Chapitre 10: Nuit chaotique
Cette nuit là Ren ne se réveilla pas au plan métaphysique d'Aguamarine. En ouvrant les yeux il se rendit compte qu'il était dans une sorte de métro ancien... Il se redressa sur la banquette en cuir où il était allongé. Autour de lui il reconnut alors le monorail aérien de la vile d'Occlasia dans le Deuxième monde, où Occlasia Steampunk pour faire court.
Bon... Il récapitula mentalement tout ce qu'il s'était déroulé avant de se réveiller ici... Après l'entraînement et sa mauvaise réaction à cause de la téléportation, il avait fait la sieste durant tout l'après-midi, ce qui lui avait fait un bien fou, puis il était descendu manger un bout avec la classe.
Ashe avait l'air vraiment inquiet à son propos et Ren avait alors décrété qu'il détestait cet air soucieux et peiné que le prof affichait à son égard. Il n'était pas en sucre non plus ! Puis après une douche, il s'était lové dans son sac de couchage, la fermeture éclair remonté jusqu'au menton et s'était endormi en vitesse malgré le boucan que fichaient Derak et Matt en bavardant. Visiblement il était crevé...
Et voilà qu'en plus ce n'était ni un souvenir, ni un quartier libre au plan métaphysique qui l'attendait, mais un vulgaire rêve sans intérêt. Franchement...
— Journée de merde !! hurla-t-il à qui voulait l'entendre.
Alors d'accord, le voyage en bus, l'installation et les premières heures dans le centre de vacances avaient été super, mais un rien avait tout gâché. Le pire c'est que Ren savait qu'il en faisait encore des caisses pour rien, mais apparemment il n'y pouvait rien. Le sentiment d'être le seul "sensible" aux pouvoirs de quelqu'un lui mettait les nerfs.
Il balança ses pieds sur le sol en métal, composé de plaques constellées de boulons au niveau des jonctions. En marchant dans l'allée centrale, il regarda autour et constata qu'il n'y avait personne dans les rames du métro. Les couleurs étaient ternes et une sorte de crépuscule colorait l'horizon. Un dégradé de rouge sang, de violet, puis d'indigo et de noir surplombait une ville fantôme datant de la révolution industrielle.
Ren sentit à nouveau l'impression atroce d'avoir quelqu'un dans son dos. Une impression qui lui enserrait la gorge et le cœur, telles deux mains invisibles qui l'empêchaient de respirer correctement. Alors il se retourna d'une traite....
Il vit tout d'abord sa copie conforme, ou presque, debout en face de lui dans le couloir du métro. Un reflet de miroir très dérangeant, aux cheveux de jais tout comme lui... Deux billes rouges le fixaient droit dans les yeux. Un sourire satisfait, puis carnassier déforma les traits d'un visage couvert de sang, semblable au sien...
Stone marcha à reculons, l'air de simplement observer la situation en silence, couteau dans la main. Il s'éloigna pas à pas, laissant des traces de semelles ensanglantées sur le sol, toujours sans un mot. Ren découvrit alors les corps étendus à terre... Nya... Matt... Sarah... Ses amis, gisant dans une mare de sang... Le regard fixe de la mort qu'il avait trop souvent vu dans le Deuxième monde. Les corps couverts de blessures mortelles et rougeoyantes.
Le cœur de Ren résonna à ses oreilles tandis que ses yeux vides reflétèrent l'horreur de la situation... Ses muscles refusèrent de bouger, paralysés par l'effroi qui montait petit à petit en voyant ses amis étendus au sol, puis à chacun des souvenirs infernaux de ce monde barbare...
Il voulait s'enfuir... Il ne pouvait pas supporter de voir les cadavres de ses amis dans leur propre sang... Ça, c'était au-delà de ses forces.
Alors il fit demi tour et s'échappa en courant, ses pieds éclaboussant le sol couvert de sang, refusant de se rappeler de tout ça. L'angoisse et l'effroi face à la mort étaient derrière lui et il voulait juste tout oublier de cet affreux voyage ! Pourtant son esprit tenait à lui rafraîchir la mémoire... Avec des cauchemars à l'ambiance étouffante...
