Chapitre 12: Les Ombres
Seul et perdu dans la forêt, Pix n'eut pas d'autres choix que de se laisser glisser au sol et d'y rester prostré en attendant que ses amis reviennent. Musique à fond dans son casque, il fixait le faisceau de sa lampe qui révélait les détails de l'écorce d'un arbre en face de lui. Il soupira. Quelques minutes plus tôt, Gabi disparaissait sans laisser de trace. Derak et Angèle étaient partis à sa recherche. Pix avait eu pour ordre de tirer la fusée de détresse, chose faite, puis d'attendre l'arrivée d'Ashe. Mais il n'y avait aucune trace de leur professeur.
Pix restait donc là, à attendre... La nuit était bien avancée, il était déjà vingt trois heures à sa montre. Il ferma les yeux et se mit à fredonner l'air de rock qui emplissait ses oreilles. Puis peu à peu ses fredonnement se transformèrent en marmonnements, puis en vrai paroles chantées d'une voix claire. Une belle voix, mélodieuse, qui n'osait jamais chanter, prisonnière dans sa gorge à cause de sa timidité maladive.
Une fois la chanson terminée, la suivante ne se lança pas tout de suite. Pix resta la tête appuyée contre l'arbre, plutôt serein. Le silence lui fit du bien. Visiblement les médicaments prescrits par sa nouvelle psy, Phyllis, avaient l'air de fonctionner. Il se sentait tranquille même sans musique grâce à ses cachets. Et de la tranquillité, il en avait besoin.
Des bruissements d'ailes froissèrent l'air ambiant et Angèle se ramassa la figure au sol lors de son atterrissage tout, sauf controlé. Pix se leva en catastrophe pour aller l'aider tandis que sa playlist continuait dans ses oreilles. L'ange se releva d'une traite, hagarde, des feuilles coincées dans ses cheveux blancs.
— Vite, on a besoin de ton aide ! s'écria-t-elle.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Viens !!
Angèle lui attrapa le poignet et le força à courir entre les arbres. Sa respiration sifflait, elle devait sûrement avoir une côte fêlés mais rien n'importait sur le moment. Son adrénaline agissait comme un anti douleur et elle ne s'arrêta pas. Là, à cet instant précis, elle ne devait pas abandonner : ses amis étaient tous dans une position dangereuse.
Si elle ne les aidait pas, personne ne le fera. Cependant elle ne pouvait pas faire grand-chose contre les Ombres. Elle n'avait plus de pouvoirs et ses capacités physiques étaient ridicules. La seule chose qu'elle pouvait faire c'était amener des renforts.
— Si Gabi a disparu, c'est à cause d'une Ombre, les mêmes que dans le Souterrain ! Il y en a, je sais pas, une dizaine qui se sont agglutinées dans un arbre et elles ont étendu leurs bras tentaculaires dans la forêt pour attraper des personnes et les ramener pour les détraquer ! Je ne sais plus quoi faire ! On a besoin d'aide !
— Quoi ?? glapit Pix.
Ils arrivèrent enfin en vue de l'arbre à Ombre, dans lequel était suspendus tous leurs amis, Ashe et quelques camarades de classes, enfermés dans des cocons d'encre. Angèle frissonna en voyant que Ren était parmi eux, en train de se débattre férocement. Beaucoup avaient abandonné la lutte, trop épuisés.
Pix blanchit en voyant les créatures perchées entre les branches. Les souvenirs refluèrent alors dans sa tête. Son cœur se mit à cogner de panique et d'horreur quand il repensa aux Ombres dans le Souterrain, puis dans la tour. Il se dégagea brusquement le bras de la main d'Angèle en secouant la tête. Angèle se retourna en disant que ce n'était pas le moment de se défiler.
— Non, non, non, je ne peux pas, désolé, je suis trop faible, je vais pas y arriver ! pleura Pix en reculant effrayé.
— Tu peux le faire Pix, tu dois nous aider !
Les dents de Pix se mirent à claquer et ses yeux remplis d'horreur fixaient tour à tour ses amis.
— Je peux pas !
Il fit aussitôt demi tour et prit la fuite, sa seule réaction possible face la situation. Il ne supportait pas les Ombres, il en avait trop peur, il savait qu'il était impuissant. Des larmes roulèrent sur ses joues. Angèle lui cria de revenir et sentit la situation lui échapper. Elle se tourna vers l'arbre des Ombre en claquant des dents elle aussi. Elle se mit à paniquer, ne sachant plus quoi faire.
