Chapitre 21: Situation d'urgence

Une fois le repas avalé, Ren, Gabi et Ashe rejoignirent les salles de classe. En chemin, Ashe leur griffonna un mot d'excuse avec un stylo sur les billets de retard, qu'il tamponna ensuite avec le précieux sésame de la vie scolaire. Il n'y avait personne dans les couloirs, signe que tout le monde était déjà en cours. Ashe lança aux adolescents qu'ils se verront plus tard puis frappa poliment à la porte de leur salle.

La voix grinçante de Mlle Marg'ost les invita à entrer, d'un ton qui indiquait bien qu'on la dérangeait en plein cours. Ashe pointa sa tête avec un « coucou » enthousiaste qui fit pouffer pas mal de monde dans les rangs. Le regard mort de la prof fusilla l'assemblée, qui trouva aussitôt les textes du manuel d'histoire très intéressants.

— Je vous ramène vos élèves madame, j'avais une réunion importante et... commença Ashe.

Mais l'ectoplasme balaya l'explication d'un revers de main.

— Vous me faites perdre davantage de temps !! Je n'arriverai jamais à terminer le programme avant la fin de l'année si ça continue comme ça !!

Ashe n'en fit rien et poussa gentiment Ren et Gabi dans la salle de classe, ce à quoi la prof pesta « Allez, toujours le même ! ». Ashe fit un grand sourire à ses élèves en agitant la main avant de fermer la porte et partir.

— Je ne sais même plus où j'en étais ! se plaignit Marg'ost.

— A l'appel madame, répondit poliment Cheyenne la rousse dans le fond de la salle.

Ren se laissa choir sur sa chaise à côté de Matt et largua son sac contre le mur. Aussitôt Sarah, qui était devant, se retourna pour lui mettre le grappin dessus.

— T'étais où et tu faisais quoi ?

Elle devança mot pour mot la question de Matt, qui en était presque déçu. 

— Avec Ashe, on avait un truc à régler à propos du club d'escalade, répondit Ren en jetant trousse et cahier sur la table.

— Et t'as fait quoi avec Gabi ? continua la démone.

— On a juste discuté, dit Ren. Pourquoi cette question ?

— Juste comme ça mais en vrai j'en ai rien à fiche que tu traines avec Gabi pour vous raconter des trucs top secret ! répliqua Sarah, visiblement plus vexée que ce qu'elle voulait paraître.

— CRAIE !! avertit Matt.

La démone se baissa juste à temps et Ren s'écarta sur le côté, évitant tous deux une craie blanche lancée comme une balle sur eux par Marg'ost. Le projectile ricocha contre le mur dans le dos de Ren.

— Flaïme il est interdit de se balancer sur sa chaise ! Et arrêtez de parler et de mettre du désordre dans ma classe !

La prof indiqua ensuite les pages sur lesquelles travailler ce jour et donna des exercices à réaliser aux élèves. Loin d'avoir envie d'étudier de vieux textes religieux, Ren pivota sur sa chaise pou chercher une occupation du regard.

Il y avait énormément d'absents dans les rangs. L'effectif de la classe avait été réduit presque de moitié. Les rares détraqués présents – d'ailleurs Ren se demandait pourquoi ils venaient toujours en cours – étaient en train de marmonner tout seuls ou de mâchouiller des stylos. Antoine quant à lui était en train à proférer des menaces de mort à qui voulait l'entendre, puis se tut d'un coup en croisant les yeux de Ren.

Après un cours plutôt assommant sur le Moyen âge, la bande quitta la salle de classe pour la récré. Malheureusement la pluie les obligea à rester sous le préau à côté du château. Pendant que les autres racontaient leurs vacances de Noël, Ren regardait les gouttes de pluie perler le long de la gouttière. Ses pensées s'égaraient de plus en plus, revenant sur son rêve sur la dislocation.

Il frissonna en repensant à chaque assaut désespéré des dieux contre Obsidian. À son aisance au combat et à la facilité dont il avait fait preuve en affrontant les Douze. Il était beaucoup trop fort... Les Gardiens devront l'affronter tôt ou tard, c'était leur mission, mais seront-ils capables de lui tenir tête ? Est-ce que cela suffira ?