Il se retourna sans cesser de courir, certain d'avoir quelqu'un qui le suivait, à deux centimètres de son épaule... Mais aucun des cadavres n'avait bougé et Stone était toujours au fin fond du wagon, à le fixer en silence tel un spectateur attentif.
Ren suffoquait et voulait sortir de cette rame de métro...
Alors qu'il se demandait s'il fallait sauter ou non, le sol était quand même à vingt mètres en dessous de monorail, il entendit le clic sinistre et caractéristique d'un pistolet. Il fit volte face et croisa le regard sadique et sinistre de Stone, en train de pointer un flingue sur lui. Un immense sourire étira les commissures de ses lèvres, exhibant le piège à loup qui lui servait de dentition.
— Bang !
La balle partit en ligne droite et faucha la cage thoracique de Ren. Il hurla. Son corps lui rappela la douleur insupportable que provoquait un plomb en plein cœur. Il sentit son corps basculer à la renverse jusqu'au sol, sa blessure laissant échapper une pluie de sang brillant au moment de sa chute.
Complètement hagard et paniqué, Ren se redressa d'un seul coup dans son lit en plaquant une main à son cœur qui palpitait de douleur. Son muscle cardiaque se contracta durant deux secondes, lui faisant tirer une grimace de souffrance, puis repartit en pulsant de panique et de stress.
En sueur Ren ne parvint pas à se raisonner et se calmer. Là, dans le noir complet de la chambre et après s'être réveillé d'un cauchemar, il ne pouvait clairement pas se calmer. En tremblant il chercher sa lampe de poche trainant sur son chevet, chercha le bouton et l'alluma.
Aussitôt la faible lueur de l'ampoule perça l'obscurité. Le contour des objets alentours se dessina dans le noir, chassant au moins l'impression pesante d'avoir quelqu'un dans la pièce pour épier Ren. Le cœur continuant de cogner à cent à l'heure, la respiration sifflante, il fixa dans le vide le temps de se reprendre.
Paniquer comme ça, ça ne lui ressemblait pas... Mais face à ce qu'il avait vu dans ce cauchemar, face à l'obscurité angoissante de la chambre à son réveil, il n'avait pas pu se contrôler...
Dans la pièce, quelqu'un remua dans son sac de couchage et Derak alluma sa propre lampe de poche, l'air ensommeillé. Son regard croisa celui encore effaré de Ren.
— Cauchemar, répliqua Ren avant qu'il ne pose la moindre question.
Il se passa une main sur le visage pour essuyer la sueur déposée en pellicule à la surface de sa peau.
— Tu veux en parler ? T'as pas l'air bien... À vrai dire tu m'as un peu fait peur aujourd'hui.
— Ça va... grogna Ren.
— T'es sûr ? insista Derak en penchant la tête sur le côté. Je t'ai jamais vu avec cette tête...
— Je te dis que ça va ! rétorqua Ren plus fort que voulu.
— Yssepassekwa ? marmonna Matt.
Derak lui braqua le faisceau de sa lampe dans la figure et l'elfe grommela en se protégeant avec un bras, assis dans son sac de couchage.
— Rien, j'ai fait un mauvais rêve et apparemment c'est la fin du monde, expliqua Ren.
— Excuse moi de m'inquiéter...
— Pourquoi vous parlez tous ? demanda timidement Pix.
Visiblement tout le monde était réveillé... Derak bougea sa lampe dans sa direction et le jeune homme ferma les yeux en ronchonnant. Il se protégea le visage avec les bras.
— Dégage ça de moi !
Le vampire mit le faisceau au niveau du plafond sans discuter.
— Bon ben maintenant que plus personne ne dort, on peut faire un truc pour tuer le temps ! Genre se raconter des histoires, ça va changer les idées et en plus ça nous met dans l'ambiance colonie de vacances, proposa Derak, trop enthousiaste.
— Sans moi, lança Matt en disparaissant dans son sac de couchage.
— T'en as d'autre des idées pourries comme celles là ? grinça Pix.
Ren ne sut pas si c'était parce qu'il était mal réveillé ou encore sous le choc, mais il trouva le ton de son ami bizarre.
— Ou on peut juste se rendormir comme ça oui... abdiqua Derak en haussant des épaules. Demain sera une grosse journée et vous avez tous l'air crevé...
— Surtout Ren, le pauvre chou faiblard ! ricana Pix.
