...
— Pu... !
Après une chute interminable Ren se mangea le sol de la planète en jurant. Étant sûrement sur un terrain en pente il se mit à rouler sans pouvoir s'arrêter sur quelques mètres avant d'enfin ralentir. Il se stoppa enfin sur le dos, bras écartés.
— ...TAIN !! termina-t-il.
Sa voix résonna de façon cristalline autour de lui. Il grogna, les os en miette après la chute et le cerveau en compote à cause du voyage. Il roula sur le côté et sentit une larme lui couler sur l'arête du nez puis sur la joue. À quel moment il avait pleuré... ? Il attendit que sa tête finisse de tourner avant de se redresser doucement en position assise et d'ouvrir les yeux. Et de s'immobiliser un peu plus sur place en voyant son environnement.
Ce n'était pas le Premier monde...
Le ciel était une sorte de crépuscule... Un dégradé de violet, d'indigo et de rouge... Des cendres qui volaient... Par endroit, flottant dans le ciel, il y avait des formes étranges, irrégulières, plates... Comme des bouts de miroir brisés. Sombres et vides comme des trous dans la réalité. Ren s'avança au bord d'une falaise et constata que tout autour, il n'y avait que des morceaux détachés de terre noire, comme arrachés du sol et flottants dans le ciel...
Des ruines en pierre noire s'élevaient sur ces îles volantes et continuaient de s'écrouler sous le poids des années. En dessous de Ren c'était les abysses. Il s'éloigna du rebord de falaise, ne voulant pas tenter la chute... Où est-ce qu'il pouvait être ? Ce n'était aucun des trois mondes...
Il se retourna en entendant quelque chose remuer dans son dos. Des silhouettes humanoïdes, noires aux yeux jaunes l'observaient à distance et en silence. Cette fois Ren savait que ce n'était ni le fruit de son imagination ni celui de la paranoïa. Des Ombres le guettaient sans bouger, cachées derrière des arbres mort et calcinés mais qui avaient encore leur feuillage, tout aussi noir.
— Il sent la magie...
Ren sentit un frisson remonter dans sa nuque et décida de s'éloigner. Des yeux jaunes le suivirent mais aucune Ombre ne remua. Toutes restèrent cachées derrière les bâtiments de pierre couleur nuit ou bien les arbres morts.
— Il sent comme les dieux...
— Ceux qui nous ont tués...
— Maudits et enfermés ici plutôt...
— Pourquoi le garçon a encore son corps ?
Ren risqua un coup d'œil vers les curieux amassés autour d'une sorte de grande maison en pierre noire, lisse et brillante. Le bâtiment avait l'air d'avoir été moulé dans de la lave. Des Ombres plus petites le regardaient depuis un muret. Ces créatures d'encres n'avaient plus rien d'humain... C'était à se demander comment elles pouvaient encore exister après tant d'années d'errance entre les mondes. Puis ce fut à ce moment là que Ren comprit.
Cet endroit étrange était l'Entre monde. Le lieu dans lequel les Douze avaient autrefois banni toute une population qui ne voulaient pas de la présence de ces dieux. Une dimension cachée derrière les miroirs et qui faisait maintenant office de barrière entre les trois mondes. C'était l'Entre monde... Les Ombres autour étaient les anciens humains, prisonniers depuis des millénaires... Des humains dont il ne restait plus rien hormis une conscience dans un corps d'encre noire...
Ren continua d'avancer en ignorant tout ce qu'il entendait ou voyait. Il ne savait pas pourquoi il n'était toujours pas rentré. Il ouvrit son poing qu'il avait gardé fermé depuis qu'il avait appuyé sur l'engrenage. Le collier était peut-être vraiment cassé... La perle brillait pourtant toujours...
Il referma son poing et repensa aux dernières secondes, irréelles, avant qu'il ne quitte le Troisième monde. Saurac avec un flingue. En train de viser Stone. Puis deux coups de feu... Plus que tout au monde, Ren craignait qu'une balle ait atteint son alter-ego... Un coin de son esprit lui disait que c'était impossible. Que Stone ne pouvait pas mourir comme ça. Qu'il était obligatoirement vivant. Mais cette option était peu probable... Le cerveau cartésien de Ren dut lui rappeler l'évidence : il y avait peu de chance qu'Eileen ait raté sa cible à cette distance là...
