix degrés ça n'existe plus depuis des années. Donc pas besoin de thé pour se réchauffer.
Ren resta tout étonné devant cette information. Le groupe se remit en marche sur la promenade du port.
— Réchauffement climatique, continua Charlie. Avec tout le charbon et les énergies fossiles qu'on crame depuis deux siècles et demi, la planète s'est bien réchauffée. Ce qui n'est pas le cas dans ton monde je pense, si vous devez vous réchauffer au thé...
— Pas vraiment non.
— C'est vrai qu'il faisait super froid pendant la période où j'étais dans le Premier monde ! brailla Stone, en équilibre sur la digue.
La journée se résuma au final à se promener sur le port et à manger à une buvette sur les docks. Ils s'arrêtèrent en début d'après-midi devant une bijouterie, juste après le repas, pour admirer les bijoux étincelants sur leurs socles. Si Charlie en avait eut les moyens, elle aurait fait une razzia dans la boutique.
— Oh mais regardez comme ils sont beaux ceux-là !! piailla-t-elle. Tout une collection en métal inspirée du Zodiaque ! AAAh je veux je veux !!
— T'es au courant qu'on est à peine le quinze du mois et que ta paye est en train d'y passer ? rappela Scorpio.
— Oui mais...
Ren comprenait presque l'engouement de la blonde pour la collection de bijoux : ils étaient tous magnifiques, en métal et pourtant tout simple. Le regard de Ren se posa sur un collier en particulier. Une chaîne et un pendentif en métal noir, en forme du signe astrologique du bélier. Il pensa à Sarah, qui était bélier, en plus d'en avoir les cornes sur la tête... Et qui adorait ce genre de bijoux...
Une idée s'implanta alors dans sa tête. Le genre d'idée qui lui donnera d'amers regrets si il ne la suivait pas. Il se maudit intérieurement en entrant dans la boutique. Dix minutes plus tard il en sortit avec une petite boîte, contenant le pendentif qu'il avait vu en vitrine. Ça lui avait coûté tout l'argent que Charlie lui avait prêté, plus les âmes qu'il avait reçu en dégommant un docker la veille, mais il était satisfait de son achat.
— Dis donc Ren, je savais pas que t'aimais ce genre de bijoux, remarqua Charlie.
— C'est pas pour moi, dit-il d'un ton bourru en rangeant la boite dans sa sacoche.
— C'est pour qui alors ? demanda Stone en faisant un travelling avec son visage dans sa direction.
Ren le repoussa quand il entra dans la limite de sa sphère privée et ronchonna, un peu mal à l'aise de devoir révéler le destinataire de ce cadeau.
— Pour personne... Juste pour l'anniversaire d'une amie...
— Oh c'est trop mignon, s'exclama Charlie. Elle est d'avril je suppose ?
— Du deux oui... Je lui ramènerai quand je rentrerai...
C'était bien la première fois qu'il achetait un tel cadeau sur un coup de tête pour une amie...
Charlie proposa ensuite à tout le monde d'aller se reposer à l'auberge pour l'après midi. Ils avaient bien besoin d'une pause détente après tout. Ren n'était pas suffisamment fatigué pour faire une sieste, alors il resta juste allongé dans son lit à la piaule.
Portable en main, il chercha ce qu'il pouvait faire dessus sans internet. Il décida de trier un peu ses photos. Défilant sur l'écran, il passa l'année en revue. Voir les visages souriant de ses amis sur les photos lui donna le sourire qui se teinta peu à peu d'amertume.
Il réalisait avec peine qu'il n'avait perdu ses amis de vu que depuis moins d'une semaine, mais que eux ne l'avaient pas vu depuis deux mois. Gabi aura beau les rassurer comme quoi il était en sécurité dans le Deuxième monde, ils continueront à subir son absence sans pouvoir rien faire. Est-ce qu'il leur manquait tant que ça ? Probablement étant donné l'état dans lequel Gabi était au moment de leurs retrouvailles. De plus elle lui avait répété que tous se faisaient un sang d'encre pour lui...
