trois

Chapitre 3
« Une meilleure amie disais-je. »

Tom pose ses mains sur le bas de mon dos m'obligeant à avancer vers l'affluence. Mes talons me poignardent et la musique m'irrite. J'en suis peut-être même étourdie, mais cela m'importe peu. Je préfère me concentrer sur ma respiration afin de ne pas perdre la raison. Je dois m'amuser comme ces centaines d'adolescents qui se déhanchent dans cette pièce sombre et asphyxiante. Alee sourit, elle me tend ses mains pour m'attirer sur la piste de danse. Je peux bien essayer. Je lui souris en retour en déposant mes mains dans les siennes. Sa mine ahurie me satisfait. Je dois lui prouver que, parfois, je peux ressembler à la fêtarde qu'elle est.  Pourtant, j'ai l'impression de perdre de l'assurance à chaque pas.

« Une soirée, une seule. »

Ces mots résonnent dans ma tête. Je regarde derrière moi où Tom salut toutes les filles minimalement jolies qu'il croise. Je soupire, il n'a pas changé. Nous sommes au centre de la piste, prêtes à se déchaîner comme ils le font tous, mais je noue mes mains devant moi, immobile. Alee s'avance vers moi et les détache tout en me regardant droit dans les yeux.

Laisse-toi allez Mila.

J'aimerai bien l'écouter et pouvoir, ne serait-ce qu'en un seul claquement de doigt, commencer à danser et, si facilement, embraser la pièce de ma nonchalance, mais mes pensées d'adolescente complexée m'obligent à rester tel que je suis. Une partie de moi souhaite se laisser aller au son de la musique tandis que l'autre me paralyse sur place. Je remarque, en levant la tête, la masse de gens qui m'encercle. Ils hurlent mon prénom et m'applaudissent. Je les regarde d'un regard perdu. Je chancèle maladroitement, mes talons me paraissent si hauts. Je suis prise de vertiges.

« La vie est une succession d'instants, vivre chacun d'eux est réussir. »

Je ressasse cette phrase qui m'a été dite pour une raison précise. Dehors, il y a quelques instants, je sais que cette jeune fille ne m'a pas craché ses mots délibérément. C'était comme si elle constatait l'ampleur de tout ça, de mon mal-être. Je crois que je ne la remercierai jamais assez pour ces quelques mots si révélateurs pour l'âme. Sereinement, en réfléchissant à ses paroles, je prends la décision de suivre le courant au lieu de me battre contre. Pourquoi tout me paraît clair qu'à présent. Peut-être que ce moment de certitude ne durera qu'un millième de seconde, mais je me promets lucidement de ne pas les gaspiller, pas ce soir. Sans vraiment savoir ce que je fais, je lève mes bras en l'air, mine de rien, puis tourne sur moi-même. Je m'arrête et, involontairement, je souris à pleine dent comme si, à cet instant précis, je venais de naître une seconde fois. Alee m'examine pendant que la totalité des adolescents présents autour de nous m'acclame. Elle fonce sur moi, le visage crispé laissant transparaître sa colère. Au même moment, une brune éméchée titube et heurte Alee dans sa lancée l'empêchant de m'agripper le poignet. Elle s'égare dans de brèves excuses, mais se tait dès qu'elle constate l'état de la robe d'Alee. Celle-ci maintenant tachée d'un liquide brunâtre.

Pire soirée de toute ma vie. Crois-je l'entendre dire.

Mécontente, Alee disparaît dans la foule. Sans vraiment m'y attarder, mes pensées prennent le dessus et, cette fois-ci, cela n'a rien de particulièrement négatif. Mes mains se promènent aléatoirement dans mes cheveux. Mes hanches se balancent et, pendant un instant, j'ai l'impression que la Terre cesse de tourner. Je respire fort et les gens autour de moi me paraissent si insignifiants. Mes mouvements disgracieux s'enchaînent, la confiance m'inspire. Je reste comme cela,  seule, à bouger comme si ma vie en dépendait. Je me sens légère. Deux bras forts m'entourent subitement et un corps robuste se plaque au mien. Je souris malicieusement. J'accentue mes mouvements, j'exagère grandement. Ses mains se promènent le long de mes cuisses, ses lèvres effleurent mon cou. Sans réfléchir, je pivote vers celui qui m'offre cet épisode aussi délassant qu'inhabituel. Ses yeux me scrutent. Il penche sa tête vers mon oreille.

Tu viens chez moi ou on va chez toi?