Il voulut hurler à s'en briser les cordes vocales... Il ne pouvait pas accepter le fait que Stone ait pu mourir... Pas comme ça.
Il s'avança au bord de la falaise de l'île flottante. Un chemin de pierres lévitantes permettait de se rendre sur une autre île, mais l'espace entre elles était assez large et Ren avait peur de chuter. Ses yeux se posèrent sur un trou dans la réalité, en forme d'éclat de miroir brisé... S'il était à la frontière des mondes, il devrait pouvoir rentrer plus facilement chez lui et arrêter de faire des détours improbables. Il regarda son médaillon, dubitatif. Devait-il tenter un dernier voyage ? Il était désormais si proche de chez lui, de son monde.
— Dis...
Ren sursauta et se retourna en vitesse. Une petite ombre le regardait, juste en face de lui. Elle avait la silhouette d'une fillette et ses longs cheveux ondulaient comme de l'eau... Ses yeux jaunes le fixaient sans aucune hostilité.
— Tu vas nous aider ? Ou tu vas nous aider comme lui et nous laisser tomber ensuite ?
Si Ren en avait eu le courage il lui aurait bien dit que plus personne ne pouvait rien pour eux, vu l'état dans lequel ces humains étaient...
— Au début il avait promis à Néant de nous aider. Il était notre vengeur et devait punir les Douze. Mais il s'est servi de nous. Et on est toujours là au final. Alors quoi, on n'a pas le droit de vivre, c'est ça ?
Pas en détraquant les gens et en consommant leur magie dès que ces Ombres pouvaient s'échapper de cet endroit... Ren pensa soudain à ce détail. Même si le médaillon ne marchait plus, il y avait forcément un passage permettant aux Ombres de sortir d'ici pour rejoindre les autres mondes. Il lui restait un dernier recours si jamais le collier ne marchait pas.
— Je dois y aller... marmonna Ren, comme si ça pouvait servir à quelque chose.
Il tourna l'engrenage en priant pour que cela fonctionne. Il appuya sur la dent et sentit son corps s'enrouler sur lui-même. L'Entre monde, les bâtiments en pierre noire et les Ombres s'effacèrent bientôt sous ses yeux. Il chuta à nouveau, en espérant retomber dans son monde...
***
Ren était allongé sur le sol quand il ouvrit les yeux. Il était étendu sur un parquet lisse et froid... Il se redressa sur un coude et regarda autour de lui... Une grande table avec douze chaises autour occupait la majeur partie de cette immense salle de réception. Un mécanisme complexe pendait du plafond comme un lustre, ressemblant à ces maquettes du système solaire. Des ellipses entouraient une horloge et des bijoux sertis de pierres précieuses gravitaient sur ces orbites.
C'était la salle de réunion des Douze dans leur ancien château. Ren en conclut qu'il était dans un souvenir. Il devait certainement dormir quelque part, dans son monde peut-être. Il s'attarda sur l'horloge au plafond. Elle était à l'arrêt et il ne sut pas pourquoi ce détail le dérangeait. Il regarda autour de lui. Tout était désert. La grande fenêtre de la salle donnait sur le monde extérieur. Le ciel était crépusculaire. Rouge, violet, indigo et noir. Sans étoiles.
Le cœur de Ren cessa de battre quand il remarqua une personne assise sur une banquette, sur le rebord intérieur de la fenêtre. Une peur incontrôlable l'envahit de toutes part et il se sentit suffoquer rien qu'en le voyant...
Obsidian était assis devant un plateau d'échec. De son point de vu, Ren ne voyait que son profil droit. Son œil à l'iris jaune et à la sclère noire, ses cicatrices couleur encre qui lui taillaient le visage comme des coups de couteaux et ses cheveux d'obsidienne qui reflétaient à peine la lumière rougeâtre du dehors. Il semblait plongé en pleine réflexion et regardait ses pièces sur le plateau d'échec. Il jouait tout seul.
Ren souffla calmement pour ralentir les battements chaotiques de son cœur, en panique totale. Il ressentait toujours cette terreur incontrôlable rien qu'à la vue du Treizième... Pourtant ce n'était qu'un souvenir. Rien ne pouvait lui arriver puisqu'il n'était qu'un spectateur invisible.