Il éteignit son portable en se disant que ça conserverait la batterie puis le posa sur son chevet. Stone dormait sur son lit-tiroir, la joue écrasée contre son oreiller. Ren grimaça un peu en se rendant compte qu'ils avaient exactement la même tête. Ça laissait à désirer sur sa tronche quand lui dormait...
Sur l'autre lit de la pièce, Luka était en train de lire, assis en tailleur. Sa longue mèche de cheveux écarlate lui tombait sur l'épaule et sa tignasse ébouriffée lui masquait une partie du visage. Il était complètement plongé dans sa lecture. Ren s'assit sur son matelas en soupirant longuement par le nez. Difficile pour lui d'admettre que ses colocataires de dortoirs et leur conversation facile lui manquaient déjà...
Il se leva pour faire des tours de chambre car il commençait à en avoir marre de l'inactivité. Le plancher grinçait à chacun de ses pas, puis il partit s'asseoir sur le rebord de la fenêtre. Le port ne cessait jamais son activité et grouillait toujours de monde. Et parmi cette foule, il y avait une seule femme qui les intéressait tous. Une seule personne, leur Gardienne, qu'il faudra trouver un jour ou l'autre... Si ça se trouve elle n'était peut-être pas dans le coin... Dans ce cas là, les recherches allaient se compliquer.
Il lui vint alors une idée. Il descendit de son rebord de fenêtre, contourna son lit et le tiroir ouvert dans lequel Stone ronflait toujours et se rapprocha de Luka. Il se planta au pied du lit en le fixant, attendant qu'il daigne à lever les yeux de son roman... Cette technique était infaillible : en moins de deux, le rouquin sentit qu'on le regardait et leva la tête. Il bloqua en voyant Ren qui avait l'air d'attendre, bras croisés. Luka ferma son livre en vitesse.
— J'avais une question à te poser, dit Ren.
— ....Oui... ? hésita Luka.
— T'as bien dit ce matin que tes parents géraient les entreprises de transport dans le coin ?
— Oui et ?
— Je suppose que tu dois t'y connaître un peu dans le domaine... Voilà : on pense que la personne qu'on cherche bosserait sur un navire ou un truc du genre. Stone avait dit qu'elle avait un chapeau à plume et un sabre et c'est pas n'importe qui qui a ces attributs. Tu crois qu'elle serait inscrite dans une sorte de registre ou que quelqu'un la connaîtrait ? Ça nous faciliterait les recherches.
— On peut toujours aller voir au RCS... proposa Luka. Le registre de commerce et des sociétés. Toutes les entreprises commerciales du port sont immatriculées au RCS et je suis certain que les noms de tous les travailleurs sans exception sont inscrits dans un grand registre. Faudrait se rendre à la greffe du tribunal de commerce.
— Donc si on se rend là bas et qu'on demande, on pourra trouver notre Gardienne ? demanda Ren.
Il ne connaissait absolument rein à tout ce qui touchait aux sciences économiques et sociales et encore moins à l'administration mais il avait à peu près compris ce qu'avait raconté le rouquin.
— Si elle travaille dans le commerce au port oui, approuva Luka.
— Génial, fit Ren. On en parle avec les autres et on s'y rend ?
— Moi c'est comme vous voulez hein. Je viens à peine de vous rejoindre je vais pas m'imposer...
— Attends mais tu nous enlèves une épine du pied là avec tes connaissances.
Il partit réveiller Stone qui se jeta naturellement à sa gorge avec un couteau en hurlant. Ren réussit à grand-peine à lui saisir le poignet et garder la lame loin de sa joue. Il n'avait pas tellement envie de se faire rouvrir la cicatrice.
— Mais t'es un grand malade de dormir avec un couteau et de te jeter à la gorge de la personne qui fait JUSTE te réveiller !!
— Vieille habitude ! protesta Stone qui ne se détendit pas pour autant.
Ren exerça une pression sur son poignet pour lui faire lâcher l'arme et remonta son genou dans son estomac. Plié en deux Stone glissa au sol.
