Chapitre 3: Retour en classe

Epuisé comme s'il n'avait pas dormi, Ren se réveilla du pied gauche ce matin. En grognant dans sa barbe, il balança ses jambes en dehors du lit, ramassa son drap qui s'était complètement défait et partit ouvrir le volet de sa chambre. Il le mit en mode persienne pour éviter que la chaleur estivale ne rentre. Il traina les pieds sur le plancher et sortit de sa chambre, encore à moitié endormi et l'esprit embrumé.

Un coup de polochon en pleine face et le rire tonitruant de Zoé achevèrent de le réveiller. Sonné il tituba en arrière pendant que la benjamine s'enfuyait en rigolant comme une baleine, courant dans le couloir de la maison, en débardeur et culotte.

— Demain c'est la rentrée, crétin !

Il n'allait pas la laisser s'en tirer comme ça ! Ren fit demi-tour, s'arma de son oreiller et partit traquer sa sœur. Il la rattrapa en quelques foulées et lui donna un coup de polochon en pleine poire. La benjamine hurla de rire et riposta. Ren se prit l'oreiller dans la tête et lui renvoya la pareille. Quand Vanessa pointa sa tête déjà énervée en dehors de sa chambre pour réclamer le silence, elle manqua de se faire rentrer dedans par les deux cadets, fonçant comme des furies dans le couloir.

— Putain Ren enfile un teeshirt !! beugla-t-elle. J'y crois pas, l'autre il a juste son bermuda de sport sur lui !!

— Dixit la meuf en brassière et short moulant Décathlon ! répliqua Ren. Mes yeux saignent en voyant ta graisse et tes vergetures sur tes cuisses.

— Alors toi !!!

L'ainée se mangeant deux oreillers parfaitement synchronisés en pleine visage et les cadets repartirent aussitôt se bagarrer plus loin. Vanessa hurla de rage et trépigna sur place avant de d'appeler l'arme ultime de dissuasion nucléaire:

— MAMAAAAAN !!!!

D'abord un silence, hormis le bruit de Ren et Zoé occupés à se balancer des tartes en se roulant par terre, puis la voix d'Hélène monta dans la cage d'escalier

— Quoi ? marmonna-t-elle, visiblement fatiguée.

Vanessa s'avança à la rambarde et se pencha pour parler à sa mère, à l'étage d'en dessous sur les premières marches.

— Les exhibitionnistes me frappent avec leur satané polochon !!! Dit quelque chose !

— Hum... réfléchit Hélène. Faites vos valises, ça vous fera les pieds...

Vanessa lança un « CHEH » à ses deux cadets. Allongée par terre sur le dos, Zoé lâcha un « HA HA » moqueur en pointant son frère du doigt et Ren en profita pour lui écraser son oreiller en pleine face. Mauvaise idée, Zoé riposta immédiatement avec un coup de pied douloureux en plein estomac. Ren tituba au moment de se relever et décida d'arrêter de chahuter. Il partit poser son polochon et laissa son corps presque tomber à l'étage d'en dessous puis se traîner à la cuisine.

Il s'avança au placard de la cuisine, y piocha un bol, attrapa une cuillère dans l'égouttoir de l'évier, puis posa le tout sur la table. Il ouvrit le frigo et attrapa la brique de jus de fruit. Il l'agita pour voir combien il en restait et la finit directement au goulot avant de prendre la bouteille de lait. Sa mère lui jeta un regard en biais pendant qu'il versait des céréales dans son bol.

— Tu pourrais mettre un teeshirt...

Ren l'ignora royalement et touilla son bol pour bien imbiber les céréales de lait. Yannick soupira, tout en lisant un article de presse sur sa tablette.

— Laisse le tranquille avec ça. Il fait chaud et ça ne fait de mal à personne. Puis tu ne dis rien aux filles alors qu'elles se promènent en brassière et en short.

— Je m'en fiche ! Je veux que mon fils enfile quelque chose sur le dos !

— Fous moi la paix, grogna Ren.

