Chapitre 6
Je la regarde hésiter un instant, avant de poser sa main dans la mienne. L'air frais qui nous entoure semble s'épaissir, mais son contact me réchauffe d'une manière étrange, presque réconfortante. Je l'aide à se relever doucement, mes gestes hésitants, comme si je craignais de la briser davantage. Elle vacille légèrement sous le poids de la douleur, mais elle garde les yeux baissés, évitant mon regard. Je suppose que c'est un moyen pour elle de se protéger, de se garder de trop de vulnérabilité. Mais je peux la sentir se détendre un peu à chaque pas, et ça me rassure.
Nous avançons silencieusement, et un malaise s'installe entre nous. Les gestes maladroits, les paroles non prononcées. Je veux dire quelque chose pour alléger l'atmosphère, mais rien ne sort, alors je me contente de marcher à côté d'elle.
Je la regarde brièvement, et je vois dans son regard cette sorte de gêne partagée.
– C'est étrange, n'est-ce pas ?dis-je presque pour briser le silence. Je veux dire, on ne se connaît même pas, et pourtant... on a ce moment. C'est un peu bizarre.
Elle garde les yeux baissés, mais je vois le coin de ses lèvres se tendre, comme si un petit sourire essayait de naître. Elle ne répond pas, mais je sais qu'elle l'a entendu. Peut-être que ça l'aide à se détendre, même un peu.
On arrive enfin près de son vélo, et je la sens déjà prête à partir. Elle s'éloigne un peu pour prendre son vélo, son regard fuyant toujours le mien. Mais avant qu'elle ne parte, je me risque à l'interpeller.
– Tu as un endroit où aller ? Je ne sais pas pourquoi je demande ça. Il y a quelque chose dans son attitude, dans sa façon de repousser tout le monde, qui me touche plus que je ne devrais l'admettre.
Elle se tourne vers moi, mais ses yeux ne me trouvent pas. Ils se contentent de regarder quelque chose d'autre, l'horizon, peut-être. Elle ne répond pas tout de suite, et l'absence de réponse me frustre plus que je ne veux l'admettre. Je veux lui offrir quelque chose, même juste un peu de compagnie, un peu de tranquillité dans ce chaos.
Je m'avance d'un pas, toujours conscient de la distance qu'elle met entre nous, mais je lui lance doucement :
– Si tu veux, tu peux venir chez moi. Ce n'est pas grand-chose, mais au moins, tu ne seras pas seule.
Elle me regarde un instant, et c'est comme si elle pesait ses options. Je vois de la réticence dans son regard, mais aussi une étrange curiosité. Comme si, dans le fond, elle voulait un peu de répit. Je n'attends pas qu'elle réponde tout de suite, mais l'offrir est tout ce que je peux faire pour l'instant.
Je ne sais pas pourquoi j'insiste à ce point-là. Peut-être parce que sa fragilité me fait penser à Sienna. Elle a ce regard éteint, cette posture brisée, comme si la vie avait tout pris d'elle, exactement comme ça avait été le cas pour Sienna avant sa mort. Et je sais que c'est irrationnel, mais j'ai l'impression qu'en l'aidant, en lui tendant la main, je peux, d'une certaine manière, réparer ce que je n'ai pas pu réparer pour ma sœur.
Je m'en suis tellement voulu, des années de culpabilité écrasante. Les questions qui ne m'ont jamais quittées : "Pourquoi n'ai-je rien vu ? Pourquoi n'ai-je rien fait ?" J'ai vécu avec cette douleur, cette sensation que j'aurais pu faire plus. Que j'aurais dû intervenir, comprendre, l'empêcher de se perdre. Mais elle est partie, et je n'ai pas pu la sauver.
Alors je reporte toute cette frustration, ce manque de contrôle, cette rage rentrée sur cette fille. C'est absurde, je le sais. Elle n'a rien à voir avec Sienna. Et pourtant, chaque fois que je la vois, je ressens ce même vide, cette même absence de lumière dans ses yeux. Elle est brisée, tout comme l'était Sienna. Et quelque part, je veux croire que si je parviens à l'aider, je pourrais peut-être enfin soulager une partie de ma propre douleur, une partie de ce poids que je porte depuis sa perte.
Alors je persiste. Même si elle ne comprend pas, même si elle veut partir, je m'accroche à cette idée, cette petite lueur d'espoir que, peut-être, en elle, je pourrais sauver quelque chose. Pas elle, non, mais peut-être cette partie de moi qui n'a jamais cessé de souffrir.
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