— On a peut-être une piste supplémentaire pour trouver notre Gardienne, informa Ren. Allons rejoindre Scorpio et Charlie pour leur annoncer la nouvelle et ensuite on se rend au... tribunal ?
— Ça ferme à dix neuf heures, dit Luka en descendant de son lit.
— Alors vaut mieux pas traîner !
Les trois garçons renfilèrent leurs bottes et Ren partit chercher Scorpio et Charlie. Les deux étaient en train de boire un thé au bar au rez-de-chaussée. Ren annonça tout de suite que la soirée allait être chargée.
— En fait j'ai demandé à Luka si y avait pas un registre avec le nom des travailleurs du port et apparemment ça existe.
— Euh oui... dit le rouquin. Il faudrait qu'on aille au tribunal. Je peux utiliser la notoriété de mes parents pour demander à voir le greffier et consulter le registre de commerce. Si votre Gardienne travaille au port, elle sera forcément dedans. Il suffira juste de son nom.
— Sauf qu'aux dernières nouvelles on l'a pas... grommela Scorpio.
— Désolé, mais tout ce qu'on a sur elle c'est une description physique, s'excusa Charlie.
Ren se tourna vers Stone, au cas où sa mémoire visuelle se rappellerait soudain d'une gourmette portant le prénom de leur Gardienne mais ce dernier secoua la tête.
— Je vous l'ai déjà dit : je l'ai vu une fois il y a trois ans sur le port en train de griller une cigarette. Je me souviens de sa tête et de sa tenue mais j'ignore comment elle s'appelle.
— C'est pas grave, on peut toujours essayer, dit quand même Ren. Luka, on te suit !
Le tribunal était situé dans une des rues adjacentes aux quais du port. Le bâtiment en pierre couleur crème, avec ses colonnes romaines et ses statues antiques se dressait en haut d'un escalier parcouru par des dizaines de magistrats, de juges ou d'avocats. Un vieux tramway passa en klaxonnant quand le groupe traversa les rails devant le bâtiment . Ren n'était jamais rentré dans un tribunal mais l'agitation à l'intérieur était à la hauteur de ses attentes.
— Moi je vous attend dehors hein ! lança Stone. Je vais planter quelqu'un si je vous accompagne. Je supporte pas les endroits clos avec trop de monde.
Il sortit par la porte tournante et les laissa dans le hall du bâtiment.
— Bon ben on te suit, mon petit, lança Scorpio.
En tête de troupe Luka prit un itinéraire qui sembla faire des kilomètres, en direction de la greffe de commerce. Au bout d'un dédale interminable, ils arrivèrent à des guichets fermés par des fenêtres en bois. Derrière ces guichets, des secrétaires s'activaient soit devant leur machine à écrire soit devant une enfilade de tuyau de cuivre à la verticale et pourvus de trou dans lequel on pouvait insérer des objets.
Ren regarda une secrétaire enfermer un télégramme dans une capsule qu'elle posa dans le tuyau avant de fermer une petite vitre et de tirer sur une manette. De l'air entra bruyamment dans le tuyau et la capsule fut propulsée en hauteur. Ren la regarda partir dans le réseau de tuyaux accroché au plafond. Des dizaines de capsules à télégrammes serpentaient à l'intérieur, vers des destinations inconnues. Ren était toujours admiratif devant ces technologies aux airs anciens mais qui semblaient très sophistiquées en même temps.
Luka se rapprocha d'un guichet de libre et toussota pour s'éclaircir la voix et s'annoncer. Il n'avait pas encore prononcé un mot que la secrétaire de l'autre côté de la vitre lui dit :
— Je suis désolée mademoiselle mais vous devez d'abord prendre un ticket et attendre votre tour...
— Alors déjà c'est « monsieur », corrigea Luka d'un air agacé. Ensuite je souhaite parler au greffier du tribunal de commerce.
— Ticket et vous attendez qu'on vous appelle.
— Pardon ? Vous savez qui je suis ? s'offusqua le rouquin. Je suis Luka Omorphia.