Il sauta du tabouret du comptoir de la cuisine et emporta son bol de céréales jusque dans la salon. Il se laissa tomber dans le canapé et alluma la télé, enfournant une cuillère à soupe de céréales croustillantes. À moitié allongé dans le sofa, il sentit sa mère rappliquer et du coin de l'œil la vit croiser les bras, ce qui était mauvais signe. Il ne daigna pas à tourner le regard tout d'abord mais quand sa mère toussa d'un air irrité, il tourna la tête, les joues gonflées comme un hamster à cause des céréales. Il avala et toisa sa mère.

— Ben quoi ? fit-il, arrogant.

— Primo : on ne mange pas dans le canapé, d'ailleurs ce n'est pas l'heure de manger puisqu'il est onze heures passées. Deuxio : je t'ai demandé d'enfiler un teeshirt même si monsieur veut montrer ses abdos à tout le monde. Tertio : je t'ai demandé quelque chose.

— Valise ! s'exclama Vanessa depuis la cage d'escalier, la jubilation suintant dans sa voix.

Ren grogna, partit poser son bol en pestant et remonta à l'étage en râlant.

— Et doucement dans les escaliers !! ordonna Hélène.

Ren frappa bien fort des talons sur les marches pour énerver sa mère et rejoignit sa chambre. En chemin, Vanessa qui squattait déjà la salle de bain lui adressa un sourire mielleux.

— Tu vas te faire démonter un de ces jours et t'inquiète que je serai là pour y assister !

— Tu fais ça, tu signes ton arrêt de mort.

— Rololo les menaces, ricana Vanessa. Toi tu nous fais la crise d'adolescence en retard, à seize ans et demi il était temps.

— Maman ! appela Zoé en passant dans le couloir avec son skate. L'idiot ne fait pas sa valise ! D'ailleurs la grande non plus alors qu'elle est censé partir à la fac.

— Balance !! pesta Vanessa.

— Fayote ! renchérit Ren.

Zoé leur tira la langue, fière comme Artaban sur sa planche à roulettes.

— Qui fait du skate dans la maison ??? s'étrangla soudain Hélène.

Un son menaçant leur donna à tous les trois des frissons dans la nuque, suivit de sueurs froides. Le bruit du pied de leur mère sur la première marche de l'escalier, signe qu'elle montait à l'étage. Lorsqu'ils étaient enfants, ce son précédait toujours un raid punitif après que la fratrie ait fait une grosse bêtise. Aujourd'hui encore il s'agissait d'un bruit dissuasif, l'ultimatum avant l'explosion. Aussitôt les trois se replièrent dans leur chambre pour exécuter les ordres et éviter l'affront.

Une fois toute menace maternelle écartée, Ren se sentit enfin d'attaque pour préparer sa valise. Il la sortie de son placard, l'ouvrit et se mit au travail pour la remplir de tous les vêtements dont il allait avoir besoin. Il poursuivit les bagages en préparant son sac avec les indispensables pour ne pas crever d'ennui pendant les soirées, puis un autre sac avec ses affaires scolaires. La rentrée de septembre était toujours la plus chargée niveau bagages car il fallait tout ramener, pas seulement les vêtements. En un peu plus d'une demi-heure, tous ses sacs et sa valises furent bouclés, prêts pour la rentrée.

— Vivement demain, se dit Ren.

Il passa le reste de la journée à flemmarder dans son lit avec sa console de jeu, sans avoir le courage de faire autre chose, comme dessiner. Ni d'enfiler un teeshirt.

***

Etrangement Ren était excité comme une puce à l'idée de revoir ses amis. Il ne dormit presque pas de la nuit et la passa à faire des tours et des demi tours dans son lit, telle une crêpe que l'on retourne dans une poêle. Pour s'occuper il repensa à son souvenir datant déjà d'il y a quelques nuits. Par chance Aguamarine ne s'était rendu compte de rien. Il ne lui avait pas non plus raconté ce qu'il avait vu. Si tous les souvenirs qui se trouvaient dans la zone des geysers sous marins  dataient de la Guerre, alors il devait aller chercher là bas désormais, que sa déesse le veuille ou non.

