Chapitre 22: Dans les méandres des rêves
Ren rouvrit les yeux au plan métaphysique d'Aguamarine. Il se redressa sur un rocher couvert de mousse et admira une fois de plus les immenses cascades chutant autour de lui, depuis le lac infini à l'étage du dessus. La déesse Aguamarine était en train de faire des ricochets avec des galets, créant des ondes à la surface du bassin clair, d'une couleur verdâtre.
— Salut Ren ! lança-t-elle. Je n'arrive pas à croire qu'on a retrouvé un Gardien !
Elle sortit de l'eau et se précipita vers lui en souriant de toutes ses dents, l'air lumineux. Sans prévenir elle se jeta dans les bras de son Gardien en riant. Déstabilisé, Ren glissa une jambe en arrière pour ne pas chuter sous le poids et l'élan de la Douzième.
— On a retrouvé Peridot ! On a retrouvé mon frère ! Je n'aurais jamais soupçonné ton prof Ashe d'ailleurs ! C'est incroyable ! Je suis trop contente et si fière de toi !
— Oui, moi aussi j'ai un peu du mal à réaliser, lui dit Ren.
Il lui rendit son sourire, presque perturbé par le fait que la déesse lui fasse un câlin. Son regard s'immobilisa soudain en haut d'une cascade d'eau et son cœur fit un bond en voyant que quelqu'un les observait. C'était l'ancienne Gardienne Claudine. Ren entendit Aguamarine continuer à lui parler, mais elle semblait loin, comme si lui était sous l'eau. À côté de Claudine, il y avait aussi un de ses prédécesseurs. Jeanne d'Arc. Les deux femmes fixaient Ren au loin.
— Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? demanda Aguamarine en captant que Ren ne l'écoutait pas et était ailleurs.
Ren baissa les yeux en papillonnant des paupières. La déesse se retourna pour voir ce que son Gardien avait vu. Le brun constata que les deux anciennes Gardiennes s'étaient volatilisées... Avait-il halluciné ?
— Bref, fit Agua, légèrement dérouté. On se rend à l'Horloge ?
— Évidemment, lança Ren en raccrochant les wagons.
Il regarda à nouveau le haut des falaises et des cascades, mais il ne vit ni Claudine, ni Jeanne d'Arc. Puis il secoua la tête pour remettre un peu d'ordre dans ses idées et plongea dans le bassin à la suite d'Aguamarine. Il nagea dans l'eau transparente jusqu'à ce que les abysses avalent la lumière. Ren ferma les yeux, ne supportant pas ça. Il détestait l'obscurité...
Puis il se sentit sortir de l'eau et chuter. Il se réceptionna sur le sol du Quartier général des Douze, en dessous de l'immense Horloge de cristal. La portion numéro cinq du cadran était devenu du péridot, scintillant d'une couleur vert-jaune. La moitié de l'Horloge était complétée. Plus que six, songea Ren.
Peu de temps après, Gabi et Emerald arrivèrent au QG. En pyjama, la brune trainait des pieds, presque minuscule à côté de sa déesse. Ren avait remarqué que les Douze étaient tous très grand en taille. Même si Aguamarine semblait être une des plus petites, elle faisait pourtant presque la même taille que lui.
— 'Lut, lança Gabi en bâillant.
— Bonsoir ma chère sœur, fit Emerald. Et bonsoir Ren.
Emerald semblait bien lunée pour une fois. Elle leva son menton pointu vers l'Horloge et un mince sourire naquit sur ses fines lèvres, habituellement pincées.
— Je suis fière de vous. Vous avez trouvé un Gardien supplémentaire et je ne peux que vous en remercier.
— On est déjà la moitié en si peu de temps ! s'exclama Aguamarine. J'ai du mal à réaliser que c'est réel. Qu'enfin après tant de siècles, on arrive à se rassembler !
— Les choses changent, dit Emerald. Pour une fois l'ordre des choses va changer. Nous serons les derniers Gardiens, murmura-t-elle faiblement.
— Coucou Ren ! Coucou Gabi !! piailla une voix enfantine.
Ren se retourna et sourit en voyant les nouveaux arrivants. Emi agita sa petite main depuis les bras de Diamond qui s'avançait avec un sourire angélique. Sa cape de blanc et d'argent trainait sur le sol de marbre.
— Bonsoir tout le monde ! lança le Premier. Et félicitations pour avoir trouvé un nouveau Gardien.
— Techniquement c'est plus lui qui nous a trouvé que l'inverse, mais bon, dit Ren.
