— Alors, lui souffla Ashley, tu peux m'expliquer maintenant ?

— Je ne peux pas te dire plus que ce que tu sais déjà, répliqua Natalya en prenant un air désolé. J'ai juste passé une mauvaise nuit et...

— Tu as bu, la coupa brusquement Ashley. Beaucoup, vu l'état dans lequel t'étais ce matin. Dis-moi ce qu'il s'est passé !

Natalya ne savait pas vraiment si c'était à cause de son inquiétude ou de sa migraine, mais les questions d'Ashley commençaient à l'agacer sérieusement. Elle exhala un long soupir pour essayer de se calmer, sans grand succès.

— J'peux pas...

— Et pourquoi ? la défia Ashley en se penchant vers elle.

— Mais occupe-toi de tes affaires, à la fin! chuchota Natalya, exaspérée. J'ai pas envie d'en parler, point final! Laisse-moi tranquille.

Réfrénée, Ashley se laissa aller contre le dossier de son siège, les lèvres serrées. Sur le moment, Natalya ne se remit pas en question et haussa les épaules: après tout, les états-d'âme d'Ashley ne l'intéressaient pas. Natalya Ivanov ne se souciait de personnne. Et elle avait des problèmes plus importants pour le moment. Elle fit mine de suivre le cours en ne portant pas vraiment attention à l'air blessé qu'arborait Ashley.

— Qui peut résumer ce que je viens de dire? Demanda le professeur d'histoire en braquant son regard sur Natalya. Miss Inchov?

— Heu...non, avoua Natalya sans chercher à tergiverser. Non, je ne sais pas. 

Le petit homme chauve plissa les yeux, se rapprochant du bureau de l'adolescente.

— Non? répéta-t-il. Il faut apprendre à écouter, miss. La rigueur, vous savez? Enfin, ce que vous avez fait hier nous prouve que ce n'est pas votre point fort, hum?

Natalya se figea aussitôt, ayant soudain très chaud. Était-ce une coïncidence ou son professeur savait ? Si c'était le cas, cela signifiait que la police la recherchait activement et que dès qu'elle mettrait un pied hors du lycée, les autorités allaient lui tomber dessus. S'obligeant à respirer profondément, elle demanda:

— Qu'est que j'ai fait hier?

Le professeur fronça les sourcils en l'observant, se demandant si elle se moquait de lui. Mais Natalya retenait son souffle, le cœur tambourinant dans sa poitrine. S'il était au courant, elle allait avoir de gros problèmes.

— Eh bien... vous avez quitté l'établissement sans prévenir durant toute une après-midi, s'exclama-t-il.

La tension de Natalya se relâcha d'un coup et elle expira imperceptiblement : ils ne pensaient pas à la même chose. Quelle idiote, elle aurait du s'y attendre. Elle haussa nonchalamment les épaules tandis que le professeur repartait au tableau en grommelant. Soudain, Natalya croisa le regard de Jayden, assis de l'autre côté de la classe. Il la fixait bizarrement en arborant un rictus moqueur. Mais en voyant qu'elle fronçait les sourcils, il détourna le regard. La jeune mafieuse espérait qu'il n'avait pas remarqué son trouble.

A la Mafia, personne ne montrait ses émotions, personne ne laissait transparaître ses pensées par son expression faciale ou corporelle. Il y avait toujours ce masque de froideur et d'indifférence caractéristique des assassins. D'ailleurs, Lev excellait dans ce domaine. Natalya ne savait pas toujours ce qu'il ressentait. Même en sa présence, son frère gardait son rôle de Parrain, restant direct, clair. Il se tenait toujours droit et il émanait de lui une aura dominante. Par les seules lignes de sa posture, il pouvait intimer le silence. Un simple regard glacé inspirait l'obéissance, vous transperçant de part en part. Il savait si une personne lui disait la vérité rien qu'en observant son langage corporel et comment manipuler les gens. Oui, Lev était fait pour diriger la Mafia russe. Mais Natalya n'était pas si sûre d'elle. Elle était plus efficace seule qu'en groupe car elle ne savait pas motiver les autres et détestait qu'on lui donne des ordres.