Le lendemain, après un copieux petit-déjeuner, Hélène distribua casse-croûtes et billets de train puis embrassa Zoé en lui souhaitant une bonne réussite. Elle sembla hésiter face à Ren. Même si elle n'en parlait plus jamais, et faisait comme si elle avait oublié, elle savait qu'il lui en voulait encore... Le garçon soupira et prit quand même sa mère dans les bras. Elle avait beau l'avoir utilisé comme cobaye et menti, au final elle lui avait donné des pouvoirs et c'était un peu grâce à elle si Ren avait Aguamarine avec lui. Après tout, tout le monde avait droit à une seconde chance, il était très bien placé pour le savoir...

— Bisous maman, dit Ren.

Sa mère l'embrassa avec un sourire et leur souhaita un bon semestre à tous les deux, et surtout de faire attention. Yannick qui les attendait dans le hall avec ses clés de voitures lui rappela que leurs enfants étaient sûrement les meilleurs combattants de l'école et qu'ils ne risquaient rien en cours de magie.

— Hé, il en manque pas une ? remarqua soudain le père.

— Elle dort et je te rappelle que Vanessa ne rentre à la fac que dans une semaine.

— Ah c'est vrai, j'avais oublié que cette enfant avait le bac. Allez en voiture Simone.

***

— Ça fait bizarre de pas avoir Vanessa avec nous, tu trouves pas ? demanda Zoé une fois dans le train.

Leur TGV filait à toute vitesse sur les rails, balayant les campagnes et no man's lands alentours. Hormis les lignes électriques, des passages à niveaux par moment et des brins d'herbe, il n'y avait pas âme qui vive.

— Ça fait du calme. Personne pour nous donner des ordres d'un air prétentieux. Et je suis bien content d'être chef pour une fois.

— Pfff, désigner un chef quand on est plusieurs c'est marrant, mais à deux ?

— Maman m'a dit que j'étais responsable de toi.

— Je suis plus un bébé. Je suis une grande !

— C'est justement ce que disent les bébés, railla Ren.

Zoé lui lança son coussin de voyage dessus puis se leva pour aller aux toilettes. Étant du côté de la fenêtre, elle passa sur son frère pour rejoindre le couloir et partit au fond du wagon en prenant garde à ne pas tomber sur un voyageur. Ren revissa ses écouteurs dans ses oreilles et se remit à somnoler pour le reste du voyage.

Il ne se réveilla que pour grignoter un bout et pour contrôler les billets. Et encore... Le contrôleur s'était juste arrêté en tête de wagon pour demander si tout le monde avait son billet. Les voyageurs avaient tous répondu « oui », le contrôleur avait lancé un « okay » et était parti sans vérifier quoi que ce soit.

La dernière heure de voyage était souvent la plus longue, à cause de la fatigue et des crampes. Il ne tardait qu'une seule chose : l'arrivée. Ce que le micro-crachouilli impossible à comprendre sans interprète dut annoncer dans un concerto de fritures et de grésillements.

Ren galéra comme toujours pour sortir les valises des portes bagages, surtout qu'ils avaient profité de l'absence de Vanessa pour en prendre une grosse et une petite chacun, leur faisant deux valises. Une fois sur le quai ils se mirent en route avec leur chargement, angoissant à l'idée de gravir la pente à vingt pour cent qui s'annonçait pour accéder à l'établissement. Un charmante montée goudronnée à travers la pinède du domaine, donnant sur le portail et la conciergerie. Les deux se séparèrent et chacun rejoignit son bâtiment d'internat, à l'écart du château contenant salles de classes et bibliothèques et pas très loin de la cantine vitrée.

En chemin Ren aperçut un garçon devant lui, en train de marcher avec une valise, très très grand, la peau brune et avec des cheveux turquoise et mi-longs. Il sentit un sourire débile sur son visage et se mit à courir pour le rattraper, en faisant comme si ses valises ne pesaient pas trente six tonnes chacune.

— Hé Pix !! appela-t-il.

L'intéressé s'arrêta et se retourna en entendant son nom. Ses grands yeux bleu-vert se mirent à pétiller en reconnaissant le brun.

— Oh, salut Ren, fit-il.

Le garçon arriva à sa hauteur et se pencha en avant, appuyé sur ses genoux pour reprendre son souffle avant de se redresser.