Ce dernier fit un bond sur son lit, sentant l'énervement le gagner à une vitesse record. Il braqua sa lampe de poche droit sur Pix.
— T'as un problème toi ?? siffla Ren.
Il haussa cependant les sourcils en voyant que Pix se faisait les dents sur un polochon... Dans le noir et avec la lampe dans les yeux, ses pupilles semblaient refléter la lumière comme celles d'un animal nocturne...
— Il me veut quoi l'autre ? répliqua Pix.
— Bon et si on faisait dodo ? demanda Matt. Je vous rappelle que le réveil sonne à sept heures demain !
— D'habitude t'es sympa et là tu te fous de ma gueule et tu me traite de faiblard ! lança Ren.
Pix fronça les sourcils, l'air mauvais. Puis sans que personne ne comprenne pourquoi, il arracha la housse en tissus du polochon avec les dents et la déchira en riant. Puis il se mit à éventrer et vider le traversin de ses plumes, l'air aux anges. Les autres le regardèrent d'un air interdit.
— Non mais t'es tout seul dans ta tête ou ça se passe comment ? demanda Ren, vraiment dérouté par ce comportement.
Cette fois ce fut Derak qui le fusilla du regard. De son côté Pix continuait à fixer Ren d'un air sinistre, tout en retirant les plumes restantes dans le polochon.
— Toi un jour je vais t'arracher les boyaux comme j'arrache ces plumes...
Il avait déclaré ça tranquillement, ce qui glaça le sang des trois autres garçons... Ce n'était pas seulement la menace. C'était surtout que Pix ne sortait jamais ce genre de propos... Pix était gentil d'ordinaire, la candeur, la sympathie et la bienveillance même. Quelque chose clochait vraiment.
Alors que le silence planait Derak se leva d'un coup de son lit, ce qui fit sursauter Ren, les nerfs à fleur de peau. Le vampire se précipita dans sa valise ouverte sous son lit et y fouilla durant quelques secondes avant de sortir une boite à médicaments. Puis il se dirigea vers Pix en versant des cachets dans sa main.
— Il me veut quoi lui ?? répéta Pix, sur la défensive.
— Je veux plus t'entendre, j'ai cédé jusque là, mais maintenant tu vas m'avaler ces cachets.
— Dégage avec tes sales trucs !
Mais Derak n'en fit rien et attrapa la mâchoire de Pix pour lui faire ouvrir la bouche. Ce dernier se mit à grogner et lâcha un « ksssss ! » comme le ferait un chat en colère. À son tour Derak montra les crocs en lui ordonnant d'arrêter ses bêtises. Pix finit par dégager le vampire par terre avec un coup de pied bien placé dans le ventre.
— Vous voulez pas m'aider vous autre ?? demanda Derak.
— Alors qu'on sait même pas ce qu'il se passe, et puis quoi encore ? répliqua Ren avec humeur. Bonne nuit.
Il éteignit sa lampe de poche et s'enfonça dans son sac de couchage, le malaise de son cauchemar et de la situation actuelle largement passé. Matt finit par se coucher également en disant qu'il valait mieux se reposer. Derak insista une dernière fois auprès de Pix pour qu'il prenne des cachets, ce qui était une nouveauté, mais ce dernier lui proposa d'aller se faire foutre avant de se recoucher en mâchouillant un bout du polochon. Ou plutôt ce qu'il en restait...
Malgré cette nuit chaotique, il fallut se lever aux aurores. Si Ren songea à jouer la montre après la sonnerie du réveil et rester au fond de son lit, leur professeur ne fut pas de cet avis. Ashe passa dans le couloir en chantant à tue tête, défonçant les portes des dortoirs avec un peu trop de bonne humeur, sa mini ampli crachant à fond une musique de Michael Jackson.
— Debout les gars ! Une grande journée nous attend !
On pouvait entendre grogner les uns et les autres à travers les différentes chambres de l'étage... Comme si ça ne suffisait pas, Ashe se mit à faire des claquettes avec ses tongs en reprenant la chanson « I'm Bad » d'une voix suraiguë.
Dix minutes plus tard les garçons descendirent à la salle des fêtes pour le petit déjeuner. Les filles étaient déjà debout, encore en pyjama ou jogging pour la plupart et surtout la tête dans le gaz... Ren se laissa tomber sur sa chaise, au bout de sa vie.
