Chapitre 28: Expédition portuaire
Ren faillit avoir une crise cardiaque quand le réveil en laiton sonna le lendemain. Le son était strident et possédait un volume bien supérieur au seuil de tolérance d'une oreille humaine. Ren grogna et écrasa son oreiller sur sa tête afin de conserver un semblant d'audition. De son côté Stone hurla dans son polochon, la tête enfoncée à l'intérieur.
— Rah mais bordel, il va se taire ce truc ?? tempêta Stone en tournant un visage furieux vers le réveil qui continuait à sonner et vibrer sur la table de nuit.
Il se mit debout sur son matelas et saisit le réveil matin. Il chercha le bouton pour l'arrêter, mais ne le trouva pas. Il donna un coup à l'engin de torture et le secoua en lui criant de se taire. Agacé, Stone descendit de son lit, monta sur celui de Ren pour éviter de faire le tour, le piétina au passage, ouvrit la porte et sauta dans le couloir. Il fit ensuite irruption sans aucune gêne dans la chambre de Scorpio, perpendiculaire à la leur.
— Hé l'égyptien, comment ça s'arrête ce truc ??
— Qui t'as donné l'autorisation d'entrer ??? tonna la voix de Scorpio avec colère.
Ren vit Stone décamper comme un lapin dans le couloir en évitant une pantoufle lancée avec hargne, puis l'assassin se réfugia dans la chambre d'ami. Faute d'autre solution, il jeta le réveil matin qui sonnait toujours sur le parquet et sauta plusieurs fois dessus pour le faire taire. L'engin fut réduit à l'état de morceaux de métal difformes, de ressorts et de boulons détachés...
— Pas trop tôt, maugréa Ren.
— J'ai horreur de me faire réveiller aux aurores par cet engin de torture !! pesta Stone en donnant un ultime coup de pied à l'engin de torture en question.
— Pareil...
Au moins Ren avait bien dormi, ce qui compensait un peu ce réveil en fanfare. Les chemises de nuits étaient étonnamment confortables pour dormir et Ren s'était senti dans un cocon bien douillet, enroulé dans ses couettes. Il s'assit au bord du lit en se frottant les yeux.
— Aujourd'hui c'est le grand départ ! lança Stone. J'ai trop hâte, ça va être super cool.
Il jeta sa chemise de nuit sur son lit, attrapa sa pile d'affaire posée sur une chaise tenant miraculeusement dans un angle de la pièce et s'habilla en un éclair. Ren fit de même et cinq minutes plus tard, les deux étaient à la cuisine, cherchant de quoi pendre un petit déjeuner. Mais les placards de Scorpio ne suivaient absolument aucune logique dans leur rangement. Chaque chose semblait avoir été jetée là où il y avait de la place, au milieu de diverses bouteilles d'alcool.
— Scorpio !!! beugla Stone. C'est où les céréales et les gâteaux ??
Ren se dit qu'il trouveront peut-être plus vite avec un peu de lumière. Il partit ouvrit les volets en bois du salon. La lumière grise à l'horizon annonçait l'aurore. Pourtant quelques passants et voitures circulaient déjà dans la rue.
— C'est où la bouffe ?? cria Stone en ouvrant le frigo.
Ren entendit un juron exaspéré provenant du fin fond de l'appartement, puis deux minutes plus tard, Scorpio émergea, la tête dans le gaz. Ses longs cheveux noirs étaient emmêlés et il portait juste un pantalon de lin noué autour de la taille. Il attrapa le premier placard venu et l'ouvrit avant d'indiquer son contenu avec une main comme un majordome.
— Mais pourquoi le petit déjeuner est rangé avec le whisky ?? s'indigna Stone.
— Je range là où y a de la place, répliqua Scorpio. Préparez au moins le café, ça vous occupera.
Mains dans les poches de son pantalon, il repartit dans le couloir en trainant des pieds. Il bailla bouche grande ouverte, en faisant un maximum de bruit, l'air exténué.
— T'as pas dormi ou quoi ? demanda Stone. Puis pourquoi t'as plein de traces de griffures dans le dos ?
— Me suis battu avec un démon à la crinière blonde cette nuit... répondit Scorpio.
Sur ce sous-entendu, il disparut dans la salle de bain. Ren attrapa ensuite les filtres pour la cafetière et lança la machine à café. L'antique appareil se mit à crachoter de la vapeur, puis gouttes à gouttes, le breuvage noir se mit à couler dans la carafe. L'odeur de café emplit la pièce, puis Ren servit les tasses. Stone dégota entre temps confiture, lait, sucre et biscottes. Charlie finit enfin par pointer son petit nez et s'installa au comptoir, ravie que le petit déjeuner soit prêt.
