deux
Chapitre 2
« La fête ne fait que commencer. »
Cela fait au moins trente longues minutes que nous longeons la route principale. J'ai froid, dénudée comme je le suis.
📩Tommy Williams
Reçu à 21:08
« On s'impatiente ici. »
— Tommy vient de m'envoyer un message. Criais-je par-dessus la musique faisant vibrer les fenêtres de la voiture.
— Quoi? Pouffe-t-elle en réalisant que je viens de lui parler.
Je diminue le volume de la radio.
— Tommy s'impatiente, il vient de m'envoyer un message. Soupirais-je.
— Passe-moi ça. Rit Alee en extirpant brusquement mon téléphone de mes mains.
Une enseigne clignotante attise ma curiosité, pendant tout ce temps, je n'ai pas réalisé que le moteur avait cessé de tourner. Un bâtiment en béton sal et vieux se tient devant nous. Rien de très extravagant pensais-je. Un bar parmi tant d'autres qui ne vérifiera pas notre âge et qui nous laissera entrer. En parlant de bars illégaux, en voici un. Des panneaux fluorescents éclairent la façade. Certaines lettres sont encore visibles tandis que quelques-unes sont dans la noirceur du ciel, éteintes.
B E B E C L U B
— Mi' réveille-toi, ils nous attendent. Me réveille Alee en claquant des doigts devant mes pensées de lunatique.
J'observe une dernière fois l'apparence de l'endroit où je serai enfermée pour les prochaines heures. Mon estomac se noue. J'ouvre la portière qui grince sous la pression de ma main. Le vent frais me fait mal au visage, il ne me rassure pas comme à son habitude.
— Une soirée, une seule. Répétais-je mot pour mot.
Alee m'agrippe le bras tout en gambadant légèrement. Je veux m'enfuir, loin. Mon souffle se coupe lorsqu'elle se fraye un chemin dans l'établissement sans me tenir la porte métallique; celle-ci se refermant automatiquement devant moi. Je reste figée, effrayée. Le silence de la nuit bourdonne à mes oreilles. Je regarde derrière moi, puis à ma droite. Il n'y a personne. J'appuie ma tête sur la porte, puis y colle mon oreille. À l'intérieur, c'est la cacophonie. La musique, les pieds qui tambourinent le sol. Des voix se font entendre de l'autre côté, criant mon prénom sans cesse. Ils doivent avoir la gorge en feu, le souffle affaibli. Après tout, ils sont tous présents pour mon anniversaire. L'émotion me tiraille. Je m'adosse à ce qui m'empêche d'entrer et d'affronter la réalité. Je ne peux pas, je ne veux pas. Je suis si différente dans cette tenue, dans cette marée de maquillage qui m'enrobe le visage. Ils ne pourront qu'en tirer des commentaires négatifs.
Une pression se fait sentir dans mon dos. On dirait bien que quelqu'un essaie fermement de sortir de cet endroit. Je recule d'environ deux pas, intimidée par les coups de pieds rythmés qui martèlent le métal. En levant la tête, je découvre un visage angélique. Je la dévisage quoi que j'en sois plus intriguée que dégoûtée. J'observe attentivement tous ses faits et gestes. Elle sort une cigarette amochée de sa veste pale et l'emprisonne entre ses lèvres rosées d'un brillant à lèvres. Nos regards se rencontrent et, gênée, je noue mes mains devant moi en détournant le regard vers les arbres déchainés par le vent de fin de soirée. Un frottement, puis une flamme. L'odeur de la fumée frôle mes narines, je tousse. Elle est si gracieuse dans ses mouvements néfastes. Sa crinière blonde navigue sur son visage, elle repousse ces quelques mèches du revers de sa main.
— Chaque demande peut être approvisionnée. Insinue-t-elle bizarrement.
Je me tais comme si ses mots persistaient autour de nous.
— La nature n'est pas seulement tout ce qui est visible à l'œil. Elle comprend aussi le tableau intérieur de l'âme. poursuit-elle en approchant la cigarette cendrée de ses lèvres.
La tête bien haute, elle crache la fumée blanche vers le ciel.
— La vie est une succession d'instants, vivre chacun d'eux est réussir.
Ses yeux pénètrent les miens comme si elle cherchait une réponse en moi. Ses paroles, j'ai cette impression de les vivre. Peut-importe qui elle est, je comprends ce qu'elle essaie de me dire.
— Florence Scovel Shinn, Edvard Much et Corita Kent. Réussi-je à répondre. Trois artistes du temps.
Je prends une courte pause, puis continu.
— Des citations qui nous font réfléchir.
— Intelligente en plus. Lâche-t-elle avec un sourire joueur.
Sa voix neutre et assurée résonne dans ma tête. Je regarde derrière moi par habitude, puis pivote vers elle pour lui poser une brève question. Face à moi, elle n'est plus là. Je suis seule à nouveau. Je m'accroupie à côté du mégot petit et écrasé qui autrefois se tenait entre ses doigts. Je l'effleure du bout de mon index. Elle était si déstabilisante.
— Mila, il ne manque plus que toi. Annonce Alee en tapotant sur mon épaule.