Une sirène de pompier retentit soudain dans la cour de récré de l'établissement, tirant Ren de ses questions sans réponses. À coté de lui sur le banc Matt dressa les oreilles comme un lapin curieux tandis qu'un véhicule de secours passait dans la cour.

— Qu'est-ce qui se passe ? questionna Nya en se redressant.

Déjà les élèves sous le préau se rapprochaient pour suivre des yeux le camion des pompiers, qui s'arrêta dans un crissement de pneus. Matt se leva du banc en demandant aux autres de le suivre pour aller voir.

— Mais quelle commère ! commenta Sarah. Tu fourres toujours ton nez partout en fait !

— Mais je veux savoir ce qu'il y a ! supplia Matt.

— Sûrement pas un incendie, avec ce temps de bretons, dit Derak.

Matt soupira et jeta un coup d'œil au véhicule d'urgence qui s'était garé devant le hall d'entrée du château. Il retroussa la lèvre inférieur, déçu. Prenant pitié de cette expression de chien battu, Nya se leva et lui proposa de l'accompagner. Tout content Matt la suivit et tous deux partirent voir ce qu'il se passait à la vie scolaire. Ils n'étaient pas les seuls et un tas de curieux s'amassait déjà vers le camion.

Mais ils revinrent quelques instants plus tard après s'être fait naturellement jeté par les pompiers.

— On a demandé ce qu'il se passait, mais ils ont rien voulu nous dire, expliqua Nya. Tout ce qu'on a vu c'était la CPE en panique dans le hall en train de courir dans tous les sens. Ça faisait des « clac clac » avec ses talons.

— Je vais pas abandonner pour si peu ! se décida soudain Matt. Attendez moi je pars en éclaireur !

Il se rendit invisible puis des pas fantomatiques firent des éclaboussures dans les flaques de pluie, s'éloignant en direction des pompiers et du hall du château. Sarah lâcha un soupir exaspéré et se massa les tempes.

— Il est trop curieux celui-là...

— Je suis d'accord, approuva Angèle. On ne sait pas ce qu'il se passe et on n'a pas à le savoir je pense.

— C'est peut-être juste une fuite de gaz ? proposa Derak.

— Ben voyons, répliqua Ren.

— Ils nous auraient évacué espèce de tanche ! fit Sarah.

— Ou alors quelqu'un a juste fait un malaise cardiaque en croisant Casper, proposa Nya, faisant référence à Mlle Marg'ost.

— Ne dis pas des choses pareilles ! couina Angèle.

Ils continuèrent à imaginer d'autres scénarios de plus en plus improbables, allant du chat coincé dans un arbre à un incendie dans la bibliothèque, ce qui leur ferait une belle jambe. Enfin Ren aperçut le pas caractéristique de Matt, en train de patauger dans les flaques d'eau. L'elfe redevint visible et leur apparut livide...

— Alors ?? quémanda Nya.

Mais Ren sut que quelque chose n'allait pas. Matt regardait dans le vide, pâle comme un fantôme et les lèvres blêmes.

— J'aurai peut-être pas dû y aller... marmonna-t-il.

— Bien fait pour toi, ça t'apprendra à être trop curieux ! répliqua Sarah. Il s'est passé quoi ? demanda-t-elle cependant.

Matt s'installa sur le banc entre elle et Pix. Nerveux il serra ses mains sur ses genoux.

— Ben... Je suis rentré... commença-t-il en déglutissant. Et j'ai vu les pompiers avec tout du matériel médical, en train de ranimer le concierge... Soulier. Il était par terre, inconscient et plein de sang...

Il était encore sous le choc et ses mains tremblaient. Des « QUOI » choqués lui répondirent et aussitôt Nya et Derak l'assaillirent de question. Pendant que Matt tentait de leur répondre, Ren se leva du banc et décida d'aller voir lui aussi, tant ça lui paraissait irréel. Il rabattit la capuche de son sweat sur sa tête et sortit sous la pluie qui ruissela sur sa veste en cuir.

