Chapitre 36
Qui a allumé cette foutue lumière ?! Pourquoi le sort s'acharne à ce point ?
— Éva, je t'étripe maintenant ou j'attends un peu ? dis-je en relevant la tête.
— Ce n'est pas de ma faute, je ne voyais rien dans le noir ! J'ai besoin de mon maillot de bain, on sort faire une balade en mer.
— Attends, vous allez faire du bateau ? Pourquoi personne ne me prévient ?
— Bah tu as été assez claire : "que personne ne me dérange", c'est bien ce que t'as dit non ?
C'est vrai, c'est peut-être ce que j'ai dit, mais quand même, ils n'allaient pas me laisser seule ici pendant qu'ils s'éclatent sur un immense bateau. Apparemment si, mais c'est hors de question que je les laisse y aller sans moi. En plus, Éva a déjà dérogé à cette règle en allumant la lumière.
Je saute de mon lit, enfile un maillot de bain à toute vitesse et cours jusqu'au salon où je retrouve tout le monde qui me regarde, l'air surpris.
— Tiens voilà la belle au bois dormant, dit Maya en riant.
— Bah ouais j'attendais que tu viennes me réveiller par un doux et tendre baiser.
— C'est beau de rêver.
Oh je ne te le fais pas dire. J'ai eu peu de sommeil, mais bien assez pour faire de merveilleux rêves.
Éva arrive à son tour dans le salon, mais contrairement à moi, elle arrive doucement, comme si personne ne l'attendait. En réalité venant d'Éva, ce n'est pas étonnant. Cette fille, il peut lui arriver n'importe quoi, elle fera comme s'il ne se passe rien et que la vie est rose. Ça, c'est Éva tout craché.
On pourrait rejoindre le port en empruntant les vélos qui squattent le garage, mais nous sommes jeunes, en pleine forme, et surtout super flemmards ; alors c'est dans les deux merveilleuses voitures de Mathis que nous embarquons direction le port.
Bizarrement, sans même en discuter, nous nous répartissons comme lors du trajet jusqu'ici. Pour mon plus grand bonheur, Maya se trouve à l'avant côté passager, juste devant moi.
Hier, je voulais lui rappeler tous les bons moments qu'on a pu passer. Aujourd'hui, aucune stratégie, une seule ligne directrice, l'embêter. Je vais la pousser à bout, je ne vais pas la lâcher d'une semelle. Je suis connue pour être une emmerdeuse de première, pourtant, elle a su apprécier toutes mes conneries ; c'est qu'au fond ça doit lui plaire.
Autant pour comprendre certaines choses, je prends du temps, autant pour trouver des bêtises à faire, là, il ne me faut que quelques minutes.
J'attrape quelques-unes de ses mèches de cheveux et les tire légèrement. Aucune réaction, rien. Bon très bien, on va y aller un peu plus fort. Je tire une nouvelle, mais toujours aucune réaction. Soit elle ne sent rien, soit elle se retient de m'en foutre une. Évidemment je re-tire plus fort, mais cette fois elle se retourne violemment, la main armée, prête à me mettre une grosse gifle.
— Alex la prochaine fois je te jure que tu t'en prends une, me crie-t-elle.
Je la regarde innocemment, puis mes yeux fixent sa mèche de cheveux que je tiens dans ma main. Je la regarde de nouveau, sourit, puis tire. Évidemment, madame s'agite dans tous les sens et essaye de m'atteindre pour me taper.
— Eh oh les gars, je conduis ! crie Mathis.
Maya me regarde méchamment, puis se rassoit comme si de rien n'était sur son siège. Je regarde fièrement Éva à côté de moi, qui me fait comprendre qu'elle en a marre de moi.
J'ai su rester calme cinq minutes chrono avant de trouver une nouvelle bêtise à faire. Je passe mon bras sur son côté du siège puis la chatouille comme je peux. Elle se met à gesticuler dans tous les sens et à rire aux éclats tout en me criant d'arrêter.
Évidemment, je ne m'arrête pas et continue, toute fière de ma connerie. Soudain, elle m'attrape le bras et me mord si fort que je lâche un petit cri de douleur.
— Mais ça va pas toi ! crié-je, ses crocs toujours dans mon bras.
Elle finit par relâcher mon bras, et me regarde l'air de dire "bien fait pour toi". La saloperie a quand-même réussi à faire une grosse trace sur mon avant-bras. Je peux clairement compter ses dents tellement les marques sont profondes.