— Pouhahaha ! s'esclaffa Nya. J'avais jamais vu Derak pas coiffé le matin !
Ce dernier n'avait effectivement pas eu le temps de rabattre ses cheveux en arrière et les fixer avec six tonnes de laque. Il avait donc une sorte de coupe au bol moderne sur la tête...
— Vous aussi c'est pas souvent de vous voir décoiffé, fit remarquer Matt.
Nya et Angèle avaient effectivement les cheveux détachés mais le plus impressionnant restait la tête de Sarah... Une volumineuse crinière de lion se déployait sur ses épaules, ébouriffée et emmêlée. La démone tirait une face de six pieds de long, tout en beurrant ses tartines...
— La vieille est passé nous réveiller en jouant la musique de la cavalerie avec une trompette... grinça-t-elle, son regard cerné et orageux fixant dans le vide. Une trompette !
— Nous on a eu droit à Michael Jackson ! s'exclama Matt. You know I'm bad !! I'm bad !! You know it, you know it !!
Nya lui balança une serviette en papier à la figure.
— Pitié, cet accent !! Au nom de l'Amérique toute entière : ferme ta bouche !
Enthousiaste, Matt continua à chanter en claquant des doigts, puis Sarah lui lança le paquet de brioche dessus. Ashe mit le holà en confisquant le paquet, puis il s'installa en bout de table avec la bande. Il posa un mug et un paquet de café soluble devant lui, puis lança avec entrain :
— Coucou les jeunes, je viens garder un œil sur vous ! Vous avez compris ? Un œil ! Non parce que...
Il montra son cache œil digne d'un pirate, en faisant sûrement un clin d'œil, puis sentant les regards gênés dans sa direction, il versa de l'eau chaude dans son mug avant de compléter avec deux cuillères de café soluble.
— Bref... Sinon, bien dormi ?
— Non ! Gabi ronfle, Angèle parle dans son sommeil et Nya respire comme un vieil aspirateur !! Et en plus Vautour nous réveille avec une trompette ! Une trompette !! cria Sarah.
Toujours serviable Nya lui retira ses cheveux en train de tremper dans son bol de chocolat.
— Wow, Vautour sait jouer de la trompette ! s'émerveilla Ashe. Ça peut être cool pour une veillée tiens. Et vous les gars ?
Le nez dans son bol de chocolat, Ren jeta un œil à Pix, qui avait quand même pas mal gâché la nuit... Son casque de musique sur les oreilles, il semblait coupé du monde et mangeait tranquillement ses tartines couverte de chocolat à tartiner. Au réveil, il avait demandé à tout le monde d'un air perdu pourquoi son polochon était éventré et Derak lui avait dit que ce n'était rien, avant de changer de sujet pour éviter de s'étaler là-dessus.
— Nickel, répondit le vampire. Juste les matelas qui sont un peu durs !
— Bon ben cool ! fit Ashe. Ah je rêve de mon petit café fraîchement moulu à la machine, soupira-t-il en touillant son mug. Mais bon, je vais me contenter de ce truc immonde à dissoudre. Tant que j'ai ma caféine. Juste entre nous, je suis légèrement accro au café.
Vautour rappliqua à la fin du petit déjeuner et souffla dans une trompette dorée pour annoncer le retrait des troupes. Et Ren qui pensait que Sarah exagérait...
— Je veux vous voir dans dix minutes sur le terrain d'entraînement, en tenue, cheveux attachés et dents brossées ! Exécution !
— Et la vaisselle ? demanda un élève devant le carnage du petit déjeuner sur la table.
— La vaisselle attendra ! J'ai dit exécution !
Le son de la trompette mit tout le monde en panique et la classe évacua les lieux en un temps record. Une fois dans leur chambre, les garçons attrapèrent chacun leur brosse à dents, appliquèrent du dentifrice dessus et partirent se mettre en tenue de sport en même temps.
Cinq minutes plus tard, les quatre étaient fin prêt. Avant de quitter la chambre, Derak rappela Pix. Ren le vit encore avec la boite de médicaments, en train d'expliquer quelque chose à voix basse. Pix hocha la tête puis avala un des comprimés que Derak lui tendit, puis les deux rejoignirent Ren et Matt dans le couloir.
