Avant même d'ouvrir les yeux, Natalya sentit de l'air frais lui caresser la peau doublé d'une migraine abominable, accentuée par le bruit incessant des voitures. Mal de tête. Bruit. Puanteur. Oui, puanteur. Une connexion se fit dans son cerveau, elle se rappelait vaguement de s'être étendue contre une poubelle. Mais pourquoi une poubelle? D'autres souvenirs flous et épars se rappelaient peu à peu à elle. Dépecer, faible. Sol. Kaléidoscope de couleurs floues. Rue, trottoir, passants. Bar, hommes, mort. Couteaux. 

Perturbée, Natalya ouvrit lentement ses paupières, prenant conscience de son environnement. Elle était étendue au coin d'une rue, en face du bar où elle se souvenait être allée... la veille? L'avant-veille? Elle ne savait pas, avait perdu la notion du temps. La jeune mafieuse secoua la tête, ayant l'impression d'avoir des cases vides dans le cerveau. Elle sentait que quelque chose de très important lui échappait.

Décidant que ce n'était pas une bonne idée de rester plus longtemps dans cette ruelle sale, la jeune mafieuse se leva péniblement, essayant d'ignorer sa migraine. Elle balaya les environs du regard, cherchant sa Yamaha R6 en espérant qu'elle soit toujours à sa place. Il ne manquerait plus qu'on lui ait volée. Rapidement, l'adolescente repéra son moyen de transport garé contre un muret, l'attendant docilement comme un animal de compagnie.

« C'est une chance qu'elle soit encore là», songea Natalya en l'enfourchant tant bien que mal. Elle démarra, avec l'horrible sentiment que sa tête passait au rouleau-compresseur. Il fallait qu'elle se souvienne de ce qu'il s'était passé : elle ne pouvait pas se permettre d'être inconsciente de ses actes. Natalya accéléra, partant en direction de la cinquième avenue, longeant Central Park. Son mal de tête ne cessait d'augmenter et sa résidence se trouvait encore loin. Elle n'y arriverait pas, il fallait qu'elle s'arrête. Alors, la jeune mafieuse trancha et se rendit plutôt chez Ashley qui habitait plus près de sa position actuelle. Elle accéléra, pressée d'arriver, espérant seulement que les parents d'Ashley ne seraient pas là: il y avait beaucoup de chances pour qu'ils se posent des questions en voyant arriver une Brooke sale, échevelée et encore étourdie d'alcool. Et la dernière chose dont elle avait besoin était d'expliquer à des inconnus qu'elle ne se souvenait pas bien de ce qui s'était passé durant la période où elle était sous l'emprise de la boisson.

Arrivant devant une des rares petites maisons de New York, Natalya descendit de sa moto et sonna à la porte. Et si Ashley était absente? Elle n'aurait plus qu'à rentrer chez elle, point final.

Heureusement, la porte s'ouvrit sur la jolie blonde qui lui proposa de rentrer. Natalya remarqua vaguement que son amie était en pyjama.

— Salut, Brooke! L'accueillit-elle gentiment. T'as l'air... heu... fatiguée. Mal dormi?

— Ouais... on peut dire ça, répondit vaguement la jeune mafieuse, préférant taire le peu d'évènements dont elle se souvenait. J'ai juste besoin de me poser un peu, ça ne te dérange pas ?

— Non, enfin, c'est-à-dire que ça me parait étrange que tu ne restes pas simplement chez toi. Au fait, t'étais où, hier après-midi ? Et je te rappelle qu'on doit être au lycée dans une heure. Quelle idée de venir chez moi à sept heures et demie du matin!

Assaillie de questions par Ashley, Natalya secoua la tête afin d'organiser ses pensées. Ce qui était une tâche assez difficile.

— Attends. Quel jour on est? Demanda-t-elle prudemment, redoutant la réponse de son amie.

— Sérieux, Brooke, on est mardi! Tout va bien dans ton cerveau? Mardi, tu sais, le deuxième jour de la semaine, juste avant le mercredi !

— Mardi matin...d'accord.

Natalya s'affala sur une chaise du salon, prenant sa tête entre ses mains. Elle avait passé une nuit dans la rue, mais ça aurait pu être pire. Mais pourquoi diable ne parvenait-elle pas à se souvenir de ce qu'elle avait fait au bar? La jeune mafieuse avait un très mauvais pressentiment.

— Brooke! On dirait que quelque chose ne va pas chez toi, l'appela Ashley.

Sur le moment, Natalya songea à tout lui dire, pour se délester du fardeau qui pesait sur ses épaules. Mais c'était impensable et vraiment absurde. Le réconfort et la gentillesse étaient faits pour les enfants. Elle n'en avait pas besoin.

— Ouais... Il y a quelque chose qui m'échappe, répondit l'adolescente avec découragement. J'ai pas passé une bonne soirée.

— Explique moi, alors, rétorqua la blonde en posant ses mains sur ses hanches. On dirait que t'as la gueule de bois, sérieusement.

— En fait, c'est à peu près ça, soupira Natalya. J'ai une sacrée gueule de bois.

— Oh.

