Chapitre 3
Je me lève difficilement malgré mes blessures et commence à descendre les escaliers. Chaque mouvement m'arrache une grimace, mais je serre les dents, ignorant la douleur. J'ai mal, je sais, mais ce n'est rien comparé à ce que j'ai enduré ces dernières années. Il faut que je parte au plus vite, loin de cette folle mais je ne sais pas où aller. Je n'ai personne sur qui compter, ni famille, ni amis. Une fois arrivée dehors, je soupire de soulagement en constatant que cette mégère n'a pas pensé à prendre mon vélo.
Pas si intelligente que ça la madre.
Je sors mon téléphone mais je n'ai plus de batterie. De toute façon ça n'aurait servi à rien vu que je n'ai personne à contacter. J'enfourche mon vélo et commence à pédaler dans la ville sombre. Les échos de mes coups de pédale résonnent dans le silence de la ville déserte, entrecoupés par le cri lointain d'un corbeau. Il doit bien être plus de minuit et les rues sont désertes. Les gens sont tous bien au chaud chez eux avec leur famille, leurs enfants, leur conjoint ou même leur animal de compagnie. Au moins, ils ont quelqu'un sur qui compter, quelqu'un avec qui partager la solitude de cette vie.
Les rues désertes ne sont pas seulement vides de vie, elles sont vides de sens. Loin des regards des autres, je me sens à la fois invisible et insignifiante, un fantôme parmi les ombres.
Et je me demande : qu'est-ce qui me rattache encore à cette vie ? Je ne sais même pas si je peux dire que j'ai eu ne serait-ce qu'une seule fois une mère. Et je me souviens de mon père, ou plutôt de l'absence qu'il a laissée. Quand il est parti, je ne savais pas si j'étais abandonnée ou si je l'avais juste perdu. Peut-être que c'était moi, peut-être que c'était lui. Mais je sais une chose : je n'ai jamais été assez bonne pour qu'il reste."
Depuis qu'il est parti lorsque j'avais 5 ans pour se marier avec son assistante, j'ai l'impression d'avoir perdu mes deux parents. Maman a reporté toute sa frustration sur moi, persuadé que si mon père nous avait quittés c'était de ma faute parce que j'étais une mauvaise fille. Elle n'a même pas envisagé l'idée que s'il nous avait quitté c'était peut être à cause d'elle et de son problème d'alcoolisme. Parce qu'en plus d'avoir un sale caractère, madame a aussi un fort penchant pour la bibine. Ce qui bien sur aggrave son mauvais caractère ainsi que son côté violent. Je pensais que la rencontre avec Jack, mon "beau-père" allait arranger les choses mais c'est pire. Et pourtant, il en fallait beaucoup pour empirer les choses. Mais ma mère est championne dans ce domaine là.
Ce n'est pas bien mieux dans mes études. Je n'ai jamais été intéressé par les études et ce n'est pas mon entourage qui allait m'encourager. Alors une fois mon bac en poche, je suis vite parti chercher du travail. J'ai fini par trouver un travail de barmaid et ça fait maintenant deux ans que je travaille là bas. Le bar, c'est mon refuge, mais aussi ma prison. Les gens viennent, boivent, et repartent, indifférents à ce que je suis vraiment. Là-bas, je suis juste une silhouette derrière un comptoir, un rôle sans visage.
Je sens mes jambes trembler sous l'effort, mais je continue. Ma tête tourne, chaque respiration me brûle, mais je n'ai pas le choix. Si je m'arrête maintenant, tout est fini. Je dois m'échapper, fuir cette cage invisible, cette vie qui ne m'a jamais laissé de chance. Je dois partir loin d'ici, loin de toute cette noirceur, de cette mère qui m'a détruite, de ces hommes qui ont abusé de moi.
