> chapitre 5 <

« - Va sur la banquette arrière si tu veux dormir Jungkook. » 

Sa voix enrouée chante à mes oreilles et m'émerge d'une somnolence agréable.

« - Hmm... Non..., ça va... j'ai pas envie de dormir... » 

Il rit et j'esquisse un sourire rêveur. 

Puis, je sens la voiture ralentir pour s'arrêter mais je n'ai l'envie ni la force de soulever mes paupières. 

Une vague de froid flagelle mon corps quelques secondes, puis un silence sourd règne dans l'habitacle. 

Il est parti ? 

Cette fois-ci, je n'attends pas plus longtemps pour ouvrir mes yeux et laisser papillonner mon regard dans l'habitacle plongé dans la sombre nuit.

Quelques néons transpercent les vitres couvertes de buées et de la manche trop longue de mon sweat, j'essuie la condensation. 

La voiture est garée dans le parking désert d'une station-service. Le sol verglacé reflète toutes ces lumières jaunâtres et aveuglantes et du regard je cherche désespérément la silhouette familière de Taehyung. 

Je frotte un peu mes yeux et entrouvre ma bouche pâteuse. Je détache lentement ma ceinture et me traîne jusqu'à la seconde glace censurée de froid. Mon sweat essuie de nouveau la vitre et découvre le côté sombre du parking. Là, ne se découpe que l'horizon au ciel sombre et aux lampadaires lointains. Puis, un point rougeoyant danse dans une main gantée de cuir. Taehyung apporte le rouleau de tabac au coin de ses lèvres et en tire une longue bouffée. Il la laisse s'effacer dans le halo bleuté de la lune alors qu'il renverse sa tête en arrière, contemplant le ciel les yeux fermés. L'arabesque masculine de son cou tranche le manteau d'étoile et j'observe sa pomme d'Adam grimper et redescendre sa gorge. Son long manteau d'encre camoufle son corps et ses cheveux ont disparu sous un bonnet noir.

Je retombe dans mon siège et continue de l'observer dans la vulgaire vitre qui recommence à effacer son image.  

Et lorsque son bâtonnet de nicotine s'écrase sous son talon, il s'engouffre dans la station-service, son long manteau flottant derrière lui. 

Je garde mes paupières ouvertes et frétillantes jusqu'à ce qu'il s'en échappe, un éternel sac plastique entre ses doigts.

Je feins mon sommeil quand il pénètre la voiture, et tente d'être aussi silencieux que possible.

« - Jungkook. » 

Je ne réagis pas. 

« - Jungkook, réveille-toi. » 

J'aimerais savoir jusqu'où il serait capable d'aller pour me sortir de mon sommeil.

« - Hey, Kook'. » 

Mon coeur frappe brutalement ma cage thoracique. 

« Kook » ? Il m'a vraiment appelé « Kook »  ? 

« - J'ai acheté à manger, réveille-toi. » 

Il secoue un peu mon bras et je fais mine de revenir du monde de la nuit. 

« - Bonsoir., souffle-t-il. » 

Je lui adresse un sourire timide et il se détourne de moi sans m'en retourner un, puis défait les liens qui nouent la poche de nourriture. 

« - Tu as faim ? 

- Un peu oui., je mens. » 

Je meurs de faim. 

« - J'espère que tu aimes les Udons instantanés, il ne restait que ça en repas chaud.

- C'est parfait, merci. » 

Il m'offre la boîte de carton comme la veille, puis, retire ses gants en cuir. 

J'aime vraiment beaucoup ses mains. Elles sont si gigantesques et masculines qu'il me tarde de les entrelacer avec les miennes et d'observer le contraste entre nos deux peaux.

Nous mangeons dans un silence qui ne me dérange plus autant tandis que j'observe son profil.

Je crois qu'il sait que je l'épie car il me tourne davantage le dos, faisant mine d'observer le sombre parking désolé. Mais finalement, je m'en fiche, et me penche un peu en avant pour l'apercevoir encore. 

Taehyung pense que je ne le vois pas me scruter dans le reflet de la vitre. Mais le fait qu'on ne voit plus rien à travers la glace n'est pas à son avantage, ni le fait que son carton de nouille refroidisse sur ses genoux. 