Obsidian releva le menton et se tourna vers lui... Ren sentit du plomb tomber dans ses entrailles et son estomac se retourna quand il croisa les deux yeux du dieu... Le jaune et l'autre, à l'iris si noire et vide qu'elle se confondait avec la pupille. Un œil noir et mort...
Ren l'ignora. Il se détourna de ce regard si sinistre et dérangeant et se raisonna. Ce n'était qu'un rêve. Il ne pouvait pas le regarder lui. C'était ça... Il y avait juste quelqu'un derrière lui et Obsidian regardait cette personne. Ren se retourna pour vérifier, tandis que des sueurs froides coulaient le long de son corps...
Il n'y avait personne...
— C'est bien toi que je regarde Ren...
Le cœur du brun résonna à ses oreilles. Chaque battement assourdissant cogna contre ses tempes. Ses muscles se mirent à trembler de trouille. Il sentit alors toute la terreur qui pouvait exister dans le monde refluer dans son corps et alourdir ses organes, comme des billes de plomb empoisonnées...
Il tourna sa tête avec raideur, millimètres par millimètres... Il avait du mal à respirer et avait l'impression d'étouffer...
Un bras posé sur son genou remonté contre lui, Obsidian continuait de l'observer. Ça ne pouvait être qu'un cauchemar. Ça ne pouvait pas être réel...
— Ne reste pas là et viens t'asseoir, dit calmement le dieu en indiquant la place en face de lui.
Sa voix était posée, à la fois rassurante et glaciale... Il avait fait sa demande comme une simple proposition, pourtant Ren savait que s'il n'obéissait pas tout de suite, il risquait peut-être de se faire tuer sur place. Il en avait la certitude : s'il ne bougeait pas il allait mourir, même si Obsidian n'avait pas l'air hostile...
Ren sentit son corps s'avancer comme s'il était désincarné. Il tremblait. Il respirait mal. Son cœur le faisait souffrir à chaque battement. Tendu, il s'assit face à Obsidian. Il n'arrivait pas à croire qu'il ait pu penser un seul instant à refuser de lui obéir...
— Tu dois sûrement te demander ce que tu fabriques ici, dit Obsidian.
Ren avait des centaines... non des milliers de questions qui se bousculaient dans sa tête mais la peur lui paralysait le cerveau et l'empêchait de réfléchir correctement. Il n'arrivait pas à aligner deux pensées cohérentes. Les seules qui revenaient sans cesse étaient « fuir », « je vais me faire tuer »... Répétitives, entêtantes, ces phrases chassaient les moindres mots sensés et au final il n'arrivait à penser à absolument rien...
— Joue.
Ren s'immobilisa et un frisson glacial lui courut sous la peau suite à cette injonction. Étrangement cela eut pour effet de calmer un peu le chaos dans sa tête et il put jeter un œil au plateau d'échec devant lui. Il avait les pièces noires, Obsidian les blanches... Il ne savait pas comment jouer.
— C'est presque intuitif, dit le dieu. Fais juste ce qui te semble le plus logique, simple et rapide.
Le brun avança une main à un pion et le décala sans trop penser à la suite. La forme des pièces lui rappelait quelque chose... Obsidian poussa un de ses pions à son tour.
— J'ai toujours aimé ce jeu. Moi je fais mes petites stratégies qui fonctionnent toujours et je prévois tout le temps dix coups d'avance. Le reste de ma fratrie ne jouait qu'un seul coup en avance... Ils passaient toute la partie à faire ce qui leur était intuitif, simple et logique. Pour au final faire exactement ce que je veux et perdre. Pour ça ils n'ont pas changé...
Ren sentait qu'il y avait vraiment quelque chose qui clochait. Ça ne pouvait pas être un souvenir... Obsidian lui parlait comme s'il était devant lui... Était-ce juste un rêve ? Le fruit de son imagination ? Un cauchemar ? Ren regarda au dehors comme si ça pouvait l'aider à tirer une conclusion.
— Tu n'es pas vraiment au château des Douze tu sais... continua Obsidian en suivant son regard vers le ciel crépusculaire. D'ailleurs saches que tu ne rêves pas...