Il se rapprocha de l'essaim de curieux agglutiné derrière un cordon de police et se hissa sur la pointe des pieds pour tenter de voir quelque chose. Il eut juste le temps d'apercevoir les pompiers trottant aux côtés d'un brancard, transportant le concierge Soulier. Masque à oxygène sur le nez, couverture de survie sur tout le corps, son teint était blanc comme un linge... Presque cadavérique.

Ren parvint à saisir quelques informations au vol en entendant les pompiers discuter entre eux. Le brun n'en crut pas ses oreilles en reconstituant ces infos : Soulier aurait été poignardé plusieurs fois... Plus une morsure au bras apparemment sans importance à coté de ses blessures. D'autres élèves relayèrent les rumeurs, comme quoi le protocole vitale du concierge était engagé ou encore que l'agresseur était sûrement un des élèves fous du moment. Un  détraqué en somme...

Légèrement secoué par les événements soudains, Ren fit quelques pas en arrière tandis que le camion s'en allait, sirènes à fond. Des gendarmes déjà sur place prièrent d'évacuer la zone. Mains dans les poches, Ren retourna sous le préau, ne croyant pas ce qu'il venait de se passer.

— Alors alors ?? Du nouveau ? lui demanda Derak en le voyant revenir.

— Ben... fit Ren, évasif. Apparemment Soulier s'est fait poignardé... Sûrement un détraqué... Et sa vie est en danger...

— Merde, fit Sarah.

Soulier était le concierge de l'école. Il connaissait tous les élèves à force de les croiser à la vie scolaire, à l'internat ou dans les couloirs. Un cinquantenaire qui n'avait connu que cette vie là, gentil comme tout. Hormis un détraqué, personne n'aurait été capable de l'agresser aussi sauvagement.

— J'imagine qu'on va être interdit de vie scolaire pendant un moment, dit Angèle. Comment on va faire pour les mots de retard ?

— T'es sérieuse là ? demanda Derak en roulant de la tête.

— Ben quoi ? dit naïvement l'ange.

— Non mais quelqu'un vient de se faire poignarder et toi tu penses aux mots de retard !!

Angèle écarquilla les yeux, venant soudainement d'atterrir. Elle plaqua les mains devant sa bouche

— Par les Douze mais c'est horrible !

La sonnerie retentit et les surveillant évacuèrent le préau avec des sifflements agacés. L'un d'eux annonça que le hall d'entrée et la vie scolaire étaient désormais défendus d'accès et que la gendarmerie allait sûrement rester sur place un moment. La bande prit le chemin du bâtiment d'internat pour aller chercher les sacs de sport et pouvoir ensuite rejoindre le gymnase.

Au loin l'orage gronda. Rincé par l'averse Ren se dit que ça commençait à faire beaucoup pour une seule journée. Son rêve sur la dislocation, la rencontre avec un autre Gardien qui s'avérait être Ashe, puis pour finir le concierge agressé... Tout avait si bien commencé, il avait enfin du nouveau dans sa quête avec les Gardiens.  Mais cette histoire d'agression avait tout soufflé... Comme le vent balayant une message dans la poussière.

***

Pendant la séance de handball de l'après midi, les rares élèves présents n'étaient pas trop dans le match, se passant la balle sans conviction et se déplaçant uniquement en marchant d'un pas mou. Ashe finit par siffler l'arrêt du jeu, presque exaspéré.

— Qu'est-ce que vous avez aujourd'hui ? C'est le temps qui vous sape le moral ou quoi ? Même les escargots sont plus dynamiques que vous !

Parmi les joueurs, Cheyenne la rouquine lui expliqua qu'avec les récentes nouvelles, personne n'avait trop de cœur à jouer. Visiblement pas au courant, Ashe pivota comme un automate vers Vautour, assise sur le banc de touche. Cette dernière lui reporta la nouvelle de l'agression de Soulier. La peau brune d'Ashe sembla perdre quelques teintes. Le jeune professeur devait se dire qu'il était vraiment un boulet, à force d'être toujours le dernier au courant et de faire des gaffes aussi maladroites.

— Hum... Bon... Ben, je sais que les récentes nouvelle ne sont pas réjouissantes, mais jouez avec une peu plus d'entrain... S'il vous plait.

