Chapitre 14: Retour d'entre les morts


Un son aigu, répétitif et régulier finit par tirer Ren de sa sieste salvatrice. Ses paupières lourdes peinèrent à s'ouvrir, comme lestées par du plomb. Ses sens revenaient peu à peu à lui, à commencer par le battement rassurant de son cœur dans sa poitrine. Au moins son muscle cardiaque était reparti. Yeux clos, il l'écouta battre un moment, avant de les rouvrir.

Il était à moitié allongé dans un lit d'hôpital, ce qui ne le surprenait pas tant que ça. Un petit tube à oxygène était fixé autour de ses joues et lui fournissait de l'air directement dans le nez. Raide, il tourna la tête pour observer la chambre aux stores des fenêtres abaissés.

Une grande machine ridiculement complexe lui prenait sa tension, son rythme cardiaque et son taux d'oxygène dans le sang. Une sorte de pince à linge lui avalait l'index gauche. Enfin il arborait plusieurs patchs collés sur son torse, un bracelet d'hôpital au poignet et une aiguille de perfusion plantée sur le dos de sa main. Ses yeux remontèrent le long du petit tuyau puis se fixèrent sur le goutte à goutte de la poche suspendu au dessus de lui, qui le nourrissait, l'hydratait et lui injectait des médicaments directement par intraveineuse.

Il savait pourquoi il était là, mais se voir branché de partout comme ça ne le rassurait pas trop. Surtout qu'il se trouvait sûrement au service de réanimation plutôt qu'en chambre de repos. Il soupira longuement. Au moins il était réveillé et son cœur battait, même si ses côtes lui faisaient un mal atroce à chaque respiration. Il aurait été hors de question de mourir aussi bêtement alors qu'il avait encore tant à faire dans le monde des vivants.

Les muscles coincés, il eut un mal fou à attraper une sorte de télécommande au dessus de son oreiller. Il remonta le haut de son lit pour être en position assise, puis comme il n'y avait strictement personne aux alentours, il écrasa le bouton d'appel des infirmières.

Rapidement deux aides soignantes accoururent dans sa chambre. Les deux furent rassurés et l'une d'elle partit chercher le médecin de garde. L'infirmière restante profita de son passage pour changer la perfusion, suspendue à son support en métal. Peu après, un médecin débarqua et salua Ren, encore légèrement dans le gaz.

— Donc vous êtes Ren Saurac, seize ans et sept mois, admis il y a quinze heures pour arrêt cardio-vasculaire, récapitula-t-il. À votre âge c'est surprenant. Nous vous avons ranimé sans complications avant de vous transférer au CHU d'Occlasia par hélicoptère. Nous n'avons détecté aucune anomalie chez vous. Rien à la prise de sang, rien aux radios, pas d'antécédents...

Le médecin marmonna que Ren était vraiment un cas surprenant tandis que le brun assimilait tout ça... Le médecin annonça qu'il devait encore faire quelques scanner pour confirmer l'état de santé de Ren, puis si tout allait bien il devrait pouvoir d'ici le lendemain au plus tôt. Ce qui le fit grommeler intérieurement alors qu'on le bascula sur un brancard.

Le jeune homme se fit trimballer à travers tout l'hôpital en croisant des tas d'infirmières et de brancardiers qui se présentèrent tous à lui d'un air enjoué, mais Ren n'était pas en état de se souvenir de chaque nom. Même s'il comprenait la situation, il était toujours un peu perdu et ses côtes lui faisaient toujours mal. Sur le moment, il avait juste envie d'arracher l'aiguille plantée dans sa main, les patchs collés sur lui et s'enfuir de l'hôpital en blouse... Sa « tentative d'évasion » s'arrêta seulement à l'idée de s'enfuir. De toute façons, son corps ne suivrait pas. Il se sentait éreinté.