— Son casque...
Elle leva les yeux vers Derak, qui avait renversé sa tête en arrière pour dégager sa bouche du pétrole qui l'ensevelissait.
— Enlève son casque... lança-t-il dans un dernier souffle avant qu'une main d'encre ne le fasse taire.
Mais bien sûr. Angèle déploya ses ailes d'ange et battit l'air avec force. Elle décolla du sol et slaloma entre les arbres. À coté du parcours de Vautour, c'en était presque trop facile, malgré sa fatigue musculaire. Elle repéra à nouveau Pix qui s'enfuyait et continua son approcha dans son dos, concentrée. Elle prit quelques mètres d'altitude, avant de fondre sans aucun bruit dans le dos de Pix. Elle tendit les jambes en avant, comme un rapace ramenant ses serres pour attraper une proie. Elle retint son souffle et s'abattit dans le dos de Pix.
Aussitôt elle enroula ses jambes autour de sa taille pour s'y accrocher et ne pas tomber. Pix se mit à paniquer en lui demandant ce qu'elle faisait. Angèle s'agrippa à ses épaules et attrapa le casque de Pix.
— Je suis désolée !
Elle arracha le casque à musique de sa tête, battit des ailes en arrière, lâcha Pix et décolla à nouveau. Pix s'arrêta soudain et plaqua ses mains sur ses oreilles en hurlant. Ses yeux larmoyants se tournèrent vers Angèle. Sa voix était complètement brisée quand il cria :
— Rends moi ça... Rends moi ça !
Il fit aussitôt demi tour en suppliant Angèle de lui rendre son casque. Mais l'ange mit de côté sa pitié et vola en direction de l'arbre à Ombre.
— Pitié Angèle ! Rends moi ça !! hurla Pix.
Il tomba au sol à quatre pattes, pleurant toutes les larmes de son corps. Il se redressa, pris de tremblements, une main plaquée sur son oreille, l'autre griffant sa joue de façon compulsive.
— Je n'ai pas le choix Pix, se justifia Angèle en se posant entre les branches d'un arbre.
— Rends...
— À une seule condition.
— Pourquoi tu me fais ça Angèle ?? pleura Pix.
— Une seule condition, répéta l'ange en pointant la direction des Ombres. Saccage tout. Extermine toutes ces créatures jusqu'à la dernière. Sinon nos amis vont y passer.
— Je ne peux pas Angèle. Je peux pas... Rends... pitié... Faible... Pourquoi ? Pathétique. Pourquoi tu me fais ça ? suffoqua Pix.
— Aide nous ! le secoua Angèle.
Pix leva ses yeux humides et rougis vers elle, respirant de façon paniquée. Il fit un pas, puis un autre, tendant une main suppliante vers Angèle pour récupérer son casque.
— Rends. Tu me saoules.
— Aide nous Styx !
Angèle s'envola en vitesse et fonça en direction de l'arbre aux Ombres. Elle se jeta sur le cocon d'encre de Derak et arracha la matière noire comme elle le put, pour tenter de faire quelque chose à son niveau. Mais elle n'y arrivait pas. La masse collante d'encre se reformait aussitôt qu'elle l'eut dégagé.
— Tu commences sérieusement à m'irriter sans pouvoir !! siffla l'Ombre.
Angèle reçut un violent coup au flanc qui la jeta à terre. Elle roula dans la poussière en essayant de respirer mais ses poumons étaient complètement compressés et écrasés. Une Ombre se posa à terre face à elle. Son corps humanoïde, liquide et noir d'encre se jeta sur elle.
— Si tu ne peux pas être détraquée tant pis tu mourras !
Une silhouette furtive passa au dessus de la tête d'Angèle et abattit une jambe en plein dans la figure de l'Ombre. Cette dernière fut projetée à toute vitesse contre le tronc d'arbre à la suite du coup de pied. Angèle cligna des yeux, ne les croyant presque pas.
En lévitant, Pix se posa lentement au sol, la surplombant de toute sa taille. Angèle retint son souffle, fixant son dos et ses cheveux turquoise et mi longs. Pix craqua sa nuque d'abord sur la gauche, puis sur la droite.
— Tout ce que j'ai à faire, c'est tout saccager ?
Le cœur d'Angèle ne bondit pas à cause de l'effroi en entendant la voix de son ami, mais au ton bien différent. Au contraire c'était un sursaut d'espoir.