Il siffla à nouveau et repartit s'asseoir sur le banc, plantant les coudes dans ses cuisses et posant sa tête dans ses mains d'un air abattu. Ren faillit se prendre la balle de hand en pleine tête quand Derak lui fit la passe sans prévenir. Il dribbla en évitant les adversaires, qui semblaient juste déambuler au hasard sur le terrain. Il fit la passe à Sarah qui errait sur un côté, bien démarquée mais diffusant des ondes « je n'ai aucune envie de jouer avec vous, fichez moi la paix ».

La démone grogna en recevant la balle, l'obligeant à jouer. Elle évita Cheyenne sans soucis, arma son bras et tira. La balle rentra facilement dans les cages. Visiblement le gardien n'était pas réveillé. Puis Gabi siffla le point avec un temps de retard. Elle était à l'arbitrage avec Pix.

— Bravo Sasa ! fit Derak en applaudissant.

Sarah le gratifia d'un majeur en l'air en repartant au centre du terrain pour la remise en jeu. Dans l'autre équipe Cheyenne demanda au gardien de s'activer un peu, ce à quoi il lui répondit par un grognement.

— Rappelez moi pourquoi on a mis Antoine aux cages ? souffla Cheyenne.

— Je le remplace si vous voulez, proposa Lewis le délégue.  

Mais Antoine grogna en le voyant s'approcher et se mit en crabe devant les buts pour l'empêcher de continuer plus loin.

— A moi ! C'est à moi ! Pas touche ! Sales humains.

— Ben arrêtes les balles, bouffon ! pesta Cheyenne.

Le match reprit avec un peu plus d'entrain, l'équipe de Ren suivant une stratégie bien rodée. Rapide sur ses jambes, Ren se rapprochait au maximum des cages avant de passer la balle à Sarah ou Matt, en fonction de qui était démarqué. Les encouragements bruyants de Nya dans leurs buts aidaient à les motiver un peu.

Sarah marqua un dernier et ultime point juste avant la fin du temps réglementaire, signant une petite victoire. Fair-play, leurs adversaires les félicitèrent avec quelques applaudissements. Mais Antoine revint subitement à la réalité en hurlant à la faute, trépignant dans ses buts.

— Elle avait le pied dans ma zone ! Ma zone ! Mon territoire !

— N'importe quoi, fit Sarah en le fusillant du regard.

— C'est la faute aux arbitres !! siffla Antoine. Stupide Gabi et stupide Pix !!

Il s'approcha d'un air menaçant en faisant le dos rond. Gabi se mit entre lui et Pix, un air blasé au visage.

— Évite si tu tiens à tes os, dit-elle.

— C'est votre faute, vous avez pas sifflé la faute ! Non c'est la faute à la démone qui a triché !

Il n'y avait aucune cohérence dans ses propos, surtout quand Antoine les abandonna pour se ruer sur Sarah, en marmonnant une recette de cuisine. La démone se mit tout de suite en garde, poings levés.

— Hé, qu'est-ce qui se passe ? souffla Ashe, sortant d'une conversation avec Vautour.

— Ils ont pas sifflé la faute !!! Et elle a triché elle !

De là où il était Ren pouvait aisément voir les yeux de Sarah bouillir comme de la lave en fusion. Ses muscles étaient tendus, elle n'attendait qu'une occasion pour coller une droite à Antoine. Mais ce dernier fut plus rapide... Il se jeta sur elle avec un cri strident et effrayant, un éclair de folie dans le regard, la renversant à terre au passage. Il ouvrit en grand la mâchoire pour la mordre au cou.

Le sang de Ren ne fit qu'un tour.

Avant que qui que ce soit ne puisse intervenir, Ren s'élança sur sa jambe s'appuie et se rua furieusement sur Antoine. Sans réfléchir il plongea en avant pour mettre son bras entre les dents du détraqué et la gorge de Sarah.

La mâchoire d'Antoine se referma sur sa peau. Ren serra les dents, ignorant la douleur et comptant sur la décharge d'adrénaline pour le soulager. Il passa son autre bras autour du cou du détraqué, agrippa ses jambes à lui, l'immobilisa et le fit rouler par terre pour le dégager. Le plus loin possible de Sarah qui s'était complètement tétanisée sur place.

