Chapitre 18

Deux hommes étaient aux prises devant elle, l'un cherchant à dominer l'autre comme dans une danse de tissu et de peau, luttant férocement. D'abord surprise, mais aussi encore sonnée, Natalya suivit ensuite le combat avec intérêt, cherchant à deviner lequel était son agresseur et lequel ne l'était pas. L'un des deux prit rapidement l'avantage, clouant l'autre par terre avec violence. Il l'assomma, le laissant giser contre le bitume avant de se relever souplement.

Natalya eut soudain devant elle un homme de haute taille, bien bâti et le visage figé dans une expression neutre. Mais ce qui retint son attention, bien plus que la forme du visage, la posture ou la tenue de cet homme fut l'éclat vert vif de ses yeux.

Qui était-il ? Elle n'en avait aucune idée. Mais ces yeux verts ne laissaient place à aucun doute : c'est lui qui la suivait, qui lui donnait l'impression d'être observée depuis des jours.

—    Tout va bien ? dit-il brusquement en se rapprochant d'elle.

Sur la défensive, elle se demanda aussitôt s'il travaillait pour le traître. On ne savait jamais. Sa voix était grave, mais elle n'avait pas les intonations russes si familières à l'adolescente. Soit il parlait un américain parfait, soit il était natif des États-unis. Tout en réfléchissant à toute vitesse, Natalya repoussa brusquement la main réconfortante qu'il s'apprêtait à poser sur son épaule. Après ce qui venait de se passer, elle n'était pas prête de tolérer un contact physique venant d'un inconnu . Heureusement, il sembla vite saisir le message puisqu'il fit un pas en arrière, se contentant de l'observer pour vérifier si elle n'était pas blessée.

—    Qui êtes-vous ? demanda Natalya d'une voix devenue rauque.

Elle voulait des réponses, et cet homme avait intérêt à lui en donner. Elle en avait assez de naviguer à vue dans cette histoire.

—    Je m'appelle Noah.

—    Je m'en fous, s'agaça Natalya. D'où est-ce que vous venez ? Pourquoi vous me suivez ? Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

Il se gratta l'arrière de la tête, un peu pris au dépourvu.

—    C'est un peu long à expliquer...

Natalya fronça les sourcils. Il était en train de tourner autour du pot et ça ne lui plaisait pas du tout.

—    Répondez-moi ! siffla-t-elle durement.

—    Hé, doucement. Je ne suis pas ton ennemi. En fait, Mr. Ivanov m'avait prévenu que tu réagirais comme ça.

Natalya se figea, réfléchissant à toute vitesse. Est-ce qu'il était en train de parler de son frère ? Sur ses gardes, elle repoussa les cheveux alourdis par la pluie en arrière.

—    Vous connaissez Lev ?

—    Connaître, c'est un bien grand mot. En fait, il m'a engagé pour que je te surveille, histoire de couvrir tes arrières. Normalement, je n'étais pas censé intervenir, mais il y a eu un petit dérapage, tout-à-l'heure, pas vrai ?

Natalya eut un frisson de dégoût, la sensation de manque d'air encore présente dans sa gorge.

—    Donc, vous travaillez pour mon frère, murmura-t-elle pensivement. Et vous êtes quoi, au juste ? Ma babysitter ?

—    Heu... eh bien, appelles-y comme tu veux, mais ne compte pas sur moi pour venir te border.

Natalya lui adressa un regard sombre.

—    Oh, ça va, je plaisantais. Tu ne préféres pas qu'on parle de tout ça ailleurs ? On est sous la pluie, c'est huit heures du soir et il fait nuit. Je te ramène chez toi si tu veux.

L'adolescente faillit lui faire remarquer qu'il ne connaissait pas son adresse, mais se rappela qu'il l'espionnait depuis plusieurs jours.

—    Et pourquoi est-ce que je monterais avec vous ? Je ne vous fais pas confiance.

Il haussa les épaules.

—    Tu n'as qu'à demander à ton frère. Il te confirmera ce que je t'ai déjà dit.

Natalya scruta son visage, à la recherche du moindre tic qui pourrait trahir un mensonge. Mais il avait l'air de dire la vérité. S'il avait voulu la tuer ou la captuer, il aurait eu tout le loisir de le faire depuis des jours, non ? Et puis, elle commençait à avoir froid.