A la mention du nom, la secrétaire leva les yeux de sa machine à écrire et cessa de taper sur les touches. Raide, elle inclina poliment la tête.
— Que puis-je pour votre service monsieur Omorphia ?
— Je souhaite parler au greffier du tribunal de commerce, répéta Luka.
— Navrée mais il n'est pas disponible pour le moment...
— Quoi ?? brailla le roux. Mais... C'est pour une urgence !
— Je ne peux rien pour vous, le greffier est absent...
Ren échangea un regard déçu avec Scorpio et Charlie. Luka secoua la tête et posa ses deux mains contre le petit bureau dépassant sous la fenêtre du guichet.
— Qu'importe, trouvez moi quelqu'un pour accéder au registre du commerce et des sociétés.
— C'est impossible monsieur, seul le greffier en a l'autorisation.
— Mais enfin ! Je dois encore vous rappeler qui je suis ? s'énerva le rouquin. Mes parents sont les armateurs de tous les navires du port ! Ils gèrent toutes les entreprises, alors ils doivent bien pouvoir avoir l'autorisation de consulter ce registre ! C'est juste pour trouver quelqu'un...
— Je sais, mais je ne peux pas vous laisser accéder au registre monsieur... C'est la procédure. Bonsoir.
Luka pinça les lèvres et serra les poings. En silence, il battit en retraite et s'éloigna du guichet pour rejoindre les autres.
— Je suis désolé, je pensais que... Qu'avec mon nom j'arriverai à... Désolé, je suis qu'un boulet.
— Ce n'est pas grave loulou, rassura Charlie. Tu auras essayé... De toutes manières on n'avait même pas le nom de la Gardienne, alors on ne l'aurait sans doute pas trouvé...
— On va en rester à la méthode juste chercher sur les quais, dit Scorpio. Ça nous prendra l'année mais si on ne peut faire que ça.
— Dès que ce greffier est disponible je fonce le voir ! promit Luka. Je ne veux pas vous ennuyer plus que ça, alors j'espère que comme ça je vous aiderai un peu...
Ils sortirent du tribunal et descendirent les marches de l'escalier. Ren repéra Stone accroupi sur un banc en fer à l'arrêt de tramway, en train de fixer des mouettes, les avants bas posés sur les genoux.
— Alors ? demanda-t-il.
— Rien, le greffier était absent, dit Charlie. Je suis un peu déçue, je pensais qu'on allait au moins trouver des informations supplémentaires ce soir...
Le ciel se teintait de mauve à mesure que le soleil déclinait sur la mer. La nuit tombait. Scorpio s'alluma une cigarette.
— Pour nous remonter le morale après cet échec, je propose d'aller manger sur la marina du port, qu'en dites vous ?
— Oh oui ! approuva Charlie en battant des mains. Apéro et méga festin pour compenser l'échec de la mission.
— Je suis désolé, c'est ma faute... renifla Luka.
— Mais non enfin ! s'écria Charlie. Tu avais la solution à notre problème, si ça n'a pas fonctionné c'est à cause de ce foutu greffier en vacances.
— Mais je vous ai donné de faux espoirs et...
— Tutut ! coupa la blonde. On n'y pense plus et on va aller manger un bout au restaurant. Cette solution n'a pas marché ce soir mais elle marchera peut-être un autre jour, okay ?
L'air convaincu, Luka abandonna sa mine de chien battu pour afficher un pauvre sourire à la trentenaire. Le groupe se mit en route et rejoignit les quais pour trouver un endroit où s'installer pour manger. Cependant tous les restaurants semblaient déjà bondés malgré l'heure précoce pour le diner. Et les tables de libres étaient toutes réservées.
— On a qu'à aller voir plus loin, proposa Scorpio.
Ils marchèrent le long des quais, auxquels d'immenses bateaux à voiles étaient amarrés. Leur coque en bois grinçait en se balançant au grés des vagues et leurs mats dansaient dans le ciel nocturne. Sur les ponts des différents bâtiments, on pouvait voir de la lumière, entendre les marins discuter entre eux pendant leur diner et écouter de la musique à l'harmonica ou à l'accordéon.
