Chapitre 9


Je suis là, les bras encore légèrement brûlants du contact d'Aiden. La pommade qu'il a appliquée a eu cet effet apaisant, mais je me sens aussi... vulnérable. Il m'a touchée, pas de manière intrusive, mais de manière intime, et ça m'a fait quelque chose, quelque chose d'inattendu. Un frisson a parcouru ma peau, mais il n'a pas duré longtemps. Le geste était lent, précis, presque doux. Pas comme les mains des autres, pas comme ceux qui m'ont fait mal, ceux qui m'ont blessée

Il s'éloigne de moi, sans un mot, presque en silence, comme si ce qu'il venait de faire n'était rien d'autre qu'un geste anodin. Mais pour moi, c'était tout sauf anodin. C'était une brèche dans ma solitude. Une main tendue. Il ne m'a pas poussée, il ne m'a pas forcée. C'était juste... là.

Le bruit des œufs qui grésillent dans la poêle m'arrache à mes pensées. Aiden se déplace dans la cuisine avec l'assurance de quelqu'un qui sait ce qu'il fait. Il parle pour combler les silences, mais c'est presque devenu une habitude.

– Je sais, ça a l'air simple, mais j'ai un faible pour les omelettes. C'est un truc que je me fais souvent. Ça me rappelle des moments avec mes parents... Enfin, quand j'étais plus jeune, tu sais.

Je le regarde sans vraiment le voir. Il semble vouloir se détendre, mais ses mots me passent un peu au-dessus de la tête. Je n'ai pas envie de participer à ce genre de conversation légère. Pas ce soir.

Je hoche vaguement la tête, mais mes pensées vagabondent encore vers ses gestes.

– Je crois qu'on a tous besoin de moments comme ça, des petites choses qui nous rappellent qu'on est encore humains. Enfin, je veux dire, ce n'est pas grand-chose, mais ça aide.

Il se tourne vers moi en portant l'omelette à la table. Ses yeux rencontrent les miens et il sourit doucement, mais l'expression n'atteint pas vraiment ses yeux. Il n'a pas l'air si détendu que ça, au fond. Peut-être que lui aussi, il essaie juste de se raccrocher à ce qu'il connaît.

Je n'ai pas faim. Pas vraiment. Mais il a fait cet effort, il a pris la peine de cuisiner. Peut-être que c'est ça qui me pousse à accepter.

Je m'assois à la table, mes mains se repliant sur la fourchette, mais je reste là, sans savoir par où commencer. Il continue à parler, comme pour combler le vide entre nous, et je me contente de l'écouter sans vraiment répondre.

– Tu sais, c'est bizarre. Avant, j'aurais jamais pensé qu'un jour je me retrouverais à cuisiner pour quelqu'un d'autre. C'est pas que je déteste ça, mais... c'est juste... un peu étrange, tu vois ?

Je ne réponds pas tout de suite. Il parle trop pour moi, pour être honnête. Mais je n'ai pas la force de lui dire de se taire. Alors je me contente de hocher la tête de temps en temps, le regard baissé sur mon assiette.

– Enfin, je veux dire... J'ai l'habitude de faire les choses tout seul, de gérer tout ça sans trop de monde autour. Mais là, c'est différent. Tu sais, il y a quelque chose dans l'air ce soir... C'est comme si on était deux étrangers, mais aussi... je ne sais pas. Un peu moins seuls

Je relève les yeux, un peu surprise par la sincérité dans sa voix. C'est la première fois qu'il semble vraiment se livrer, même si c'est un peu maladroit.

Je prends une bouchée d'omelette, en espérant que ce silence me donne une excuse pour ne rien dire. Mais mes lèvres se desserrent quand il me regarde à nouveau, ses yeux cherchant à capter les miens.

– Tu penses à quoi ? Enfin, je veux dire, on dirait que tu es ailleurs.

Je fronce les sourcils, un peu mal à l'aise. Je n'ai pas envie de parler de ce qui se passe dans ma tête. Pas maintenant. Mais la question flotte dans l'air, comme une invitation à ouvrir la porte à des choses que je ne suis pas prête à dévoiler.

– Rien, juste... tout ça. Tout ce qui se passe, c'est un peu beaucoup, tu vois ?

Aiden hoche la tête, presque comme s'il comprenait. C'est étrange, mais il ne pousse pas davantage. Il semble avoir accepté ma réponse, sans chercher à insister.

On continue de manger, mais cette fois, il ne parle plus autant. Peut-être que ma réponse l'a mis mal à l'aise, ou peut-être que lui aussi, il se demande ce qu'il fait ici. Tout cela est si compliqué. Ce n'est qu'un repas, mais il y a quelque chose de brisé dans l'atmosphère, quelque chose qu'on ne peut pas ignorer.

Après quelques minutes, je me sens soudainement épuisée. Le simple acte de manger, de rester ici, tout cela me fatigue plus que je ne l'aurais cru.

– Je vais aller me coucher, je crois. J'ai pas trop envie de rester éveillée plus longtemps.

Il semble hésiter, mais il ne s'oppose pas. Il doit comprendre. Ou peut-être qu'il sent que je n'ai pas d'autre choix.

– D'accord.

Il se lève et me montre ma chambre au fond du couloir, juste en face de la sienne.

– Bonne nuit, Lara. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là, juste en face.

Je hoche la tête sans répondre, et je me dirige vers la chambre, cette pièce trop parfaite qui m'accueille comme une étrangère. La pièce est froide et impersonnelle mais pourtant je me sens bien... je me sens en sécurité. Je m'allonge sur le lit, les yeux fixés sur le plafond, écoutant la nuit s'installer autour de moi.

Je repense à cette journée, à tout ce que j'ai vécu, tout ce que j'ai ressenti. Le soin d'Aiden, ses gestes presque trop gentils, sa présence... tout ça me tourne dans la tête comme une spirale. Il a été attentionné, mais est-ce qu'il a vraiment compris ce que je traverse ? Est-ce qu'il sait que je suis brisée, que tout ça n'est qu'un simple sursis, un moment où je me permets de respirer avant de retomber dans ce qui m'attend dehors ?

Et pourtant, une partie de moi se sent moins seule, juste un peu. Peut-être que ça ne changera rien au fond, mais c'est déjà quelque chose. Une brèche dans l'obscurité. Un petit peu de lumière.

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