« - Vous ne mangez pas ? » 

Il cligne plusieurs fois des yeux, et me répond vaguement qu'il était perdu dans ses pensées, se redressant sur son siège. Et soudainement, ses cernes noirs et son teint pâlot me sautent aux yeux.

Taehyung avait finalement décidé de quitter Busan en voiture, pensant que croiser les caméras de surveillance d'une gare n'était pas la meilleure idée qu'il eut. Il m'avait laissé me reposer la journée entière dans la chambre d'hôtel avant qu'on ne quitte la pièce sous les coups de minuit, laissant quelques billets sur le lit.

Je ne sais pas combien depuis combien de temps est-ce qu'on roulait maintenant, peut-être quatre heures ou plus. La route vers la capitale était souvent parsemée d'agents de l'ordre, et Taehyung n'avait envie d'avoir affaire avec eux. Alors crever les routes de campagnes nous offrait quelques heures de plus. 

« - Vous voulez que je prenne le volant pour que vous puissiez dormir ? 

- Est-ce que tu as ton permis au moins. 

- Non, mais je sais conduire. » 

Il fronce les sourcils.

« - Passer le permis c'est cher quand on peut apprendre seul. » 

Il soupire et se pince l'arête du nez.

« - Non, je peux bien tenir quelques heures de plus, on est bientôt arrivés. Et ne me dis pas que tu conduis sans avoir ton permis... » 

- Vous pensez que je viens comment au club ? En vélo ?

- Tu risques ta vie et celle des autres. 

- Je pense que je conduis mieux que certaines personnes avec un joli permis de 1600 euros qui moisit dans leur boîte à gant.

- Peut-être. » 

Une idée fuse dans mon esprit et j'empêche une moue malicieuse fleurir sur mon visage.

J'attends qu'il me quitte du regard pour ouvrir la fameuse boîte à gant et farfouiller discrètement dedans.

Bientôt, le petit carnet rose tombe sous ma main et je pousse un petit cri de victoire. Taehyung, intrigué, se tourne vers moi et se tend lorsqu'il voit ce que je tiens entre mes doigts. 

« - Jungkook. Pose ça s'il te plaît.

- Pourquoi ? 

- C'est privé. 

- C'est seulement une photo de vous plus jeune, relax, je suis sûr que vous étiez un brun ténébreux qui faisait tomber toutes les filles en plus.

- Jungkook., menace-t-il. » 

Je lui tire la langue et ouvre le petit carnet corné. Je tombe sur une écriture un peu penchée et brusque que j'élude rapidement et mon regard harponne son visage de jeune garçon. 

Mon sourire satisfait s'effondre aussi vite qu'il était apparu. 

Sur le papier glacé, les couleurs sont vives et loin d'être usées par le temps. Je peux donc observer la couleur inquiétante qui entoure le cou du jeune garçon. De nombreux suçons parsèment sa gorge meurtrie, et un hématome violet souligne l'os de sa joue saillante.  Des cheveux blonds bien coupés retombent sur son front et le regard qu'il lance à l'appareil photo me brise. Il ne sourit pas, et je ne sais pas si c'est parce que c'est une photo d'identité ou si c'est parce que rien ne le fait plus rire.

Soudain, de longs doigts attrapent la feuille de carton avant de la jeter de nouveau dans la boîte à gant, qu'il referme avec force.

« - Tu ne m'écoutes jamais. »

Les mains tenant encore le squelette du carton, j'étudie son visage calfeutré sous des milliers de masques. Je n'arrive pas à traduire la lueur qui endurcit ses orbes.

«  - Taehyung...

- Non. Ne dis rien.

- Je ne savais pas, excusez-moi.

- Je t'ai demandé de te taire. » 

Je m'écrase un peu plus dans mon siège.

Il s'entoure de sa ceinture puis démarre la voiture. Je l'imite, de mouvements moins brusques et nerveux. Et l'engin glisse sur l'asphalte givré pendant de nombreuses heures où le silence est le mot d'ordre.