— On fait la course jusqu'au terrain ! lança Derak. Le dernier arrivé sera le dernier à la douche ce soir !
Durant toute la journée, la classe s'entraîna en compagnie d'Ashe, qui était une fois de plus livré à lui-même avec ses élèves. Vautour les avait encore abandonné pour aller entraîner Angèle en forêt. D'abord on fit des exercices de renforcement musculaire, puis le prof stagiaire prit ses élèves cas par cas pour commencer à apprendre de nouvelles techniques. Pendant qu'il s'occupait d'un élève, les autres s'entraînaient dans leur coin, testant de nouvelles techniques avec leurs pouvoirs.
— Il a de bonnes idées en vrai ! s'exclama Nya en revenant de son entretien. J'ai envie de tester tout ce qu'il m'a suggéré maintenant !
— Ben tant mieux pour toi ! lança Matt. Moi il m'a juste dit que je devais apprendre à me faire très discret et silencieux tout en étant invisible. Il m'a dit que mon pouvoir pouvait être super utile dans les métiers du genre renseignement, filature ou espionnage.
— Tu passes ton temps à raconter ta vie, tu parles d'un espion, railla Sarah. Je crois que c'est à toi du Ronchon, dit-elle en donnant un coup de coude à Ren. Le prof t'appelle en faisant des squats avec des grands signes des bras...
Ren soupira et partit rejoindre Ashe qui afficha un grand sourire. Ren se demandait bien ce qu'il pouvait apprendre de plus avec ses pouvoirs. Il connaissait déjà des techniques élaborées, maîtrisait la moindre goutte d'eau à la perfection, manipulait la pression du liquide pour en faire des lames... Franchement il n'avait plus rien à apprendre, d'autant plus de la part d'un prof sortant tout juste de la fac...
— Yo Ren, ça va mieux depuis hier ?
Ren ne put s'empêcher de lâcher un soupir dédaigneux en croisant des bras. Ashe s'inquiétait peut-être vraiment pour lui, mais cet excès de préoccupation agaçait Ren.
— Je suis pas en sucre...
— Relax, fit Ashe, détendu. Bon du coup...
Il feuilleta son cahier déjà plein à craquer et rempli de notes, le feuilleta jusqu'à tomber sur la page de Ren. C'était limite flippant de savoir que ce prof avait autant d'info sur ses élèves.
— Bon... répéta Ashe en se grattant la tête avec son crayon. Ben disons que t'es un des plus doués de la classe... Sinon le plus doué de la classe. J'avoue que j'ai dû me creuser la cervelle pour te dénicher d'autres techniques.
— J'en ai pas vraiment besoin... Je sais déjà tout faire.
Ashe releva son œil en haussant les sourcils face à l'excès d'orgueil dont Ren faisait preuve. Le jeune homme sentit alors une sorte d'inconfort face au regard de Ashe. Quand il cligna des yeux, il sentit ses paupières s'alourdir. Voilà qu'il avait sommeil maintenant.
— Tout faire ? N'exagérons rien... Ta spécialité c'est de foncer dans le tas et d'agresser ton adversaire avec des lames d'eau ou en lui balançant des trombes d'eau au visage, bref t'es un bagarreur. Enfin, revenons à nos brebis : t'es capable de transformer une partie de ton corps en eau ? Genre une main ?
Ren haussa les sourcils et regarda ses doigts. Transformer sa main en eau ? Il n'y avait jamais songé.
— Je sais pas... J'ai jamais essayé.
— Bah, t'arrives à marcher sur l'eau, changer un bras en flotte ça ne devrait pas être sorcier, dit Ashe avec un sourire.
Ren tira la moue dans un premier temps, puis grinça des dents en voyant qu'il n'avait pas la moindre idée de comment s'y prendre pour changer ses doigts en eau. Ashe fit un travelling avant dans sa direction, une expression satisfaite au visage. Ren sentit encore une fois un malaise, comme s'il y avait un truc qui clochait avec l'œil visible du prof.
— Je vais te laisser réfléchir là-dessus, ça va t'apprendre la frustration. Reviens me voir quand tu sauras transformer ta main en eau. Qui sait, un jour tu pourras devenir entièrement liquide, imagine toutes les possibilités qui s'offriront à toi, ça sera ta nouvelle capacité ultime ! Allez bon courage !