— Merci beaucoup les garçons !
Stone vida la moitié du sucrier dans son café, suggérant que c'était meilleur quand la boisson était saturée. Charlie jeta un œil à la pendule du salon.
— Départ dans une heure grand max ! dit-elle. Ensuite direction Le Havre !
***
Trois coups de sifflet résonnèrent sous le hall en verre de la gare et le train s'élança lourdement sur les rails. Un immense nuage de vapeur s'éleva de la locomotive et les roues se mirent en mouvement grâce aux multiples systèmes de bielles. Le sifflement bien caractéristique des vieux trains s'éleva dans les airs. Penché par la fenêtre, Ren regarda les quais s'éloigner de plus en plus vite, puis il rapatria son corps dans le compartiment.
— On arrive quand ? demanda déjà Stone, assis sur la banquette à côté de lui.
— Dans cinq heures je dirais, répondit Charlie.
Elle venait de ranger leurs bagages sur les filets prévus à cet effet au dessus des banquettes du compartiment. Stone lâcha un « hein » sonore, comme s'il avait mal entendu, mais la blonde confirma la longueur du trajet.
— Cinq heures enfermé, je vais péter un câble !!
— Tu iras te dégourdir les jambes dans le couloir latéral, suggéra Scorpio.
Il se frotta les paupières d'un air fatigué, en se demandant pourquoi il avait accepté de jouer les baby-sitters pour ce voyage.
— Allons, on va chercher une nouvelle Gardienne, rappela Charlie en lui posant une main sur son genou. C'est plutôt une bonne chose !
— N'empêche qu'y en a deux qu'il va falloir surveiller, dit Scorpio en pointant les concernés du doigt.
— On est pas des gosses ! protestèrent Stone et Ren d'une même voix.
— T'inquiète, ils seront sages ! promit Charlie avec un sourire rayonnant. Allez, je vais te refaire ta tresse.
Scorpio pivota sur le coté et la blonde s'installa dans son dos pour lui tresser les cheveux. Stone se rencogna au fond de sa banquette en grommelant qu'il s'ennuyait déjà. Ren regarda le paysage défiler derrière la fenêtre, grisé par ce voyage découverte. En dehors de la ville d'Occlasia, il n'avait rien vu de ce monde. Cette expédition au travers du pays jusqu'à la côte sera l'occasion de découvrir les environs.
Déjà le train s'éloignait de la ville restée bloquée à l'époque de la révolution industrielle et fila d'abord au milieu des tourbières de la région, puis à travers la campagne. Hormis des champs, des vaches et des fermes, il n'y eut plus rien d'intéressant. Ils doublèrent tout de même un convoi de chevaux tractant des calèches le long d'une route en terre. Un vrai voyage dans le temps.
— Bon c'est pas que je me fais chier, mais je vais faire un tour ! lança Stone au bout d'une heure de trajet.
— Tu ne tues personne hein, rappela Charlie.
Elle lui aurait demandé de ne pas embêter les gens ou de ne pas trop s'éloigner, ç'aurait été la même chose. Après mûres réflexions, Ren décida de suivre son alter-ego. Ça lui fera passer les crampes qu'il commençait à avoir. Il quitta le compartiment et passa dans le couloir latéral.
— On va chercher à graille au wagon restau ? demanda Stone en le voyant.
— Déjà ? C'est que neuf heures.
— Ouais, mais un café ça se digère vite.
Ren suivit Stone le long du couloir, passant devant les différents compartiments du wagon.
— T'appelles encore ça du café avec tout le sucre que tu as mis dedans ? poursuivit Ren.
— Ben quoi ? C'est meilleur comme ça !
— Pas faux... Mais vu comment ça croustillait, faut plus appeler ça du café.
— Du sucre saveur café si tu préfères ! lança Stone en tirant la langue avec malice.
Ren roula des yeux avec un mince sourire. Difficile pour lui d'avouer qu'il trouvait la présence de Stone un peu moins agaçante ces derniers temps... Arrivés au wagon restaurant, Stone réclama des croissants au barman. Heureusement, il en restait encore du service du petit déjeuner. On leur apporta un panier rempli de croissant au beurre et Stone balança des pièces sur le comptoir.
Il emporta le panier avec lui en disant que ce serait plus poli de partager avec Scorpio et Charlie. Ren piocha un croissant en arquant un sourcil...
— Depuis quand t'es poli toi ?