Ren se prit un coup de tête en pleine poire et dut lâcher Antoine dans sa roulade. Le détraqué s'échappa sur le côté et se redressa à quatre pattes en grognant furieusement. Ren se releva, courbé et une main sur son nez qui pissait déjà le sang. Souffle rauque, son regard aurait pu tuer Antoine en cet instant précis. Il s'avança, prêt à lui coller la raclée du siècle.

— Espèce de salaud, jura le brun en essuyant le sang sur son menton.

Comme toujours ses vaisseaux sanguins du nez étaient bien fragiles. Antoine lui cracha dessus comme un chat, les cheveux presque hérissés. Dans le dos de Ren, Ashe s'était précipité au secours de Sarah, complètement pétrifiée sur place, la respiration courte. Ren voulut tourner la tête pour s'assurer qu'elle allait bien mais Antoine en profita pour se jeter à sa gorge.

Ren réagit au quart de tour. Il joignit ses mains et balança un puissant jet d'eau sur son adversaire. Emporté par les flots furieux, Antoine se mangea le mur du gymnase de plein fouet. Il glissa au sol, en crachant ses poumons à cause de l'eau avalée. Ren se rapprocha de lui en tapant des pieds. La haine rendait son regard sinistre.

— Attends je ne voulais pas !! s'écria Antoine en rampant contre le mur comme un animal effrayé et acculé.

Ren le revoyait encore se jeter sur Sarah, prêt à lui arracher la jugulaire avec les dents...

— Sa magie est puissante et goûtue ! C'est sûrement délicieux ! Je ne voulais pas la tuer ! Juste changer de carcasse ! Il ne tiendra plus longtemps !!

Ren n'avait plus envie de plaisanter ou d'être clément. Il en avait assez de ces paroles sans queue ni tête. Ses dents étaient tellement serrées qu'elles se mirent à grincer. Antoine se figea soudain d'horreur alors qu'il rampait pour fuir. Il lâcha un mot que personne ne réussit à saisir.

Ren arma son bras et abattit son poing derrière le crâne d'Antoine. Le détraqué fut assommé net et sa tête tomba au sol, raide. Souffla court, Ren lui aurait bien mis un autre coup, juste comme ça. Il lui aurait bien entaillé les bras... Le visage... Mais l'agitation autour de lui l'en dissuada.

La douleur revint subitement dans son bras, où des traces de dents étaient imprimées. Il grimaça en revenant vers le reste du groupe de classe. Les rares élèves encore lucides s'étaient éloignés du détraqué, blancs comme des linges. Vautour ouvrit la bouche quand Ren s'arrêta à côté d'elle, cherchant sûrement une réprimande ou quelque chose à dire. Mais elle ne trouva pas les mots. Comme toujours tout s'était déroulé trop vite...

— Fin du cours, je vous libère, dit-elle en guise de synthèse et de conclusion.

Hésitants à partir comme ça, les quelques élèves de la classe rejoignirent finalement les vestiaires. Ren se rapprocha de ses amis, près du banc où Sarah était assise. Ashe semblait la rassurer à voix basse, car la démone était encore sous le choc.

— Ça va aller ? demanda le prof.

Sarah hocha la tête avec raideur et se leva. Angèle et Nya s'enquirent de son état, pour savoir si Antoine ne l'avait pas blessé. La démone s'arrêta en posant les yeux sur Ren. Puis ses iris descendirent le long de son bras en sang et elle se décomposa.

— T'es cinglé, dit-elle d'une voix brisée. Ton bras...

— Ça va, c'est rien, dit Ren.

— En vrai t'es un ouf malade toi, dit Derak. Bah, c'est pas si mal de rien avoir dans la tête à certains moment, ça permet de sauver des gens...

— J'avoue, sans toi Sarah aurait... commença Matt.

Angèle fondit en larmes, sûrement que son imagination était allé trop loin. Gabi lui tapota l'épaule alors que l'ange venait de se jeter dans ses bras pour s'y moucher, en couinant que c'était horrible. Ren se tourna vers l'autre coté du gymnase, où Vautour et Ashe étaient en train de vérifier l'état d'Antoine, le tâtant du bout du doigt pour savoir si il n'allait pas se jeter sur eux.

