Chapitre 4
Je ferme les yeux un instant, l'air froid me frappant le visage, comme un réveil brutal après l'engourdissement de mes pensées. Le cri que j'ai lancé résonne encore dans l'air, comme un écho, brisé et maladroit, mais il a suffi. Je suis le premier étonné de mon cri. Je ne sais pas pourquoi je suis intervenu mais j'en ressens le besoin viscéral.
La jeune fille ne bouge pas, c'est à peine si je vois sa tête se tourner légèrement vers moi mais je vois ses épaules trembler, ses mains crispées autour de la rambarde du pont, comme si elle essayait de se retenir de céder. L'air autour de nous est lourd de cette tension, de la peur et de la douleur non dites. Je m'avance lentement, chaque pas pesant comme une tentative de l'ancrer dans le réel, de me sortir de l'abîme dans lequel je suis moi-même tombé.
Je m'arrête à quelques pas d'elle, juste assez près pour l'entendre, mais pas assez pour lui imposer ma présence. Un silence lourd s'installe entre nous, pesant comme une chape de plomb. Je me rends compte que mes propres mains tremblent. J'essaye de parler, mais les mots me manquent. Je suis juste là, un spectateur, un étranger dans ma propre vie.
« Tu... Tu veux vraiment sauter ? » Ma voix est plus douce que ce que j'avais prévu. Peut-être est-ce la peur qui me serre la gorge, ou le simple fait de réaliser que je parle à quelqu'un qui, tout comme moi, semble avoir tout perdu.
Elle tourne alors entièrement la tête vers moi. Ses yeux sont rouges, gonflés de larmes non versées, et son visage, à moitié caché par ses cheveux noirs, est marqué par une souffrance que je reconnais immédiatement. Mais son visage est aussi marqué par des blessures physiques et j'ai envie d'insulter la personne qui est assez cruelle pour infliger cela. Je vois la détresse dans son regard. Un instant, je suis moi-même ce garçon fragile, celui qui se tenait sur ce même pont il y a quelques mois, songeait aux mêmes abîmes. Celui qui, il y a quelques minutes envisageait lui aussi de sauter mais qui n'a pas pu par lâcheté. Un frisson me traverse, une sensation douloureuse, presque de la culpabilité, m'envahit.
"Pourquoi es-tu là ?" Sa voix est faible, tremblante, comme un murmure perdu dans le vent. Elle semble à la fois me défier et chercher une réponse que je ne peux pas donner.
Je suis surpris par sa question. Pourquoi suis-je là ? Un rire nerveux me secoue, mais il n'a rien de joyeux.
« Pourquoi pas ? » Je laisse échapper ces mots, à moitié moqueurs, à moitié désespérés. "Ce pont semble être un endroit où les gens viennent pour disparaître, n'est-ce pas ? C'est ce qu'on fait quand on en a assez. Quand on n'en peut plus."
Je la regarde, cette inconnue en face de moi. Et, pour un instant, c'est comme si je voyais mes propres démons dans ses yeux. La douleur, la perte, le vide. Sienna... C'était elle qui me disait toujours que la vie était comme une rivière, toujours en mouvement. Si j'avais écouté, peut-être que je n'en serais pas là, à observer cette eau noire, figée comme mon cœur. Cette pensée, toujours aussi tranchante, fait remonter en moi une vague de colère. Pourquoi les choses sont-elles si compliquées ? Pourquoi est-ce si difficile de tout simplement avancer, de guérir ?
Elle ferme les yeux un instant, comme si elle réfléchissait à quelque chose. Je vois ses lèvres trembler, mais aucun mot ne sort. Je n'ai jamais été doué pour les paroles réconfortantes, ni pour comprendre ce que les autres attendent de moi. Je suis un gâchis, un être brisé. Pourtant, je sens une étrange impulsion. Quelque chose me pousse à agir.
Je m'approche doucement d'elle, me plaçant à côté d'elle sur la rambarde, et je pose une main sur son épaule, un geste maladroit mais sincère.
« Tu sais, je comprends ce que tu ressens. Ça fait mal, n'est-ce pas ? » Mes mots me semblent vides, mais je dois les dire. « Mais crois-moi, il y a toujours une autre option. Toujours. »
Enfin je crois. Ou plutôt je l'espère...
Elle me fixe avec une intensité qui me fait frissonner, et je sens son corps se tendre sous ma main. Mais elle ne bouge pas. Ni pour avancer, ni pour reculer. Il y a comme une bataille silencieuse dans son regard, une lutte intérieure. Et c'est dans cette hésitation, dans ce silence, que je trouve un écho de ma propre détresse.
Je la laisse respirer. Peut-être que mes mots n'ont aucun poids. Peut-être que je suis juste une autre voix dans la nuit, une autre silhouette qui cherche à comprendre. Mais je ne peux m'empêcher de me dire qu'il y a quelque chose ici, entre nous deux, quelque chose de plus grand que ce pont et cette eau noire en dessous. Un genre d'espoir brisé. Un espoir, tout de même.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top