— Depuis que je sais que ces deux là sont des Elus divins. Faut bien leur apporter des offrandes !
— Tu nous vois vraiment comme des Saints ou des prophètes ? fit Ren presque blasé.
— Ben oui. Vous avez des dieux en vous et des pouvoirs divins, ça fait de vous des êtres supérieurs ! Et du coup ça fait de moi votre humble serviteur !
Il ouvrit la porte de leur compartiment en lançant qu'ils avaient rapporté des croissants. Charlie demanda si Stone n'avait tué personne en chemin, et Ren remarqua qu'elle s'adressait à lui plutôt qu'au tueur. Il rassura en disant qu'il n'y avait eu aucune effusion de sang. Stone posa le panier à viennoiseries sur la tablette sous la fenêtre et tout fut intégralement dévoré.
Quelques heures plus tard, Ren ouvrit la fenêtre pour pouvoir apprécier la vue sur ce qui ne pouvait être que la capitale. Penché dans le vent, il vit au loin des barres d'immeubles anciens, des grues en fer, des dizaines d'usines ou de fourneaux, et une belle couche de pollution provenant des multiples cheminées. Dans le ciel naviguait de nombreux dirigeables et au loin on pouvait deviner la Tour Eiffel emblématique de Paris, qui restait fidèle à sa version du premier monde.
Rapidement les wagons passèrent leur chemin et retrouvèrent la campagne environnante. Stone partit faire un tour du train et Ren le rejoignit dans ses allers retours d'un bout à l'autre des wagons, afin de se dégourdir les jambes. Charlie et Scorpio firent également un petit tour et la blonde récupéra de quoi grignoter au restaurant quand midi approcha.
— Le premier qui râle fera un tour sur les rails, prévint Scorpio en voyant la tête que tirait Stone devant les sandwichs au thon.
Enfin le micro des annonces crachouilla le message d'arrivée, près d'une heure plus tard. Stone fusa au compartiment pour récupérer les bagages, en hurlant « liberté !!! » tout au long du train.
— Et bien, il était temps qu'on arrive, s'amusa Charlie tandis que le train commençait déjà à ralentir.
Une fois à l'arrêt, les passagers évacuèrent les wagons et se dispersèrent sur les quais de la gare du Havre. Stone inspira un grand bol d'air parfumé à la fumée de charbon, mais visiblement c'était la meilleure senteur du monde.
— Enfin de l'air !!! Enfin la liberté !!! J'en pouvais plus, j'étais à ça d'égorger quelqu'un.
Les quais grouillaient de monde et les contrôleurs tentaient désespérément de fluidifier la circulation à grand renfort de coups de sifflets. Ce manège rappela un peu celui des surveillants dans la cour de récré, au lycée. A cette pensée, le cœur de Ren se serra. Ça lui semblait déjà si loin...
Puis il se fit une raison. Même si c'était très égoïste, il était mieux ici à avancer dans sa mission, que coincé en cours au milieu des détraqués... Il devra également trouver un moyen de signaler aux autre qu'il allait bien, qu'il était bien entouré et de ne pas s'inquiéter pour lui ou de chercher à le retrouver. La seule option serait de contacter Gabi ou Ashe au plan métaphysique des Douze. Mais il verra ça plus tard.
En plus de l'odeur de charbon et celle qui collait naturellement à n'importe quelle gare de n'importe quel endroit sur Terre, la senteur immonde de la nicotine flottait dans l'atmosphère. Les passagers ne supportaient visiblement pas le fait de s'arrêter de fumer pendant quelques heures et à peine descendus du train, ils se grillaient une cigarette. Ren toussa et demanda à sortir du bâtiment.
Il trouva un peu de répit olfactif sur le parvis de la gare. Une odeur iodée propre à la mer arriva aux narines de Ren. Une nuée de goéland passa en raillant dans le ciel à peine moucheté par les nuages. Un beau soleil de bord de mer brillait.
— On y est enfin !! cria Stone sans se soucier d'attirer l'attention de tout le monde.
Scorpio lui lança un regard exaspéré et mima une baffe avec sa main.
— Tiens, tu la veux celle là ?
— Je propose de nous rendre directement à l'hôtel pour poser nos affaires, dit Charlie. Ensuite nous débuterons nos recherches.
Il traversèrent une rue et tombèrent directement sur les docks. Des travailleurs en salopettes marron et chemises s'activaient entre les immenses hangars pour transporter caisses en bois et marchandises jusqu'aux bateaux amarrés aux quais. Ren fut émerveillé en voyant au loin d'immenses mats et voiles de bateaux, qui semblaient prêt à prendre le large.