On lui fit faire une radio de la cage thoracique puis un scanner du cerveau dans cette espèce de grosse machine cylindrique et étroite, avec en prime un bruit de marteau piqueur. Ren voulait de plus en plus rentrer chez lui au calme à mesure que l'heure avançait. On le ramena dans sa chambre en lui disant que le médecin viendrait aux nouvelles rapidement, on lui donna la télécommande de la télé puis enfin on le laissa tranquille.

Ren resta une bonne heure à fixer le plafond, puis une autre heure à regarder le jour décliner derrière les stores de la fenêtre. Lui qui détestait l'ennui était bien servi... Il finit par attraper le tube qui l'oxygénait et le retira de son nez avant d'inspirer une bouffée d'air, grimaçant à cause de la douleur de ses côtes. Hormis le ballet des infirmiers qui passaient pour changer sa perfusion, savoir si tout allait bien et vérifier ses paramètres vitaux, Ren ne vit personne d'autre.

Il lui fut impossible de fermer l'œil durant toute la soirée, jusqu'à tard dans la nuit. Il se posait beaucoup trop de questions qui lui tournaient et retournaient le cerveau. Il se demandait comment allaient ses camarades. Comment la course d'orientation catastrophe s'était terminée. Quels étaient les dégâts. Et surtout il n'arrivait toujours pas à expliquer les événements durant la veillée.

Une infirmière finit par l'assommer à coup de somnifères ou de morphine dilués dans sa perfusion aux environs d'une heure du matin. Ren avait appelé plusieurs fois pour dire qu'il souffrait légèrement le martyre avec ses côtes et surtout que le sommeil ne voulait pas venir. Or il avait besoin de repos. Pas d'une nuit chaotique supplémentaire, entre cauchemar lui faisant revivre vieux traumatismes et sa panique face à l'obscurité au réveil. Il voulait juste s'endormir en deux secondes et se réveiller douze heures plus tard quand il fera grand jour.

Les somnifères eurent l'effet escompté et Ren n'ouvrit un œil que tard dans la matinée sans rêver de quoi que ce soit. Il remua un peu dans son lit puis tenta de se lever. Il se rallongea aussitôt en sentant le tournis lui monter à la tête et se mit assis au bord du lit. Bon sang, il savait qu'il avait fait un arrêt cardiaque suivi d'un mini coma mais tout de même, il devrait pouvoir se lever.

Une infirmière frappa à la porte de sa chambre et lança qu'il avait de la visite. De nouveau allongé, Ren arqua un sourcil puis n'en crut pas ses yeux en voyant qui s'avançait dans l'encadrement de la porte.

— Salut, fit Gabi d'une voix rauque et fatiguée.

Mains enfoncés dans les poches de son anorak elle pénétra dans la pièce. Elle portait un jean noir qui collait à ses jambes maigres et des converses vieilles comme le monde. La suivant comme son ombre, Emi trottait à ses côtés. Ren ne put s'empêcher de sourire en les voyant.

— J'suis content de vous voir, dit-il en se redressant. Vous êtes venu comment ?

— En bus, répondit Gabi.

Elle tapota sa petite sacoche en bandoulière dans laquelle il y avait sûrement sa carte de transport en commun de la ville.

— On venait aux nouvelles, continua Gabi.

— Bah, toujours vivant, fit Ren avec un rictus.

Il regarda Emi faire le tour de la pièce à la découverte des lieux. Ses cheveux blancs au carré avaient été soigneusement brossés et son œil de diamant était masqué par un bandeau médical. Apparemment Gabi avait réussi à la convaincre de garder ça sur le visage en permanence.

— Rien aux radios, rien aux scanner, continua Ren. Hormis la fatigue et la douleur aux côtes, j'ai rien..

— Tant mieux... Tu nous as fait une sacrée frayeur...

Sa voix s'enroua sur la dernière phrase. Elle se passa une main au visage et soupira.

— Quand je t'ai vu tomber dans les pommes, j'ai accouru. Notre prof Ashe a été plus rapide que moi. Il a d'abord essayé de voir si tu t'étais juste évanoui... Et comme tu répondais pas, il a vérifié ton pouls et ta respiration. J'ai cru que j'allais faire une attaque quand il a commencé un massage cardiaque...