— En vrai, je rêverai de faire une croisière autour du monde un de ces jours, lança Charlie. Voir la mer, le large. Tout ceci doit être tellement grisant !
— Ben tu sais quoi, on économisera pour partir en croisière tous les deux, proposa Scorpio.
— Sérieux ?? s'exclama Charlie, des paillettes dans les yeux.
— Évidemment, je t'avais promis qu'un jour on ferait le tour du monde. A la base c'était pour chercher les Gardiens mais maintenant qu'on en a retrouvé un et que la dernière est dans notre viseur, rien ne nous empêche de faire le tour du globe en touristes !
— Oh Scorpio ce serait le plus beau cadeau au monde !!
Un immense sourire aux lèvres, la blonde se jeta dans les bras de Scorpio pour l'embrasser.
— Promis quand toute cette histoire sera terminée on partira en voyage tous les deux, dit-il en la reposant.
Aux anges, Charlie se mit à sautiller sur les pontons en bois. Arrivée à la hauteur des garçons qui avançaient tranquillement devant, elle leur annonça que ce soir c'était elle qui régalait pour le restaurant. Elle avait vraiment envie de dépenser l'intégralité de sa paye avant le vingt du mois...
— Oh ! On dirait que y a encore de la place à ce restaurant là bas ! s'exclama-t-elle main en visière.
— On va pouvoir manger !! lança Stone. Cette fois personne ne me fera prendre de grenadine !
Ils s'avancèrent tous les cinq devant le restaurant pour consulter la carte qui proposait des spécialités normandes.
— Ça a l'air bien bon tout ça, dit Ren en louchant sur le camembert rôti encore fumant passant sur un plateau de serveur.
— Go manger là alors, dit Charlie.
Une puissante voix tonna alors dans leur dos et résonna sur tout le port.
— SCORPIO !!!
Ren sentit son cœur faire un bond et Stone dégaina immédiatement un pistolet, à l'affût de la moindre menace. Scorpio arqua un sourcil à la mention de son nom dans un endroit pareil. Il avait beau être une célébrité locale à Occlasia, ici il était un parfait inconnu. Il se retourna. Tous pivotèrent à la recherche de la personne qui avait pu crier ainsi. Ren ne vit d'abord qu'un grand bateau à voile amarré au ponton. Il leva les yeux.
Une femme était debout sur le bastingage en bois du pont, se tenant aux cordages d'une main et agrippant son chapeau à plumes écarlate de l'autre. Elle était vêtue d'un grand manteau en cuir sombre, par-dessus une chemise blanche et un veston rouge. Un sabre à la garde décorée de roses pendait à sa ceinture. La femme lança, d'une voix teintée d'un léger doute :
— Scorpio ?
Ce dernier se rapprocha. Il descendit sur le ponton le long duquel le bateau était amarré, perpendiculaire à la promenade du port. Il se planta devant la coque et leva le nez vers la femme au manteau.
— C'est moi oui, dit-il.
Ren sentit la main de Stone lui agripper le bras. Son alter ego avait ouvert en grand la bouche et pointait la femme du doigt. Tous rejoignirent Scorpio sur le ponton. La femme debout sur le bastingage les détailla les uns après les autres. Elle n'avait pas l'air commode et une profonde ride du lion était creusée entre ses sourcils froncés et taillés au couteau. Elle avait des cheveux très courts, marron et méchés de blond. Ren fixa Stone.
— C'est... c'est... !! fit l'assassin.
— Tu connais cette femme Scorpio ? demanda Charlie.
L'homme haussa les épaules. Il avait bien envie de dire non, mais pour une raison qui lui échappait il n'était absolument pas sûr de cette réponse.
— On peut vous aider ? proposa Scorpio à la femme au chapeau.
Cette dernière pinça ses lèvres rouge. Elle eut l'air de réfléchir deux secondes.
— Montez à bord, dit-elle d'un air autoritaire.
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