— Content de te retrouver mon pote, lança Ren.

Pix fit un petite sourire timide et hocha la tête pour confirmer sûrement. Ren remarqua soudain quelque chose, le reluqua de la tête aux pieds et demanda, même si c'était évident :

— T'as pas grandi toi ?

Pix était déjà très grand, mais il avait dû encore prendre quelques bons centimètres pendant les vacances. Les jambes de son jean étaient trop courtes. Il jeta un regard sur le côté en posant une main dans sa nuque.

— Quatre centimètres oui. Je fais un mètre quatre vingt neuf maintenant...

Pix était en plus svelte, ce qui faisait de lui une sacrée perche repérable de loin dans la foule. Ren lâcha un sifflement impressionné. Rougissant, Pix se cacha le visage dans les mains, ne supportant pas qu'on le dévisage.

— Mais ça va, quatre centimètres c'est pas incroyable... couina-t-il.

— Tu rigoles ??? Moi je vendrais mon âme au diable pour grandir de quatre centimètres !!!

Cette voix assez particulière puisqu'elle provenait d'un jeune adolescent était en train de se rapprocher et avant que Ren ait pu se retourner pour voir son propriétaire, Matt était déjà sous son nez, tout sourire avec ses grands yeux olive derrière ses verres de myope.

— Coucou les mecs ! Bien ou bien les vacances ? Moi c'était génial, on est parti à la montagne, on a fait du canyoning, vous savez quand on descend en rappel dans un cours d'eau et des cascades, on a fait de la via ferrata, du canoë, franchement c'était trop cool !!! Oh et la raclette était à tomber, même si c'était pas la saison !

— Ta vie est fantastique Matt, ne put s'empêcher de lâcher Ren.

— Changement de sujet : Pix donne moi ton secret pour être aussi grand !!

— Ben... je... euh.... Mange de la soupe ? bafouilla-t-il.

— Ça c'est ce que ma mère a toujours dit pour que je finisse ses soupes granuleuses goût eau de cuisson et le pire c'est que j'y croyais, je me suis bien fait avoir !

— Ben on peut rien pour toi Matt.

— Mais c'est abusé !! Quarante centimètres d'écart ! brailla l'elfe en faisant la taille avec Pix. Et toi ça doit être trente mais c'est pareil !

— Et si on allait s'installer ? proposa Pix.

— Oh bonne idée !! s'écria Matt. On se racontera les vacances après !

— Raconter nos vacances ? répéta Ren. On est pas des filles pour bavarder comme ça.

Matt haussa les épaules, désinvolte. Il empoigna ses deux valises d'un air décidé et s'élança sur le chemin dallé du parc qui avait remplacé le vieux gravier pendant les grandes vacances. Sa dignité partit en fumée lorsqu'il fut stoppé en plein élan par le poids de ses valises qui refusèrent de bouger. Ren eut pitié en le voyant galérer pour les faire basculer sur les roulettes.

— Ah toi ne m'aide pas !! cracha-t-il en dressant les oreilles d'un air fâché. Je suis un grand, je peux me débrouiller !

— Avec dix kilos de muscles, ben voyons, ironisa Ren.

Matt lui balança un coup de pied en plein genou et le brun lâcha un « aïe » sonore.

— Je déconnais !

— C'est facile de se moquer quand on fait un mètre soixante dix huit et qu'on pèse plus de quatre vingt kilos de muscles ! ! Tu te chut ! ajouta-t-il en faisant « pouet pouet camembert » avec sa main.

— Arrêtez de vous battre les gars, soupira Pix, déjà dépité et au bout de son existence.

— On se chamaille, nuance ! rectifia Matt d'un air prétentieux.

Ils entrèrent dans le bâtiment du lycée dont la porte avait été laissé ouverte pour la rentrée. Le couloir des casiers du rez-de-chaussée était envahi par des élèves en train de discuter et de raconter leurs vacances, tout en rangeant leurs affaires scolaires dans les armoires en métal. Les trois montèrent l'escalier situé à gauche de l'entrée, menant à l'étage et aux salles communes. Ils entrèrent dans celle des premières, qui était au final la même que l'an dernier. Là des visages plus connus se présentèrent à eux. Il n'y avait que deux classes en tout et pour tout, ce qui devait faire une cinquantaine d'élève tout au plus.