— Oui. Débarrasse toi de ces Ombres.
Pix tourna la tête vers elle, si bien qu'elle vit son visage constellé de fêlures noire, de profile. Son sourire carnassier. Ses iris émeraude et le blanc de ses yeux devenu ténèbres. Des yeux identiques à ceux apparus à la place de ses sourcils et sur son front. Ce n'était plus Pix désormais. Son alter Styx avait pris la relève de son hôte.
— Enfin un truc qui va me plaire.
Styx tourna son visage de démon, déterminé à en découdre avec les Ombre qui commençaient à s'agiter et grouiller entre les branches. Il se craqua les phalanges avec un sourire féroce.
La première Ombre partit à l'assaut en émettant un cri ressemblant à des ongles griffant un tableau noir. Angèle sentit le pouvoir de Styx lui entourer le corps puis elle valdingua dans les airs sans comprendre. Elle se réceptionna lourdement dans un arbre à proximité, mais au moins elle était désormais hors de portée des créatures qui commençaient à se rapprocher de Styx, l'encerclant. Elles marmonnaient toutes d'une voix aiguë et incompréhensible.
Styx leva une main crispée en direction de l'une des créatures qui lui sautait dessus. Cette dernière décolla loin dans le ciel, puis Styx abattit son bras en direction du sol. L'Ombre suivit le mouvement et s'écrasa à terre dans une giclée d'encre. Styx effectua un salto arrière pour éviter une autre créature et se mit à léviter dans les airs pour avoir un peu plus de mobilité.
— Attrapez-le et détraquez le !! ordonna une des Ombres.
Un sourire carnassier s'élargit sur le visage de Styx tandis que les créatures déferlèrent sur lui, avec ce qui sera une attaque suicide dans quelques instants...
***
Agrippée aux branches de son arbre, Angèle n'en croyait pas ses yeux. Elle était juste... sous le choc et ébahie par ce qu'il venait de se passer durant ces cinq dernières minutes. Tout s'était déroulé si vite et avec tant de violence qu'elle avait peiné à suivre, quasiment en apnée. Maladroitement, elle descendit de l'arbre dans lequel elle avait été jetée et ironiquement mise à l'abri par Styx.
Elle se rapprocha de la clairière dont le sol était couvert d'encre noire, aussi poisseuse que du sang. Au milieu des restes des Ombres, Styx marchait en admirant son propre carnage. Il shoota dans un tas de goudron qui explosa sous son pied. Les créatures étaient toutes mortes, démembrées, explosées, réduites en charpie par la seule force de Styx. Ses pouvoirs de télékinésie étaient réellement terrifiant dans les mains de l'alter de Pix.
Dans la clairière, les cocons d'encre étaient tombés au sol, à mesure que les Ombres disparaissaient. Ils se fendaient peu à peu, révélant leurs prisonniers inconscients. Angèle se précipita sur l'enveloppe la plus proche et la déchira en deux pour libérer Gabi. Elle lui tapota les joues en lui priant de se réveiller. Blême, Angèle chercha son pouls au niveau de sa jugulaire et fut soulagée de sentir une palpitation. L'ange se leva et partit à la recherche de Derak. Elle le trouva allongé dans son cocon, l'air de simplement dormir, de l'encre tachant sa peau blanche.
Angèle se rapprocha de Styx, qui faisait les cents pas, mains dans les poches de son pantalon cargo. Le cœur battant, l'ange le regarda bien en face, jusqu'à ce que le démon daigne à tourner ses cinq yeux noirs et émeraude dans sa direction. Angèle déglutit, ne s'habituant décidément pas à ce regard. Elle inspira.
— Je voulais te dire : merci. Merci de nous avoir sauvé.
Les yeux de Styx s'écarquillèrent sous la surprise, visiblement il n'était pas habitué aux remerciements. Mais il haussa les épaules en détournant la tête, l'air à la fois fâché et contrarié.
— C'était l'occasion de sortir et de me défouler hein. Sinon il était hors de question que je vous aide.
Il pointa un ongle noir en direction de Derak. Angèle avait remarqué ce détail étrange. Quand Styx prenait le contrôle, en plus des yeux et des fêlures sur sa peau, ses ongles noircissaient et devenaient aiguisés.
— Surtout à cause de lui là bas ! continua le démon. Avec ses cachets infects et sa pote psy reloue. Qu'est-ce que ça m'agace d'aller voir cette femme pour entendre l'autre geindre et raconter sa vie. Ah d'ailleurs si il pouvait arrêter avec sa musique infernale !