Diamond leur lança un regard plein de bonté et de gratitude, avec un air de fierté propre à un père de famille. Un bruissement d'aile retentit dans leur dos et Ren vit arriver Sapphire. Repliant ses ailes d'ange dans son dos, la Sixième déesse se posa au sol avec l'air sombre de ceux qui avaient passé une mauvaise journée. Mais son regard s'illumina en voyant l'Horloge. Un sourire élargit ses lèvres.
— Ça faisait longtemps Sapphire ! lança Aguamarine.
— Par nous-mêmes, vous avez trouvé un autre Gardien ! Mais c'est fabuleux !
La déesse s'empressa de serrer les mains de tout le monde en les félicitant, ses yeux de cristal pétillants d'admiration
— Je suis fière de vous ! Et je suis ravie de tous vous revoir !
— Elle est pas là Charlie ? demanda Ren en cherchant la journaliste blonde. Et Scorpio ?
— Ils sont... Hum... légèrement occupés... répondit Sapphire avec une grimace à la fois agacée et embarrassée. Mais passons !! ajouta-t-elle en balayant l'air avec ses mains. Où est notre nouvelle recrue ?
Ils attendirent encore quelques instants avant d'enfin voir le nouveau Gardien arriver. Surgit de nulle part comme s'il s'était téléporté, Ashe se matérialisa dans un coin de la grande dalle de marbre circulaire. Sa mâchoire se décrocha en voyant l'horloge lévitante. Ses cheveux longs et ondulés étaient détachés, il n'avait pas son cache œil et portait un teeshirt « Assassin's Creed » en guise de pyjama.
— Tonton Ashe !! s'écria Emi, de la joie à l'état pure dans sa voix et son regard.
Le prof les remarqua enfin et leur fit un immense sourire. Il remit en place un corps inerte qu'il portait sur le dos et se rapprocha. Ren fut dérouté de voir qu'il s'agissait de Peridot en personne. Le dieu était littéralement en train de dormir et baver sur l'épaule de Ashe et de se faire porter sur son dos.
— Yo les jeunes ! lança Ashe à l'assemblée.
Il salua tour à tour les dieux, avec l'air d'un enfant qui découvrait ses idoles pour la première fois en chair et en os. Il se présenta joyeusement.
— Ashe Lissandres, enchanté ! Non : vraiment honoré ! Wow ! J'arrive pas à croire que je suis en présence des Douze !!
— Nous te souhaitons la bienvenue parmi nous ! dit Sapphire avec gentillesse.
— Ben merci beaucoup ! Hey Peridot ! cria Ashe. Ta fratrie est là !
Il secoua le dieu sur son dos et le Cinquième grommela avant d'ouvrir un œil. Ses yeux vert-jaune en cristal se posèrent sur chaque dieu, puis Peridot fronça les sourcils, l'air de se demander ce qu'ils fichaient tous ici. Puis il vit enfin l'Horloge, mais n'eut pas l'air de saisir tout de suite la situation.
— Vous êtes là ? demanda-t-il d'une voix traînante.
— Salut grand frère ! s'exclamèrent Aguamarine et Sapphire.
— Salutations petit frère ! grinça Emerald en faisant un travelling en direction du dieu.
Enfin réveillé, Peridot lâcha un « eeww » mi dégouté, mi effrayé devant le visage de sa sœur en gros plan. Il descendit du dos de Ashe et s'éloigna d'Emerald comme si elle était vecteur d'une maladie contagieuse. Ses cheveux en cristal rappelaient une crinière de lion, il avait le visage constellé de taches et portait un sarouel en lin et une tunique sans manche. Un croc en or pendait à une de ses oreilles.
— Ça y est ? T'as enfin atterri ? demanda Ashe.
— Qu'est-ce qu'ils font là ? questionna Peridot en se cachant dans le dos de son Gardien.
Il surveillait sa sœur aînée du coin de l'œil. Diamond se chargea d'expliquer la situation avec son calme et sa diplomatie habituelle.
— Ah... fit juste Peridot. Ben cool...
— Comment donc « ben cool » ?? s'indigna Emerald. Tu te mets à parler comme un humain ??
— Donc c'est ça le QG ? demanda Ashe en se tordant les cervicales pour voir l'Horloge de cristal dans son ensemble.
Gabi confirma et Ashe siffla d'admiration. Il fit un grand sourire à Emi en la voyant dans les bras de Diamond. La fillette avait des paillettes dans les yeux en regardant le jeune professeur.
— Donc tonton Ashe est comme nous ? demanda la fillette.