Je n'arrive plus à fermer les yeux sans que son visage de ses jours lointains ne me frappe. Je revois ses contusions effrayantes, ses pupilles fiévreuses, ces marques de désir sur sa peau sucrée et j'ai envie de l'enfermer dans mes maigres bras. 

Il conduit plus vite qu'il ne devrait, sa mâchoire si contractée que je me demande s'il ne va pas s'en faire péter les dents. Même quand il se gare en face du club encore fourmillant, il ne se calme pas et sort de la voiture sans m'attendre. Alors je le rattrape, trottinant comme un petit chiot égaré et blessé. Je le suis comme son ombre dans les dédales de couloirs feutrés, zigzaguant parfois entre des corps suants et presque nus, valsant entre les clients aux chemises propres déboutonnées et lorsqu'une violente odeur d'eau de Cologne fait frétiller mes narines, je me fige. 

Alors que je pensais que Taehyung ne faisait pas attention à mon existence, il s'arrête lui aussi quand je ne le suis plus.

Il se retourne et fronce les sourcils. 

Je dois être pitoyable à voir. 

Je tremble, papillonne mon regard partout dans le couloir vide et respire plus vite qu'après mes danses physiques. 

« - Jungkook ? » 

Je pleure et il écarquille les yeux avant de s'approcher de moi, déposant sa main sur mon épaule. 

« - Hey, qu'est-ce qu'il y a ? Si c'est pour ce qu'il s'est passé dans la voiture, je ne t'en veux plus, ne t'in-

- Il est là..., je le coupe.

- Quoi ? 

- L'homme, il est là...

- De qui est-ce que tu parles ?

- LA PROIE TAEHYUNG, ELLE EST LA, VOUS NE SENTEZ PAS SON PARFUM ?, je cris et je postillonne. » 

Il paraît si surpris que ses lèvres s'entrouvrent.

« - AIDEZ-MOI, JE VOUS EN SUPPLIE, NE ME LAISSEZ-PAS !, gémis-je en accrochant mes doigts aux tremblements pathétiques au col de son vêtement. » 

Ses yeux se teintent d'une lueur que je ne comprends pas. De la tristesse ? Du regret ? De la culpabilité ? 

« - Ne me laissez plus, je vous en supplie Taehyung..., finis-je par souffler, la voix un peu abîmée par mes cris. » 

Je sens ses mains se faufiler à l'arrière de mon corps, et ses doigts s'emmêlent dans mes cheveux d'encre. Il me colle à son corps qui sent un peu le tabac, restant si précautionneux car il n'oublie pas les marques qui masquent mon visage. 

« - Il ne t'arrivera plus rien Jungkook, je te le promets., murmure-t-il au creux de mon oreille. » 

Et je ne comprends plus mes propres gestes quand je m'écarte de lui pour mieux le rejoindre, écrasant mes lèvres contre les siennes. Goût de larmes et de désespoir, il ne se recule pas. Il ne se recule pas et ses doigts empoignent encore plus fort mes mèches sèches. 

Ses lèvres me manquent dès qu'elles quittent les miennes et quand je cherche à les happer de nouveau, il pose son index sur mes croissants rougis. 

« - Il faut qu'on s'en aille Jungkook. » 

Je le remercie de n'avoir fait aucun commentaire sur mon amnésie folle, car je sais qu'il tenait cette sphère bleue et je sais quel son elle émet lorsqu'elle se fracasse contre un crâne. 

Mais pendant une seconde, j'ai eu si peur de revoir ces mains qui s'étaient frottées à ma chemise avant de s'endurcir pour se fracasser contre mon visage, que l'évidence même que la proie ne pourrait plus jamais se mouvoir ne m'avait pas percutée. 

Cette Eau de Cologne, celle qui imprégnait cette chambre et ce bureau. Celle qui me suivait partout depuis, a disparu du couloir et je me demande si je suis assez fou pour l'avoir imaginée ou si un malheureux client aux envies sans pureté aimait s'asperger de cette fragrance écoeurante.