Angèle remit le casque audio au fond de la poche de sa veste, en se disant que le moment était mal choisi pour le lui remettre sur les oreilles.
— L'essentiel c'est que tu nous aies débarrassé de ces Ombres, alors vraiment merci Styx.
— Ouais ouais, c'est ça merci et tu vas sauter sur la première occasion pour me remettre ce casque infernal sur la tête hein ? Tu crois que je t'ai pas vu, je sais qu'il est dans ta poche.
Les pupilles de Styx se rétractèrent en fentes et suivirent un mouvement dans le dos d'Angèle. Écoutant son instinct, l'ange se laissa tomber en boule au sol, juste à temps pour éviter l'attaque d'une main d'encre griffue appartenant à une Ombre rescapée. Celle de Styx se referma autour du poignet et il se mit en lévitation pour se rapprocher de sa cible. Il colla son visage furieux et sinistre à celui de la créature, simple face de pétrole ornée de deux yeux jaunes.
— Vous commencez vraiment à m'énerver !
Il leva son autre main, colla ses doigts entre eux et son bras fusa à toute vitesse en avant. Sa main perfora sans soucis le torse de l'Ombre, dans une giclée d'encre. Styx fronça sa deuxième paire d'yeux à la manière de sourcils, referma ses doigts sur quelque chose à l'intérieur de l'Ombre puis l'arracha de sa poitrine. La créature tomba raide morte à terre et, contrairement aux autres, elle s'évapora instantanément.
Tremblante Angèle se releva. Ses yeux se posèrent sur... l'objet dans la main de Styx. Il avait l'avant bras recouvert de liquide noir et quelque chose palpitait entre ses doigts. Le démon lui-même avait un air dubitatif. Il retourna l'objet dans sa main.
— Tiens c'est nouveau ça...
— On dirait... Un... cœur ? réalisa Angèle en pâlissant.
À force de tourner et retourner l'objet, la jeune fille avait identifié la forme particulière d'un véritable muscle cardiaque, ce qui lui retourna l'estomac. Elle jeta un regard horrifié aux flaques de pétroles au sol, qui étaient encore des Ombres il y a quelques instants.
— Ces choses ont des organes ?? Ne me dis pas que...
— Nan, quand je les trucidais dans le Troisième monde, c'étaient juste des machins d'encre. Celles là aussi, ajouta Styx en indiquant les Ombres au sol. Mais celle là possède un cœur. C'est nouveau.
Il haussa les épaules, puis renversa la tête en arrière et remonta le cœur au dessus de sa bouche.
— Bah ça fera un peu de viande !
Styx eut soudain un haut le cœur quand il ouvrit en grand la bouche, sans doute pour manger l'organe... Il plaqua une main sur sa bouche en grommelant, tandis que son corps eut encore un réflexe vomitif. Il se débarrassa du cœur en le jetant au sol et tomba à quatre pattes à terre, où il rendit son dîner en toussant. Angèle recula et partit faire quelques pas pour se vider la tête, encore horrifiée.
— Putain, mais il me gonfle l'autre ! Il supporte que dalle !! Maudit hôte...
Styx se remit à vomir ses tripes en insultant l'estomac peu accroché de Pix. Angèle s'agenouilla près du cœur à deux mètres de là. Avec une branche elle le tâta et confirma qu'il s'agissait d'une sorte de muscle au niveau des ventricules, puis de pétrole visqueux au niveau des artères. L'ange souffla, sentant cette fois que l'attaque d'Ombre était belle et bien terminée.
— Styx, aide moi à libérer les autres !
— Jamais de la vie.
Angèle l'ignora et partit ouvrir les cocons d'encre encore fermés. Le premier contenait Matt, qui avait perdu ses lunettes. Elle retrouva ensuite Nya, puis Sarah, Ren et Ashe, avant de s'attaquer aux deux derniers retenant des camarades de classe. Angèle voulut les déplacer afin de les aligner côte à côte, mais elle n'avait plus de force dans les muscles car elle avait utilisé toute son énergie pour voler. De plus elle risquait d'aggraver les éventuelles blessures.
— Bon, ils sont tous évanoui... Vivants mais inconscients... Et impossible de savoir s'ils ont été détraqués ou non...