Elle tira un fauteuil côté du lit et se laissa tomber dessus, yeux fixés dans le vide.

— Tout est arrivé très vite. Il a donné des consignes en même temps. Ceux qui étaient encore valides devaient ramener tout le monde au gîte et se débrouiller. Et il m'a demandé de l'accompagner. Ils nous a téléporté tous les trois au centre, j'ai cru que j'allais vomir et m'évanouir, c'était horrible. Vautour était en train de se battre toute seule contre cinq détraqués et elle venait d'assommer le dernier. Elle a tout de suite appelé les urgences...

Une fois de plus elle se frotta les paupières. Son œil visible semblait plus cerné que d'habitude.

— Ç'a été les minutes les plus infernales de toute ma vie je crois... Jusqu'à l'arrivée des secours, Ashe et Vautour se sont relayés pour tenter de relancer ton cœur... C'était horrible...

Gabi s'était tassée sur elle-même, lèvres pincés et yeux humides. Peinée, Emi se rapprocha de Gabi en cherchant son regard. Elle posa sa petite main rouge sur celle de la brune.

— Ça va pas Gabi ?

— Si.. J'étais juste très inquiète pour Ren.

Emi se rapprocha du lit d'hôpital et mit son visage à la hauteur du matelas en levant ses grands yeux vers Ren.

— Finalement l'hélicoptère des secours est arrivé en moins de dix minutes et ils t'ont pris en charge... Le reste de la soirée a été un chaos... On avait une dizaine de blessés sur les bras, des élèves au comportement agressif et on était tous choqué à cause des événements... Le plus grave c'était toi, mais tu vas bien désormais.

— Désolé de vous avoir inquiété... dit Ren.

— T'as pas à être désolé. C'était un accident...

— T'as mal ? demanda Emi.

Elle observait Ren et tout son attirail médical en silence depuis tout à l'heure. Ren sentit un pincement au cœur en voyant son petit visage inquiet. Il secoua la tête.

— Non, ça va. Je vais bien.

Emi trotta vers Gabi et tendit les bras vers elle pour réclamer à être porté. Gabi se leva en lui demandant ce qu'elle avait puis la hissa dans ses bras. Emi se pencha ensuite vers Ren en se tortillant comme une anguille pour échapper à Gabi.

— Ah d'accord je suis un ascenseur, réalisa la brune. Fais doucement hein.

Elle posa Emi sur le lit d'hôpital et la petite fille rampa vers Ren avant de se mettre en travers de ses genoux et d'entourer son cou avec ses bras. Elle posa sa tête contre l'épaule de Ren, qui avait haussé haut les sourcils sous la surprise.

— Câlin comme ça tu iras mieux, dit elle en souriant.

Ren sourit à son tour, attendri et réconforté par ce câlin inattendu, et referma ses bras autour d'Emi. Gabi de son côté était toute étonnée.

— Sacré sortie en tous cas, soupira Ren.

— C'est clair... Un arrêt cardiaque à ton âge... Heureusement que Ashe a eu les bons réflexes...

La conversation fut comblée par un silence. Puis Ren amena le sujet qui lui retournait le cerveau.

— Qu'est-ce qui s'est passé dans cette forêt... ? Tout est allé si vite. Ces créatures... Puis Pix... Et tous les autres de la classe. Tu les appelés des "détraqués" comme si tu savais exactement ce qu'ils étaient...

Gabi soupira, pianotant sur ses genoux avec ses doigts. Toujours agrippée à Ren, Emi appuyait sur la cicatrice à la joue de l'adolescent , retraçant la marque avec son petit index.

— J'oublie toujours qu'on n'a pas du tout vécu les mêmes choses durant notre voyage dans l'autre monde....

— Toi et les autres, vous savez beaucoup de choses... Et vous nous cachez tout ça...

Gabi fixa ses genoux aux rotules saillantes quelques instants, avant de laisser ses épaules crispées retomber.