Le prof annonça qu'il allait être interdit de cours. Vautour approuva en suggérant de parler de tous ces problèmes à la prochaine réunion des profs.

— En tous cas tu lui as sauvé la vie ! s'exclama Nya. Comment tu fais pour réagir si vite d'ailleurs ? Au moment où j'ai réalisé ce qui allait se passer t'étais déjà en train de te rouler par terre en immobilisant l'autre débile !

— Chapeau d'ailleurs, t'es intervenu juste à temps ! ajouta Matt.

Ren marmonna des mercis, serrant son bras douloureux contre lui. Sarah le regardait toujours, à deux doigts des larmes.

— Ton bras, répéta-t-elle. Je suis désolée...

— C'est qu'une morsure, dit Ren. Ç'aurait été plus grave si il t'avais mordu la carotide !

Pix vira au transparent et Angèle redoubla de pleurs et de sanglots.

— Putain, mais t'es blessé et moi j'ai rien pu faire, souffla Sarah. Pendant deux secondes je l'ai vu se jeter sur moi et me planter les dents dans le cou... Et j'ai été pétrifié sur place en réalisant qu'il allait peut-être me tuer. J'ai rien fait et toi tu...

— Hé... fit Ren. Je m'en fiche d'être blessé, le principal c'est que toi tu n'aies rien. J'aurai pas pu me regarder en face s'il t'étais arrivé quoi que ce soit sous mes yeux.

— Puis c'est pas ta faute, renchérit Gabi. C'est Antoine le responsable.

Sarah ravala ses larmes avant qu'elle n'eurent le temps de couler et se refit une façade, bien décidée à ne pas craquer d'avantage. Vautour renvoya tous les élèves en promettant d'arranger un peu la situation avec les élèves fous.

— Je ne laissera pas mes élèves se manger entre eux. À partir de maintenant je ne veux que des sains d'esprit dans mes cours !

— Reposez-vous bien, la journée n'a pas été facile, dit Ashe. On essayera de faire remonter tous les problèmes à la direction histoire de voir comment gérer cette situation chaotique.

Sur ce, la bande récupéra ses affaires de sports et tous les huit rejoignirent leur bâtiment d'internat pour un repos bien mérité. Ren ne passa pas tout de suite à l'infirmerie, voulant tester quelque chose avec ses pouvoirs sur son bras. Une fois dans leur chambre, il jeta son sac de sport dans un coin puis partit s'asseoir par terre au pied de son lit. Il regarda sa blessure encore sanguinolente, en songeant à sa capacité à changer ses membres en eau.

Il se concentra et tendit sa main au dessus de son bras. De l'eau se mit à circuler à la surface de sa peau, nettoyant d'abord le sang de sa blessure. Puis il ferma les yeux pour se concentrer. Une à une, il liquéfia les cellules de son bras. Ainsi il répara petit à petit les muscles et la peau endommagés. Il sentit son cœur faire un sursaut de protestation. Enfin son bras reprit sa consistance normale, net et guéri. Sa blessure avait totalement disparue.

Ren souffla à cause de l'effort et son cœur reprit un rythme normal après avoir battu de façon anarchique pendant quelques secondes. Ça avait fonctionné. Grace à sa capacité de liquéfaction il avait pu ressouder sa blessure. Comme l'eau d'un récipient qu'on coupe en deux et qui finit par reprendre sa forme d'origine dès qu'on enlève la séparation.

En relevant la tête, Ren croisa les regards ébahis de Matt, Derak et Pix, qui n'avaient pas perdu une seule miette de son petite tour de passe passe.

— Quoi ? fit le brun en fronçant les sourcils.

— Tu viens vraiment de te soigner avec tes pouvoirs de flotte ?? s'écria Matt.

— Mais t'es pas humain toi, fit Derak, abasourdi. On sait tous que les pouvoirs sont limités, genre y a juste les guérisseurs qui sont capables de guérir, et toi t'es polyvalent !!  T'arrive à te soigner, marcher sur l'eau, manipuler sa forme, sa pression et sa puissance et faire des lames en flotte !! 