Je sursaute.
— Je ne veux même pas savoir ce que tu étais en train de faire. Ricane-t-elle. Viens.
Insistante, Alee me fait signe d'entrer. Appuyée contre la porte, c'est la première fois que je vois cette expression désespérée sur son visage. Un soupire s'échappe de ses lèvres écarlates.
— Mila, entre. M'ordonne-t-elle sèchement.
Je passe devant elle en lui souriant bêtement, puis baisse la tête. Mes talons claquent sur le carrelage craquelé qui recouvre le sol. La porte métallique se referme dans un bruit sourd m'indiquant qu'Alee me suit de près. Je place deux doigts sur une veine de mon poignet essayant désespérément de prendre mon pouls. J'inspire, j'expire. Mes battements prennent un rythme régulier, heureusement. Du plus loin que je me souvienne, cela m'a toujours aidé à me recentrer sur le présent. C'est rapidement devenu mon indispensable dans mes moments de crise, mes moments les plus sombres.
Je m'arrête. Devant moi, une masse d'adolescents réchauffés dansent sous la musique, avouons-le, momentanément sensuelle.
— Allez, je sais que tu meurs d'envie de te joindre à eux. Me chuchote Alee à l'oreille.
Elle me devance et pivote vers moi afin de me faire un clin d'œil qui m'arrache un frisson. Alee s'accoude au bar où j'aperçois des visages qui ne me sont pas familiers. Tommy la rejoint, puis la serre dans ses bras. Tous deux jettent un regard vers moi.
— Hey Mila. Hurle Tommy en secouant ses bras au-dessus de sa tête.
Je fixe le regard vide de ce garçon que j'ai aimé pendant tant d'années. Son sourire blanc me faisait craquer, m'égayait. Sa facilité à s'exprimer vivement m'impressionnait. Il était toujours là à venir me parler de tout et de rien et moi, naïve comme je le suis, j'ai cru qu'un beau jour il allait s'intéresser à une simple fille comme moi. Si j'avais su. Une fois l'année terminée, lors d'une soirée fortement arrosée où je n'avais pas cru bon de me présenter, Alee en avait fièrement profité. J'étais horrifiée, déboussolée. Pourtant, elle le savait. Mes sentiments pour lui n'avaient jamais été un secret entre nous.
Sans réfléchir, je me fraye un chemin entre tous ses corps en sueur afin d'atteindre le bar. À mon arrivée, Tommy me regarde d'haut en bas comme Alee l'avait fait plus tôt dans la journée.
— Tout en beauté pour son anniversaire à ce que je vois.
— Et tout ça grâce à moi. Se vante Alee en jetant un coup d'œil à sa manucure.
— En tous cas, Mi', je te trouve très jolie ce soir.
Mon visage me brûle et mes mains sont humides. Je ris nerveusement.
— Merci Tommy.
Je détourne le regard vers la dame derrière le comptoir. Avancée dans l'âge, assez maigre. Sa robe, un classique des années trente, lui va à ravir. Cachée derrière ses courts cheveux placés avec grands soins, deux diamants accessoirisent subtilement ses oreilles.
— Trois gin, m'dame. Demande vulgairement Tommy en levant un doigt.
— S'il vous plait. Ajoutai-je honteuse.
La femme braque son regard sur moi en fronçant les sourcils. Intimidée, j'en ai presque le souffle coupé.
— Toi, petite, j't'aime bien. Appelle-moi Bébé, tout le monde me surnomme comme ça ici. Dans les faits, c'est un peu normal étant donné, qu'ici, c'est mon club. Je vous souhaite la bienvenue. Surtout à toi, petite.
Elle allume une cigarette puis l'écrase entre son index et son majeur. Elle m'adresse un sourire en coin avant de s'éloigner. J'imagine que c'est sa manière de saluer gentiment ses clients. Trois verres glissent devant nous laissant du liquide s'échapper et éclabousser le comptoir.
— Merci Bébé. Crie Tommy afin qu'elle l'entende d'où elle est, huit clients plus loin.
Alee emprisonne mon verre entre mes mains et s'empare du siens.
— À cette soirée et à Mila. Annonce-t-elle.
Suivant leurs mouvements, je lève mon verre en l'air.
— À Mila et à cette belle soirée qui ne fait que commencer. Affirme Tommy en prenant une lampée.
Il grimace, ça n'a pas l'air si bon.
— Mila, c'est ton anniversaire, boit. Insiste Alee en pointant l'objet coincé entre mes paumes.
J'observe mon verre et le liquide qui frappe ses parois. Je déglutis. Je pince mes lèvres, puis incline le gobelet. L'odeur m'étourdis. Le gin touche mes lèvres qui commencent instantanément à picoter. Je ferme mes yeux et dépose mon verre sur le comptoir. Je grimace à mon tour. Alee rit à gorge déployée.
— Que la fête commence.
Ils y ont tous cru. Jamais d'alcool. Promesse dite, promesse tenue.
qu'avez-vous pensé du chapitre 2? personnellement, j'ai plus que hâte que vous lisiez les prochains.
si tu es Mila, tu comprendras.
— phy
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top