— On aurait jamais dû vous mentir et vous taire des choses... dit-elle avec un soupir. C'est une longue histoire. Non, ce sont des longues histoires. Je te raconterai tout ça au calme quand tu seras rétabli.

— Promis ?

Gabi releva la tête, ses cheveux emmêlés et noirs lui tombant lourdement sur la moitié du visage. Elle tendit une main avec le petit doigt relevé.

— Promis. Pas de secrets entre Gardiens.

Ren tendit lui aussi sa main en levant le petit doigt puis leur auriculaire s'accrochèrent comme pour sceller cette petite promesse. Emi réclama elle aussi à faire ce rituel.

— T'inquiète je serais vite remis, dit Ren.

À ce moment là, le médecin de garde frappa à la porte et fit irruption dans la pièce. Sans doute effrayée par la blouse blanche et le stéthoscope, Emi descendit en vitesse du lit de Ren et partit se réfugier derrière le fauteuil de Gabi, méfiante. Le docteur les salua avec un sourire puis énonça les résultats des différents scanner de Ren. Il n'avait rien nulle part.

— Vous avez eu de la chance dans votre malheur jeune homme : hormis quelques côtes cassées vous ne garderez aucune séquelle neurologique ou motrice de votre infarctus ! Vous pourrez remercier ceux qui vont ont fait le massage cardiaque jusqu'à l'arrivée des secours !

Une infirmière passa pour littéralement débrancher Ren de sa machine, puis on vérifia une dernière fois son pouls et son rythme cardiaque avant de le faire lever et marcher dans la pièce. Enfin on lui annonça qu'il pouvait sortir de l'hôpital. Un infirmier précisa qu'un professeur de l'école devrait venir le récupérer et signer les autorisations de sortie.

Un quart d'heure plus tard, Ren avait troqué sa blouse d'hôpital pour des vêtements civils. Il tritura sa main gauche en grimaçant. Un pansement recouvrait le dos de sa main, mais un bleu se propageait depuis la veine qui avait accueilli l'aiguille de la perfusion. N'ayant pas d'autres affaires avec lui il rejoignit directement Gabi et Emi en train d'attendre dans le couloir.

Ils descendirent dans le hall d'accueil et Ren repéra soudain Ashe, affairé avec de la paperasse au guichet. Il écrasa un tampon sur chaque feuilles, sûrement celui de l'école, puis récupéra sa carte d'identité déposée sur le comptoir. Ren, Gabi et Emi se rapprochèrent de lui, et il leur adressa un sourire lumineux, contrastant fortement avec son regard cerné. Pas doute, les dernières nuits n'avaient pas dû être de tout repos.

— Salut les jeunes. L'école m'a envoyé te chercher, dit-il à l'adresse de Ren. Comme c'est un internat, on a quand même une grosse responsabilité par rapport à vous. Vautour m'a envoyé directement dès qu'on a reçu l'appel. Elle me prend vraiment pour la nounou des premières B.

Il afficha un sourire fatigué puis annonça qu'il n'était pas garé loin. Emi lui demanda en sautillant à quoi ressemblait sa voiture qui ne volait pas, ce qui fit rire le jeune professeur.

— Elle est vert chewing-gum. Ça tire aux yeux, mais on la repère de loin.

— Tous à la voiture du sol ! s'exclama Emi en fonçant dehors par la porte automatique.

— Attention aux voitures !! brailla Gabi.

Mais en deux foulés, Ashe rattrapa la fuyarde et la repêcha par la taille avant de la porter sous son bras comme un ballon de basket. Riant comme une baleine Emi agita ses petites jambes et ses bras comme si elle nageait dans l'air. Sa bonne humeur contamina les deux adolescents, tandis que Ashe fouillait dans les poches de son jean pour attraper les clés de sa Twingo.

Dehors il faisait frais et humide et les nuages gris couvrant les collines d'Occlasia annonçaient tout de suite la saison : l'automne était là. Ashe déverrouilla sa voiture, ouvrit la portière et fit basculer le fauteuil en avant pour pouvoir accéder à la banquette arrière.