Avant d'intégrer la mafia à part entière, l'adolescente était partie dans un centre de formation directement rattaché à l'organisation à l'âge de dix ans. Situé en Sibérie, il abritait d'anciens assassins, mafieux et espions très redoutés et dont les noms étaient très populaires dans la Mafia. L'enseignement y était très strict et très exigeant. La plupart des élèves ne parvenaient pas à obtenir le tatouage en forme d'étoile à cinq branches, signe de l'accomplissement de la formation et devaient tout recommencer. Les maîtres étaient alors encore plus durs durant cette deuxième tentative, usant de la violence, de la torture physique et mentale.

Natalya n'avait pas réussi sa formation la première fois. Elle maîtrisait l'art du mensonge, savait se servir d'armes en tout genre, parler couramment une dizaine de langues, avait dépassé le niveau des ceintures dans plusieurs arts martiaux différents, pouvait résister à la violence physique et l'informatique n'avait pas beaucoup de secrets pour elle.

Mais quand son maître d'armes lui avait ordonné de tuer un de ses camarades de sang froid, elle avait hésité. Pas bien longtemps, elle savait que sa réussite en dépendait, mais les trois secondes où elle avait fixé le regard résigné d'Alexei étaient de trop. Quand son doigt avait enfin pressé la gâchette et que la balle s'était enfoncée dans le crâne du jeune homme, Natalya avait croisé le regard de son instructeur, et elle avait su à ce moment précis qu'elle avait échoué. Elle n'avait obtenu le tatouage en forme d'étoile qu'après sa deuxème formation, à l'âge de ses seize ans.

Ce n'avait pas été sans conséquences, les marques sur sa peau en témoignaient. Mais c'était terminé, et la jeune mafieuse était à présent un assassin accompli, un peu trop, même. Et se trouvait dans un véritable pétrin.

En sortant du cours, l'adolescente croisa le regard peiné d'Ashley. Elle trouva cela dérisoire: La jolie blonde menait une vie tranquille, fade, sans heurts. Elle ne pouvait pas savoir ce qu'était la véritable peine.

***

De son côté, Ashley sortit de la salle sans adresser la parole à Brooke. Elle ne savait pas ce qui avait poussé son amie à être aussi désgréable avec elle. Et puis, son attitude était assez étrange ces derniers jours. Avec Jayden, même si il était clair que ces deux là ne pouvaient pas se voir. Puis, Brooke débarquait chez elle complètement désorientée. Mais Ashley ne connaissait pas son amie depuis très longtemps. Que cachait-elle? Que faisait-elle quand elle partait du lycée? Ashley n'était pas idiote et, à bien y réfléchir, Brooke était étrangement compétente. Elle avait des notes excellentes. Elle savait conduire une moto avec adresse et faire de la boxe. Mais était-ce là ses seules capacités? Un peu dépassée, la lycéenne retrouva Kylie au self. Elle posa son plateau sur la table et commença à manger, la mine sombre.

— Que se passe-t-il, Ashley ? demanda cette dernière en terminant son entrée. On dirait que tu viens d'avoir un zéro. Je peux te prendre ton steak?

— Oui, vas-y. J'ai pas très faim, de tout façon. Tu peux me prendre mon dessert aussi.

— Merci, fit Kylie en arborant un large sourire. Oh chouette, une mousse au chocolat ! Alors, qu'est-ce qu'il y a ?

— C'est Brooke, soupira Ashley en maintenant sa fourchette en l'air.

— Elle s'est encore énervée après Jayden ?

— Non, reprit Ashley, elle est vraiment bizarre, aujourd'hui. Sérieusement, il faut que je te raconte. Elle est arrivée ce matin chez moi complètement épuisée en me disant qu'elle avait passé une mauvaise nuit. Ensuite, elle est repartie et quand j'ai voulu savoir ce qui s'était passé, elle m'a envoyée paître. Et maintenant, je n'ose même plus aller lui parler. Kylie, je ne sais pas quoi faire.