Ses longs doigts se glissent entre les miens et me tirent dans les corridors à la moquette pourpre. Il m'anime jusque dans une petite pièce, où la musique assourdissante du club ne s'entend presque plus et où son parfum délicieusement entêtant me frappe de plein fouet. Je devine qu'il m'emmène dans sa chambre, à la décoration inexistante mais aux vêtements éparpillés un peu partout. 

Il s'arrête et me lance un regard que je n'arrive pas à traduire avant de laisser ma main retomber le long de mon corps.

Un ordinateur se noie dans les draps et il l'attrape habillement pour le glisser dans un sac vide. S'ensuivent de nombreux vêtements et objets qui s'entassent dans ce grand bagage qui semble sans fond. Il me demande mon d'aide, et j'aime la sensation que m'offrent ses vêtements quand il glissent entre mes doigts pour choir dans la besace sombre. Alors qu'il farfouille dans le meuble qui fait face au vieux lit baroque, j'observe ses muscles se dessiner sous son tee-shirt qu'il a dévoilé en quittant son manteau. Je m'assois sur le matelas qui rebondit et le dévore des yeux. 

Il m'a embrassé. 

Enfin, non.

 Il ne m'a pas repoussé.

Et la sensation de ses doigts qui se referment un peu plus sur mes mèches de cheveux me provoque toujours ces petits frissons le long de mes bras. 

« - Taehyung ?

- Mm ?

- Je crois que je vous aime. » 

Ses mouvements un peu brusques se stoppent. Le silence se fait et laisse place aux vrombissements de la musique, un peu plus loin. 

Je pense que j'aurais dû me taire.

La tension dans ses épaules disparait. 

« - Je sais. » 

Son ton n'est pas sec, son ton n'est pas doux. Il est aussi impénétrable qu'à son habitude et ses mouvements reprennent comme si j'avais seulement commenté cette triste météo. Un dernier vêtement qui se glisse entre les autres puis, le sac se referme. Taehyung le lance sur son épaule, me fait signe de quitter la pièce puis me succède. 

« - Merde, j'ai oublié quelque chose, je reviens. »

La besace prête à craquer retombe au sol et je l'observe s'engouffrer de nouveau dans sa chambre. Dans la mince ouverture que la porte n'a pas comblée, je n'ai le temps que de le voir glisser quelque chose sous son t-shirt avant qu'il ne me rejoigne et s'abîme une nouvelle fois le dos.

« - Qu'est-ce que vous aviez oublié ?

- Rien d'important. »

J'acquiesce et me demande s'il va de nouveau attraper mes doigts pour me tirer hors du club. J'ai si peur qu'il ne le fasse pas que je viens moi même nouer mon petit doigt au sien. On traverse de nouveau ces couloirs sensuels, cette fois-ci sans s'arrêter pour un dernier baiser ou une crise pathétique. Quand il referme son auriculaire autour du mien, j'ai une sourde sensation qui explose dans ma poitrine. 

Je ne sais pas pourquoi je m'exalte pour si peu.

Taehyung pousse la lourde de porte qui laisse la musique agresser nos oreilles. La scène que j'occupais souvent auparavant est déserte et seule une mélodie aux sonorités électronique fait vibrer les murs et les corps. 

De retour dans les zigzagues infernales entre les sacs de sang alcoolisés, je baisse la tête pour que ne personne ne reconnaisse mon visage même si dans sa tuméfaction, il est peu identifiable.

«- Jungkook ? »

Je me fige. 

Je parle trop vite. 

Une main humide se pose sur mon épaule douloureuse pendant que je sens la faible emprise de Taehyung glisser et s'envoler.

« - Jungkook ? C'est toi ? »

Et j'ose relever le regard et le laisser tomber sur le corps de mon ami. 

Ses yeux s'écarquillent violemment. 

«- Oh mon dieu, ton visage ! Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? »

Il m'attrape par le bras puis me tire à l'écart de la foule en transe. J'observe la silhouette de Taehyung s'agiter quand il s'aperçoit que je ne suis plus sous ses yeux protecteurs mais bientôt il se fait engloutir sous ces flots dansants et seul mon prénom crié se noue à la musique. 

« - Jimin, je d-dois partir.

