Chapitre 8

Lara entre lentement, jetant un coup d'œil curieux, mais sans vraiment se laisser aller. Elle semble perdue dans cet univers silencieux, comme moi. Elle ne dit rien, et je ne suis pas sûr qu'elle sache où elle se trouve, ni pourquoi elle a accepté de venir. Mais elle est là, et c'est déjà quelque chose.

Je referme doucement la porte derrière elle. Le bruit qu'elle fait en se repliant contre le mur du salon brise l'étreinte de l'atmosphère pesante. Je veux lui offrir quelque chose, une simple humanité, comme une main tendue pour la sortir de sa torpeur. Mais je n'ai aucune idée par où commencer. Je brise le silence, un peu maladroitement.


– Tu veux manger quelque chose ?

Elle secoue la tête presque imperceptiblement, trop fière pour admettre qu'elle a faim. Je vois ses lèvres se tendre légèrement, mais son regard reste perdu, sans répondre, comme si elle cherchait encore à comprendre ce qui se passe ici, ce qu'elle fait là. Elle a l'air d'une âme en quête de réponses. Mais soudain, son ventre la trahit. Un gargouillement sonore résonne dans l'air, presque comique au milieu de la tension qui s'est installée entre nous.

Un rire m'échappe avant même que je ne puisse le retenir. C'est étrange de rire dans ce contexte, mais c'est libérateur. Lara se crispe un instant, puis ses lèvres se desserrent et, timidement, un petit sourire se dessine sur son visage. Ce sourire est doux, presque incertain, mais il brise quelque chose, un mur invisible entre nous. Je m'arrête un instant pour l'observer. Elle est belle quand elle sourit, mais la pensée m'agresse comme un coup de poignard. Sienna, avec son sourire lumineux... Je l'ai perdue. L'image de Sienna me hante à chaque fois que je vois un sourire que je ne peux pas toucher, un sourire que je n'ai plus le droit de voir.

Je détourne le regard pour ne pas laisser ma souffrance déborder.


– Tu veux te rafraîchir un peu ? La salle de bains est juste là, à côté. Je vais préparer quelque chose à manger.


Elle semble hésiter un instant, mais finit par acquiescer et se dirige vers la porte, sans un mot. Je pars lui chercher quelques vêtements, ceux de Sienna, sans réfléchir. Elle me les prend en me remerciant du bout de lèvres avant d'aller dans la salle de bain.

Je reste là, dans cette lumière tamisée qui envahit la pièce, et j'écoute le bruit de l'eau qui coule dans la salle de bains, attendant que le silence m'engloutisse à nouveau.

Je prépare l'omelette d'une manière presque mécanique, mes gestes rapides et concentrés sur la poêle. Les œufs prennent une couleur dorée, une légère vapeur s'élève, et l'odeur se répand dans la pièce, une odeur qui devrait être réconfortante mais qui me laisse de marbre. La lumière tamisée de l'appartement joue sur les surfaces, créant une ambiance feutrée, presque irréelle. Et puis, j'entends la porte de la salle de bain s'ouvrir.

Je me retourne et là, elle apparaît. Lara. Mais dans ces vêtements, ces vêtements de Sienna... je la vois comme une ombre d'elle. C'est presque comme si Sienna se tenait là, devant moi, avec son regard perçant, son allure fragile. C'est un coup de poing dans le ventre, une vision trop familière et douloureuse. Je suis figé, incapable de détacher mes yeux d'elle. Mes pensées dérapent, j'essaie de me concentrer sur le moment, mais c'est difficile, trop difficile.

Et puis, je remarque les bleus sur ses bras. Les marques sur sa peau, ces traces laissées par des coups... Elles me frappent comme un éclair. C'est le réveil brutal, la réalité qui me ramène à ce que je dois faire. Lara n'est pas Sienna. Je n'ai pas le droit de revivre ça.

Je secoue la tête, essayant de me recentrer, mais l'image de ses blessures m'obsède. Je dois faire quelque chose. Je lui demande de patienter un instant, sans vraiment y penser. Je pars rapidement chercher une pommade pour ses bleus. Une fois le pot en main, je reviens dans la pièce, mes doigts légèrement tremblants.

Je la regarde dans les yeux, hésitant. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai besoin de lui demander la permission, comme si tout ce qui se passe maintenant dépendait de son consentement.

– Je peux... te soigner ?

Lara plonge son regard dans le mien. Ses yeux verts contrastant avec ses cheveux noirs me perturbent, j'ai l'impression qu'elle arrive à lire en moi. C'est un regard qui m'échappe, difficile à lire. Je n'arrive pas à savoir ce qu'elle cherche, ce qu'elle voit en moi. Mais après un silence pesant, elle hoche la tête. Un simple mouvement, une permission silencieuse.

Je prends une inspiration, me disant que j'ai peut-être encore la possibilité de lui offrir un peu de ce que je n'ai jamais pu offrir à Sienna. Un peu de soin. Un peu de douceur.

Je prends la pommade dans mes mains, la texture douce et fraîche glissant entre mes doigts. C'est un geste simple, mais l'air autour de nous semble suspendu. L'atmosphère s'est adoucie depuis le moment où elle a accepté de se laisser soigner, comme si cette permission, si fragile et silencieuse, effaçait un peu du poids que portait cet instant.

Je me rapproche d'elle, doucement, et je commence à appliquer la pommade sur ses bras. Mon geste est lent, précis, comme si chaque mouvement comptait. J'effleure sa peau avec délicatesse, en prenant soin de ne pas trop appuyer sur les endroits meurtris. Le froid de la pommade contraste avec la chaleur de sa peau, mais au lieu de créer une distance, ça semble presque nous rapprocher. L'air est empli de cette douceur partagée, une tranquillité silencieuse, un confort étrange mais nécessaire.

Je la vois se détendre un peu, comme si la simple sensation de la pommade, de ce soin silencieux, venait effacer une partie de la douleur. Ses yeux se ferment brièvement, elle se laisse faire, et en ce moment, je me sens comme un fragment de calme dans un monde qui a été trop bruyant pour nous deux.

Je prends un moment pour observer ses traits, sa concentration, presque un apaisement dans son regard. Je suis là, tout simplement, et c'est tout ce dont elle a besoin, tout ce que je peux offrir, un peu de douceur, un peu d'humanité dans cette ville glacée. L'odeur de la pommade, l'effet apaisant sur ses bras... C'est étrange, mais à cet instant, je me sens utile, comme si je pouvais réparer un peu du monde brisé autour de nous.

Un petit souffle de soulagement s'échappe de ses lèvres, et quelque part, au fond de moi, je sais que ça compte. C'est peut-être une petite chose, mais c'est déjà une main tendue, un geste qui efface un peu la solitude et les blessures, une tendresse que je n'aurais pas cru être capable de partager. 

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