Kylie réfléchit un instant avant de reprendre une bouchée de viande et de la savourer lentement.

— Je ne sais pas vraiment non plus. Tu sais, j'aime bien Brooke, mais elle semble distante. Je n'arrive pas à l'expliquer mais elle à toujours l'air préoccupée, toujours prête à démarrer au quart de tour. Même quand elle est avec nous, on dirait qu'elle pense à autre chose, qu'elle est ailleurs en même temps.

— Oui, mais tout le monde fait un peu ça, non? contra Ashley, dubitative.

— Pas à ce point. T'as vu quand elle parle à Jayden ? Elle me ferait presque peur dans ces moments là. Elle est, je ne sais pas comment dire... Froide. On dirait qu'elle te prévient de ne pas s'approcher d'elle.

— Hmmm, tu as raison. Enfin, j'espère qu'elle sera de meilleure humeur tout à l'heure et que je pourrai lui parler.

Kylie acquiesça et entama avec entrain la mousse au chocolat avant de fermer les yeux en portant la petite cuiller à sa bouche.

Quelques heures plus tard, Ashley retrouvait Kylie et Miranda à la sortie du lycée et n'avait pas revu Brooke. Mais qu'importe, sa vie ne tournait pas autour de son amie. Elle avait décidé de ne plus lui parler, très bien. Ashley allait la laisser se remettre en question dans son coin, tout reviendrait en ordre ensuite. Pour le moment, Ashley allait profiter de cette soirée avec Miranda et Kylie.

—    Est-ce que ça vous dit de venir chez moi pour faire le devoir d'anglais? Proposa soudain Kylie.

Les deux autres se concertèrent rapidement avant d'accepter.

—    Je trouve que c'est une bonne idée, apprécia Miranda. Surtout que ça fait trois jours que je suis bloquée sur ce fichu devoir, il va falloir que vous m'aidiez, les filles.

—    Pas de problème.

Les trois amies se rendirent à pied chez Kylie, qui n'habitait pas très loin, à environ dix minutes de marche. En rentrant dans la maison à la façade beige, Ashley fut assaillie de toutes parts par un petit ouragan brun.

—    Ashley ! s'écria une voix juvénile. Kylie! Je suis trop contente de vous voir!

Ashley finit par reconnaitre Zoé, la petite sœur de Kylie. La fillette était adorable et ses grands yeux bleus pouvaient persuader n'importe qui de lui céder tout et n'importe quoi, sauf peut-être Kylie qui y était absolument insensible. Ce devait être une question d'habitude.

Ashley traversa la cuisine à la recherche de la mère des deux filles, qu'elle trouva affairée à dépoussiérer les meubles du salon. Dès qu'elle l'aperçut, la trentenaire se redressa et vint à la rencontre de l'adolescente :

—    Ashley ! Comment tu vas ?

—    Très bien, Helen, sourit la jeune fille en adressant un regard chaleureux à la mère de famille. Et vous ?

—    Je vais très bien aussi ! Dis-moi si Zoé vous dérange, je lui dirai de vous laisser tranquille.

Ashley lui assura que la présence de la fillette ne l'indisposait pas du tout et rejoint ses amies à l'étage.

—    Bon, voyons voir, marmonna Miranda en scrutant l'écran de son ordinateur, j'ai commencé l'analyse de texte mais je ne sais plus quoi écrire à partir du second paragraphe.

— Qu'est-ce que c'est, une analyse de texte ? demanda innocemment la petite Zoé.

— C'est un exercice bien trop compliqué pour toi, rit Kylie. Tu n'as pas des devoirs à faire ?

La fillette croisa les bras d'un air boudeur avant de détaler hors de la chambre. Les trois amies éclatèrent de rire en se remettant à leurs devoirs. Brusquement, Miranda se figea en laissant ses doigts en suspens au dessus de son clavier.

—  Heu... les filles, venez-voir ça!

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