— Je n'ai jamais vu un mage d'eau capable de tout ça en même temps, dit Pix.

— Faut croire que je suis surdoué, grogna Ren en se relevant.

Ou qu'avoir une déesse millénaire avec lui l'aidait beaucoup...

Dehors l'averse redoubla d'intensité. La météo était vraiment  sinistre en ce moment. Un mince brouillard trainait encore par endroit dans les collines et les marais, mais ce n'était rien en comparaison avec la purée de pois du matin. Ren se demandait parfois si ce temps n'avait pas un rapport avec l'invasion des détraqués du moment.

La journée étant fini pour eux, les garçons partirent à la douche les uns après les autres. Passant en dernier  Derak fit une petite crise en sortant les cheveux accumulés dans le siphon de la douche, râlant encore une fois sur la longueur des tignasses de ses colocataires.

— T'es paranoïaque mon vieux ! riposta Ren, étendu dans son lit avec son carnet à dessin. Ou psycho-rigide. Ou maniaco-dépressif. Ou tout en même temps tiens !

— C'est pas à moi les cheveux longs et noirs comme ça !!

Il continua son sketch tout seul dans la salle de bain, avant d'attraper son sacro-saint bidon de javel pour tout récurer. Jusqu'à l'heure du dîner Ren dessina à plat ventre sur son lit, Matt lut ses bandes dessinés et Pix joua à un jeu sur son ordinateur. Enfin ils partirent à la cantine pour manger un bout. Dehors la nuit était tombée, la pluie avait cessé et une belle gadoue rendait le terrain glissant.

Le réfectoire était quasiment vide et étrangement silencieux. En attrapant son plateau et ses couverts, Ren remarqua la présence des professeurs, debout et l'air d'attendre quelque chose. Il se souvint alors de ce que Ashe et Vautour avaient dit durant l'après midi, à propos de la situation du moment. Une fois attablé avec ses amis, la directrice de l'école toussota.

— Votre attention je vous prie.

Toutes les têtes pivotèrent vers la directrice et le corps enseignant. Un silence remplaça rapidement le chuchotis ambiant.

— J'imagine que vous avez tous remarqué à quel point la situation était compliqué en ce moment. De nombreux élèves arborent une attitude démente et nous ignorons encore les causes de cette étrange épidémie qui touche apparemment toute la région. L'infirmerie est saturée de blessée en ce moment. Pire notre concierge a été sauvagement attaqué en milieu d'après-midi. Les gendarmes enquêtent toujours. Je vous demanderez donc d'être honnête avec eux. Si vous savez quoi que ce soit, veuillez prévenir les forces de l'ordre.

Un murmure parcouru les élèves à ce propos et la directrice poursuivit, épaules droites. Elle avait une posture aussi stable que le bloc de glace qu'elle était.

— Nous avons rapidement décidé de mettre en place quelques mesures d'urgence. Premièrement tout élève présentant un comportement dément sera interdit de cours. Les classes seront reformées pour pouvoir avoir un effectif suffisant. En second lieu : nous allons réorganiser les dortoirs d'internat afin d' isoler les élèves dérangés et de garantir votre sécurité. Il en va de même pour le self. Enfin certains cours seront annulés. Dès demain, nous mettrons toutes ces informations sur le site de l'école ou sur les tableaux d'affichage. Vous devrez remplir un questionnaire afin qu'on puisse faire la liste des élèves encore lucides. Quiconque ne le remplit pas sera considéré comme malsain alors faites circuler l'info.

Elle remercia les élèves pour leur écoute et souhaita un bon appétit. Les discussions explosèrent de partout dans la cantine à propos de ces nouvelles mesures.

— Refaire les dortoirs ? s'étonna Nya. Mais comment ils vont faire ? Puis moi je bouge pas de notre piaule !

— Estimons-nous heureux, relativisa Angèle. Aucun de nous n'est détraqué, par conséquent on ne devrait pas être séparé. Ni accueillir d'autres personnes dans nos chambres.

— Je propose de remplir en vitesse leur questionnaire, lança Derak. C'est malin en vrai, la plupart des détraqués sont trop débiles pour ouvrir le fichier et cocher des cases.