J'arrive enfin à l'extérieur de la ville, au bout du monde, là où la route se termine dans l'obscurité. L'air est lourd et froid, et tout semble figé, comme suspendu dans le temps. Un pont se profile à l'horizon, fragile et suspendu au-dessus du fleuve. Ses câbles, tendus dans l'air glacé, grincent sous la pression du vent, émettant des sons métalliques qui résonnent dans la nuit comme une promesse de liberté, mais une liberté qu'on ne peut atteindre qu'en se libérant de tout.
Je le fixe un moment, mes yeux se brouillent sous la fatigue, la lueur de l'obscurité se fondant avec les larmes non versées qui menacent de tout envahir. Ce pont semble être tout ce qu'il me reste. Il incarne l'idée d'échapper à tout, de franchir la limite, de me libérer enfin de ce poids qui m'écrase. Chaque souffle que je prends me semble plus lourd que le précédent, comme si la vie elle-même me résistait.
Je m'arrête au bord, le vélo glissant doucement contre le béton, sa présence tout à coup dérisoire. Le bruit de l'eau en contrebas m'envahit. Elle s'écoule lentement, à la fois menaçante et rassurante. C'est le bruit du vide, du rien, qui se mêle à celui du fleuve qui, comme moi, semble s'étendre sans fin dans cette nuit infinie. Là, tout semble si simple, si facile. Il suffit de faire un pas. Plus de souffrance. Plus de questions. Plus de poids à porter.
Je ferme les yeux, me laissant envahir par l'obscurité, et je me demande si c'est ça la fin. Si tout ce malheur pourrait trouver une conclusion simple et brutale. Peut-être que la solution n'est pas de fuir, mais de tout arrêter. Juste là, dans ce silence, peut-être que je trouverai la paix, peut-être que ce monde bruyant et cruel me lâchera enfin. La douleur de mon corps se mêle à celle de mon âme, une douleur qui se déverse dans mes pensées comme un torrent.
Je me rapproche du bord, mes mains tremblantes frôlant la rambarde. La douleur dans mes bras se mêle à la douleur de mon cœur, créant une symphonie de souffrance que je ne peux plus supporter. Je m'agrippe au métal froid, cherchant à m'ancrer à quelque chose de concret, mais je ne ressens que la froideur de la nuit me pénétrer profondément, comme si elle m'envahissait de l'intérieur.
Je commence à enjamber la rambarde, mes doigts crispés sur le métal, chaque mouvement devenant plus lourd, comme si l'air lui-même était plus épais. Mon corps tremble, non seulement de la douleur physique, mais aussi du poids de cette décision qui me semble maintenant inéluctable. De l'autre côté, il n'y a plus de retour possible. Le vent, glacial, s'engouffre dans mes cheveux, me frappant le visage avec une violence presque bienvenue, me poussant à avancer, à franchir cette dernière barrière. Mes doigts sont glacés, mais ils ne lâchent pas le métal. Chaque seconde me rapproche de l'inéluctable.
Là, au bord du vide, l'air semble se raréfier. Chaque pensée est noyée dans le tourbillon de mes émotions. Une partie de moi hésite encore, la voix de la raison me criant de reculer, mais une autre, plus forte, me pousse à avancer, à tout laisser derrière moi. La ville, la souffrance, tout me semble si lointain. Un autre monde, un autre moi. Tout ce que j'ai connu paraît appartenir à un autre temps, à une autre vie. Une partie de moi se dit que ce serait la fin, que c'est ce que je mérite. Je ferme les yeux et me laisse envahir par l'appel du silence. Le monde s'éteint autour de moi, tout devient flou. Je suis prête à tout effacer.
Et puis, une pensée surgit, presque imperceptible, comme un éclat de lumière dans ce noir total. Une pensée qui me fige sur place, qui me fait douter :
Est-ce vraiment ce que je veux ?
Je suis là, suspendue entre deux mondes, mes pieds frôlant l'abîme, quand soudain, j'entends une voix lointaine crier :
« Hé ! »
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