Emi s'y jeta avec un plongeon dès que le prof l'eut posé par terre. Gabi se faufila à l'arrière, Ren monta place passager, puis Ashe mit le contact et démarra, deux dés en peluche se balançant au rétroviseur central.

— Alors Ren, tu te sens mieux ? demanda-t-il après avoir quitté le parking de l'hôpital.

Ren le rassura en répétant ce que le médecin avait dit. Aucune séquelle, tout allait bien. Ashe poussa un soupir de soulagement.

— Merci beaucoup au fait, dit Ren. Sans toi, j'y serais peut-être passé... Je te dois la vie.

— Mais de rien, c'est normal. Sur le moment fallait agir. L'adrénaline et la caféine ça aide à bien réagir, ajouta-t-il en souriant.

La petite voiture descendit au fur et à mesure les virages de la colline sur lequel était l'hôpital, avant de rejoindre la départementale en direction de la ville. Une petite nappe de brouillard était nichée au fond de la vallée de la ville. Ashe chercha les anti-brouillard sur son volant, puis dépassa un bus à son arrêt.

— Après la soirée, on a décidé avec Vautour de plier bagages et de rentrer à l'académie. Tout le monde a fait nuit blanche. On a géré les blessés, plus les élèves un peu dérangés et on est rentré.

Il se passa une main sur le visage et se frotta un œil, exténué.

— La directrice nous a passé un de ces savons à l'arrivée... Normal, la sortie était un fiasco complet... On aurait pu perdre un élève...

— C'était un accident. Tout était un accident, dit Gabi. On ignore ce qui nous a attaqué dans la forêt.

— Quand j'ai vu une fusée de détresse, je me suis précipité au secours du groupe qui l'avait envoyé, mais je me suis fait attrapé par quelque chose en chemin... J'ignore ce qu'il s'est passé ensuite, mais à mon réveil je retrouve mes élèves déboussolés et pleins... d'encre, dont certains étaient agités et dix mètres plus loin je vois Ren en train de faire un infarctus. Le plus simple c'était de ne pas réfléchir, ne pas comprendre... J'espère que tout est derrière nous maintenant.

— Pourquoi les voitures elles volent pas ? demanda Emi à l'arrière.

— Je t'ai déjà expliqué Emi, dit Gabi.

La voiture prit ensuite la route montant à la colline sur laquelle était perché l'établissement scolaire d'Occlasia. Ils roulèrent en silence sous les arbres qui arboraient peu à peu leurs couleurs d'automne puis Ashe attrapa le badge permettant d'ouvrir le portail de l'entrée. Il l'agita derrière le pare brise pour le faire détecter, puis la grille coulissa et il roula jusqu'au parking.

— Terminus, tout le monde descend, lança Ashe en serrant le frein à main. Je vous accompagne jusqu'à la vie scolaire, pour donner les papiers de l'hôpital, ensuite j'irai voir Coco pour l'ordonnance et tes médicaments Ren et puis j'irais faire une course en ville.

Tous descendirent de la voiture. Emi fit le tour du véhicule avant de se jeter sur la jambe de Ren, puis elle leva les bras.

— Tu peux me porter ?

— Emi, Ren est fatigué et il doit se reposer. Il a bobo au cœur, tu comprends ? rabroua Gabi.

— Oh, pardon Ren... fit Emi, penaude.

À la place elle se rua vers Ashe en levant les bras et en sautillant.

— Et toi tu peux me porter ? Stoplé !

Le prof la hissa et la fit asseoir sur ses épaules en souriant et Emi put admirer le monde depuis le dessus de sa tête. Elle lui demanda si il était un pirate comme elle, à cause de son bandeau sur l'œil. Le prof lui affirma être un grand capitaine d'un bateau mais qu'il faisait une pause dans ses aventures en ce moment.

— C'est vraiment étonnant, dit Gabi tandis qu'ils se mettaient en route vers le château et la vie scolaire. D'habitude Emi déteste les inconnus et les traite de laideron, mais là c'est comme si vous vous connaissez depuis toujours.