Une fois ce fameux questionnaire rempli, ils se souhaitèrent bon appétit et mangèrent. Pendant le repas, Ren regardait autour de lui. Même la cantine semblait vide comparé à d'habitude. La situation était vraiment en train de dégénérer. Les profs passaient entre les tables pour discuter avec leurs élèves, afin d'éclaircir certains points avec eux. Et de les rassurer sur l'état d'urgence mis en place : cela devrait être temporaire selon eux.

— Temporaire hein... fit Gabi. Ils sont bien optimistes. Il ne me semble pas que la situation va s'arranger d'elle même...

— Je suis d'accord, approuva Angèle. Les détraqués ne guérissent pas tout seul...

— Et plus le temps avance, plus ils se font bouffer par les Ombres, ajouta Ren.

— Mais il n'y a vraiment aucun remède ?? s'écria Matt. On va laisser cette épidémie de zombie se propager comme ça et les laisser crever sans rien faire ?

— Tant que nous ne sommes pas détraqués on peut se battre contre les Ombres, dit Gabi. Ce sont des êtres plus tangibles que ce qu'on pensait et les tuer est envisageable. Maintenant en traitement curatif...

Derak écarquilla soudain ses yeux clairs et releva la tête de son assiette pour se tourner vers Pix. Ce dernier changea de couleur et fit sauter son regard sur chaque paire d'yeux braquée sur lui.

— Quoi ? gargouilla-t-il.

— La solution est là ! 'Fin pas toi en personne, mais ce que tu as sur les oreilles ! continua Derak.

— Mon casque ?

— Ah mais oui ! se rappela Gabi. Alix nous avait donné une clé USB avant qu'on parte de la tour du Troisième monde.

— Et dessus il y avait un morceau de musique ou une fréquence, je ne sais plus, dit Angèle.

— Et c'est cette fréquence qui permet de guérir les détraqués !

— Wow, du calme, j'arrive plus à suivre ! arrêta Sarah.

Derak tapota le casque à musique de Pix.

— Il écoute un truc en permanence pour se calmer, informa le vampire. C'est une fréquence spéciale qui agit directement sur le cerveau et cette fréquence permet en quelque sorte de désynchroniser l'Ombre du corps du détraqué. Vous voyez ce que je veux dire ?

— Pas trop, avoua Nya.

— En gros cette musique sépare l'Ombre de son hôte et on guérit le détraqué, répéta Derak. On va pouvoir sauver tout le monde ! Normalement j'ai toujours la fréquence sur mon ordi, j'irai apporter ça à la direction demain et j'expliquerai que c'est notre remède miracle !

Les autres le félicitèrent d'avoir pensé à cette option et le vampire en fut tout fier. Après le dîner, la bande partit se retirer dans leurs chambres respectives. Derak fouilla dans son ordinateur avant de sauter de joie en voyant qu'il avait toujours le morceau.

— Je vais enfin pouvoir aider, dit-il.

— C'est moi ou il a l'air vachement content d'avoir pensé à une solution ? demanda Matt à Ren, devant le lavabo de la salle de bain.

Ren haussa les épaules et cracha son dentifrice.

— Pour une fois qu'il prend des initiatives... Je te rappelle qu'il est plutôt du genre passif. Habituellement il suit les autres sans trop poser de questions.

— C'est vrai ! D'habitude il remet tout au lendemain, il esquive absolument tout, et il est plus du genre à suivre les gens qu'à les mener. Même si c'est pas du tout l'impression qu'il donne.

— Bah ! fit Ren en frottant ses molaires avec la brosse à dent. Il a dit une fois qu'il voulait arrêter de toujours regarder les autres faire. Laissons le apporter notre remède miracle pour qu'il puisse soigner tout le monde.

Ren fut ravi de se jeter sur son matelas ce soir là pour pouvoir enfin dormir. La journée avait vraiment été éprouvante et bien remplie. Il avala un somnifère qui l'aida à lutter contre son insomnie. Grâce au médicament, l'obscurité de la nuit qui l'angoissait semblait s'éloigner. Il s'endormit paisiblement, sans songer une seule fois aux chimères qui pouvaient roder dans le noir de la pièce...

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