— Et oui, il fait partie de la famille, dit Ren.
Emi lâcha un rire de joie avant de se tortiller comme une anguille dans les bras de Diamond. Arquant un sourcil, le dieu se baissa pour la poser prudemment, telle une bombe atomique. Il fut tout étonné de la voir s'échapper de ses bras pour courir vers Ashe, tendant ses bras vers lui. Ce dernier l'attrapa au vol et la fit décoller dans les airs, la faisant crier de joie. Puis il l'installa sur ses épaules, devant un Diamond ému de voir sa petite Gardienne quitter ses bras.
— Elle grandit si vite.
— Je t'aime tonton Ashe ! s'écria Emi en lui faisant un bisou sur le haut de la tête.
Le prof avait l'air radieux. Ren et Gabi se regardèrent en souriant.
— Je pense qu'on a bien avancé en un an ! dit Aguamarine.
— C'est clair ! Plus que six et on sera tous réunis, dit Sapphire.
— Plus que six et nous aurons toutes les pièces du puzzle, ajouta Emerald. On se rapproche de la vérité, je le sens.
Bras croisés, Ren se dit que c'était le bon moment pour parler de son souvenir de la dislocation. Il était sûrement le premier parmi les Gardiens actuels à avoir eu ce rêve.
— Vu qu'on a à peu près toute la nuit, je dois vous dire quelque chose...
Il eut d'un seul coup l'attention de tout le monde, ce qui le mit légèrement mal à l'aise. Il s'installa au sol en disant qu'ils seront mieux ainsi. Peridot ne se fit pas prier et s'écroula à terre avant de s'y endormir sans autre forme de procès. Gardiens et dieux s'installèrent, comme des enfants prêts à entendre une histoire autour d'un feu. Ashe mit Emi sur ses genoux et Gabi s'assit en tailleur, sachant très bien de quoi Ren allait parler. Il inspira et commença :
— J'ai rêvé de la dislocation la nuit dernière...
Des yeux de cristal s'écarquillèrent de surprise. Aguamarine fronça les sourcils, comme si elle avait manqué un épisode.
— A quel moment ?
Ren se tourna vers elle en levant un sourcil.
— Ben...
Il ne comprenait pas réellement la question. D'ordinaire la déesse voyait les mêmes souvenirs que son Gardien. Pourtant là elle semblait perdue.
— Euh bref... abrégea Ren. J'ai vu votre dernière bataille contre Obsidian.
A ce nom, les visages se fermèrent, se remémorant sûrement la sombre période avant la Guerre et la dislocation. Ren raconta dans les moindres détails tout ce qu'il avait vu, en essayant d'être le plus précis possible. Tout en pensant que leur ennemi était beaucoup trop fort...
— C'est donc pour ça que les Gardiens ont tous un œil droit en cristal. Parce que c'est la seule chose qui restait des Douze après la dislocation. Aguamarine s'est faite empaler le cœur, c'est donc pour cela que le mien est en cristal. Et Topaz s'est suicidé. Il s'est réincarné parce qu'il est mort de sa propre main. En un seul souvenir, j'ai pu répondre à tant de questions.
— C'est très bien Ren, dit Diamond. Tu as su relier certains points et compléter un peu plus notre puzzle.
— Et plus nous retrouverons d'autres Gardiens, plus vous aurez de souvenirs importants et plus l'évidence nous apparaîtra, dit Emerald. Nous devons persévérer. Nous sommes sur la bonne voie.
— Oui, mais par où commencer pour la suite de nos recherches ? demanda Gabi.
— Nous sommes quatre dieux par monde, répondit Sapphire. Par conséquent il nous manque deux Gardiens dans le Deuxième monde : ceux de Ruby et Amethyst.
— Ceux de Tourmaline, Tanzanite et Garnet dans le Troisième , ajouta Diamond.
— Et deux Gardiens pour les jumelles Pearl et Nacre dans le Premier, termina Emerald.
Elle soupira puis se releva en époussetant sa robe noire avant de déclarer d'une voix grave, mains sur les hanches.
— Par conséquent il va falloir que vous retourniez dans les deux autres mondes.
— Je crois qu'on a pas le choix oui, confirma Diamond.
— Mais comment on va pouvoir faire ça ? demanda Ren.
— C'est vrai, comment on va pouvoir retourner dans les mondes parallèles ? renchérit Gabi. La dernière fois c'était un accident.