—    D'accord, marmonna-t-elle de mauvaise grâce.

Noah lui fit un clin d'oeil avant de se diriger jusqu'à sa voiture, l'adolescente sur les talons. Elle monta à l'avant du véhicule aux vitres teintées, une odeur de neuf lui assaillant les narines. Il n'y avait pas de poussière sur les sièges, le tableau de bord ni sur l'écran de commande mains libres. Il n'y avait presque aucune trace d'usure, ce qui prouvait que cette voiture avait été achetée récemment. Noah surprit ses coups d'œil inquisiteurs et un sourire amusé étira son visage, révélant des dents étincelantes même dans la pénombre.

—    Je n'ai clairement pas les moyens de me payer ce petit bijou, ricana-t-il. Mais travailler pour Mr.Ivanov paie très bien. Avec ce qu'il m'a offert pour cette mission, j'aurais pu m'acheter une maison n'importe où.

—    Il vous a payé en amont ? s'étonna Natalya.

Voilà qui était inhabituel. Généralement, Lev partait du principe qu'il fallait terminer la mission avant d'avoir l'argent. C'était même logique : une fois l'argent empoché, qui garantissait que la mission allait être effectuée ?

—    Pas entièrement. C'était juste un avant-goût, répondit Noah en démarrant. Si cette mission se passe bien, je serai riche. On dirait que tu vaux plus que des montagnes d'or.

Natalya se renfrogna et se tourna vers la vitre, suivant du regard un moucheron qui tentait d'y grimper avec une détermination surprenante. Son frère venait bel et bien de donner une belle somme à un espion. Pour la surveiller. Evidemment, il ne lui faisait pas confiance.

—    Vous ne perdez pas de temps à dépenser l'argent de mon frère, murmura pensivement l'adolescente.

—    L'argent est fait pour être dépensé.

Il haussait les sourcils comme si c'était une évidence. Natalya, elle, serra les dents. Ce n'était pas tant l'argent qui la préoccupait, mais bien cet homme. Rien que le fait qu'il soit là sans que Lev lui en ait parlé la surprenait. Il ne lui faisait vraiment pas confiance, finalement. Même après toutes ces années à tirer le meilleur d'elle-même pour lui prouver qu'elle était digne de porter le nom des Ivanov, son frère payait quelqu'un pour la surveiller.

Elle savait qu'elle ferait mieux de l'accepter, d'accepter ne ne jamais être assez bien à ses yeux, mais son estomac se tordait d'amertume. Au fond, elle ne savait pas pourquoi elle avait toujours voulu lui montrer qu'elle était capable. Pourquoi elle le mettait sur un piédestal si haut. Lev n'avait jamais été le genre de frère débordant d'affection, d'encouragements et de gentillesse. Souvent, il était dur avec elle. Dur et exigeant. Bien sûr, il restait son frère et inspirait le respect à la plupart des gens. Il était un parrain accompli, dirigeant jusqu'à peu la Mafia d'une main de maître. Cependant, Natalya se demandait maintenant s'il la considérait vraiment comme sa petite sœur plus qu'une charge familiale. Et Noah était l'illustration de ce qu'il devait penser d'elle, en ce moment. Une incapable qui n'arrivait pas à se faire discrète lors de sa première vraie mission à l'étranger.

—     .... arrivés.

L'adolescente fronça les sourcils en réalisant que Noah lui parlait. Et qu'ils étaient devant chez elle.

—    Oh, heu... quoi ?

—    La ballade est finie, on est arrivés, répéta-t-il avec un demi-sourire.

—    Merci. On... je... vous...

Natalya se retrouva à bégayer sous le regard vif de Noah. Elle secoua la tête, encore à moitié perdue dans ses pensées et compléta sa phrase par le première chose qui lui passa par la tête.

—    Vous avez une maison ?

Cette fois, il sembla vraiement surpris.

—    Heu... Oui, mais pas à New-York. Je me suis installé dans un hôtel, pas trop loin d'ici.

—    Ah. Je... j'y vais.

Sans rien ajouter de plus, elle défit sa ceinture de sécurité pour sortir, le sang frappant ses tempes comme un marteau-piqueur. Quelque chose n'allair définitivement pas. Pas étonnant que Lev n'aie pas confiance en elle... Rien que d'y penser, elle eut envie de vomir.

