Chapitre 11
— Alex ! Réveille-toi ! Allez ma vieille.
J'ouvre les yeux et me redresse pour savoir qui ose me déranger alors que je pensais être seule. C'est Éva. Pas si surprenant, pourtant je me demande ce qu'elle fait là.
— Mais qu'est-ce que tu fous ici ? demandé-je perplexe.
— Bah écoute, vu que tu ne réponds plus, je suis obligée de passer tous les jours pour voir si tu vas bien. Il se trouve que lorsque j'ai toqué, personne ne m'a répondu. La porte était ouverte alors je suis rentrée.
— Tu es au courant que je peux porter plainte contre toi, tu es sur une propriété privée.
— Eh bien porte plainte si tu veux, mais avant tu vas aller prendre une douche.
Elle me pousse du canapé sans aucune délicatesse et m'oblige à monter les escaliers. Dans d'autres circonstances, elle n'aurait pas pu me bouger, mais là, tout mon corps ne répond pas. Mes muscles sont complètement endormis.
Elle me pousse jusqu'à la salle de bain, comme si elle accompagnait une prisonnière. Elle me laisse alors seule dans la pièce, mais je ne bouge pas. Le silence finit par l'interpeller.
— Allez Alex, prends cette foutue douche sinon je viens te forcer, et tu sais très bien que tu n'es pas en état de te défendre.
— Ça, c'est du viol madame.
— Arrête tes bêtises et dépêche-toi.
Elle ne lâchera pas l'affaire, c'est sûr. Je finis par craquer et prends une douche qui dure un bon moment. En même temps, c'était le gros décrassage, j'avais une excuse. Je sors de la salle de bain, enroulée dans une serviette et les cheveux dégoulinants.
— C'est bon ça te va ? J'ai pris ma douche, tu peux t'en aller maintenant.
— Tu comptes me repousser longtemps ?
— Je veux regarder mes séries, y'a rien de mal à ça.
— C'est à cause de ton père.
Bingo, elle a capté. Je reste muette, sentant la colère que j'avais réussi à apaiser, remonter. Je sers la mâchoire, puis les poings. « Va courir, va courir, courir » je me répète en boucle ces mots comme si la colère allait redescendre.
Mais rien n'y fait, tout remonte une nouvelle fois. Je suis trop faible, il me faut plus de temps. Mon cerveau chauffe, tout se mélange, les souvenirs. Je dois garder le contrôle, j'essaye.
Je suis perdue dans mes pensées, essayant d'atténuer mes pulsions. Le monde autour n'existe plus. Je ne vois que lui, ses cheveux bruns toujours en bataille, son large sourire réconfortant. J'entends sa voix, un brin cassée à cause de la cigarette. « Va courir ».
Tout se stoppe net lorsqu'un contact se fait ressentir sur mon torse. Un brutal retour à la réalité.
C'est Éva qui me sert fort contre elle. Elle s'accroche comme si j'allais m'échapper, m'en aller à jamais. Mes poings finissent par se desserrer, mon corps se relâche. Tous mes muscles se décontractent.
Nous restons ainsi pendant un moment, redoutant la séparation.
— Je suis là moi, finit-elle par dire doucement.
— Je sais.
Cette fois, c'est moi qui la sers dans mes bras.
Elle a réussi. Je ne sais par quel miracle, mais elle l'a fait. Personne ne pouvait calmer mes colères, ma mère avait fini par abandonner.
Le lien entre Éva et moi est bien plus puissant que ce que je ne pensais. Je savais que c'était particulier, mais pas à ce point.
Je l'ai rencontrée il y a seulement trois ans, lorsque j'ai déménagé. Vous connaissez le coup foudre amical ? C'est exactement ce qu'il s'est passé. Elle m'a accueilli dès mon premier jour et, contrairement aux autres, elle ne m'a pas demandé pourquoi j'arrivais en plein milieu de l'année. Le feeling est directement passé, et depuis, on ne se lâche plus. C'est à ce moment que j'ai compris que l'amour n'a pas de temps. On peut autant aimer en un an qu'en dix ans. Est-ce que je viens de faire entrer quelqu'un dans mon cœur ?
La journée s'est finalement passée comme je l'avais prévu : ne rien faire à part regarder des séries. Le petit détail en plus, je n'étais pas seule.
— Tu ne veux pas bouger ? Les autres vont au terrain de basket ce soir, tu ne veux pas les voir ? me demande-t-elle.
— Tu penses qu'ils m'en veulent ?
— Je pense qu'ils sont surtout inquiets, mais c'est dans ton habitude de disparaître quelques jours, ne t'en fais pas. La seule qui a l'air contrariée, c'est Maya.
— Merde c'est vrai. Je l'ai peut-être ignorée la dernière fois que je l'ai vue, dis-je innocemment.
Elle se lève et me sort des vêtements autres que mes tee-shirts de pyjama et mes shorts de basket. Pas besoin de me dire pour comprendre que, ce soir, ma vie sociale reprend.
Le terrain est complètement plongé dans le noir, seule une petite lumière au loin éclaire un petit groupe de personnes. Je stresse comme une enfant qui a fait une bêtise et qui va se faire engueuler. Je ne sais absolument pas ce que je vais dire et ça me stresse encore plus.
Lorsque j'arrive près d'eux, la seule chose que je trouve à dire c'est : hey ! Pathétique, je sais, mais c'est tout ce que j'ai trouvé sur le moment. Je m'installe et Mathis me tend une bouteille de vodka.