— Ça m'avait manqué cette grande salle ! s'exclama Matt. Je suis sûr qu'on a la meilleure vue de l'établissement !!

La baie vitrée de la salle donnait sur le grand marais qui s'étalait entre les collines de la ville. Le paysage était toujours différent en fonction de l'heure et de la luminosité.

— Pour la piaule on prend la même organisation que l'an dernier hein ! Je prend le lit du haut, Ren celui du dessous, et pour Pix et Derak vous vous arrangez.

— Ça va être vite vu, je ne supporte pas de dormir sur un lit en hauteur, dit Pix. J'ai toujours peur de rouler et de tomber...

— Salut vous trois ! lança une voix.

Ren tourna brusquement la tête et fusilla du regard le garçon qui venait de les apostropher : Antoine. Difficile de dire si c'était la brute, l'idiot ou l'enquiquineur de la classe. Ou les trois. Il s'approcha d'eux en se frottant les mains, préparant sûrement une bonne réplique.

— Je suis trop content de vous revoir ! Alors on a le balafré, le minimoys, et le poteau !

— Ah toi dégage, fit Matt en continuant son chemin sans s'arrêter.

— Et ferme la tant que t'y es, ajouta Ren.

C'était bien connu, Antoine ne la fermait jamais. Il passait son temps à inventer des surnoms à tout le monde, réduisant chaque personne à son trait le plus caricatural. Au début c'était peut-être énervant et tout le monde râlait, ce qui ne faisait qu'alimenter Antoine.  Mais après des années sans mettre à jour son répertoire la plupart des gens se contentait désormais d'un « oui, oui » détaché.

— Du coup Matt tu dois souvent converser avec des fourmis étant donné que tu fais la même taille ! poursuivit Antoine en les suivant.

— Converser ! Un nouveau mot de vocabulaire ! s'étonna Matt.

Antoine l'ignora et continua son attaque, se tournant vers le plus grand :

— Et du coup Pix, il...

— Oui Antoine, il fait beau là haut, lâcha Pix visiblement agacé.

Ren dut être aussi étonné que Matt et l'autre débile. Pix ne répondait jamais d'ordinaire... Il se contentait toujours de subir en silence les critiques...

— Hé depuis quand tu réponds toi ?? s'énerva Antoine en tapotant l'épaule de Pix.

Sa main et son bras repartirent brutalement en arrière, repoussés par une force invisible. Ou plutôt par les pouvoirs télékinésiques de Pix, qui continuait sa route l'air de rien.

— D'où tu m'attaque avec ta télékinésie ?? tempêta Antoine en revenant à la charge.

Me parle pas toi ! couina Pix en se protégeant la tête avec les bras.

— Bon Antoine tu veux mon poing dans la gueule ou pas ? intervint Ren.

— Ça va ça va, je déconne. Pff on peut jamais rigoler...

Il rapatria les mains dans les poches de son jean et s'éloigna en tapant des pieds, la tête enfoncée dans les épaules.

— Bon débarras ! postillonna Matt.

Ren confirma, puis jeta un œil à Pix qui semblait fatigué et épuisé. Ils montèrent l'escalier en colimaçon de la salle, direction la coursive à l'étage menant aux dortoirs. Une chorégraphie de valises et de bagages s'orchestrait dans les couloirs. Il y avait toujours une énorme agitation le jour de la rentrée.

— Et notre piaule est là ! s'exclama Matt en repérant l'écriteau sur une des portes.

Il poussa la porte du pied et débarqua en saluant tous les meubles de la pièce : les deux lits superposés, les quatre armoires de rangement, puis il partit inspecter les toilettes et la salle de bain. L'elfe s'amusa un moment avec l'écho de la salle d'eau puis revint dans la chambre l'air aux anges et posa les poings sur les hanches.

— J'adore les jours de rentrée à l'internat, ça sent toujours la buanderie et la javel, j'adore !!

— Chacun ses délires hein, fit Ren.