- Non mais tu rigoles ! T'as vu ta gueule, qu'est-ce qui s'est passé ? 

- Jimin, sans rire je dois y aller, Taehyung m'attend. 

- Taehyung ? 

- Je ne peux pas t'expliquer, Jimin, lâche-moi s'il te plaît... 

- Tu couches avec le patron maintenant ? 

- Non ! C'est juste- C'est compliqué... 

- Oh-, il s'interrompt et écarquille encore davantage ses petits yeux, si cela est encore possible. Me dis pas que-, l-la proie ? »

Je baisse le regard et son bras retombe à son tour mollement, me libérant de son emprise. 

« - J-je suis désolé Jungkook, si j'avais su, jamais je t'aurais appelé pour te dire qu'il te voulait, c'est de ma faute.

- Jimin, Jimin ! Rien n'est de ta faute d'accord ? Je dois juste m'en aller, on reprend contact bientôt, je t'appellerai., je lui attrape la main et la lui sers doucement. Promis. »

Jimin ne fait qu'hocher doucement la tête, les traits inquiets et désolés. 

Alors que mes doigts se détachent aux siens et que mon sourire puant l'hypocrisie se fane, je guette les cheveux sombres et la délicatesse des traits de mon patron dans la fourmilière qu'est le club.  

Mais seulement une violente déflagration retient mon attention. Aussitôt, la main de Jimin, qui ne m'avait à peine quittée s'empare douloureusement de mes doigts et me ramène sans douceur vers lui. 

S'ensuivent quelques cris, puis des milliers lorsque les fêtards paniquent et tentent de s'échapper du bâtiment.

Les coups ne s'arrêtent pas.  

Beaucoup de corps s'heurtent à moi, s'enfuyant dans les loges et plus profondément dans le club. Mon coeur s'affole.

"- Merde Jungkook, il faut qu'on y aille." 

Il me tire un brusquement en arrière mais je résiste, ne le regardant même pas, conservant mon regard paniqué sur la foule aux cris désespérés. 

"- Jungkook ! Viens ! 

- N-non, attends... Taehyung !

- Il n'est pas là, tu le retrouveras après, maintenant viens ! " 

Cette fois-ci, je me retourne vers lui. Ses yeux de billes m'hurlent de l'écouter et de gentiment le suivre à l'abri, mais je secoue négativement la tête. 

Il comprend.

Il comprend que de toute manière, je ne le suivrai pas. Il murmure une dernière fois mon nom, attristé, et lâche mon bras pour s'enfuir, m'offrant son dos en guise dernier adieu. 

Une douloureuse sensation me tiraille légèrement la poitrine mais elle s'efface rapidement quand j'aperçois l'énorme sac noir reposer dans un coin du club. 

« - Taehyung ! » 

Mon cri se mêle aux autres et j'entends mon prénom se fracasser aux murs matelassés de la salle. 

« - Taehyung ! Je suis là ! »

Je cours à contre-sens des fuyants, fouettant leurs corps où l'adrénaline fuse à l'overdose. Les coups de feu ne s'arrêtent pas et je prie si fort que ma tête tourne. Je manque de tomber quand j'heurte une chaise mais plus rien ne m'arrête. Sans gémir de douleur, je me rue à l'entrée du club. 

Quand je pousse les portes battantes de l'enceinte, une bourrasque gelée taquine ma peau découverte.  

Les balles fusent et je suis au beau milieu d'un dangereux règlement de compte. 

Et j'en suis le principal catalyseur.  

Un manteau noir flotte dans les airs. 

Le corps masculin me foudroie violemment et me pousse de nouveau dans les entrailles du bâtiment presque déserté. 

On tombe au sol, dans un endroit un peu plus sombre.

Son odeur de tabac froid me revient et je ne peux m'empêcher de le serrer dans mes bras quitte à lui faire mal. Il me repousse sans douceur. 

« - Jungkook ! On doit partir !  

- J'ai eu si peur..., je souffle. »

Son visage essoufflé se dessine dans la lueur tamisée de l'endroit. 

Il est si beau. 