— Ravi de te revoir parmi nous madame.
Je lui souris en signe de remerciement et prends une gorgée de la bouteille d'alcool. Je prends en quelque sorte une dose de courage avant de regarder Maya que j'ai préféré éviter jusqu'ici.
Lorsque je trouve assez de force, j'ai vidé presque la moitié de la bouteille. Les autres dansent ou jouent au basket. Il ne reste que nous, seules. Je finis par poser mon regard sur elle, m'attendant au pire. Je m'attendais à un regard plein de haine ou d'incompréhension, mais c'est de la compassion qui finit par ressortir de ses yeux.
Je prends une grande respiration, prête à m'excuser, chose que je ne fais que très rarement, même quand j'ai tort.
— Alors comme ça, ça t'arrive de disparaître pendant plusieurs jours, me dit-elle, me coupant l'herbe sous les pieds.
— Euh ouais quelques fois.
— Tu es au courant que je m'inquiétais ? Surtout que j'étais la dernière personne à t'avoir vue, on m'aurait suspecté directement s'il t'était arrivé quelque chose.
Je ris, ravie et soulagée qu'elle le prenne comme ça. La tension redescend et ça se sent lorsqu'elle se rapproche de moi, physiquement. Sa tête vient se poser sur mon épaule alors qu'elle me raconte tout ce que j'ai raté cette semaine.
Elle est complètement à fond dans son monologue, me racontant tout jusqu'au moindre petit détail, comme si elle voulait me refaire vivre la semaine. Je bois ses paroles, je n'entends que sa voix, je ne vois qu'elle. À ce moment précis, je ne veux plus l'embrasser ou coucher avec elle. Je ne veux pas non plus la séduire. Non, à ce moment-là, je veux juste l'écouter. Entendre sa voix raconter des histoires des plus farfelues ou inutiles, peu importe. Simplement qu'elle parle, avec son air enjoué.
Elle a fini par remarquer que je ne l'écoutais pas vraiment puisqu'elle s'est arrêtée de parler et me regarde, attendant une réaction de ma part.
— Désolée, j'étais captivée par ta beauté, dis-je souriante pour faire passer ma gêne.
— Je peux te demander quelque chose ? dit-elle prenant un air sérieux qui n'annonce rien de bon.
Je lui dis oui de la tête et commence à stresser.
— C'est à cause de ton père si t'as disparu ?
Comment est-ce qu'elle sait ? Ce n'est pas un secret, mais mes amis savent que je n'aime pas en parler. Je commence à m'écarter, mais elle me prend la main, la sert fort et me regarde dans les yeux.
Elle ne bouge pas ses lèvres, aucun son ne sort de sa bouche, pourtant elle me parle. Oui elle me parle, à travers ses yeux, son regard. Elle me dit que ça va aller, qu'elle est là. Mais je ne peux pas, je n'y arrive pas. Je veux lui répondre, je veux tout lui dire. Je veux me libérer. Non s'il te plait, pas encore une fois. Il ne faut pas que ça remonte. Je dois contrôler. Courir. Courir. Vite.
C'est d'un geste doux le long de ma joue que tout s'arrête. Un contact, rien qu'un contact pour tout faire redescendre. C'est exactement ce que j'ai ressenti ce matin lorsque Éva m'a prise dans ses bras. Je n'ai plus besoin de courir, plus besoin de contrôler, elle le fait pour moi.
— Oui, c'est à cause de ça, finis-je par bafouiller.
Sa main reste le long de ma joue comme pour me protéger. Pas une seule fois elle ne l'enlève ni ne la bouge.
— Ça fait trois ans qu'il est décédé et...
Reprends-toi.
— J'étais proche de lui, je n'arrive pas encore à avancer donc c'est compliqué.
Elle retire doucement sa main et, comme si nous avions été coupées du monde, la réalité nous coupe de ce moment. Les cris de joie de mes amis refont surface, le bruit du ballon claquant au sol retentit. Le monde se fait de nouveau bruyant.
J'en profite pour m'éclipser en prétendant aller chercher de l'eau à la voiture. Je sais qu'elle me regarde, je sais que Maya a les yeux posés sur moi, je le sens.
Adossée à ma super Twingo, je respire, profondément. Je reprends des forces comme si j'allais entrer dans une arène. Seulement, ici, le seul combat qu'il y a est entre mon cœur et ma tête. Or, ça fait un moment que mon cœur a décidé de ne plus m'honorer de sa présence.
Je décide de revenir comme si de rien n'était. Grand sourire sur mon visage, les épaules redressées, la tête haute. Alex est de retour !
Je ne m'arrête pas au niveau de Maya, je préfère lui sourire et lui faire un clin d'œil avant de rejoindre les garçons qui jouent au basket.
Son regard a basculé, il n'est plus rassurant ou empathique. Non, il est comme avant, joueur, séduisant.
Avec Maya, c'est clairement les montagnes russes. Des fois, j'ai cette impression de la connaître depuis des années, comme si c'était une partie de moi. En revanche, lorsque cette impression disparaît, elle devient une inconnue que je veux. Une jeune fille que je désire plus que tout. Un jeu qui m'obsède. Un jeu compliqué qui, pour une fois, ne joue pas avec mes règles. Je l'aurai, c'est sûr, mais à quel prix ?
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