— Je demande un bisou magique, j'ai bobo, dis-je avec un air de chien battu.
Je n'ai même pas le droit à une réponse. Elle se retourne comme si je n'avais rien dit et regarde la route pour éviter toute chance de croiser mon regard.
Moi, je souffre le martyr et elle, s'en fout totalement. Et après on dit qu'elle m'aime plutôt bien, je ne suis plus trop sûre de ça.
Pour le plus grand bonheur de Maya, nous arrivons au port, ce qui lui permet de s'échapper de mes griffes. Nous retrouvons les autres alors j'en profite pour leur montrer ma blessure de guerre qui se transforme doucement en un bleu.
Maya a décidé de faire l'innocente et prétend que c'est moi qui ai commencé. Je ne vois pas du tout de quoi elle parle. Mais bon apparemment tout le monde dit que je suis coupable, alors que c'est moi qui souffre !
Après plusieurs minutes à attendre, le capitaine du bateau nous fait enfin embarquer sur son magnifique navire. Honnêtement, vu ce que Mathis nous a présenté, je m'attendais à un immense yatch, mais là, c'est plutôt un petit bateau tout mignon, un voilier exactement. Je pense que je préfère de loin celui-ci à celui que je m'étais imaginé. Il a un charme incroyable et dégage quelque chose de chaleureux.
Aidé de Mathis, le capitaine largue les amarres et nous entamons notre virée en mer. Je suis subjuguée par le paysage qui semble tellement lointain depuis cette immense étendue d'eau.
Nous avons descendu nos affaires pour les mettre à l'intérieur du bateau, puis les autres se sont installés à l'arrière du voilier sur les banquettes. Le cuir noir craquelé montre que nous ne sommes pas les premiers à avoir la chance de pouvoir s'y assoir.
Pour ma part, j'ai préféré aller sur l'avant du bateau, juste à côté du davier (c'est la poulie par laquelle on fait passer la chaîne pour jeter l'ancre). Comment je le sais ? Je n'ai pas arrêté de questionner le capitaine sur toutes les parties qui constituent ce voilier. À vrai dire, j'ai encore pas mal de questions, mais j'ai bien vu que j'étais arrivée à la limite de sa patience. J'ai alors préféré m'isoler et contempler la mer d'un autre point de vue.
Si vous cherchez un endroit pour réfléchir et faire votre introspection, c'est l'endroit idéal. Malheureusement pour moi en ce moment, je ne sais pas quoi penser de ma vie.
Il y a deux mois, je ressortais enfin du lycée, le bac en poche. Tout était si facile, je ne passais pas autant de temps à réfléchir à ma vie et aux choix que j'ai fait.
J'avoue qu'auparavant je n'ai jamais douté, j'ai toujours su où je voulais aller. En seconde, je savais que j'irais en S l'année d'après. En première, je savais quelle option je prendrais. En terminale, je savais quelles études supérieures je visais. Je savais aussi que je souhaitais être loin de ma mère, quitte à m'éloigner de mes amis. C'est un choix que j'ai fait, et jusqu'à maintenant, j'en étais sûre.
Aujourd'hui, je suis juste une fille paumée qui va étudier dans une ville qu'elle ne connaît pas, qui va devoir travailler pour se nourrir et se loger. Je n'ai plus besoin de m'éloigner de ma mère puisqu'elle ne veut plus de moi, donc j'ai sacrifié mes amis pour rien. À l'heure actuelle, je doute sur tous les choix que j'ai pu faire ou que je devrais faire. L'un en particulier me prend plutôt la tête.
— Hey ! dit doucement Maya qui vient s'asseoir à côté de moi.
— Salut, dis-je à moitié concentrée sur sa présence.
— Avant toute chose, je te boude encore. Mais sans toi je n'aurais pas survécu hier soir, donc grande gentille que je suis, je suis venue voir pourquoi tu as cet air si triste.
— Je ne mérite même pas cette gentille attention.
— Ça, c'est sûr, mais ne t'en fais pas, je vais continuer de te faire la tête. Je fais juste une petite pause, dit-elle enjouée.
Elle reprend son air sérieux lorsqu'elle remarque que je ne ris pas à ce qui, habituellement, m'aurait décroché un sourire.
— T'as eu des nouvelles de ta mère ? demande-t-elle finalement.
— Non. Aucun appel, pas un seul message, rien.