Elle ne voulait pas imaginer un seul de ses amis avec un comportement de détraqué. L'ange se passa une main sur son front, se demandant ce qu'elle devait faire désormais. Rentrer au centre tout de suite était la seule option, mais ils n'étaient que deux, dont un tout sauf coopératif, Angèle était épuisée et ils avaient quasiment dix comateux sur les bras. L'ange lança une dernière fusée de détresse trouvée sur un des camarades de classe, espérant que des renforts puissent arriver...
— Ma tête... Qu'est-ce qui s'est passé ? marmonna la voix de Derak.
Angèle courut vers lui, rassurée de le voir se relever avec toute sa conscience. Au moins il n'était pas détraqué. Elle se retint de verser une larme sous le coup du soulagement. Derak écarquilla les yeux en la voyant. Il regarda autour de lui, perdu, ses yeux se fixant tour à tour sur les restes de cocons, d'Ombres et les blessés.
— Tout est fini, rassura Angèle. Le danger est écarté je pense.
Gabi finit par remuer à son tour et Angèle partit s'enquérir de son état, suivit par Derak en claudiquant. Là non plus, elle ne semblait pas détraquée. Juste un peu perdue, comme réveillée d'un long sommeil. Ou d'une anesthésie générale.
— Il s'est passé quoi ? demanda-t-elle de sa voix grave et rauque. Je me souviens d'un truc enroulé autour de ma cheville, puis on m'a trainé par terre et suspendu la tête en bas. Puis plus rien, juste le noir, la peur... le froid... Et des murmures.
Son œil visible s'arrêta sur Styx, accroupi par terre et qui avait enfin arrêté de vomir. Gabi fronça les sourcils et se tourna vers Angèle, réclamant sûrement une explication.
— Qu'est-ce qu'il fait là ?
— Je n'avais pas le choix, c'était la seule solution, s'excusa Angèle en baissant la tête.
— Remets lui immédiatement son casque, chuchota Gabi.
— T'as raison, approuva Derak.
Ayant entendu leurs messes basses, Styx s'appuya sur un genou et se redressa en les fusillant du regard. Angèle préféra écouter ses amis et se rapprocha du démon, sortant le casque à musique de sa poche. Elle le déplia et le mit bien en évidence devant elle, se disant que Styx sera peut-être moins réticent si on ne le prenait pas par surprise. Mais ce dernier siffla, agacé.
— Alors c'est comme ça que ça va se passer maintenant ? On m'appelle pour le sale boulot, pour vous sauver les miches parce que vous êtes infoutus de vous défende et une fois que tout est terminé vous me renvoyez dans ma prison ??
— Ce n'est pas ça, Styx, commença Angèle.
Le regard du démon se remplit alors de rage et une veine gonfla à son visage. Ses dents grincèrent.
— Oh que si c'est parfaitement ça !
— Rah, pitié ne recommence pas, supplia Derak en suivant Angèle de près, au cas où.
— Alors quoi, je n'ai pas le droit d'être libre ?? C'est ça ? Vous voulez juste m'enfermer bien sagement avec votre musique à la noix et les petits cachets ? Et me libérer quand ça vous arrange ?
Angèle fit encore un pas, celui de trop, avant de sentir ses membres se bloquer, puis elle décolla à deux mètres au dessus du sol. Elle lâcha un cri apeuré quand elle bascula en avant, tête en bas et jambes au dessus. Elle se fit secouer de droite à gauche par la télékinésie de Styx.
— Lâche ça, ordonna-t-il en parlant du casque.
Angèle le serra contre elle, refusant de le lui céder, car elle n'avait aucun doute sur le sort funeste de l'objet si elle le donnait à Styx. Il aura tôt fait de le réduire en miette, or Angèle connaissait la valeur sentimentale que possédait Pix pour son casque.
— Toi lâche la ! exigea Derak en se ruant sur Styx.
Ce dernier décolla à son tour du sol sous l'effet du pouvoir du démon. Bloqué dans les airs, il ne pouvait plus rien faire.
— Je ne suis pas un pantin ! Je ne suis pas un objet qu'on utilise à sa guise ! Je ne suis pas une arme !
Gabi recula pas à pas, sans quitter des yeux Styx et les deux autres. Elle savait qu'il ne leur ferait pas de mal, même si un vieux doute germait dans son esprit. Elle se retourna en entendant les feuilles mortes au sol craquer dans son dos. Ses yeux croisèrent alors ceux, effarés de Ren. Le jeune homme s'était extirpé de son cocon d'encre, il en était encore couvert, et s'était stoppé net en voyant le spectacle sous ses yeux.