Mais alors... qu'est-ce que c'était ? Une vision ? Un souvenir erroné ? Ren observa autour de lui en espérant trouver des réponses qui, il le savait, ne viendront finalement que de son interlocuteur...
— On est ici entre rêve et réalité... Je pense qu'on peut appeler ça un plan métaphysique. Le mien.
Non. Ren n'avait accès qu'au plan astral d'Aguamarine... Le sien et aucun autre. Qu'est-ce qu'il pouvait faire ici alors ?
— Joue.
Cette fois ce fut la respiration de Ren qui cessa de fonctionner comme ses pensées. Il regarda le plateau damé... Il avança un pion et captura un de ceux qui trainaient dans le camps adverse. Il craignit des répercussions suite à ce geste mais Obsidian n'en fit rien et se contenta de décaler une autre pièce. Ren resta dubitatif. Il aurait très bien pu capturer un de ses pions...
— Je te trouve bien silencieux, toi qui parle tout le temps... remarqua Obsidian.
Le brun leva les yeux vers le visage du dieu et croisa son regard... Il le détourna aussitôt avec l'impression d'avoir compté chaque milliseconde de l'échange oculaire.
— Vas-y parle, invita tranquillement le dieu déchu.
— Je... je... balbutia Ren.
Il n'avait jamais ressenti un tel stress en prenant la parole. Sa bouche s'était asséchée et une horrible boule d'angoisse lui bloquait la gorge. Mais il devait tirer les choses au clair. Savoir ce qu'il vivait, ce qu'il fichait ici...
— Pourquoi je suis là ?...
— J'avais juste envie de te rencontrer depuis un moment et c'était l'occasion d'enfin échanger avec toi...
Ren cligna des yeux, complètement perdu et ne comprenant rien à la situation... Il se réveillait au château des Douze... Ce n'était pas un souvenir... Il parlait avec Obsidian. Il lui disait que les lieux étaient son plan astral. Et qu'il voulait le rencontrer... Mais qu'est-ce qu'il se passait ?
— Tu ne dis plus rien... Moi qui pensais que tu avais des tonnes de choses à me demander...
Bien évidemment que Ren avait des milliers d'interrogations. Sur la situation, sur le dieu en lui-même, ses plans, des tas de choses ! Mais il était complètement paralysé par la terreur. L'aura d'Obsidian le terrifiait. Le dieu se mit en tailleur sur la banquette de la fenêtre. Ren sentait qu'il le regardait, mais par crainte il n'osa pas lever les yeux.
— Tu ne t'es donc jamais demandé pourquoi tes yeux étaient devenus subitement jaunes après être devenu le Gardien de ma sœur... Pourquoi ton œil droit n'était pas en aigue marine comme tous les autres...
Si, il se l'était demandé...
— Tu ne t'es jamais demandé pourquoi ton cœur était en cristal...
Ça aussi il s'était posé cette question à maintes reprise, mais il en avait la réponse. Il se dit qu'il fallait au moins qu'Obsidian le sache...
— Bien sûr que si... C'est parce qu'Aguamarine a été transpercée au niveau du cœur au moment de mourir... Alors que les autres se sont fait arracher l'œil droit...
— Et qui d'autre qu'elle s'est fait transpercer le cœur...
Ce n'était pas une question, Ren l'entendait à l'intonation d'Obsidian. Il fouilla dans sa mémoire, lors du jour de la Dislocation... Il le savait d'avance mais il visualisa à nouveau les derniers instants d'Aguamarine. Ce moment où elle avait combattu Obsidian puis l'avait empalé. Elle était morte avant, mais Obsidian s'était ensuite écroulé, blessé à mort au niveau du cœur...
— Exactement, dit Obsidian.
L'expression et le coup d'œil rapide de Ren avaient répondu à sa place.
— Mais tu as accepté la première réponse qu'on t'a offerte, la plus logique et simple, et tu n'es pas allé plus loin...
Le cœur de Ren émit un battement sourd. Il déglutit.
— Il y a des tas de questions que tu t'es posées Ren... Tu as obtenu des réponses à chacune d'elle, mais ce n'étaient pas les vraies réponses. Juste des explications qui t'allaient bien sur le moment... Et par la suite tu ne t'es plus jamais posé ces questions là...