— Tu déconnais pas en disant que c'était sympa, dit-il à Stone.
Il afficha un sourire, fier de lui. Longeants les quais du ports, ils passèrent devant de nombreux bâtiments anciens, servants sûrement à diverses fonctions économiques, comme des chambres de commerce ou des banques. Partout les dockers se pressaient pour charger et décharger les marchandises, créant une animation bien différente par rapport à Occlasia.
— Hôtel droit devant ! lança Charlie.
L'établissement était presque caché dans une rue qui s'éloignait du port, juste derrière une banque. Il ressemblait à ces auberges à colombage chaleureuses. La réceptionniste les accueillit avec un fort accent normand et leur fila deux clés de chambres. Ils traversèrent la grande salle de vie qui servait aussi de bar et d'espace de restauration, puis montèrent à l'étage via un escalier en bois.
Dans le couloir – vieux plancher en bois, mur en pierres grises et portes disposées à équidistance de chaque côté – Charlie partit chercher la valise de Ren et Stone, disparaissant presque par magie dans son sac sans fond. Elle en ressortit un peu plus tard avec la valise.
— On pose juste les bagages vite fait et on commence nos recherches, dit-elle en donnant la clé à Ren.
Ce n'était pas le genre de clé d'hôtel dont il avait l'habitude : celle-ci avait l'air de pouvoir ouvrit un coffre à trésor ou une porte secrète dans un château.
— On est juste en face s'il vous manque des trucs, dit Scorpio.
Il ouvrit la porte en bois et entra dans la chambre d'auberge avec un sifflement d'admiration. Visiblement c'était propre et pas trop rustique. Ren ouvrit à son tour la vieille serrure et entra. Il posa la valise dans un coin pendant que Stone faisait un vol plané dans la pièce pour atterrir sur le lit à côté de la fenêtre. Il brailla qu'il prenait celui là.
— Allez ramène toi, pressa Ren.
Il menaça d'enfermer Stone et ce dernier le rejoignit dans le couloir. Charlie et Scorpio revinrent quelques secondes plus tard, puis ils sortirent de l'hôtel, sous le soleil de l'après midi. Ils se mirent en cercle sur le trottoir pour un rapide briefing.
— Bon, voilà un peu d'argent si vous voulez prendre un goûter, dit la blonde en filant deux bourses en cuir aux adolescents. Et un flingue chargé, on sait jamais...
Ren soupesa l'arme en laiton dans sa main et le glissa dans un étuis à sa taille. Beaucoup plus à l'aise, Stone testa la maniabilité de l'arme en la faisant rouler dans sa main.
— Je propose qu'on se sépare en deux groupes, comme ça on balayera une zone beaucoup plus large, dit Scorpio en s'allumant une cigarette.
— Mais, comment vous allez faire sans moi pour trouver la Gardienne ? demanda Stone, vexé comme un pou.
— Tu nous files une description détaillée de la personne et on improvisera, répliqua Scorpio en soufflant un nuage de fumée dans le ciel. Normalement on devrait avoir une impression de déjà vu en la croisant.
— Une description détaillée ? Hé je suis physionomiste mais y a des limites ! pesta Stone.
Il tira la moue, mais daigna quand même à décrire la Gardienne quand il se reçut trois regards agacés.
— Chais pas quelle âge elle avait, mais je lui donnerais la cinquantaine. Elle avait un grand chapeau à plumes, des cheveux très courts et bruns... Avec des mèches blondes... Et des lèvres bien rouges aussi. Ah et elle avait aussi un sabre...
— Cette dame doit avoir un poste plutôt prestigieux dans le port si elle a un chapeau à plume.
— C'était certainement pas une docker ! approuva Stone. Ah et c'est évident mais elle avait les yeux rouges.
— Ça marche, dit Charlie. On se retrouve ici à dix huit heures. Espérons trouver la Gardienne entre temps.
— D'ici là pas de bêtises, avertit Scorpio.
Stone lâcha un soupir dédaigneux et les trois réglèrent leur montre pour qu'elles soient à la même heure, à la minute près. Puis le couple s'éloigna sur les quais en souhaitant bonne chance aux deux.
Afin de débuter les recherches Ren décida de partir à l'opposé de Scorpio et Charlie, direction les grands voiliers marchants. Les pavés irréguliers du port se sentaient à peine tant les semelles de ses bottes étaient épaisses. Progressant au milieu des cordages et des caisses, Ren observait autour de lui dans la foule assez dense, cherchant attentivement leur Gardienne. Stone s'étira et bailla à ses côtés.