— C'est parce que je suis extrêmement sympathique et charismatique, justifia Ashe en recoiffant les cheveux en forme d'antenne d'insecte qui s'échappaient sur ses tempes et son front.

— Tu t'appelles comment ? demanda Emi en planquant ses petites mains sur le sommet de la tête du prof.

— Ashe !

— D'accord tu es Tonton Ashe !

Ren afficha à son tour un sourire, savourant cette petite bulle d'enthousiasme et de bonne humeur qui s'était créé le temps du trajet. Emi réclama ensuite à ce qu'on la repose et une fois au sol elle se mit à courir en riant. Ashe se prêta au jeu et la poursuivit en agitant les bras, ce qui la fit hurler de rire. Mais en entrant à l'accueil de l'établissement, son genou gauche se déroba sous son poids et il dut s'arrêter en grimaçant.

— Ça va pas ? demanda Ren.

— Oh c'est rien, j'ai juste oublié de mettre ma genouillère. Parfois, j'ai quelques faiblesses dans les jambes mais lui il a la palme ! dit Ashe en tapotant son genou.

Il donna les papiers à la vie scolaire puis souhaita bon vent aux trois en disant qu'il gardera un œil sur eux. Il fit promettre à Ren d'aller voir la médecin de l'école Coco dès que possible puis prit lui-même le chemin de l'infirmerie pour aller donner l'ordonnance. Gabi proposa de rejoindre la salle commune et de s'y poser.

— Tu comptes me raconter tes histoires quand à peu près ? demanda Ren sur le chemin dans le parc de l'établissement.

— Sûrement après les vacances de la Toussaint.

Ren avait presque oublié que leurs premières vacances de l'année scolaire débutaient dans trois jours. Il faut dire qu'il avait un peu perdu la notion du temps récemment.

— Pas de soucis, dit-il.

— Tu pourras monter tout seul ? demanda Gabi. Faut que je ramène Emi à son bâtiment.

— T'inquiète ça va aller.

— Cool. Tu viens Emi, on va à ta salle commune et à ton dortoir.

— Non je veux pas c'est que des moches là bas !! protesta Emi.

Mais elle finit par partir à la poursuite de Gabi en voyant qu'elle s'en allait sans elle, technique bien rodée. Désormais seul Ren entra dans le bâtiment de l'internat du lycée. Personne dans le couloir des casiers. Il monta à l'étage et poussa la porte de la salle commune. À  l'intérieur, les premières vaquaient à leurs devoirs ou à des jeux de société. Des dizaines de regard le suivirent quand il s'avança et le murmure des rumeurs circula entre les élèves de l'autre classe.

Étonnamment ses camarades lui demandèrent comment il allait, l'air sincèrement inquiet pour lui.

— Repose toi bien.

— Contente que tu ailles bien.

— Tu nous as fait très peur...

Impossible de savoir si c'était de l'hypocrisie ou non, car Ren connaissait sa réputation auprès des autres de sa classe. Mais pour l'heure il s'en fichait... Il monta à l'étage via l'escalier en colimaçon puis décida d'aller voir les filles en premier. Il traversa la coursive et partit du côté des dortoirs des filles, puis s'avança jusqu'à leur porte entrouverte. Il cogna ses doigts au battant, sortant Angèle de son livre et Sarah de sa Nintendo DS.

— Salut, fit-il d'un air beaucoup plus fatigué que voulu.

Angèle referma son livre, se laissa glisser de son lit en hauteur le long de l'échelle puis accourut vers lui, yeux humides. Elle résista à la tentation de se jeter dans les bras de Ren, par crainte de lui faire mal.

— On était tellement inquiets pour toi ! Tu vas mieux ? Dis moi que tu vas mieux ??

— Oui, t'inquiète. La mort c'est surfait, plaisanta Ren.

— Crétin, marmonna Sarah.

Il leva les yeux vers la démone, debout derrière Angèle, les bras croisés sous sa poitrine. Son ton n'avait rien d'hautain, il semblait juste brisé. Son visage se retenait de pleurer.