— Pourquoi... Pix est comme ça ? questionna-t-il sans état d'âme ce qui contrastait avec son expression faciale.
— On va libérer les autres et les ramener au gîte... dit Gabi.
Ren referma la main sur son épaule pour l'empêcher d'aller plus loin.
— Vous allez nous expliquer ce qui cloche avec lui à la fin ? souffla-t-il.
Se défiant du regard, ni l'un ni l'autre ne dit mot. Dans leur dos, Matt se redressa soudain en position assise, hurlant comme si il se réveillait d'un cauchemar.
— J'ai cru que j'allais mourir !! Il se passe quoi ?? Pourquoi tout est flou !! Aaaah !! Je ne vois plus rien !!!
Il tâta son visage et fut soulagé de voir que sa vision de taupe était causée par l'absence de ses lunettes. Il chercha ses verres à tâtons autour de lui, rampant à quatre pattes jusqu'à Gabi et Ren. Il plissa des yeux, ne les reconnaissant pas.
— On vous expliquera tout plus tard, finit par répondre Gabi, sans se départir de sa poker face.
Matt lâcha un « ah c'est vous ! » au sol, les ayant enfin identifiés.
— Plus tard, plus tard, s'agaça Ren. Vous remettez tout à plus tard. Vous nous cachez des choses. Maintenant je veux des explications.
— C'est compliqué. Allons d'abord aidez les autres.
— Dites, z'auriez pas vu mes lunettes ? demanda Matt en se levant.
Ren regarda Gabi le contourner pour aller voir un élève de la classe en train d'émerger. Matt réclama ses lunettes une fois de plus et Ren se mit à chercher avec lui. Il les trouva par terre non loin de là, le verre de gauche fendu et constellé. Matt pesta à ce sujet et les remit quand même sur son nez avant de pousser un cri en retrouvant sa vision nette.
— Attention Ren !
Il se retourna juste à temps pour voir avec stupeur Nya lui foncer dessus et se jeter à sa gorge. Ren bascula en arrière jusqu'au sol, emporté par l'élan, le poids et la force de Nya. Cependant il effectua une roulade arrière et la repoussa avec les jambes. Il se releva dans la foulée et fit volte face. Nya se réceptionna à son tour avec une roulade et se tourna vers Ren en grognant.
— T'es pas bien Nya ?? glapit Matt.
La jeune fille lâcha un grognement animal et se jeta à nouveau sur eux. L'elfe cria encore et se rendit invisible avant d'écouter son courage et de fuir, les feuilles crissant sous ses pas de fantôme. Ren esquiva la charge, ne comprenant absolument pas la situation.
Tout surgissait en même temps. D'abord la disparition de Nya dans les bois durant la course d'orientation, puis Matt capturé et trainé par une sorte de liane qui s'avérait être une Ombre, comme dans les souvenirs de Ren. Enfin lui-même se faisait attraper et enfermé comme un vulgaire insecte dans un cocon de pétrole puis il avait perdu connaissance. Seul le noir, le froid, la solitude et des murmures l'avaient accompagné. Et voilà qu'à son réveil, il ne reconnaissait plus Pix et Nya tentait de l'égorger. Aucun temps mort ne lui avait permis de réfléchir. Il fallait juste agir.
Alors que la jeune fille lui sautait à nouveau à la gorge, la folie dans son regard, Ren aperçut Sarah. La démone sprintait vers eux, une branche épaisse à la main. Elle sauta dans le dos de Nya, passa la branche devant sa tête puis lui bloqua le bout de bois dans sa bouche grande ouverte avant de l'immobiliser. Nya tomba à terre sans que Sarah ne la lâche et se mit à se débattre furieusement, mordant à pleines dents dans le bâton.
— Mais bordel de merde, qu'est-ce qui se passe ?? cria Sarah.
Elle enroula les jambes autour de la taille de Nya pour resserrer sa prise. Ses mains étaient agrippées au bâton pour pouvoir le garder en place. Nya se roula par terre pour dégager Sarah, qui tenait bon, ses dents broyant le bout de bois qui la muselait.
— Elle a une force de malade ! glapit Sarah.
— Ren attention !!! hurla à nouveau Matt, invisible et quelque part dans la clairière.
— Mais quoi encore ??? cria le brun en faisant volte face.