— Quartier libre ! fit-il en croisant les mains derrière la tête. Ça va faire du bien de souffler un peu sans les adultes sur le dos.
— Pas tant que ça. On a une mission je te rappelle.
— Ça va ! temporisa Stone. On a l'après midi entière. On a assez de temps pour faire deux fois le tour du port.
— Mouais... J'espère juste que cette femme n'est pas en déplacements entre deux continents.
Ça ne serait vraiment pas de chance dans ce cas là... Ren se fit soudain bousculer par une femme et un homme qui semblaient très pressés et couraient en trainant de lourds bagages derrière eux. Le brun exprima son mécontentement à voix haute et la femme se retourna pour s'excuser, en disant que leur bateau pour l'Amérique partait dans quelques minutes. Au loin, un immense transatlantique était amarré à quai, prêt à partir.
— On dirait le Titanic, remarqua Ren.
Il était émerveillé par absolument tout ce qu'il voyait.
— C'est rigolo de te voir découvrir notre monde comme un gosse, ricana Stone.
— J'ai l'impression d'être dans un film ou d'avoir voyagé dans le passé, se justifia Ren. Ce monde est tellement cool en vrai, niveau décors et style vestimentaire.
Une jeune femme passa entre eux et les bouscula à l'épaule. Ren claqua sa langue d'un air excédé. Agacé, Stone se retourna pour lancer à haute voix :
— Surtout pas pardon hein !!!
— Ils ont un problème les gens ici, soupira Ren.
— C'est clair ! Encore les deux en retard, je comprend, mais celle là ! En plus elle aurait pu faire le tour mais non : fallait absolument passer au milieu !
Stone siffla entre ses dents et tata machinalement sa poche... avant de froncer les sourcils. Il passa ses mains sur chacune de ses poches de pantalon et de manteau, à la recherche de quelque chose qu'il ne trouva pas.
— Oh oh...
— Quoi « oh oh » ?
— Vérifie tes poches ! ordonna Stone.
Ren ne sut pas trop ce qui lui prenait tout d'un coup, ni où il voulait en venir, mais posa sa main contre la poche de son pantalon... Complètement vide. La bourse en cuir remplie d'argent que Charlie lui avait donné avait disparu. Et elle n'était pas la seule à manquer à l'appel : son portable s'était volatilisé.
— Merde ! lâcha Ren.
— On s'est fait volé ! cria Stone.
Il se retourna dans tous les sens. Avec une foule aussi dense, la présence de pickpockets était plus qu'évidente... Il suffisait que quelqu'un les bouscule et le tour était joué : aucun des deux n'avait senti une main leur faire les poches depuis qu'ils avaient quitté Charlie et Scorpio. Ren se força à réfléchir. D'abord les deux retardataires qui les avaient bousculés. Puis quelques secondes plus tard la jeune fille qui était passée entre eux et avait continué son chemin sans s'excuser.
Ren et Stone percutèrent au même moment et se regardèrent avec des yeux ronds, avant de se tourner tous deux vers l'autre bout du quai. La pickpocket était déjà à l'opposé, de dos, et était plus que visible avec sa tignasse couleur de feu.
— La rousse !! cria Stone en pointant la voleuse du doigt.
— On y va !! enchaîna Ren.
D'un même mouvement les deux se mirent à courir sur les quais pour rattraper leur voleuse. Stone bousculait tout le monde sans ménagement et Ren le suivait comme son ombre, profitant du passage que créait son alter-ego.
— Dégagez !!! cria Stone.
— Barrez-vous !! ordonna Ren en voyant que certains les regardaient sans bouger.
— Au voleur !!! beugla Stone.
Évidemment l'agitation attira l'attention de leur cible... qui se mit aussitôt à courir. Stone lui beugla de revenir et mit un coup d'accélération. Ren ne le laissa pas le distancer et allongea le pas, les semelles de ses bottes martelant le pavé.
— Rend moi mon argent !!! brailla Stone en tournant brusquement dans une rue.
— Et mon portable ! renchérit Ren.
Il slaloma entre les caisses entreposées dans la ruelle et ne ralentit pas le rythme. Leur voleuse était toujours devant, rapide comme le vent, sûrement grâce à sa silhouette svelte et élancée. Ses cheveux rouges étaient en partie courts et ébouriffés, au niveau du menton, et une mèche plus longue volait dans son dos, dansante comme une flamme.
Soufflant comme une locomotive, Stone brandit un de ses bras vers les hauts toits en tuiles de la ruelle. Il appuya sur un bouton situé sur son bracelet d'avant bras et un grappin en surgit à vive allure. Il partit se planter à l'autre bout de la ruelle.