Ren dut admettre que le dieu avait raison... Avec sa mission de Gardien, il s'était demandé des tas de choses. Certaines avaient trouvé des réponses, d'autres non... Et il n'avait pas cherché à creuser plus loin...
— Tu ne t'es pas demandé pourquoi tu possédais des souvenirs qui n'appartenaient pas à Aguamarine. Ni pourquoi tu avais en ta possession des éléments sur moi qu'elle n'avait pas...
Ren se souvint de ce moment étrange où la déesse lui avait reproché de mentir ou d'inventer des choses. Comme quoi il ne pouvait pas se rappeler de choses qu'elle n'avait pas vécu...
— Ni pourquoi tu étais le seul parmi les Gardiens à se souvenir de ce que moi seul avait vécu, poursuivit Obsidian.
Le brun sentit son corps se congeler un peu plus d'effroi... C'était vrai... Il se rappelait de choses que seul le dieu avait vécu. Sans aucun des Douze autour comme témoin. Ça voulait dire que...
— Joue.
L'ordre coupa net le flux de ses pensées et Ren risqua un coup d'œil à son interlocuteur. Il attendait, la joue posée contre son poing fermé, le coude planté sur le genou et assis en tailleur. La tête vidée, Ren poussa un autre des pions, sans savoir si son coup servirait à quelque chose.
— Enfin bref, il y a plein de choses qui tu as mises de côté Ren, sous prétexte qu'elles avaient leur réponse.
Obsidian bougea une autre de ses pièces, libérant la voie vers les plus puissantes du plateau.
— Mais il y a une seule question à laquelle ni toi ni les autres Gardiens n'avaient jamais trouvé la réponse. Vous enquêtez depuis des mois sur votre ennemi commun. Vous cherchez à savoir ce que je suis devenu après la Dislocation.
Ren sentait qu'il n'arrivait plus à penser ou respirer correctement. Obsidian, le dieu qu'ils cherchaient tous était devant lui... Il lui parlait... Mettait à jour ces grains de sable dans l'engrenage et obligeait Ren à mieux réfléchi sur ces grains de sable.
— Vous ne vous êtes jamais demandé si moi aussi je n'avais pas survécu à cette Dislocation comme les Douze. Si moi aussi je n'avais pas trouvé un Gardien. Non, pour ces dieux j'étais présumé mort et disparu et je n'étais donc nulle part dans les mondes.
— On... Les Gardiens auraient forcément déjà croisé ton Gardien s'il existait, expliqua Ren.
Aucun des Douze n'avait mentionné cette possibilité... Jamais ils ne s'étaient dit qu'un Gardien d'Obsidian le Treizième pouvait exister. Tout simplement parce que les Gardiens s'étaient tous croisés les uns les autres plusieurs fois au fil des millénaires et n'avaient jamais rencontré celui d'Obsidian... Il n'avaient donc jamais soupçonné son existence.
— Ils... Aucun Gardien n'a trouvé le tien depuis quatre milles ans...
Il apprenait son existence aujourd'hui même et ne s'en était jamais douté. Comment un tel être pouvait exister sans jamais se faire découvrir durant des millénaires ?
— Faux, dit doucement Obsidian. Les autres Gardiens l'ont déjà rencontré.
Alors quoi ? Encore des mensonges et des omissions ? Si c'était vrai, pourquoi aucun des Douze ne l'avait signalé ?
— Plusieurs fois même... Ils ont même fait un pacte de sang avec lui. Et ce sans jamais se douter que c'était mon Gardien.
— Dans ce cas qui est-il ? demanda Ren en levant les yeux.
Obsidian le fixait intensément mais cette fois Ren se sentit incapable de baisser les yeux. Comme si il était prisonnier de ce regard. Il sentit toutes les craintes du monde courir dans ses veines et la peur le pétrifia sur la place. Et il était incapable de se soustraire à ce regard si dérangeant. Cet œil jaune et ténèbres et cet œil noir.
— C'est si simple et si évident. Des Gardiens aux yeux jaunes. Sans œil d'aigue marine. Au cœur de cristal. Possédant les souvenirs d'un dieu déchu... Et ça ne t'a donc jamais traversé l'esprit ?