Natalya tomba presque hors de la voiture, se précipitant contre la porte de sa maison en cherchant la clé sous le pot de fleurs, juste à côté de l'entrée. Mais il n'y avait que du béton froid et mouillé. Frénétiquement, elle la chercha encore, mais sans résultat. Natalya eut un picotement électriqe le long des membres, se souvenant de la nuit qu'elle avait passé dehors, juste devant la porte du manoir familial, alors que la température du printemps russe n'excedait pas les deux degrés. Pas encore. Elle ne voulait pas revivre ça.

Mais Noah avait vite remarqué qu'elle avait un problème et l'avait rejointe, l'air préoccupé.

—    Tout va bien ? demanda-t-il doucement.

—    Ma clé, frissonna Natalya d'une voix blanche. J'ai perdu ma clé...

—    Non, la contredit-il d'un ton patient et calme, quoique intrigué.

Tout en répondant, il avait pris la main droite de l'adolescente, prenant les doigts serrés en un poing entre les siens. Elle eut un mouvement de recul face au contact, mais il la retint et déplia ses doigts un par un, libérant un objet argenté brillant au reflet pâle de la lune. Il ramassa la clé et lui tendit, mais l'adolescente ne bougea pas d'un pouce, trop stupéfaite.

—    Allez, viens, dit-il en déverrouillant la porte. Ç'à été une dure soirée, un peu de sommeil ne te fera pas de mal.

L'adolescente se releva tant bien que mal, le souffle court. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. D'un pas incertain, elle s'avança, manquant de trébucher en passant la porte. Mais Noah entra avec elle, la suivant dans le salon où elle s'échoua dans le premier fauteuil. Ruisselante d'eau de pluie, tremblotante, sous le regard vaguement inquiet de Noah, elle commença à sangloter en baissant honteusement la tête. Au début, elle essayait de ne pas trop faire de bruit, de se cacher sous un rideau de cheveux, mais bien vite elle pleura vraiment, pendant de longues minutes. Elle déversa des larmes d'amertume, de colère, et de peur aussi. Peur de ce qui pouvait lui arriver, de ne plus retrouver sa vie en Russie, peur d'être seule aussi. Elle ne craignait pas d'être tuée dans un conflit quelconque. La peur de la mort, l'Académie vous l'enlevait bien vite. Non, elle avait peur de vivre sans Lev, sans ce qui restait de sa famille.

Après un long moment, il ne sembla plus rester une seule larme dans son corps mais ses épaules continuaient de tressauter au rythme des sanglots secs.

Natalya serait bien restée des heures à se lamenter sur son sort, recroquevillée sur elle-même. Elle n'avait pas pleuré comme ça depuis tellement longtemps que ça faisait du bien. La tension qui s'était accumulée semblait avoir coulé hors de son corps en même temps que ses larmes. Elle était épuisée, plus mentalement que physiquement d'ailleurs. À présent, la jeune fille voulait juste aller s'écrouler sur son lit et prendre une bonne nuit de sommeil. Elle relevait la tête, clignant des paupières pour chasser les dernières larmes de ses yeux bouffis quand elle remarqua Noah qui s'était assis sur le fauteuil en face d'elle. Il avait patiemment attendu qu'elle ait terminé, les coudes plantés dans les cuisses et son regard vif fixé sur elle avec curiosité.

Natalya aurait probablement été gênée dans une autre situation. Après tout, un inconnu venait de la voir pleurer comme une gamine. Mais elle était trop ébranlée pour en avoir quelque chose à faire.

—    Bon, je vais y aller, toussota Noah en se levant brusquement. Il avait manifestement remarqué qu'elle avait besoin de sommeil, et d'être un peu seule aussi. On se recroisera, reprit-il, et essaie de ne pas te faire assassiner d'ici là.

—    J'aurais pu m'en tirer toute seule, marmonna Natalya.

—    Je n'ai jamais dit le contraire.

Il ne lui laissa pas le temps de répondre, disparaissant dans la nuit pluvieuse. En se levant pour refermer la porte, Natalya savait pourtant qu'elle ne s'en serait pas sortie si facilement si Noah n'était pas venu l'aider.

________________________________
Coucou tout le monde, voilà un petit chapitre 18 ! La suite ne saurait tarder 😊😋

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top