Suivi d'un grand sourire puis Ashe s'évanouit dans les airs pour réapparaître dix mètres plus loin. Resté en plan, Ren regardait toujours sa main, se concentrant pour essayer de changer ses doigts en eau. Il n'arrivait qu'à faire circuler des gouttes d'eau à la surface de sa main. Il grogna en enfonçant les mains dans les poches de son jean et partit ruminer à la lisière de la forêt.
Il tendit ses deux mains en avant et une fois de plus seules des bulles d'eau apparurent sur ses paumes. Ren serra les dents et les poings puis les bulles d'eau formèrent une lame aquatique en arc de cercle qui fendit l'air et trancha le tronc d'arbre le plus proche en deux.
— Et je fais comment pour changer mes mains en eau ?? cria Ren en shootant dans un caillou.
— Mais quel gamin ! pesta la voix d'Aguamarine dans sa tête. Ce n'est pas la fin du monde si tu n'arrives pas à apprivoiser une nouvelle compétence en deux secondes. Calme toi pour commencer. Dans tous les cas, je suis moi-même capable de me changer entièrement en eau, donc forcément tu le peux aussi. Et ton prof a raison en disant que ce sera utile. Tu imagines ? Tu deviendrais totalement intangible, aussi insaisissable et rapide qu'un torrent.
Ren ne voulut pas l'avouer à voix haute, parce qu'à la base l'idée ne venait pas de lui, mais cette nouvelle capacité avait l'air assez pratique et cool...
— T'es capable de te changer en eau toi ? fit-il.
— Ben quand même ! Je suis la déesse des mers et des océans ! C'était ma capacité ultime pour me déplacer très vite et pour ne jamais me faire blesser.
— Mmmh. J'ai une impression de déjà vu, marmonna Ren.
Aguamarine lui répondit qu'elle ne voyait pas de quoi il parlait puis lui conseilla de revenir auprès des autres. Ren accepta et quitta la lisière de la forêt pour rejoindre le terrain d'entraînement, plein d'élèves en train de se battre entre eux. Le reste de la journée fila sans que Ren ne progresse d'un iota sur son problème de main aquatique. Et ce n'était pas faute d'essayer !
— Tu vas arrêter de fixer la carafe comme si tu voulais sa mort ? fit Sarah avec un air de reproche ce soir au dîner.
Sourcils froncés Ren détourna les yeux du pichet d'eau, piqua férocement des pâtes dans son assiette avec sa fourchette et enfourna la nourriture dans sa bouche.
— Qu'est-ce que t'as encore ? demanda Nya, lasse. Je sais qu'il ne faut pas grand-chose pour te mettre les nerfs en pelote mais bon, c'est quand même à cause de ce que Ashe a pu te dire ?
— Il t'a dit quoi au fait ? demanda Matt, avide de commérages.
On aurait pu voir ses longues oreilles s'étirer pour capter le moindre ragot.
— Pff, il m'a suggéré une nouvelle technique...
— Quoi, le grand Ren des neiges ne sait pas tout faire ? s'étonna Derak.
— La ferme.
— Laisse moi deviner : t'arrives pas à faire ce qu'il t'a proposé et ça te frustre ? proposa Nya.
Ren finit évidemment par se mordre la langue à force de mâcher ses pâtes d'un air hargneux. Il grogna en portant une main à sa bouche qui avait pris le goût ferreux du sang. Matt lui servit un verre d'eau.
— Donc c'est ça... déduit l'elfe. Mec, t'es déjà super fort, c'est pas la fin du monde si t'arrives pas à apprendre encore plus de techniques.
— Je sais !
Mais Ren mit enfin le doigt sur l'origine de son agacement. Il ne supportait pas l'idée de ne pas réussir. D'échouer. Il n'arrivait pas à faire quelque chose et ça le rendait malade. On avait beau lui répéter qu'il était déjà fort, pour lui il restait des obstacles à franchir. Et tant qu'il n'y arriverait pas, il aurait cette sensation d'échec...
