Chapitre 19

Une fois Noah parti, Natalya avait à peine pris le temps de se brosser les dents et enfiler un grand t-shirt en guise de pyjama avant d'aller se coucher. Un grand t-shirt qu'elle avait piqué à son frère, quelques années plus tôt, à l'époque où ils se bataillaient encore pour savoir qui avait oublié de reboucher le dentifrice. Elle s'était glissée sous les draps le ventre encore noué, mais elle était tellement fatiguée qu'elle s'était endormie presque aussitôt, la tête lourde comme une pierre. Lorsqu'elle avait rouvert les yeux, il était déjà dix heures du matin et le soleil filtrait à travers les volets roulants. Mécaniquement, l'adolescente s'était traînée hors du lit, avait enfilé des habits amples et avait rassemblé ses cheveux en un chignon à l'équilibre douteux.

Elle détestait les fêtes. La soirée précédente avait été un désastre, et son souvenir lui laissait un goût amer sur la langue. Pour couronner le tout, elle avait pleuré comme une gamine, devant quelqu'un de surcroît.

A ce propos, Natalya avait aussi décidé de demander des explications à Lev sur la présence de Noah, aussi inattendue qu'irritante. La jeune mafieuse décida pourtant qu'elle resterait calme et écouterait ce que son frère avait à lui dire. Campée sur ses jambes, en plein milieu du salon, elle prit une grande inspiration, se cramponna à son portable et appela Lev en numéro masqué.

« C'est parti » se dit-elle en sentant son cœur battre plus vite.

Il y eut plusieurs tonalités, puis une voix automatique proposant de laisser un message. L'adolescente retint un rire nerveux. Il allait répondre. Il répondait toujours.

Deux ou trois tentatives plus tard, elle commençait à penser qu'il fallait lâcher l'affaire quand une voix un peu endormie se fit entendre.

— Oui ?

Une voix qui parlait en russe. Lev. Soulagée, l'adolescente relâcha un peu sa prise sur son portable, essayant d'avoir une voix neutre.

— Lev, c'est moi.

— Nat'... j'espère que tu as une bonne raison pour me tirer du lit à trois heures du matin.

  Elle n'avait pas pensé au décalage horaire. Tant pis. Il allait devoir l'écouter quand même. Elle prit une grande inspiration, avant de se lancer :

— Je sais  que je n'ai jamais été à la hauteur de tes attentes, commença-t-elle. Et même mon tatouage d'Assassin ne vaut pas grand-chose pour toi. J'ai conscience que je suis un poids mais que tu fais avec parce que je suis du même sang que toi. Si je n'étais pas ta sœur, je parie que tu aurais trouvé un moyen de m'écarter de toi pour être tranquille. Tu n'as pas confiance en moi et je le sais. Mais je n'aurais pas imaginé que tu doutes de mes capacités au point de me faire surveiller sans m'en informer. Cet homme –Noah, c'est quoi ? Un espion qui est chargé de te rapporter mes conneries ?

L'adolescente fit une pause, sentant la pression monter. Le dire était plus difficile qu'elle ne l'aurait cru. Il y eut un moment de silence, avant qu'elle reprenne la parole.

— Alors maintenant, explique moi.

Il ne répondait toujours rien.

— Explique-moi ! cria-t-elle, sentant sa voix encore éraillée se briser sur ces mots.

— Ta voix, dit-il seulement. Que s'est-il passé ?

— On s'en fout ! Réponds, merde !

Il y eut un soupir, à l'autre vout du fil.

— J'ai engagé Noah pour te surveiller, c'est vrai. Il a commencé le jour après que tu aies tué ces deux russes. J'ai confiance en lui. Mais il est aussi là pour te protéger. Je lui ai dit de rester en retrait, sauf s'il t'arrivait quelque chose. Donc, j'en déduis que ça à mal tourné, puisque tu l'as découvert.

Natalya en aurait hurlé de rage. Il la jugeait incapable de se défendre, en plus ?

— Tu penses vraiment que je ne vaux rien, cracha-t-elle, les dents serrées. Très bien. Je vais me débrouiller toute seule, comme une grande. De toute façon, puisque je suis si nulle, je ne tarderai pas à me faire tuer et tu seras débarrassé d'un poids encombrant.

— Natalya, tu ne m'écoutes pas. J'ai dit que...

L'adolescente raccrocha furieusement. En ce qui concernait la partie « rester calme », c'était raté. Incapable de réfléchir, elle descendit au sous-sol dans un état second et donna un coup de pied rageur dans une bouteille en plastique qui traînait par là, l'envoyant valser un peu plus loin. Arrivée face au mur où elle avait accroché la plupart de ses armes, elle saisit son Bō, qui sembla lui sauter dans la main comme un animal familier. Le bâton d'acier léger tournoya gracieusement autour de son poignet, largement préféré aux armes à feu rangées en face d'elle, alors qu'elle s'asseyait sur une caisse en bois. Au fond, elle en voulait surtout à Lev de l'avoir espionnée, même si ça lui avait sauvé la vie. Mais c'était dur d'être loin de lui, seule face à ses problèmes. Elle aurait donné beaucoup pour pouvoir le serrer dans ses bras. Malgré son air froid et indifférent, il avait toujours su la réconforter.