Lorsqu'ils avaient voyagé pour la première fois dans les deux autres mondes, ils ne l'avaient absolument pas voulu. Ils avaient accidentellement cassé un artefact magique à savoir un vieux miroir maudit. Et maintenant qu'ils voulaient y retourner volontairement, aucun n'avait la moindre idée de comment s'y prendre.
— On verra bien, déclara Ashe. Essayez peut-être de retourner à l'endroit où vous étiez lorsque vous avez changé de monde ?
— Tu crois qu'on trouvera quelque chose ? demanda Ren.
— Des indices du moins, proposa Gabi. Mais ils ont raison. On va devoir retourner dans les autres mondes.
La discussion se termina puis chacun proposa d'aller dormir. Sapphire lança un bisous en l'air avec la main avant de s'envoler et de disparaître à la frontière du plan métaphysique, traversant une sorte de barrière invisible à la limite de la dalle de marbre. Ashe rendit Emi à Diamond, ce qui déçu la fillette. Elle réclama un bisous de la part de Ashe puis Diamond s'en alla.
Gabi bailla encore avant de souhaiter une bonne nuit à tout le monde, marmonnant quelque chose à propos de poissons, puis Ashe chargea le corps endormi de Peridot et quitta les lieux. Ne restaient que Ren et Aguamarine. Le jeune homme se tourna vers sa déesse et lui posa la question qui lui démangeait la langue depuis un moment.
— Pourquoi tu ne dis rien depuis tout à l'heure ?
Aguamarine était restée muré dans le silence le plus total durant toute la conversation, depuis que Ren avait évoqué la dislocation. La déesse se tourna vers son Gardien, l'air neutre. La lueur multicolore de l'horloge se reflétait dans ses courts cheveux d'aigue-marine.
— Je me demande juste comment tu peux te rappeler de certaines choses et moi non...
***
Ce qu'avait dit Aguamarine resta longtemps dans le crâne de Ren et ses neurones tournaient la phrase en boucle. Il soupira, espérant se vider un peu la tête et observa son environnement onirique.
C'était une cour de récré de primaire, remplie d'enfants en train de jouer. Corde à sauter, marelle, billes sur les plaques d'égouts, les gamins s'amusaient simplement. Ren ferma les yeux et laissa le soleil lui éclairer le visage et les paupières. Le ciel était aussi étrange que le voulait la tradition d'un songe. Pas de nuage, pas d'étendue bleue, juste la surface de l'océan laissant filtrer le soleil. Ren était sous l'eau, mais sans la noirceur des abysses qui le guettait tout au fond...
— Tu sais quel est mon rêve Ren ?
Le brun se tourna et posa le regard sur la gamine assise sur le muret à côté de lui. Une version plus jeune de Sarah était en train de souffler des bulles, un tube à savon dans la main. Les bulles aux reflets irisés s'envolèrent avec légèreté. La démone tourna son visage enfantin aux yeux immenses vers Ren.
— C'est de devenir maître du monde !
Ren sourit et se rendit compte qu'il avait rétréci pour se retrouver à la même taille que Sarah. Il regarda ses petites mains d'enfant. Sa conscience ne savait déjà plus si c'était juste un rêve mélangé à un souvenir ou juste le fruit de son imagination... Dans tous les cas, il avait la sensation de juste jouer une scène de théâtre, laissant les mots venir spontanément à lui.
— Pff, toi maître du monde ? se moqua-t-il avec gentillesse.
Ça lui faisait tout bizarre d'entendre sa voix d'enfant.
— Ben ouais, répondit Sarah en soufflant une autre rafale de bulle. Tu verras... Un beau jour je piétinerai ce monde injuste.
— Alors je te laisserai pas faire ça toute seule ! On piétinera tous les deux ce monde de cinglés !
Sarah lui sourit.
— Même si on doit tuer des dieux pour ça ?
Ren lui rendit son sourire. Ses yeux noisettes pétillaient, comme toujours lorsqu'ils se posaient sur sa meilleure amie de toujours.
— Même si on doit tuer les dieux. On se tiendra tous les deux au sommet du monde.
Sarah lui donna un petit coup de hanche avec un sourire.
— Alors c'est d'accord Ren. Et toi et moi, on se suivra jusqu'au bout du monde... Jusqu'en enfer s'il le faut.
Elle lui tendit son petit doigt.
— Promis ?
Ren lui tendit le sien.
— Promis...
Ren sentit sa conscience chuter loin sous la surface d'un océan infini. Il se laissa emporter pas les flots de son subconscient. Son rêve se poursuivit ensuite dans l'ancien château des Douze. Il lui fut impossible de dater ce nouveau souvenir. Avant la Guerre ? Après ? Une autre période ? Quoi qu'il en était, les couloirs restaient déserts. Comme si les lieux avaient été abandonnés.