— Toi t'aime bien sniffer l'odeur des marqueurs à alcool, alors chut !

— Tiens donc ! J'me demandais qui pouvait déjà brailler comme ça avec cette voix de crécelle, au final la réponse est évidente !

Sur le pas de la porte il y avait Derak, en débardeur et bermuda d'été, qui imprima un grand sourire aux canines aiguisées. Malgré la saison estivale et le soleil brûlant, il était toujours blanc comme un cachet d'aspirine.

— Elle est où ta valise ? demanda Matt. Et comment ça une voix de crécelle ???

— Sous le lit, bien rangée, répondit Derak. Je suis arrivé bien en avance j'en ai donc profité pour m'installer sans vous avoir dans les pattes.

— Héé !

— En tous cas ça fait plaisir de vous revoir les gars. On est au complet côté garçons, manque plus que les filles et on ira graille un truc au café, continua Derak.

— On va s'installer d'abord, dit Ren en ouvrant sa valise.

Derak monta l'échelle de son lit et s'y installa, jambes dans le vide, soit disant pour admirer les autres de plus haut et profiter de sa grandeur. Lui et Matt firent la conversation pour quatre, racontant surtout leurs vacances.

— C'était pas de tout repos les miennes, dit Derak. Ma famille m'a aspiré le cerveau avec tout un tas de trucs, mais au moins j'ai eu une chouette bague pour mon anniversaire !

Il attrapa la rambarde du lit avec une main et bascula tête à l'envers au dessus de Pix en train de plier ses affaires sur son lit. Le grand faillit faire une syncope en voyant Derak au dessus de lui, suspendu comme une chauve souris.. Il lui colla sa main sous le nez, accessoirisée de plusieurs bagues en acier et de multiples bracelets en cuir et métal autour du poignet.

— Elle est belle ma bague hein ??

— Oui oui... fit Pix d'une petite voix.

— Vous voulez voir ma jolie bague vous autre ? demanda Derak, en mode cochon pendu.

— Tu nous saoule avec ta bague ! répliqua Matt. Rien qu'à te voir on dirait que t'as braqué une bijouterie, entre tes piercings et tes bracelets !

— Tss, siffla Derak. Hé une minute !

Il se mit à flotter en apesanteur avec ses pouvoirs et s'approcha subrepticement dans le dos de Ren, affairé devant son armoire. Derak lui attrapa soudain les cheveux et les souleva pour dégager le visage et les oreilles du garçon, avec « ha ha » triomphant. Pris par surprise, Ren se retourna d'une traite et tenta de lui coller une baffe que le vampire esquiva en passant au dessus de lui en flottant.

— Tu t'es fais percé les oreilles, j'ai pas rêvé !! jubila Derak.

— Fous le camps !

Le vampire effectua une pirouette pour se placer à l'envers devant lui, le visage à sa hauteur et dans l'autre sens puis il lui tira les joues en souriant de toutes ses dents.

— On est copains de boucles d'oreilles maintenant ! T'as trois clous par oreilles ? En plus ils sont méga stylé, en argent tout simple !

— Mais dégage ! Tu fais mal aux joues !

— Celle de droite est beaucoup moins élastique que la gauche au fait, remarqua Derak en tirant sur sa peau pour tester son élasticité.

— Continue comme ça et tu vas me rouvrir la cicatrice ! tonna Ren.

Derak se prit alors une bulle d'eau surgit de nulle part en pleine face, lui détrempant  totalement le visage et les cheveux. Matt explosa de rire et Derak recula d'un coup en beuglant. Il se posa au sol. Ses cheveux châtains lui dégoulinaient sur la tête, il ne ressemblait plus à rien.

— Mon brushing !! Je mets une demi heure à ma coiffer le matin et toi en deux secondes t'as ruiné ma coiffure !

— Ah t'étais coiffé ?

Matt lâcha un rire encore plus sonore en se roulant sur son matelas et se tenant les côtes.

— Vous êtes tous des criminels capillaires de toute façon ! se défendit Derak en plaquant ses cheveux en arrière. Avec vos cheveux longs moches ! Surtout toi là ! ajouta-il en pointant Ren du doigt.

