Je me dresse, fier. Enfin, autant que je puisse l'être dans mes baskets trouées. L'homme, derrière le bar, essuie d'un coup énergique l'imitation de marbre vernis.

-On m'a dit que vous pouviez m'aider, je commence, sûr de moi.

Il s'arrête un instant pour me regarder.

-Tout dépend de ce que tu cherches, dit-il en recommençant ses gestes.

-Et vous, qu'est ce que vous cherchez ?

-Tu as quel âge ?

-L'âge que vous voulez.

-Peu importe. En tout cas, tu es jeune. Peut-être trop.

-Comme vous dites. Peut-être que je suis jeune. Ou peut-être que j'ai l'âge qu'il faut.

-Qu'il faut pour quoi ?

Entrons dans le vif du sujet.

-Pour ce que vous voulez. Sur le terrain, échanges, transactions, je m'en fiche.

-Comment tu nous connais ?

-J'ai mes sources.

-Qu'est ce que tu cherches ?

-Beaucoup de choses. Que vous pouvez toutes me donner.

-Et qu'est ce qu'on y gagne ?

-Moi. C'est suffisant.

-Ça dépend de ce que tu vaux.

-Beaucoup.

J'espère.

-Ça, ce n'est pas à toi d'en juger.

-Alors faites moi rencontrer celui qui sera apte à le faire.

Le barman semble hésiter. Il me jauge et juge du regard, baladant ses yeux gris sur mon pull sale, déchiré par endroit. Il va dire oui, il va craquer. Il sort et me rejoint de l'autre côté du comptoir. Il a pris sa décision.

-Tu es sûr de vouloir foutre ta vie en l'air ? Tu ne pourras pas faire marche arrière.

-Je sais. C'est comme le suicide. On meurt, on ne vit plus. On fuit la vie, on abandonne. Et, entre les deux, j'ai fait mon choix : c'est ici que je veux être.

Il secoue la tête, comme pour désapprouver mes dires. Il s'apprête à me faire entrer, je le sens, je le vois, pour mon plus grand plaisir. C'est presque trop facile. Ils doivent vraiment avoir besoin d'hommes. Martin disait vrai.

-Un conseil : en franchissant cette porte, profite bien de chaque seconde de ton vivant. Parce que tu ne sauras jamais quand elles s'arrêteront.

Et, depuis : Tic Tac ; Tic Tac ; Tic...