Ashley, comprenant soudain l'air épuisé de Natalya, ne lui posa pas plus de questions. Elle lui offrit simplement un verre d'eau et la laissa à la cuisine tandis qu'elle allait prendre sa douche.

— Je reviens, dit-elle. Tu devrais rentrer chez toi après, histoire de te préparer.

— Oui. Encore désolée d'avoir débarqué chez toi à l'improviste.

— Ne t'inquiète pas, lui sourit Ashley. Bon, j'y vais.

Natalya hocha distraitement la tête, plongée dans la contemplation de son verre d'eau. Une inquiétude lui tordait le ventre et elle n'arrivait pas à savoir pourquoi. Elle savait qu'elle avait beaucoup bu. Qu'il y avait eu du sang. Des morts. Qu'elle avait fait une grosse bêtise, oui. Qu'elle s'était mise en danger. Mais de quelle manière ? Est-ce qu'elle avait révélé son identité à quelqu'un ? Oui, ce serait vraiment stupide et les efforts que Lev et elle-même avaient fait pour sa propre sécurité seraient réduits à néant. Le traître serait au courant de sa présence  aux Etats-Unis et ensuite... l'adolescente ne voulait même pas y penser. Mais Natalya sentait que c'était quelque chose d'encore plus grave.

Le déclic se fit quand elle remarqua une tache sur son tee-shirt. Ronde, petite, nette, comme une éclaboussure. Et au vu de la couleur, ce n'était pas une tache de gras ou de Vodka. Non, il s'agissait plutôt d'une éclaboussure de sang. Natalya se raidit sur la chaise. Elle se revoyait en train d'essuyer ses couteaux ensanglantés sur deux corps, et y prendre une certaine forme de plaisir. Mais elle ne se souvenait pas de les avoir tués!

« Evidemment que nous le savons, miss Natalya Ivanov»

Reconstituant peu à peu la scène, Natalya se figea.

— Oh, mon Dieu, murmura-t-elle en plaquant sa main sur sa bouche.

Elle avait tué deux hommes à New-York. Ce serait un miracle si elle elle n'était pas encore recherchée à travers toute la ville. Il fallait qu'elle trouve une solution, et vite ou elle aurait alors des problèmes bien plus graves qu'à la mafia.

Pour commencer, elle devait partir de chez Ashley : elle ne ferait que lui attirer des problèmes en restant chez elle. Natalya se leva brusquement et, alerte, sortit de la maison. Elle monta sur sa moto et démarra, espérant qu'elle ne se ferait pas remarquer. Et si elle appelait Lev? Il la sortirait sans doute du pétrin dans lequel elle s'était fourrée. Ou pas. Il avait ses propres problèmes, après tout, et pas des moindres. Natalya pouvait parfois paraître puérile, mais elle avait tout de même un certain sens des responsabilités. Si elle était aux Etats-unis, c'était uniquement pour sa protection et elle allait devoir régler cette affaire seule.

L'adolescente arriva sans encombre à son domicile et entra précipitamment avant de fermer la porte à clé, précaution assez dérisoire en tenant compte de la situation.

Mais qu'est-ce qui lui avait pris? Elle avait fait un véritable caprice juste parce qu'elle n'avait plus son petit confort. C'était pathétique, vraiment décevant. Natalya alla prendre une douche, découragée. Elle n'aurait jamais dû boire autant. Pourtant, Lev l'avait prévenu plusieurs fois, mais elle ne l'avait pas écouté.

En s'habillant, Natalya remarqua que sa migraine avait augmenté. Se retenant de frapper sa tête contre le mur, elle s'apprêta à repartir en direction du lycée: manquer des cours ne ferait que la rendre plus suspecte et facile à retrouver, ce qu'elle voulait éviter à tout prix.

Instinctivement, Natalya était sur le qui-vive. Chaque sirène de police retentissant au loin la faisait se crisper, elle ne cessait de se retourner toutes les dix secondes pour vérifier que personne ne la suivait. Elle ressentait ce que ressentent les proies quand elles savent qu'elles sont traquées. Toute raide sur sa moto, l'adolescente gardait la tête baissée, ses cheveux sombres masquant son visage. Ce qui n'était pas très prudent pour conduire mais elle s'en moquait. Elle savait que la plupart des rues de New York étaient placées sous vidéosurveillance et préférait donc se faire discrète.

Quand Natalya arriva au lycée, ce devait bien être la première fois qu'elle n'était pas en retard. Le cours d'histoire n'avait pas encore commencé et les élèves discutaient à voix basse, attendant la sonnerie signalant le début du cours. En s'asseyant à côté d'Ashley, Natalya remarqua que Jayden lui lançait des regards curieux. « Je me demande ce qu'il me veut encore » pensa la jeune mafieuse en baissant le regard sur sa feuille.

Elle n'écoutait qu'à moitié, essayant de réfléchir à une solution pour échapper aux autorités new-yorkaises. Mais elle avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête, elle ne trouvait pas. Brooke Inchov n'avait aucune relation dans cette ville, dans ce pays. Brooke Inchov n'était rien. Sans révéler sa véritable identité, sa seule solution était de faire profil bas.
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