«- Je suis là maintenant, mais on doit partir Jungkook. Ecoute-moi et obéis-moi pour une fois.»

Je ne lui réponds pas et admire ses traits qui m'ont manqué ces simples et longues minutes. Il passe une main rageuse dans ses cheveux.

«- Jungkook ! Ils sont venus pour moi ! Il faut qu'on bouge ! »

Il lance des regards paniqués sur les battants, puis sur mon faciès aux yeux carnivores.  

Et sa respiration haletante s'adoucit quand il comprend à son tour que je m'en contrefous de ce qu'il peut bien m'ordonner de faire. Alors, il ancre ses yeux dans les miens pour y rester .

Le temps semble se suspendre et assourdir les déflagrations. 

Taehyung ne me quitte plus de ses orbes séduisants. Il paraît hypnotisé et c'est la première fois que je le vois si vulnérable. 

Est-ce que je le rends vulnérable ?

Il est si lent quand il approche son visage du mien que mon coeur a le temps de s'arrêter plusieurs fois.  

La pulpe de ses fines lèvres s'écrase enfin contre les miennes et ma poitrine implose. 

Il s'empresse de se mouvoir passionnément, se couchant un peu plus sur moi et intensifiant son baiser en appuyant sur ma nuque. 

Je noue mes bras autour de son cou et me redresse pour davantage me coller à son torse musclé.

On se sépare une fraction de seconde pour reprendre notre souffle et presque immédiatement, il se lie de nouveau à moi. 

Il est si brutal et empressé qu'il en devient violent et bordel ce que j'aime ça.

Il vient mordiller ma lèvre inférieure et je pousse un petit couinement. 

Mais quand le grincement des portes retentit, il me repousse violemment et dégaine l'arme qu'il conservait dans son dos. Une lourde détonation me vrille les tympans et un corps s'affaisse au sol. 

« - Merde., crache Taehyung »

Et cette fois-ci, sans me demander on accord, il me soulève par le bras, saisis le sac qu'il jette sur son épaule puis me lance un dernier regard. Lorsqu'il s'apprête à parler, je quitte ses lèvres humides et rougies du regard pour me concentrer. 

«- A trois, tu cours sans t'arrêter jusqu'à la voiture., il me lance le trousseau de clés. Tu démarres et tu t'enfuis. »

Il enjambe le corps qui se vide déjà de son sang et réajuste les sangles du bagage. 

« - Quoi ? Et vous ? 

- Tu conduis jusqu'au parking du supermarché et tu te planques à l'arrière. Je te rejoindrai. 

- Non ! Qu'est-ce que vous allez faire ? Ne me laissez pas encore une fois ! 

- Ne t'inquiète pas Jungkook, je dois seulement régler quelque chose. 

- Non ! Je ne veux pas...

- Parce que tu penses que tu as le choix ? »

Je ne bouge plus pendant quelques secondes puis secoue la tête. 

« - Alors, cours. »

Et je cours, sans le regarder une dernière fois car je sais que ses yeux m'auraient forcé à rester. 

Je suis pathétique. 

Même quand la douleur fuse dans tout mon corps et que j'ai l'impression que mes pieds s'enfoncent dans le sol, je ne cesse de fuir, le tintement des clés ponctuant ma course.

Mais les balles ne me frôlent pas. J'entends seulement le sifflement plonger vers l'entrée du club et là encore, je prie. 

Bientôt, je suis avachi sur le siège du conducteur et mes mains tremblent tellement que les clés tombent au sol. 

Je pense à lui, à ses grands doigts entrelacés aux miens, à ses belles lèvres qui rougissent quand on les malmène, à son rire que j'entends si peu. 

J'y trouve la force de démarrer cette fichue voiture et quand le moteur vrombit, une rafale de balle percute la carcasse. Mon pied écrase la pédale et je m'enfuis loin sur les routes sombres, les bruits métalliques encore dans la tête. 

Je crève l'air rapidement jusqu'à ce fameux parking aussi lugubre que désert. 

Le moteur se tait, les phares s'éteignent et le silence hurle dans mes oreilles. 

Faites qu'il reste en vie. 

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