Toutes ses émotions refluèrent alors au fin fond de ses entrailles, se transformant en plomb au fur et à mesure. Son cœur cogna. Fort. Il ne l'avait pas entendu se rapprocher. Pas un son, pas un souffle d'air n'avait trahi son approche. Face à lui, à deux doigts de son visage, il y avait celui de Pix. Mais il était méconnaissable. Ren ne savait plus où accrocher son regard. Cinq yeux vert émeraude, à la sclérotique noire, cerclés de ténèbres, fixes et impitoyables le scrutaient.
— Toi.
— Styx non !! s'écria Derak au loin.
— Styx ?? répéta Sarah, incrédule.
Nya lui fila un coup de boule dans le nez, continuant à se débattre en grognant comme un animal sauvage.
— Non !!! renchérit Angèle au même moment. Pitié, prouve nous qu'on a eu raison de demander ton aide !
Elle et Derak étaient toujours suspendus au dessus du sol sous l'effet du pouvoir de Pix, qui les ignorait royalement. Ce dernier ne quittait pas Ren des yeux. Le brun se dit que rien de tout cela n'était normal...
— Je t'avais dit qu'un jour je te truciderai, non ?
— De quoi tu...
Ren fut coupé dans sa phrase à cause de la pression monstrueuse qui s'écrasa sur sa poitrine. Les poumons compressés, il valdingua en arrière, avec l'impression de se prendre le mur du son en pleine face. Les branches des arbres sur son chemin le griffèrent jusqu'à ce qu'un tronc le stoppe aussi violemment qu'il était parti. Il glissa à terre en se forçant à avaler de l'air. Ses poumons le brulaient et sa respiration sifflait.
Il releva la tête et vit sa vie défiler devant ses yeux en voyant Pix lui foncer dessus en lévitant. Ren se dégagea en vitesse en roulant sur le côté et Pix écrasa violemment ses pieds contre l'arbre, pliant les jambes pour amortir l'impact. L'écorce craqua sous la force insoupçonnée du jeune homme.
— Allez viens Ren ! Viens te battre ! lança-t-il.
— On n'a aucune raison de se battre ! protesta Ren. Pourquoi tu m'agresses ?
Il plongea à terre pour éviter un tronc d'arbre lancé sur lui comme un javelot.
— Pourquoi je t'agresse ? répéta Pix avec ce ton qui ne semblait pas lui appartenir. Parce que j'en ai envie c'est tout. J'ai envie de voir ta sale tête d'arrogant s'effacer et se faire remplacer par la panique. J'ai envie de voir ton masque d'orgueil et de détermination tomber en miette. J'ai envie de te faire chuter de ton piédestal.
Chacune de ses phrases était ponctuée par un lancer de rocher, de branches, de troncs, que Ren n'avait d'autre choix que d'esquiver reculant peu à peu et perdant du terrain.
— Qu'est-ce qui te prend Pix ? J'ai pas envie de me battre ! C'est pas le moment.
— Ne m'appelle pas comme ça !
Ren fit confiance à ses réflexes et son instinct en voyant le tronc d'arbre lui foncer dessus. Il tendit une main en avant, créant des bulles d'eau au passage. L'eau se rassembla en une lame à haute pression qui coupa le tronc en deux net, sauvant Ren in extremis.
— Si tu savais comme tu m'énerves Ren ! Comme j'ai toujours eu envie de te lancer un objet dans la figure à chacune de tes phrases ! De te tordre les cervicales quand tu râles ! De t'éventrer quand tu t'énerves pour un rien ! De t'arracher les boyaux quand tu fais profiter de ta mauvaise humeur à tout le monde !
— Qu'est-ce qui te prend ? souffla Ren d'une voix rauque.
Pix s'était caché dans le feuillage des arbres, si bien qu'il l'avait perdu de vue.
— Ça fait mal hein, la vérité. Dis toi que ce n'est qu'un juste retour de bâton. C'est l'heure de la riposte, de ta punition pour tout ce que tu nous fais subir et te prétendre comme un « ami » !
Ren le repéra enfin, mais il vit trop tard la branche aiguisée comme un pieux lancée à toute vitesse sur lui. Il savait qu'il ne pourrait pas l'éviter. Alors quoi ?? Il allait juste se regarder en direct se faire empaler ?? Non. Il devait réagir, faire quelque chose.
Avec l'adrénaline le temps s'était ralenti. Ou alors peut-être que la conscience de Ren allait plus vite ? Il chercha dans tout ce qu'il savait faire le moyen d'éviter l'attaque. Rien. Il n'y avait rien, hormis...