— Je rigole, dit Ren.

— Ben c'est pas drôle... fit Sarah tandis que sa voix déraillait dans les aigus sous le coup de l'émotion.

— Elle était morte d'inquiétude pour toi et n'a quasiment pas dormi, traduisit Angèle. On n'a pas vraiment touché terre depuis la course d'orientation.

— Quand Ashe nous a crié à travers les bois de rentrer immédiatement au gite et de nous débrouiller car il y avait une urgence qui le mobilisait, j'ai su que quelque chose de grave était arrivé, continua Sarah. On a assommé Nya et un autre qui étaient agités, puis on est revenu. Et quand je t'ai vu... Par terre, inconscient et les profs en train de te faire un massage cardiaque...

Elle se passa une main sur un œil, puis se retourna pour éviter qu'on ne la voit en train de pleurer. C'était une situation lunaire que de voir la démone aussi abattue...

— Je vais bien, je suis de retour parmi les vivants, répéta Ren.

— Je suis désolée, s'excusa Sarah en lui faisant à nouveau face.

— Pourquoi ?

— Pour tout ! J'ai été infecte pendant la course d'orientation ! J'ai été abominable et quand je t'ai vu par terre je me suis tout de suite dit que t'allais partir après qu'on se soit chiffoné... Sans que je me sois excusée... Alors pardon.

Les larmes venaient de monter dans ses yeux de lave et dévalaient ses joues à la peau cramoisie. Angèle lui tapota le dos, compatissante.

— Tout va bien. Ren n'est pas mort et tu as pu t'excuser.

— Oui mais j'ai pas pu m'empêcher de penser qu'il aurait pu mourir sans que je me sois excusée pour mon comportement.... puéril et infernal.

— Excuses acceptées. C'est rien Sarah.

La démone essuya ses larmes et le regarda dans les yeux, reconnaissante.

— Pas de câlins de réconciliation ? demanda Angèle en souriant.

— Non, je vais le casser en deux sinon, dit Sarah. Il vient quand même de faire un infarctus...

Ren sourit, appuyé contre le battant de la porte, bras croisés. Il remarqua enfin Nya dans la pièce, assise en tailleur sur son lit en train de jouer sur son portable, des écouteurs vissés dans les oreilles.

— Qu'est-ce qui lui a pris l'autre soir ? demanda Ren. Elle était complètement cinglée et violente...

— Oh et ben... fit Angèle.

Nya releva ses yeux gris vers Ren et les écarquilla avant de brailler par-dessus le son de sa musique :

— Coucou Ren ! Tu vas mieux ?

— Euh oui ?

— QUOI ?! cria-t-elle, n'entendant pas.

Nya leva une main pour retirer un de ses écouteurs, mais Angèle blanchit et se rua sur elle en secouant la tête. Elle lui remit l'écouteur dans l'oreille.

— Garde ça encore quelques heures et après tu iras mieux.

— Quand on est rentré, Nya était toujours autant énervée et agitée, confia Sarah à voix basse. Elle marmonnait des trucs sans queue ni tête, comme l'autre débile d'Etienne. Angèle a eu l'idée ce matin de lui faire écouter une musique en particulier et ça a l'air de marcher...

Là non plus pas plus d'explications. Angèle avait l'air d'exactement savoir quoi faire face au comportement de Nya, semblable aux « détraqués » dont parlait Gabi à l'hôpital. Mais la brune lui avait fait une promesse. Celle de tout lui dire. Il suffisait de patienter le temps des vacances.

— Je vais aller voir les gars, dit Ren.

— Pas de soucis, lui répondit Sarah. Je suis contente que tu ailles bien... ajouta-t-elle.

Ren lui sourit, puis agita la main en direction de Nya et Angèle. Il rejoignit ensuite sa propre chambre dans laquelle il entra après avoir cogné au battant. Il vit d'abord Matt assis sur son lit en hauteur et plongé dans une BD. L'elfe dressa ses longues oreilles et releva la tête.

— Ren ! T'es de retour !!