Ren arpenta le dédale, ses yeux glissant sur les peintures de plafonds, sur les moulures blanches des murs et sur le marbre du sol. Un murmure entêtant lui parvint directement dans la tête. Ses yeux mordorés se posèrent sur une porte de bois sombre. Une porte qui n'avait rien à faire dans un palais.
Il poussa le battant et pénétra dans une pièce obscure, aux rideaux tirés et soulevés par la brise extérieure. C'était la chambre d'Obsidian, abandonnée. Des parchemins et des carnets de cuirs jonchaient le sol, le lit et le bureau. Une plume noire reposait sur une feuille vierge, laissant traîner une tache d'encre baveuse.
Ren croisa le reflet de Stone dans le grand miroir en pied de la pièce. Inexpressif, le reflet de son alter-ego calquait le moindre de ses mouvements. Ren détourna son attention et la ramena sur les écrits du bureau.
Il se massa les paupières et tenta de fixer une phrase qui semblait danser et onduler sur le papier, illisible. A chaque fois qu'il fixait une lettre, la suivante se dérobait et la précédente s'effaçait dans sa tête. Dieu... Collection... Lorsque.... Cristal... Les mots ne formaient aucune phrase cohérente.
Ren attrapa un petit miroir ovale posé parmi les carnets d'écriture. Il était noir comme de l'encre. Ou de l'obsidienne. La surface miroitante reflétait tantôt ses yeux éteints, tantôt le sang des iris de Stone, puis un visage spectrale et squelettique, aux yeux noirs et vide...
Un chuchotement lui parvint du miroir. Une voix désincarnée, vestige d'un monde antique... La voix de quelqu'un qui n'était plus qu'un fantôme... Ou de l'encre. Ou une ombre. Une voix qui avait vu défiler les siècles, devenant le témoin silencieux de chaque époque.
Son destin s'écrit par delà sa tombe... Par delà la dislocation et les mondes... Il est juste là. Tout près... Attendant son heure en silence. Il ne fait rien. Il attend que ses pions agissent. Il n'a rien à faire. Il a juste à attendre.
Quoi qu'il arrive il sera là. Le seul et unique Dieu.
Le temps presse. Tu es peut-être le seul à pouvoir encore changer les choses.
Mais peut-être pas de la manière dont tu penses...
Le miroir se fendit avec un bruit cristallin et Ren fit face à son propre regard perdu. Une phrase martelait son cerveau en boucle, entêtante. Le temps presse, le temps presse... Change les choses.
Ren serra son poing autour du miroir. Le reflet montrait désormais une sorte de bureau. Ren retint son souffle. Ce bureau il l'avait déjà vu. C'était celui aménagé à côté de l'infirmerie de son établissement. Dans le reflet il pouvait voir le bureau couvert de classeur, des étagères pleines de dossiers et une unique fenêtre avec un store amenant la lumière grise et hivernale du moment. Il vit un visage se pointer dans le miroir. Celui de Phyllis Oli. Elle jetait des coups d'œil méfiants autour d'elle, puis sembla tourner l'objet contre un livre intitulé « Tout savoir sur les pierres de naissance et leur signification ».
Lorsque Ren crut comprendre, son cœur se contracta douloureusement et il eut la sensation de suffoquer. Des frissons d'horreur coururent le long de sa moelle épinière. Il y avait quelqu'un dans son dos. Quelqu'un qui l'observait...
Ren ouvrit les yeux et se redressa en sursautant dans son lit. Il faisait encore nuit noire et la chambre d'internat était plongée dans les ténèbres. La respiration de Ren s'accéléra tandis que ses yeux cherchaient la moindre présence dans l'obscurité. Il tenta de se raisonner, de se dire qu'il n'y avait rien. Il tenta de se calmer, mais ni sa respiration ni son cœur n'étaient de cet avis.
Sa main chercha à tâtons et en tremblant sa lampe de poche posée sur l'étagère à côté de son lit. De la lumière. Il lui fallait de la lumière. Ses doigts se refermèrent enfin sur l'objet. Son pouce chercha l'interrupteur, parcouru de spasmes nerveux et un faisceau de lumière jaillit de sa lampe torche.
Il balaya rapidement la pièce pour s'assurer qu'il n'y avait personne pour le guetter et soupira enfin de soulagement. Son diaphragme daigna à ralentir la cadence de sa respiration et son cœur accepta de retrouver un rythme raisonnable. Il fixa un moment les particules en suspension devant le faisceau de sa lampe.