Le mécanisme se rembobina et Stone décolla du sol. Il fusa à près de trois mètres de hauteur au dessus des pavés. Il brailla le cri de Tarzan alors qu'il se balançait au bout de son câble. Tel un rapace, il fondit sur sa proie.
— Tu l'as ! l'encouragea Ren.
Stone s'abattit dans le dos de leur victime, qui lâcha un cri aigüe en tombant à terre. À cause de l'élan, Stone fit un vol plané par-dessus la jeune femme et se ramassa la figure à terre. La voleuse roula sur ses épaules et se redressa dans la foulée avant de faire demi tour en voyant Stone devant elle. Mais trop tard. Ren était derrière elle, la prenant en tenaille.
Il la saisit par la manche évasée de sa chemise et la jeta contre le mur avant qu'elle ne s'enfuit. Elle se cogna contre les briques, tomba sur son postérieur et Ren plaqua brusquement sa botte à côté de sa tête. La voleuse lâcha un cri suraigu et leva les bras pour se protéger le visage, tremblante de trouille.
— On te tient ! souffla Ren, victorieux.
Stone le rejoignit en reprenant son souffle et tendit un poing. Ren accepta son check. Ce fut une collaboration plutôt improbable étant donné le passif des deux alter-ego, mais qui s'était révélé très efficace.
— Quand je pense que c'est une fille qui nous a semé ! pesta Stone.
La voleuse cessa de trembler et le regarda de travers. Ren la détailla un peu plus le temps de reprendre sa respiration. Et plus il la regardait, plus il se disait que quelque chose n'allait pas... L'angle de la mâchoire, les tendons du cou assez développés, la pomme d'Adam proéminente, le torse complètement plat, les hanches assez étroites...
— Maintenant tu vas être une gentille fille et nous rendre notre argent ! exigea Stone en prenant un air menaçant.
Leur victime lui jeta un regard glacial et sinistre, avec une grimace d'agacement. Ren n'en crut pas ses oreilles en entendant la voix grave qui s'échappa de sa gorge.
— Chuis un mec pauvre tache !!
Il commençait à avoir un petit doute en détaillant le physique , mais Ren fut vraiment choqué d'entendre ça. Stone lâcha un « hein » incrédule, qui s'apparentait plus à un croassement de corbeau.
Leur voleuse était en fait un voleur... Avec son visage androgyne, la confusion était très facile. Ses traits étaient très fins, presque féminins, ce qui n'était pas commun et renforçait l'illusion. C'était peut-être aussi les yeux, songea Ren. Des yeux couleur violet améthyste, pas tout à fait de la même teinte entre les deux et entourés de très nombreux et très longs cils noirs. De vrais yeux de biche...
— QUOI ??? hurla Stone, donnant des acouphènes à l'oreille droite de Ren.
Il reluqua le jeune homme roux, la mâchoire décrochée. Puis il se frotta les yeux, pour essayer de dissiper le mirage qui n'en était pas un...
— Bon, c'est pas ça le sujet ! coupa Ren. On est venu récupérer ce que tu nous as volé.
— Ah oui ! se rappela Stone. Donc... Sois un gentil garçon et rend nous notre argent !
— Et mon portable.
— Un gentil garçon ? répéta le voleur avec dédain.
— C'est ça ou on te plante !!
Stone avait activé son mode assassin psychopathe et affichait maintenant son inquiétant sourire malsain. Il dégaina un couteau caché dans son autre bracelet d'avant bras et brandit la lame sous le nez du voleur, qui hurla.
— Dégage avec ton couteau !!! Il est hors de question que tu taillades mon sublime visage !!
— Alors rend nos sous !!
Le rouquin se mit en tailleur au sol et croisa les bras, boudeur, puis il tourna la tête sur le côté en fronçant le nez.
— Jamais.
— Bon... fit Ren, presque blasé. Alors on va te tenir et te fouiller jusqu'à ce qu'on trouve ce qu'on cherche.
Le roux changea de couleur et s'empressa de sortir deux petits porte-monnaie en cuir des poches de son pantalon noir. Il leur jeta l'argent qui cliqueta contre le pavé à travers le cuir de la bourse.
— Là, vous êtes content les jumeaux démoniaques !!? cria-t-il.
— Il manque un truc, dit Ren.
Le voleur lui jeta un regard de travers en pinçant les lèvres.
— Un truc noir, rectangulaire et plat. Mon portable, exigea Ren en tendant sa main.