Ce soir il fut de corvée de vaisselle avec les autres guignols de la classe. Trouvant que certains élèves ne faisaient aucun effort dans les tâches communes, Vautour avait envoyé Ren, Antoine, Étienne, Sarah, Roxane et Gabi pour faire la vaisselle. Toujours partant pour aider, Lewis et Lucie, les deux délégués de classe s'invitèrent en cuisine.
— Comme ça on ira plus vite ! suggéra Lewis.
— On fait la chaîne et la vaisselle sera faite en un rien de temps ! s'exclama Lucie.
C'était une blondinette aux yeux bleus, gentille, très serviable et populaire. Les galériens débarrassèrent la table pendant que les autres vaquaient en attendant le début de la veillée. Étienne cassa plusieurs assiettes en chemin, lancées exprès par terre comme pour tester les lois de la gravité.
— Continue comme ça et c'est ta tronche que je vais éclater par terre ! menaça Antoine au bout du troisième verre.
— Le vocabulaire, soupira Lucie.
— En plus ça fait moins de vaisselle ! riposta Étienne d'une voix suraiguë.
Ren crut voir Gabi avoir une sorte de spasme nerveux quand elle plongea les couverts dans l'eau de l'évier en inox de la cuisine. Sarah remonta ses manches en tirant la langue de dégoût. Elle attrapa l'éponge du bout des doigts, comme si elle allait la mordre.
— Berk, je sens d'ici la bave de tout le monde me ronger la peau !
Ren récupéra les couverts lavés pour les rincer et les passa à son voisin pour qu'il puisse les sécher. Étant donné que c'était Roxane, il se demanda s'il était sage de laisser les couteaux entre ses mains. Surtout qu'elle se remettait à marmonner toute, après avoir passé une journée avec un comportement normal.
— Les cailloux, c'est joli, ça brille, c'est puissant, c'est mal... Ça devrait disparaître à tout jamais. C'est leur destin après tout, c'est l'érosion qui les grignote.
— Pourquoi elle nous fait une thèse sur les rochers l'autre lézard ?? demanda Antoine qui rangeait les assiettes.
Roxane regarda son reflet dans un couteau avant de le donner à Antoine qui le rangea dans le tiroir à couvert. Aucun incident notable ne troubla le rythme de travail et la vaisselle fut terminée en un rien de temps. Sous les félicitations trop enjouées des délégués, ils rejoignirent le reste de la classe qui avait installé des coussins en ronds sur le sol de la salle des fêtes. Au centre du cercle Ashe mélangeait un paquet de cartes d'un air expert.
— On va faire un loup-garou de Thiercelieux ! lança-t-il. Installez-vous !
La classe s'installa sur les coussins pendant que Ashe rappelait les règles. Il distribua les cartes en lançant qu'il en avait rien à faire que un tel soit villageois ou que le rôle ne lui plaisait pas. Ren jeta un coup d'œil discret à sa carte et vit qu'il avait eu droit au loup blanc cette fois. Ashe partit éteindre la lumière de la salle commune et braqua une lampe torche sous son menton, histoire de se mettre dans l'ambiance.
— Ce soir là, une lune rousse brillait sur le petit village de euh... Truckmuche-les-Bains... Ce petit village était frappé d'une terrrrible malédiction ! En effet, chaque soir, certains habitants du villages se couvraient de poils et se transformaient en bêtes immondes : des loups garous !
Le professeur se mit à raconter l'histoire avec des gestes théâtraux avant d'appeler les gens à s'endormir. Il appela les rôles importants pour jouer, avant d'inviter les loups garous à ouvrir les yeux. Ren découvrit les autres loups, dont Gabi faisait partie, puis crama directement Matt qui devait avoir le rôle de la petite fille, mais même sans ça il trichait et regardait en douce derrière ses mains.
Évidemment l'elfe protesta au réveil quand Ashe annonça d'un air désolé que le cadavre de la « petite fille » fut découvert au petit matin par l'alcoolique du village, pour reprendre ses termes.
— La pauvre enfant était déchiquetée par les crocs des loups, lança le prof d'un air peiné.
S'en suivit du moment houleux des votes qui comme toujours ne mettait personne d'accord puis la partie se poursuivit dans cette ambiance propre au jeu du loup-garou. Avec Ashe pour conter avec une teinte d'humour, la partie fut un régal pour tout le monde. Une simple veillée détente pour oublier les tracas de la journée.
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