Qu'est-ce qu'il venait de voir ? Un rêve ? Un souvenir ? Le fruit de son imagination ? La réalité ? Tout à la fois peut-être tant rien n'avait de sens. Pourquoi s'était il perdu dans les méandres de ses songes juste après avoir quitté le QG des Douze ? Il pensait assister à un nouveau souvenir qui leur permettrait de répondre à d'autres questions. Au final ce n'était qu'un rêve. Sans logique, sans trame définie...
Il balança ses jambes en dehors de sa couette et posa ses pieds sur le sol froid. Les respirations et ronflements de ses colocataires résonnaient avec le mugissement du vent au dehors... Ren partit à la salle de bain pour boire un peu d'eau. Il posa sa lampe torche sur le rebord du lavabo et lapa un filet d'eau fraîche au robinet.
Il prit presque peur en voyant son reflet. Le manque d'un vrai sommeil réparateur commençait à se lire sur son visage. Il avait l'air hagard propre aux insomniaques et des cernes creusaient le dessous de ses yeux. Il aurait vraiment pu passer pour un cadavre animé...
Il repensa à son rêve, dans lequel il avait aperçu à plusieurs reprises des miroirs aux reflets changeant. Ces objets étaient peut-être tous des passages vers les autres mondes en fin de compte. Il posa son poing contre le miroir de la salle de bain, qui lui aspira la chaleur de sa main. Non, peut-être que seuls certains miroirs étaient capables de servir de passage. Un peu comme celui qu'ils avaient cassé l'an dernier. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Des reliques de l'ancien monde ?
Ren décida d'arrêter de se perdre dans ses réflexions qui ne le mèneront nulle part, surtout à trois heures du matin... Il retourna dans son lit et attrapa sa boite de somnifère. Il en restait deux, tout au plus... Il devra repasser à l'infirmerie le lendemain. Ça, plus le bureau de Phyllis, car il avait quelque chose à vérifier... Il avala ses deux cachets, puis s'enroula dans sa couette, serrant sa lampe torche contre lui. Lourdes comme du plomb, ses paupières se fermèrent toutes seules et il glissa dans le monde du sommeil en un clin d'œil...
Il ne rouvrit les yeux que plusieurs heures plus tard, alors qu'un timide soleil éclairait la pièce. Il grommela en sortant un bras de sous sa couette pour se frotter les yeux. Bon sang, il se sentait encore plus épuisé maintenant après avoir autant dormi que lorsqu'il ne dormait que quelques heures. Sa vision nébuleuse se posa sur son réveil. Dix heure...
Il balança sa couette et se leva en vitesse, déjà grognon d'avoir perdu la matinée. Le temps pressait, il devait trouver le moyen d'aller dans les autres mondes pour chercher les Gardiens manquant, il avait peut-être une piste grâce à son rêve illogique et voilà qu'il dormait et gâchait de précieuses heures.
Il se précipita à son placard pour s'habiller en vitesse et rattraper le temps perdu. Il sautilla dans son jean et son regard se posa sur Matt. L'elfe était tranquillement étendu à plat ventre dans son lit en hauteur, à lire sa BD, agitant nonchalamment ses chaussettes en l'air.
— Yo, fit-il en guise de bonjour.
— T'as vu l'heure ? Pourquoi tu m'as pas réveillé ?? s'agaça Ren en boutonnant son jean.
Matt le reluqua derrière ses verres de myope, un sourcil levé.
— Parce que j'ai pas envie de signer mon arrêt de mort ? proposa Matt comme une évidence. T'es toujours grognon au réveil je te rappelle. Les matins de cours on est obligé de te sortir du lit de force alors le week-end on essaie de te laisser dormir. Surtout qu'apparemment t'as fais un cauchemar...
— Apparemment ? fit Ren en se battant avec un sous pull.
Il pesta, la tête prisonnière du vêtement, à la recherche du col et des manches.
— Yep ! confirma Matt. Je t'ai entendu te réveiller et te lever. J'ai cru que t'avais couru un marathon tellement tu faisais du bruit avec ta respiration.
— Cauchemar ! répliqua Ren en trouvant enfin le trou pour la tête.
— Ah... Bon. Au fait, Derak et Pix sont sortis, informa Matt. Je crois que Pix a sa séance avec la psy là, Phyllis Oli, à onze heures. Mais ils sont allés faire je sais pas quoi en attendant.