Il jeta sa BD sur son lit, enjamba la rambarde de son lit et sauta sur le carrelage avant de se ruer sur son ami. Il freina et dérapa en chaussettes, s'arrêtant sous le nez de Ren.

— Tu nous as fait une peur bleue ! Tu vas bien hein ?

— Mais oui, t'inquiète.

— Franchement c'était l'angoisse la fin de la soirée ! On a rien compris au film, je t'assure ! Un coup y avait des lianes tentacules d'ombre dans un arbre, un coup y avait des voix dans ma tête et je perdais connaissance, puis juste après y a eu Pix qui t'a jeté au loin et poursuivit ! Et Ashe nous a hurlé de rentrer au gite après, on a galéré parce que y avait Nya et un autre là, dans la classe, vous savez celui avec une tête d'insomniaque et toujours une capuche sur sa tête, je crois que c'est un vampire, enfin bref les deux étaient complètement zinzin !! Et après on t'a vu à terre avec les profs qui te faisaient une réanimation cardio-pulmonaire !! J'ai trop flippé !!

Matt reprit enfin son souffle après avoir débité sa tirade à vitesse grand V.

— Et enfin valises, bus, sortie terminée ! On a fait une nuit blanche, mais de toutes façons personne n'aurait pu dormir après tout ça...

— Tu voudrais pas le laisser respirer ? demanda Derak en descendant à son tour de son lit. Tu te sens comment ?

— Comme quelqu'un qui vient de revenir d'entre les morts...

Ça se rapprochait assez de la sensation qu'il avait dans le Deuxième monde, après s'être fait tué, mais la douleur de ses côtes le faisait toujours souffrir.

— T'as eu de la chance, souffla Derak. Beaucoup de chance.

— Ouais mais bon, un arrêt cardiaque à ton âge franchement ! C'est vraiment la faute à pas de chance.

— Faudra lui péter les genoux à celui là, un de ces quatre, plaisanta Ren.

— Et on t'accompagne ! renchérit Derak avec un sourire aux canines aiguisées.

Les trois eurent un petit rire, puis Matt proposa d'aller faire les valises pour les vacances de la Toussaint. Ren se pencha vers un des lits superposés de la pièce. Sur celui du bas, Pix était assis en tailleur, un genou remonté contre lui et sa main posée sur le clavier de son ordinateur. Dubitatif, Ren se rapprocha de lui, ne sachant pas trop comment l'aborder. Il l'avait quand même attaqué et tenté de le tuer, il fallait bien se le dire.

— Évite de m'approcher...

Ren s'arrêta à un mètre du lit et fixa Pix. Ses yeux plongés dans son écran étaient humides et sombres. Ses épaules étaient voûtés. Il se tenait courbé comme s'il portait le poids de la culpabilité du monde entier sur ses épaules.

— S'il te plait, évite de m'approcher un moment, répéta-t-il d'une petite voix. Je ne veux pas te tuer...

— Alors pourquoi t'as essayé l'autre soir ? demanda Ren.

Pix fixa son écran sans un mot. Ses yeux étaient cernés...

— C'est pas de ma faute... Je sais que ce n'est pas de ma faute... sanglota-t-il. Mais en même temps je sais que c'est moi qui t'ai fait ça... Sauf que je ne sais plus qui est moi... Je suis désolé Ren... Je ne veux pas te tuer... J'en ai marre de faire du mal...

— Pix... fit Derak. Tu sais très bien que c'est faux... Vas voir Phyllis un de ces jours, tu te sentiras mieux...

— C'est de votre faute... C'est la faute d'Angèle... tout ça... Si j'avais gardé mon casque, rien de tout cela ne serais arrivé... marmonna Pix.

Écoutant le conseil de son ami, Ren prit ses distances et partit chercher sa valise. Pix délirait, il ne voyait pas d'autres explications... De toutes façons Gabi avait promis de mettre les choses au clair après les vacances. En attendant il allait juste se reposer et se remettre de son infarctus, en espérant que ses côtes allaient guérir en vitesse...

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