Soudain, elle fut prise de remords. Son frère essayait juste de la protéger et elle s'était emportée pour rien, lui balançant un chapelet d'âneries en pleine figure. Elle posa le Bō, rappelant Lev avec espoir. Heureusement, il répondit immédiatement.

— Lev, je suis désolée, murmura-t-elle précipitamment. J'ai parlé sans réfléchir, j'avais juste... tu me manques. La maison me manque.

— Je sais.

— J'ai été égoïste alors que tu essaies juste de m'aider. Mais c'est trop dur. Je ne vais pas tenir, toute seule ici.

— Je sais, répéta-t-il doucement. Et sache que je ne te considère pas comme un poids. Je suis fier de ce que tu es devenue. Qui aurais cru que ma petite sœur serait un de mes meilleurs Assassins à seulement dix-sept ans ? Que tu aurais le cran de renoncer à ton identité, capable de t'infiltrer dans un autre pays sans personne pour t'aider juste parce que je te dis de le faire ? Je suis fier de toi. Mais je sais que c'est difficile d'être seul dans cette situation. C'est pour ça que j'ai engagé Noah. C'est le frère d'Isaac, un de mes espions aux États-Unis. Il est quelqu'un de bien.

Natalya resta silencieuse quelques secondes, un sourire timide se dessinant sur son visage. Entendre ça de la bouche de son frère faisait un bien fou. Cependant, elle devait rester sérieuse.

— Lev... ça a recommencé. Les hallucinations. C'est pour ça que je n'ai pas pu me défendre. J'avais perdu tous mes moyens à l'anniversaire d'une fille... un homme m'a pris par surprise et si Noah n'avais pas été là...

— Tu n'arrives plus à les gérer ?

— Je n'en sais rien. Pas hier, en tout cas.

—    Ça complique les choses, déplora Lev. Tu es bien plus vulnérable. J'avais envisagé ce cas de figure, mais ça ne va pas te plaire. Je veux que Noah cohabite avec toi. Essaie de ne jamais sortir sans lui, sauf quand tu es au lycée. Je ne veux pas que tu te fasses capturer ou tuer bêtement. Ce n'est pas une punition, Nat'. C'est pour te protéger, pour que tu rentres à la maison saine et sauve quand on en aura terminé avec toute cette merde. Tu comprends ?

Natalya leva les yeux au ciel. Cette perspective ne l'enchantait pas vraiment mais Lev avait raison, elle devait rester en sécurité.

—    Oui, j'ai compris.

—    Bien. Je transmettrai l'information à Noah. J'en avais parlé avec Mikhail, il s'est déjà chargé de la paperasse, pour que votre couverture à tous les deux soit assurée. Bien évidemment, Noah est qualifié pour endosser cette responsabilité.

Parfois, il fallait savoir s'incliner sans rien dire, et c'est exactement ce que fit l'adolescente. Et puis, ce ne serait pas si terrible. Quelques semaines encore et elle pourrait rentrer en Russie.

—    Fais attention à toi, conclut le Parrain d'un ton sincère.

—    Promis. À bientôt.

***

Les jours suivant lui démontrèrent que ce serait un poil plus compliqué qu'elle ne l'avait imaginé. Quand elle avait vu Noah passer le seuil de sa porte, une grande valise noire à la main, elle s'était demandé si elle n'était pas en train de rêver. Il s'était installé dans une des trois chambres inutilisées à l'étage. En fait, deux des chambres étaient à l'étage avec une salle de bain annexée, et les deux autres au rez-de-chaussée, près de la deuxième salle d'eau, de la cuisine, du salon et de la salle de projection. Comme ça, ils avaient chacun leur intimité.

Mais si cohabiter avec quelqu'un était supportable, le reste s'avérait plus difficile. Surtout la partie ou il l'accompagnait partout, ceci incluant le lycée. Les premières à se poser des questions avaient été Ashley et Kylie, qui s'étonnaient de la voir descendre d'une voiture de luxe aux vitres teintées tous les matins, et surtout, à l'heure. Il n'y avait pas mieux pour se faire remarquer que de changer ses habitudes du jour au lendemain.

Cependant, à en juger par les derniers évènements, les hommes de main du traître savaient qu'elle était aux États-Unis, il n'y avait donc pas besoin d'être aussi discrète qu'avant. Ils avaient donc continué d'avoir l'air le plus « normal » possible, et au bout de deux semaines, Natalya s'était même habituée à avoir Noah derrière elle presque tout le temps. Il était plutôt léger au premier abord, à tout prendre avec un sourire en coin ou un petit rire, même si une vive intelligence brillait derrière ses prunelles vertes. Toujours prêt à rigoler ou faire une blague, il pouvait passer d'un air badin à une attitude très professionnelle et réfléchie, notamment quand Lev l'appelait pour rendre compte de la situation. Et l'adolescente devait l'avouer, avoir quelqu'un avec elle dans cette galère l'avait soulagée d'un poids immense. Elle n'avait pas besoin de mentir avec Noah, de jouer celle qu'elle n'était pas. Et ça, ça valait bien plus que toutes les motos du monde.