Ce dernier lui colla un majeur bien en évidence sous le nez, ce qui enragea encore plus Derak. Ren afficha un sourire satisfait rien que de l'entendre grogner. Pendant encore une demi-heure, les garçons continuèrent à se chamailler comme des enfants, tout en rangeant leurs affaires. En sortant de leur chambre, Ren se sentait bien. Ses trois colocataires et amis étaient presque comme des frères pour lui. Il était vraiment content de les avoir retrouvé.

En redescendant à la salle commune, ils se firent bousculer dans les escaliers par une gamine à la peau rouge, fuyant en courant et hurlant d'une voix stridente. Elle descendit quatre à quatre les escaliers et courut dans la salle commune au milieu des élèves. À peine deux secondes plus tard, Gabi surgit des dortoirs des filles, salua rapidement les garçons au passage et prit l'escalier à la poursuite de la fillette.

— Naaaann !!!! hurla-t-elle. Je veux pas les bonbons pas bons !!

— Emi reviens ici !

Ren venait de remarquer que Gabi avait comme une boite de médicaments dans la main. Matt se hissa sur la rambarde de la coursive et s'y accouda pour pouvoir regarder le spectacle, les pieds à cinq centimètres au dessus du sol. Gabi slalomait avec difficulté entre les autres élèves pour attraper Emi qui la faisait sûrement tourner en bourrique. Elle riait comme une baleine, se retournant plusieurs fois pour vérifier si Gabi la poursuivait bien.

— Les gars, un coup de main ? supplia la brune avec sa voix rauque en levant la tête vers eux. Vous êtes tous alignés comme des pigeons sur un câble électrique et y en a pas un qui bouge.

Derak mit un coup de coude à Pix en disant que c'était pour lui. Le jeune homme tendit une main en avant et Emi fut stoppée en plein élan par ses pouvoirs. Elle fut soulevée du sol et se mit à flotter en riant dans la salle commune. Pix la ramena sur la coursive.

— Oui je vole comme une fée ! s'exclama la fillette. Bisous Pix !

Il l'avait à peine reposé à côté d'eux qu'Emi sauta dans les bras du garçon qui la rattrapa de justesse, grimpa jusqu'à son visage et lui claqua un bisous sur la joue. Pix ouvrit des yeux tout étonnés et l'oni lui entoura le cou avec ses petites bras avant de poser sa tête contre son épaule.

Épuisée par la course Gabi remonta souffle court, s'agrippant à la rambarde de l'escalier. Fidèle à elle-même, ses cheveux emmêlés lui masquaient la moitié du visage, les cernes sous ses yeux étaient en train de devenir des poches et elle portait un vieux teeshirt trop grand pour elle, un bermuda en jean et des tongs un peu crades.

— Toi là, prévint-elle en pointant Emi du doigt.

— Gabi la méchante est revenue ! brailla Emi en se cachant dans le cou de Pix.

— Qu'est-ce que tu lui veux ? demanda Matt.

— Qu'elle prenne ses vitamines...

— Au mois de septembre ??

— L'infirmière lui a trouvé une carence en je ne sais quoi, sûrement à cause du changement de monde, bref et je suis censée  lui donner des petits compléments de ce genre, dit-elle en pointant la boite à médicaments en question. C'est des machins goût miel mais le cœur est un peu amer, donc mademoiselle Emi a vite compris que ce n'était pas des bonbons comme je l'ai suggéré au début...

Elle soupira longuement, épuisé d'avoir tant parlé. Habituellement Gabi ne disait que ce qui était nécessaire, ce qui faisait des petites phrases courtes.

— J'aime pas tes bonbons pas beaux ! protesta Emi en fronçant les sourcils.

— Je te donne une pâte de fruit après si tu veux, négocia Matt.

— C'est quoi une pâte de fruit ? C'est des fruits ? C'est pas bon les fruits. Puis toi t'es moche d'abord !!

Matt baissa les oreilles avec un air dépité en disant que l'année commençait bien. Gabi sortit un chocolat de sa poche en disant à Emi qu'elle l'aura quand elle aura pris ses vitamines. Méfiante l'oni glissa des bras de Pix, s'approcha et ouvrit la bouche.