— Agua aide moi !!! hurla-t-il.
Il sentit l'esprit de la déesse rayonner dans sa tête. Il sentit sa présence divine se superposer à son propre corps. Son cœur se mit à battre à toute vitesse tandis que ses pouvoirs se propageaient et s'agitaient comme les flots furieux de l'océan dans ses veines. La puissance de la Douzième des Douze déferla dans son corps. La pointe de l'épieu lui atteignit la poitrine.
Une à une les cellules de Ren se liquéfièrent. Sa peau prit alors la consistance, la couleur, l'aspect puis toutes les propriétés de l'eau. Ce changement d'état s'appliqua enfin à ses tissus, ses muscles, ses organes, ses os. Son torse complet se transforma en eau, laissant l'épieu lui traverser le corps sans jamais le toucher.
Le projectile continua sa route et se planta dans l'arbre derrière Ren. En face de lui, Pix écarquilla des yeux, ne voulant pas les croire. Le buste de Ren s'était totalement changé en eau, aussi translucide et insaisissable que les flots. Son cœur de cristal bleu pâle était visible par transparence et pulsait un pouvoir dépassant de loin celui des mortels.
— Et en plus t'as le culot de tenter de nouveaux tours de passe passe ?? hurla Pix.
Un arbre se mit à trembler quand il tendit la main sur le côté et le tronc s'arracha de terre. Pix le jeta furieusement sur Ren. Le brun liquéfia alors son corps entier, l'eau se propageant de son buste jusqu'à ses membres et sa tête. Il ne ferma pas les yeux, ne bougea pas d'un pouce quand l'arbre s'écrasa contre lui, faisant exploser son corps en un millier de gouttelettes d'eau. Une fine pluie tomba au sol à l'endroit où Ren se tenait il y a quelques secondes.
— Ça t'apprendra à faire le malin ! siffla Pix, se fichant bien de l'avoir tué ou non.
Il ne remarquait pas le filet d'eau qui serpentait en silence entre les feuilles mortes du sol. Le démon se mit à ricaner, puis explosa de rire, la tête renversée en arrière, flottant au dessus du sol.
Goutte à goutte, un silhouette aquatique se reforma alors à toute vitesse dans son dos. Le corps de Ren se recomposa, translucide, bleuté et aqueux. Pix fit volte face, surpris. Les membres de Ren reprirent leurs couleurs et leurs consistance normales, de chair et de sang. Quand Pix croisa son regard jaune et brillant, il sentit con cœur manquer un battement.
Ren reprit une inspiration, lente. Son bras entier et son épaule prirent de l'élan tandis que de l'eau se mettait à tourbillonner autour de son poing contracté. Il vit Pix tenter de s'enfuir mais trop tard. Il lança sa main en avant, accompagnée par des trombes d'eau tourbillonnants. Le jet d'eau fondit à toute vitesse sur Pix. La masse aquatique le percuta de plein fouet. Ballotté par les flots, Pix termina sa course dans un chêne dont le tronc se brisa dans son dos.
L'eau explosa et se répandit sur le sol, laissant Pix glisser à terre, inconscient, la bouche ouverte pour chercher de l'air. Ren tituba et reprit son souffle, sans le quitter des yeux, s'attendant à une autre attaque. Qui n'arriva jamais. Il avait mis Pix hors jeu...
Dans son dos, il entendit des bruits de pas affolés. Tremblant d'épuisement, Ren se retourna. Il vit Gabi courir vers lui, criant des paroles inaudibles. Leur professeur Ashe la suivait de près, parlant aussi mais Ren n'entendait rien. Comme s'il était encore sous forme aquatique. Comme s'il était sous l'eau.
Il sentit soudain son cœur se contracter. Puis une douleur insoutenable dans la poitrine, comme si on lui plantait une barre de fer chauffée à blanc entre les côtes. Il sentit son corps basculer en avant quand ses muscles se pétrifièrent tour à tour. Il vit les lèvres de Gabi bouger, comme si elle criait. Ashe se rua vers lui. Il tira une grimace de douleur quand son genou gauche tangua dangereusement sous son poids.
Ce fut les dernières choses que Ren vit avant de tomber à terre et de perdre connaissance, une douleur sourde dans la poitrine et un étrange silence dans son corps. Ni sons, ni battements n'émanaient de son cœur.
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