Le cœur de Ren se mit à battre de façon chaotique et une douleur insupportable accompagna chaque contraction. Jamais il n'avait ressenti une telle terreur, couplée à la désillusion la plus totale.
Il réalisa.
Et la seule chose qu'il voulut faire sur le moment était de s'arracher le cœur de la poitrine.
Ce cœur qui était un corps étranger.
Qui ne lui avait jamais appartenu...
— Joue.
Ren baissa le regard sur les pièces d'échec devant lui et se rendit comte qu'il ne pouvait jouer que d'une seule façon. Et en jouant ce coup, il signait la fin de la partie et sa défaite. Si il bougeait son pion, les pièces d'Obsidian seraient alors placées de la meilleure façon possible pour capturer l'intégralité de ses pièces à lui... Il trembla en avançant sa main, indécis...
— Allez Ren. C'est simple... Evident. Tu ne peux pas faire autrement.
Mais Ren refusa de bouger sa pièce, comme si ça changerait quoi que ce soit à son avenir qui était désormais scellé...
— Tu as compris Ren. C'est moi le maître du jeu et de ta destinée...
Sans attendre que le brun agisse, Obsidian bougea le pion à sa place, sacrifia une de ses pièces, puis joua son tour. En un seul coup il balaya l'ensemble des pièces restantes de son adversaire.
— Échec et mat Ren. Il est l'heure de rentrer dans ton monde...
— Non... murmura le brun.
Il avait l'impression de suffoquer. Qu'une main invisible lui enserrait la gorge... Que ses chimères qui rôdaient toujours dans l'obscurité de la nuit et qui l'observaient dans le noir après ses cauchemars étaient en fait un seul et même monstre. Et ce monstre était en face de lui.
— Tu as une dernière chose à me dire peut-être...
Il avait une seule question à poser, même s'il en connaissait maintenant la réponse. La seule question que tous les Gardiens s'étaient toujours posés.
— Où est-ce que tu te caches ?? Où es-tu ??
Obsidian pencha la tête sur le côté, d'un air ennuyé.
— Aguamarine te l'a déjà dit...
Il posa sa main sur son cœur.
— Elle te l'a dit... « Je le sens là... Je sais qu'il est toujours là ».... On est mort ensemble le jour de la Dislocation.
Ren ne voulait plus le croire... c'était impossible...
— Et plus jamais nous n'avons été séparés tous les deux, termina Obsidian.
Le temps s'était figé... Ren se sentait glacé... Terrorisé... Il ne voulait pas le croire. Il ne voulait pas accepter... Ce n'était pas vrai...
— Allez Ren, il est l'heure de se quitter... Tu ne te souviendras pas de cette conversation. Ça sera comme si elle n'avait jamais eu lieu. Tu te réveilleras dans ton monde. Tu retourneras à ta vie normale...
— Non !
Il ne pouvait pas tout oublier. Tout ce qu'il venait d'entendre chamboulait totalement de la mission des Douze. Ces informations étaient cruciales. C'était ce qu'ils cherchaient depuis des mois. Il avait enfin des réponses... Il savait enfin que le monstre qu'ils devaient combattre avait en réalité toujours été à côté des Gardiens... Avec sa sœur Aguamarine depuis le tout début...
En lui...
— Rentre chez toi Ren, répéta Obsidian. Continue de vivre comme si de rien n'était. Continue de chercher les Gardiens restants. Continue de croire qu'il s'agit du seul moyen de m'affronter. Continue de croire que c'est la seule solution. La plus simple et logique.
Le cœur de Ren manqua un battement. Puis un deuxième. Avant de se taire complètement. Le brun porta une main à sa poitrine. Il avait l'impression que quelqu'un venait de lui transpercer le torse avec une barre de fer chauffée à blanc... En face de lui, Obsidian le fixait. Son œil jaune et son œil noir formaient le regard le plus terrifiant au monde.
— À bientôt Ren... On se recroisera quand toutes ces histoires seront terminées.
L'adolescent sentit alors la banquette en tissu du banc se dérober sous son poids. Son corps chuta dans les abysses et il voulut hurler à pleins poumons. Mais il n'en avait plus la force, ni le souffle... Tout ce qu'il sentait c'était sa poitrine en feu et son corps paralysé par la peur...
Il se fit engloutir par les ténèbres et perdit connaissance...
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