— Toute façon j'ai pas besoin d'eux aujourd'hui, j'ai autre chose à faire, dit Ren.
Il fouilla ensuite l'étagère la plus basse de son placard à la recherche de ses baskets. Aucune trace se sa paire de chaussures.
— Mais bordel... fit-il en mettant carrément la tête dans son placard. Matt, t'as pas vu mes baskets ?
— T'as des baskets toi ? Je croyais que tu mettais que tes rangers noires. Euh... poursuivit Matt quand Ren lui jeta un regard mi amorphe, mi agacé. Les pourries ? Non désolé, j'ai pas vu.
Ren laissa tomber l'idée de mettre ses vieilles baskets pour l'expédition de la journée. Il songea ensuite qu'il devrait jeter un coup d'œil au fin fond de son panier à linge sale, car cela faisait aussi un moment qu'il n'avait pas vu passer une de ses vestes à capuches sur ses cintres. Il jeta son sweat bleu et blanc sans manche sur ses épaules, fourra son portable dans sa poche et noua les lacets de ses rangers.
— Bon écoute Matt, j'ai beaucoup de trucs à faire aujourd'hui, donc t'affole pas si tu ne me vois pas avant ce soir.
— Ah et tu dois faire quoi ? demanda l'elfe en redressant ses oreilles, curieux.
— J'ai un truc à chercher et trouver...
Ce "truc", il s'agissait d'un miroir spécial que Phyllis Oli avait en sa possession, caché quelque part dans son bureau. Il avait besoin de cet objet.
— Je peux t'aider ?? supplia Matt.
L'elfe glissa le long de son échelle en affichant un grand sourire, plein d'espoir. Mais Ren secoua la tête d'un air désolé. Cette mission était la sienne. Hormis Gabi, Emi et Ashe, il ne pouvait en parler à personne...
— Ça ira... j'ai pas envie de t'embarquer là dedans.
— M'embarquer dans quoi ? demanda Matt. Attend, qu'est-ce que tu mijotes ?
— T'inquiète.
— Mais bien sûr que si je m'inquiète enfin ! Ren, qu'est-ce que tu comptes faire ?
Ren le savait très bien au final. Il comptait retrouver le même type de miroir qui les avait emmené dans les mondes parallèles il y avait maintenant un an. Son rêve avait été un indice précieux et il savait où chercher. Et une fois qu'il aura retrouvé l'objet, il comptait retourner dans le Deuxième monde afin de commencer ses recherches sur les Gardiens manquant. Le temps pressait.
Et il ne voulait pas que ses amis revivent l'enfer du précédant voyage. Il irait sûrement consulter Gabi et Ashe avant mais cette fois ci il voyagera très certainement tout seul...
— Je ne peux pas te le dire, répondit Ren. Je suis désolé.
Il sortit de la chambre sans se retourner et quitta la salle commune puis le bâtiment du lycée. Dehors la pluie avait cessée. Ren évita flaques d'eau et de boue sur sa route et monta au château. Avec sa grande bouche, Matt lui avait filé une information intéressante. Si Pix devait aller voir Phyllis en rendez-vous à onze heure, ça lui laissait une petite heure pour aller voir dans son bureau... Il allait d'abord s'y rendre et il avisera ensuite.
La vie scolaire était encore pleine de gendarmes et d'enquêteurs quand Ren passa. Certains élèves semblaient témoigner, sans doute qu'ils avaient vu des choses interessantes après l'attaque du concierge Soulier. Ren ralentit un peu le pas en entendant deux enquêteurs discuter entre eux. Il se baissa pour défaire et refaire son lacet et tendit l'oreille.
— Aucune empreinte magique dans le coin chef, disait le premier.
— Vous avez vérifié de partout ?
— Partout et on a rien trouvé. Conclusion : seul un sans-pouvoirs a pu faire le coup.
— On est mal barré dans ce cas là... Les seules techniques d'investigation qui ne prennent pas en compte l'empreinte magiques sont très peu fiables...
Dans les souvenirs lointains de Ren au collège, l'empreinte magique était comme son nom l'indiquait une marque de magie unique laissée par n'importe quel mage sur son passage. Des particules de pouvoirs en suspension dans l'air, qui finissaient par retomber sur le sol, les murs ou les objets alentours. Avec certaines techniques ou quelques rares pouvoirs, il était possible d'identifier une personne grâce à cette empreinte, tel un code barre. Évidemment les sans pouvoirs ne laissaient aucune trace.