Le rouquin la lui dégagea d'un coup sec avant de récupérer le smartphone dissimulé dans une poche de veston. Ren le récupéra au vol alors qu'il venait de le lui lancer sans aucune considération pour la fragilité de la vitre.
— C'est bon ou vous voulez mes âmes ? continua le rouquin d'un air impertinent.
— Puisque tu le proposes !
Leur voleur hurla en voyant que Stone ne plaisantait pas et chargeait son pistolet. Mais Ren arrêta le poignet de son alter-ego.
— Ça ira. On a récupéré ce qu'on voulait.
— Ouais mais c'est pas bien de voler ! On devrait le punir pour ça ! Pourquoi pas une entaille sur ton joli minois ? suggéra Stone avec un sourire démoniaque.
— Hiiiiii !
Le rouquin se protégea la tête, s'apprêtant à recevoir un coup. Ren fila une calotte à Stone.
— On perd pas de temps avec lui, on est censé chercher quelqu'un.
— Ah oui, se rappela Stone, qui avait décidément une mémoire à court terme inexistante. Ah, je sais ! Toi là. Tu vas nous aider en dédommagement.
— Et puis quoi encore ? répliqua le rouquin.
— Je vais reformuler : t'es pas en position pour discuter, dit l'assassin. Alors tu vas gentiment faire ce qu'on dit.
Le roux lui jeta un regard méprisant, malgré le fait qu'il soit au sol et donc en position de faiblesse.
— T'es du coin ? continua Stone en faisant scintiller la lame de son couteau.
— Oui... marmonna le rouquin en croisant les bras.
— On cherche une personne qui grouillerait dans le port. Est-ce que tu aurais récemment vu une femme d'un certain âge, avec des yeux rouges et des cheveux courts, bruns et décolorés en blond ?
— Et un chapeau à plume, ajouta Ren en se souvenant de la description.
— Ça ne me dit rien, répliqua le roux sans réfléchir une seule seconde.
Son ton indiquait clairement : fichez moi la paix les deux psychopathes... Ren soupira.
— Allez c'est bon, on y va... Perdons pas plus de temps.
— Je peux le frapper au moins ? supplia Stone, qui tenait visiblement à punir le voleur pour leur avoir fait les poches.
— Même pas en rêve, ça va me faire un bleu et écorcher mon teint parfait !! brailla le roux en rampant contre le mur.
— Mais t'es grave comme mec, dit Stone en le regardant s'éloigner en crabe. Enfin mec... T'as plus la tronche d'une fille.
— Pas ma faute si mère-nature m'a accordé cette beauté si singulière, lança le roux d'un air prétentieux.
Il se redressa en vitesse en époussetant son pantalon couleur encre, en tirant la langue de dégoût à cause de la poussière ramassée. Il était un peu plus petit que Ren et Stone, mince mais avec des muscles fins. Il lissa les manches évasées de sa chemise bordeaux.
— Allez casse toi et qu'on te surprenne plus à nous faire les poches ! menaça Stone.
Le rouquin lui jeta une regard glacial. Ses yeux mauve pâle croisèrent ceux de Ren. Le brun se demanda sur le moment s'il n'avait pas un œil en verre, à cause de la teinte différente et de la couleur artificielle de celui de droite. Mais sa réflexion n'alla pas plus loin : le roux s'en alla sans un mot dans la ruelle et disparut de leur vue à la bifurcation. Ren souffla de soulagement.
— Bon débarras, dit Stone en rengainant sa lame. Il nous a fait perdre un quart d'heure !
Il vérifia l'horaire sur sa montre à gousset dont il referma le couvercle d'un geste agacé avant de la rempocher.
— C'est pas toi qui disait qu'on avait tout l'après-midi ? questionna Ren en se mettant en marche.
— Si, mais c'est chiant les courses poursuites ! Bah ! Au moins on a récupéré nos sous. J'ai rarement vu un voleur aussi trouillard et coopératif.
Ils retournèrent sur les quais bondés de dockers, toujours affairés à leurs allers-retour avec leur marchandise. Tonneaux, sacs de courriers, caisses se suivaient à la chaîne jusque sur les pontons du port, où ils étaient chargés dans les bateaux de marchandises. Au loin, Ren vit le transatlantique de tout à l'heure en train de prendre le large, ses majestueuses cheminées rejetant d'épais panaches de fumée.