Il s'écarte, un sourire pervers aux lèvres. Ma bouche est entre-ouverte, mais aucun son n'y sort. La musique devient soudainement si forte que j'en protège mes oreilles. C'est déjà terminé. Je balaye la pièce d'un court regard. Une larme s'échoue sur ma joue. Dépourvue, je le pousse. Il me regarde, outré et désemparé. J'essuie la larme qui consume ma peau. N'étant pas capable de soutenir son regard plus longtemps, je flanche, puis cours. Je bouscule ces êtres qui me répugnent en ces brèves secondes. J'atteins enfin le bar où nos verres reposent encore. J'attrape le mien que j'avais déposé un peu plus loin que les autres. J'avale le contenu si vite que ma conscience ne put assimiler cet acte irrationnel. Le gin me brûle, je tousse. Je me racle la gorge essayant désespérément de masquer l'horrible goût qui persiste. Un haut le cœur m'ordonne de trouver les toilettes. Telle une enfant égarée, je hurle le prénom de ma meilleure amie.

ALEE.

Mon regard est voilé de larmes, mon visage me semble complètement mouillé. J'agrippe l'épaule de la première personne se trouvant sur mon chemin.

Les toilettes. Où sont-elles?

À en juger la manière dont il me regarde, il n'a guère l'intention de me répondre.

Je vous ai posé une question. Où sont les toilettes?

Mon maquillage me fait mal aux yeux, c'est à peine si j'arrive encore à discerner l'homme devant moi.

Là-bas. Finit-il par me répondre en me pointant du doigt un mince couloir au fond de la pièce.

Je longe les murs en m'y accrochant de temps en temps. J'ai la tête qui tourne, je suis étourdie. Impossible que ce soit l'alcool qui fasse déjà effet, impossible. Je secoue ma tête espérant améliorer  la situation. J'entre dans le couloir semi-éclairé par des néons ordinaires. J'entends des voix dont celle d'Alee qui me parvient faiblement.

Alee. Alee, je veux partir d'ici.

Je tente d'articuler mes mots, mais ma mâchoire est endormie et ma voix pratiquement inaudible. Je saisis quelques bribes de leurs conversations.

Tu l'as bien mis dans son verre?

J'essaie d'écouter, mais ma vision se trouble et je n'arrive plus à me concentrer.

Si Mila le boit...quelques minutes avant d'agir.
...son plus bel anniversaire.

Des rires moqueurs et atrocement malsains résonnent jusqu'à moi. Mes jambes tremblent, le couloir m'étouffe. Je m'agenouille, ma tête s'écrase contre le mur. Je discerne des bruits de pas qui se dirige vers mon corps inactif. Je crois voir une silhouette me prendre dans ses bras.

Regardez qui voilà.

J'essaie de me débattre, mais je ne me contrôle plus. J'arrive à peine à bouger le bout de mes doigts. J'entends toujours les rires, mais impossible de savoir s'ils proviennent du fond du couloir ou d'à côté de moi.

J'espère vraiment que demain tu ne te souviendras de rien. Me chuchote une voix féminine à l'oreille qui, j'en suis pratiquement certaine, est celle d'Alee.

Abattue et perdante, je ferme mes yeux, puis mes paupières furent trop lourdes pour que je puisse les ouvrir à nouveau.

BLACK OUT

Je ris, je ris tellement que j'en ai mal aux joues. Je réalise que psychologiquement je suis là, mais je ne sais ni l'heure ni où je suis. Je n'ai qu'une envie, celle de m'amuser. Alee me tape sur l'épaule et me demande d'ouvrir la bouche. J'obéis et elle dépose une pullule blanche sur celle-ci.

Maintenant, avale.

Je ris, je ris tellement que j'en ai mal aux joues et je m'exécute.

[...]

Mon cellulaire vibre, je le saisis. Celui-ci s'ouvre sur un blog, j'ai les idées floues, je ne suis pas certaine de comprendre de quoi il s'agit.

Prise à 03 :28 a.m

| On dirait bien qu'elle s'est enfin décidée à sortir de sa chambre. Elle n'est pas prête d'oublier cette soirée. Joyeux anniversaire Mila.

Kiss,
Discreet Woman.

Je regarde l'heure, il est trois heure cinquante-deux. Cette photo est récente.

Mila, tu vas bien?

Alee m'interroge. Je lève mon verre en guise de réponse.

Fêtons.

[...]

Je me déshabille. Je cours vers le lac. L'eau est froide, mais je ne sens rien. Ça doit être l'alcool qui circule dans mon sang.

[...]

Le soleil se lève à l'horizon. Je verrouille la porte d'entrée derrière moi. J'entre dans ma chambre et me laisse tomber sur le lit.

BLACK OUT

j'ai retrouvé, avec surprise, le chapitre trois que je croyais avoir perdu dans mon ancien ordinateur qui est maintenant totalement mort. J'espère que cela vous a plu.

si tu es Mila, tu comprendras.
— phy

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