Gabi lui enfourna le médicament et lui ferma la bouche en la prévenant que si elle crachait, c'était elle qui allait manger le chocolat. La menace fit son effet et Emi tira la langue pour montrer qu'elle avait avalé. Gabi lui céda la récompense.

— Miam miam ! s'exclama la fillette en le gobant. Un choco trop bon !

Elle joua avec l'emballage transparent et rouge avant de redescendre faire son jogging dans la salle commune, au milieu des premières qui s'attendrissaient devant cette gamine de cinq ans. Elle était rapidement devenu la mascotte du lycée.

— C'est trop chou, on dirait une petite maman, ricana Derak à l'intention de Gabi.

— Grande sœur à la limite, corrigea Gabi. Alors vos vacances ?

— WAAAH les deux pas belles sont revenus !! beugla Emi en remontant l'escalier à toute vitesse avant de s'enfuir dans la chambre de Gabi au fond du couloir des filles.

— Ça c'est Sarah et Nya à tous les coups, déduit Ren. On se racontera tout ça au café.

Les garçons plus Gabi rejoignirent l'étage du dessous et partirent à la rencontre des deux filles en train d'arriver avec leur bagages.

— Ha ha !  On a le droit au comité d'accueil, trop fort ! s'exclama Nya avec un sourire bagué.

Elle était chargée comme une mule avec deux valises et un sac de randonnée monstrueux et plein à craquer à deux doigts de la faire basculer en arrière. Mais c'était chose improbable : Nya était une vrai force de la nature. À côté d'elle Sarah lança un salut général à toute la bande.

— J'ai l'impression qu'on s'est quitté hier ! poursuivit Nya.

— Pas moi, soupira Sarah. C'étaient les deux mois les plus interminables de ma vie... Faut dire que rester cloîtrée au manoir pendant toutes les vacances c'est pas ouf. J'avais qu'une hâte : revenir.

— Au manoir ??

— Mais ça fait trop du bien de tous vous revoir ! lança Nya.

— Nous de même les filles ! s'exclama Matt. Et je vois que y a pas que Pix qui a pris quatre centimètres, ricana-t-il en fixant le décolleté du débardeur de la démone. Sauf que ceux de Sarah sont mieux répartis !

Blasée, Sarah baissa les yeux vers lui avant de mimer une baffe.

— Tiens, tu la veux celle là ?

— Ah c'est vrai ! s'écria Derak en tirant la langue. Bien vu Matt !

— Toi par contre tu vas déguster !!

— Au fait, elle est toujours pas là Angèle ? demanda Gabi.

Effectivement, il n'y avait aucune trace de la jeune fille aux cheveux de neige pour l'instant. Après avoir collé une droite à Derak, Sarah répondit, agitant sa main douloureuse :

— On l'a croisé en coup de vent tout à l'heure. Elle avait un rendez-vous avec la directrice et les professeurs. J'espère pour elle que tout ira bien...

Lors de leur voyage dans le Troisième monde, Angèle était revenu en laissant derrière elle quelque chose d'essentiel : ses pouvoirs. Subissant une expérience douteuse, elle les avait totalement perdu, la transformant ainsi en sans pouvoir. Hors ces derniers étaient totalement absents de l'école et pour cause : qu'est-ce qu'un sans pouvoir pouvait bien faire dans un établissement qui enseignait la magie ?

Toute la bande craignait qu'Angèle se fasse virer pour de bon. Il y avait très peu d'espoir pour qu'elle reste à Occlasia. Sans pouvoirs, elle n'avait rien à faire ici. L'entretien que passait l'ange allait être décisif.

— Commençons pas à plomber l'ambiance ! déclara Nya. Je suis sûre que ça ira pour elle. En attendant on va aller s'installer et ensuite on ira se retrouver au café.

— Bonne idée, par contre qui paye la tournée de sirop ? demanda Matt.

— J'ai plus de thune, donc pas moi, dit Gabi.

— On s'arrangera là bas, décida Sarah. Mais en tous cas un petit goûter amical s'impose pour bien démarrer l'année.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top