Elle me regarde comme on regarde un enfant malade. Elle a de la pitié parce que c'est une bonne personne. C'est la seule chose qui l'ait poussé à venir me voir.
— Tu n'es pas obligée de rester tu sais. Je me suis pris un petit retour à la réalité assez violent et ça fait mal. Mais ça va passer, ça va aller mieux.
Je vois dans ses yeux qu'elle n'a pas envie de me laisser, mais elle finit par se relever et part rejoindre les autres comme je lui ai vivement conseillé. Je respire un grand coup et fais le vide dans ma tête, je ne dois plus penser à ces choses jusqu'à la fin du voyage. Je vais profiter de chaque minute, et cette fois, aucune pensée ne viendra me perturber. Il faut vraiment que je mette en OFF l'option réfléchir.
Je rejoins tout le monde à l'arrière du voilier et me plonge rapidement dans l'ambiance joyeuse, rythmée par les garçons qui s'amusent à imiter Manelle. Je regarde Maya qui rit, puis elle pose ses yeux sur moi.
Je vais bien. C'est le message que j'essaye de lui faire passer grâce à mon sourire. Elle finit par me sourire en retour comme pour me signifier qu'elle est là s'il y a besoin. Je ne l'ai peut-être pas définitivement perdue finalement.
Le bateau s'arrête en plein milieu de la mer nous permettant, si nous le voulons, de nous baigner. Mathis est assez réticent au début, mais il finit par sauter du bateau pour rejoindre Hugo et les deux autres zigotos, Billy et Samy. Maya, elle, est toujours hésitante.
Je pense qu'elle a sincèrement besoin d'aide pour se lancer, alors je m'approche doucement derrière. Je ne suis pas très discrète, mais suffisamment pour ne pas me faire repérer. En une seconde, je la pousse d'un grand coup pour la faire tomber. Elle lâche son plus beau hurlement avant de s'éclater dans l'eau.
Lorsqu'elle remonte à la surface, totalement désorientée, elle parvient tout de même à me jeter un regard noir.
Je finis par les rejoindre en réalisant mon plus beau salto ; oui je me la pète totalement. J'ai à peine le temps de sortir la tête de l'eau que Maya m'éclabousse de toutes ses forces. Je n'arrive plus à ouvrir les yeux alors je me défends comme je peux en l'éclaboussant en retour. Elle finit par s'agripper fermement à mon cou.
— Ok stop, c'est bon, arrête, tu vas finir par me noyer ! me dit-elle en essayant de reprendre son souffle. Elle me regarde alors avec ses yeux de petite fille et me demande : je suis vraiment la cousine reloue de Mathis que tu as prise pour un jouet ?
— Maya...
Elle me regarde avec ses yeux presque remplis de larmes, et je vois alors à quel point je l'ai blessée. Ma gorge se noue, mon ventre se serre, et la culpabilité qui m'accompagne depuis quelques jours refait surface.
— Je suis tellement désolée pour toutes les bêtises que j'ai pu te dire, dis-je en baissant la tête, honteuse.
— Je t'ai fait quoi pour mériter tous ces mots horribles ?
— Rien du tout, tu ne mérites pas d'être traitée comme je l'ai fait. Je veux me rattraper, tu me manques et j'aimerais seulement que tu me laisses une toute petite ouverture pour que je puisse te montrer que je te veux dans ma vie.
Elle essaie de cacher son sourire, mais je vois bien son petit rictus.
— Je t'accorde une après-midi pour me montrer que tu es un peu moins stupide.
— Vendredi après-midi, pour que je puisse m'organiser, dis-je toute excitée.
Elle accepte puis se détache de moi pour remonter sur le bateau. Entre-temps, Éva s'est décidée à sauter à l'eau, alors je la rejoins en nageant au plus vite.
— Tu ne vas jamais me croire ! lui dis-je.
— Maya te pardonne ? demande-t-elle.
— Non pas encore, mais je passe tout l'après-midi avec elle vendredi. Je vais pouvoir lui dire tout ce que j'ai sur le cœur depuis lundi.
— Oui enfin ne t'emballes pas trop non plus. Je te connais à te précipiter comme ça tu risques encore de dire des trucs super maladroits.
Éva sait comment me faire redescendre de mes petits nuages en trois secondes chrono. Après, il est vrai qu'elle n'a pas tort, je suis tellement maladroite qu'avec toutes les bonnes attentions du monde je pourrais quand même faire tout foirer. Alex, c'est ta chance, cette fois ne te loupe pas.
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