Ren poursuivit sa route jusqu'à l'infirmerie et s'arrêta devant la porte du bureau de Phyllis Oli, close. Le brun vit à l'angle de la serrure que c'était fermé à clé. La psy était absente pour le moment... Comme elle avait l'habitude d'aller discuter avec Coco à l'infirmerie, Ren préféra vérifier si c'était bien le cas en ce moment. Mais c'était dimanche et la médecin était en repos ce jour. Le brun constata que l'infirmerie était déserte. Une idée plus que risquée lui passa par la tête lorsqu'il revint devant le bureau de Phyllis. Il jeta un coup d'œil à sa montre puis dans le couloir, vide...
Il profita de la petite décharge d'adrénaline provoquée par la prise de risque et passa à l'action. Il se pencha à hauteur de la serrure et matérialisa une bulle d'eau entre ses doigts. Concentré et ignorant son cœur qui palpitait de stress à l'idée de se faire prendre la main dans le sac, il modula sa bulle d'eau pour la faire rentrer dans la serrure. Avec un peu d'adresse, il réussit à former un double de la clé avec ses pouvoirs et déverrouiller la porte. Il reprit son souffle après avoir été en apnée pendant toute la manœuvre, pressa la poignée et se faufila dans le bureau de Phyllis.
Il referma le battant dans son dos en soupirant de soulagement. Maintenant il devait rapidement trouver ce qu'il cherchait. Ses yeux mordorés parcoururent rapidement la pénombre du bureau, ses étagères, ses tiroirs, tous pleins à craquer d'articles scientifiques ou de dossiers. Il s'avança prudemment dans la pièce, craignant sans savoir pourquoi que la locataire des lieux ne soit cachée dans un recoin. Il remarqua une sorte d'araignée sauteuse colorée posée au sommet de la machine à café. Elle semblait le fixer avec ses gros yeux, mais ne bougea pas.
Ren fouilla rapidement entre les rangées de dossier, en forçant les souvenirs déjà flous de son rêve à venir l'aider dans sa tâche. Il fouilla au plus profond de sa mémoire, à la recherche d'un détail, n'importe quoi qui pourrait l'aider. Il savait que ce qu'il cherchait était ici, dans ce bureau...
— C'est ici, c'est forcément ici. Tu vas forcément trouver... se dit-il
Phyllis Oli avait caché son miroir ici, il l'avait vu en rêve. Elle l'avait dissimulé en hauteur, puis masqué avec un livre. Ren se força à retrouver le nom du titre. Qu'est-ce que c'était ? Il réussit à aligner quelques mots flous : pierres précieuses ? Pierres de naissance ? Un livre sur les pierres de naissance ? Il y en avait des dizaines sur le sujet, après tout c'était une tradition millénaire héritée des Douze. Elles avaient toutes une signification en fonction du mois de naissance.
Ren retrouva soudain le titre du livre : tout savoir sur les pierres de naissance et leur signification. C'était ça. Ses yeux passèrent en revue toutes les tranches des livres sur l'étagère en métal d'une bibliothèque, puis se posèrent sur celle qui l'intéressait. Son coeur fit un bond dans sa poitrine... Pourvu que ce soit ça. Il écarta légèrement le livre sur le côté et le vit soudain, ce contour noir comme de l'onyx entre les ouvrages...
— Bingo, fit-il avec un sourire.
Le petit miroir de poche était posé là, entre deux livres. Fébrile, Ren l'attrapa avec prudence, presque sans y croire. Il passa son pouce sur la surface réfléchissante. Elle semblait onduler, ce qui différenciait cet objet d'un miroir ordinaire. Il avait vu juste. Son rêve avait bel et bien été un indice sur la manière de retourner dans les autres mondes !
Le brun décida de rapidement sortir de ce bureau avant de se faire surprendre. Il fit demi tour et prit le chemin de la sortie. Il devait désormais aller chercher Gabi et Ashe. Ensemble ils décideront de la suite des opérations. Mais au moins maintenant, il avait un portail dimensionnel entre les mains, la première étape de la suite de leur mission. Songeur il fixait le reflet de son œil dans le petit miroir rond.
Il soupira longuement, satisfait, alors qu'il sortait dans le couloir.
Un claquement sinistre de pistolet résonna dans son oreille droite.
Il se pétrifia sur place.
Ses pupilles se dilatèrent d'effroi.
Sa respiration se coupa nette.
Son cœur cessa de battre tant ce bruit lui remémora les pires souvenirs du Deuxième monde.
— Ça faisait une éternité, frangin, ricana sa propre voix.
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