Ils passèrent près de trois heures à arpenter les docks, vérifiant chaque visage en espérant trouver leur Gardienne. En vain. Le soleil déclinait déjà sur la mer quand ils se posèrent sur les digues pour souffler. Le vent du large chargé de sel souleva les cheveux de Ren alors que l'horizon s'embrasait. Le phare qui culminait au dessus de la ville portuaire avait allumé sa lanterne pour guider les navires.
— Chuis claqué, dit Stone, échoué comme une otarie sur une pierre de la digue.
Ren se baissa et s'assit en approuvant. Il suivit des yeux un immense bateau de marchandises à voiles qui passait lentement dans le goulot d'étranglement du port, direction les quais. Il imaginait bien les marins sur le pont, exécutant soigneusement leurs tâches, malgré l'épuisement d'un voyage qui avait dû durer des semaines.
— On se pose dix minutes et on rentre, dit Ren. On dira à Charlie et Scorpio qu'on a rien trouvé.
— Je sens qu'ils auront rien de leur côté non plus... Tant pis, on cherchera demain...
Stone remonta les genoux contre lui, bascula en arrière pour prendre de l'élan et se redressa. Il fit un grand sourire à Ren, ce qui l'inquiéta à moitié.
— Tu peux faire un tour de magie ? Avec tes pouvoirs de dieu !
Ren arqua lentement un sourcil devant cet intérêt si soudain. Hésitant, il fit tourbillonner un peu d'eau dans sa main et créa une méduse aquatique. Flottant au dessus de sa paume, la créature en eau se mouvait avec la lenteur et l'élégance d'une vrai méduse. Tel un enfant Stone l'observa avec de grands yeux.
— Cool ! Quoi d'autre ?
Un sourire en coin, Ren se pencha pour ramasser une pierre un peu grosse entre deux cailloux de digues. Il la jeta en l'air, tendit son bras en pointant le caillou avec l'index et ferma un oeil pour viser. Un mince filet d'eau s'échappa à toute vitesse de son doigt et perfora la pierre comme une balle. Stone partit la ramasser à quelques centimètres des vagues qui se brisaient sur la jetée. Un trou presque rond avait transformé la pierre en donuts. Ren se mit debout et tendit les deux bras vers la mer.
Une vague se stoppa dans son mouvement et décolla au dessus des autres, formant peu à peu un ruban d'eau qui scintillait à la lumière du couchant. Ren garda l'eau en suspension quelques instants, pour y admirer le jeu de la lumière du soleil, avant d'en faire une bulle qu'il renvoya à la mer.
— Trop trop bien ! s'exclama Stone, main en visière. C'est génial ce que tu peux faire !
— T'as encore rien vu. Tu devrais me voir en combat réel, là tu pourras dire que c'est génial, se vanta Ren.
Il sauta de la jetée et descendit sur le trottoir en pavé. Il étira les bras au dessus de sa tête.
— Allez on rentre à l'auberge. Fin de journée.
***
Durant le dîner, Charlie poussa un soupir de résignation après avoir entendu le résumé de la journée de Ren et Stone. Les deux bruns n'y étaient pas allé par quatre chemins : ils n'avaient pas trouvé la personne qu'ils cherchaient.
— Choux blanc pour aujourd'hui donc, dit-elle en piquant un peu de salade avec sa fourchette.
Attablés dans un box à la salle de restauration de l'auberge, le quatuor faisait le débriefing de la mission du jour. Pas de doute, c'était un échec complet... Scorpio but une gorgée de bière dans une chope en verre et haussa les épaules.
— On aurait dû s'y attendre. Des centaines de personnes transitent dans ce port, c'était improbable de tomber sur la Gardienne qu'on cherche du premier coup.
— Quand même, j'espérais qu'on trouve une piste supplémentaire, dit Charlie. Raaah !
De la vinaigrette venait d'être éjectée sur sa chemise blanche, la tachant d'huile et de vinaigre. Ren planta les dents dans son croque monsieur, les yeux rivés sur le lustre au plafond, véritable merveille de métal forgé. L'ambiance de l'auberge était vraiment agréable avec la lumière dorée et tamisée. Le brouhaha et l'odeur de nourriture contribuaient étrangement au charme des lieux.
— Tant pis on cherchera mieux demain ! lança Stone. De toutes façons je suis claqué.
— C'est vrai qu'on s'est levé tôt ce matin, acquiesça Charlie en essuyant tant bien quel mal sa chemise. La nuit a été courte, le voyage fatiguant et en plus d'après ce que j'ai compris la veille n'a pas été de tout repos pour vous deux.
— Donc ce soir dodo de bonne heure, termina Scorpio. Peut-être que notre Gardienne sera de sortie aux premières lueurs du jour.
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