En fait, l'adolescente appelait son frère bien moins souvent, maintenant qu'elle avait quelqu'un d'autre sur qui compter. Alors oui, peut-être qu'elle ne connaissait Noah depuis longtemps, mais elle lui faisait confiance, surtout qu'elle n'avait aucune raison de se méfier de lui plus que ça. Evidemment, elle gardait une petite part de méfiance dans un coin de son esprit, juste au cas où, parce qu'on est jamais trop prudent. Cela ne l'empêchait pas d'être rassurée en sachant Noah dans le même bateau qu'elle.

Assise dans la cuisine, le nez collé à son ordinateur, elle avait laissé traîner ses cahiers sur la table, un paquet de chips dans une main, un bol de guacamole dans l'autre. Elle venait de terminer un devoir d'anglais, puisqu'elle essayait de ne pas se faire remarquer au lycée et de faire le minimum pour que les professeurs la laissent tranquille. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à répondre aux messages incessants d'Ashley et de Kylie. Elle n'avait pas reparlé de la soirée aux deux filles, qui la bombardaient de questions : pourquoi était-elle partie si vite, pourquoi avait-elle séché les cours les deux jours suivants, pourquoi ceci, pourquoi cela... C'en était lassant, même si elle comprenait leur position.

L'adolescente entendit des pas feutrés se rapprocher, dans un bruissement de vêtements à peine perceptible. Ce n'était rien comparé au craquement des chips dans sa bouche, retentissant dans le silence de la maison.

—   C'est du harcèlement, à ce stade, ironisa Noah, qui venait de jeter un coup d'oeil à l'écran par dessus son épaule. Ces filles sont plus collantes qu'un vieux chewing-gum sous une chaussure.

Il sortait de la douche, à en juger par l'odeur de shampooing qui s'échappait de ses cheveux humides.

—   Décale-toi, tu gouttes sur mon ordinateur, marmonna Natalya.

Il piqua une chips dans son paquet sans bouger d'un centimètre, tandis que Natalya suivait des yeux la goutte d'eau qui menaçait de s'incruster sous la lettre A du clavier.

—   Sérieusement, pousse-toi, tu vas me le mettre en panne, protesta-t-elle en ramenant son paquet de chips contre elle.

Il ricana, se décalant tout de même en passant une main dans ses cheveux trempés. Mais au lieu de partir, il tira une chaise en face d'elle, s'assit nonchalamment et entreprit d'engloutir la chips qu'il lui avait volé.

—   Hé, gamine, l'interpella-t-il enfin, frottant ses mains l'une contre l'autre.

Natalya leva les yeux au ciel : elle détestait quand Noah l'appelait comme ça, et il le savait très bien. Ça ne l'empêchait pas de le faire quand même.

—   Quoi ?

—   Il faut qu'on parle. Sérieusement, je veux dire.

—    Lev t'a appelé ?

Il ne répondit pas tout de suite, se grattant l'arrière de la tête, ses avant-bras musclés étirant les manches de son T-shirt noir.

—   Oui, mais ce n'est qu'un détail. En Russie, la situation n'a pas beaucoup changé, mais Mr. Ivanov reste très vigilant, tout le monde se méfie de tout le monde. Non, je voulais te parler de notre situation à nous. Je reste quasiment certain que le traître cherche à t'avoir, en ce moment même. Il sait que tu es ici, et il attend le bon moment pour frapper.

—    Ils ont déjà essayé de m'avoir, protesta Natalya. Au bar, l'autre fois, avec les deux russes.

—    Ils n'étaient pas là pour te tuer, mais pour vérifier que tu sois bien à New York. Crois-moi, avec tout l'alcool que tu avais avalé, s'ils avaient été là pour t'effacer de l'équation, je ne serais pas en train de te parler en ce moment même.

Son égo un peu heurté, l'adolescente avala ce qui restait dans son paquet de chips d'un air buté.

—     N'importe quoi, ils ne m'auraient pas eu, bougonna-t-elle. Ils ne sont plus de ce monde pour pouvoir argumenter, de toute manière.

—    T'es pas invincible, gamine. Je te rappelle que  le traître attend le moment propice pour t'avoir. Personnellement, je suis d'accord avec Mr. Ivanov, ils veulent t'utiliser comme moyen de pression contre lui. Ils te tortureraient sans scrupule pour le voir quitter sa position de Parrain de la bratva. Comme c'est exactement l'inverse de ce qu'on veut, et qu'on ne peut pas avoir de renforts comme ça, il va falloir se débrouiller.

—    Qu'est-ce que tu veux dire ?

Noah esquissa un rictus, ses yeux verts éclairés d'une lueur malicieuse.

—   On va rester sur nos gardes, et on va les prendre à leur propre jeu.


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Eh oui, vous ne rêvez pas, c'est bien le chapitre 19 ! La suite arrive, tenez-vous bien ;)

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