EPILOGUE : AUGUSTE
— Bon j'y vais, on repasse après avec Louis, tu nous gardes une place ?
— Bien sûr. Bon match Jeannou.
Elle vient serrer une seconde son meilleur ami contre elle puis quitte La Taverne son maillot jaune et bleu datant des années deux-mille-dix sur les épaules. L'enfant qui a la main glissée dans la sienne adresse un large mouvement de main au barman qui lui répond, un léger rire s'élevant en réponse devant la grimace qu'il lui adresse.
— Bye Jeanne !
— Salut Jasmine !
Elle salue la serveuse en terrasse tout en espérant qu'il restera des jeux pour enfants quand elle reviendra d'ici quelques heures. Elle sourit en pensant que le nom du bar fonctionne parfaitement également pour un bar à jeux, concept qui lui a permis de survivre sans les matchs du club pour renflouer les caisses. La rencontre entre Jasmine venant de perdre son emploi et Isidore lançant son concept avait permis de faire une grande publicité, celle qui voulait à la base juste du poste de serveuse pour passer un mauvais cap se mettant à la publicité sur les réseaux sociaux.
Elle suit la foule qui se presse aux entrées, contournant le stade comme une partie des personnes pour une entrée où elle n'est pas habituée à se rendre. Elle glisse sa fille devant elle, l'empêchant de se faire bousculer alors que les file d'attente sont toujours un peu risquées même si le public de la tribune où elle se rend reste familial.
Elle sourit aux responsables de la fouille, heureuse de se retrouver de nouveau à Bonal. Elle repense aux années passées à supporter son équipe sur le petit stade d'entrainement plus loin dans la ville parce qu'ils n'étaient plus assez nombreux pour l'encourager et remplir le stade au nom d'un des héros locaux.
Mais après huit ans, ce soir, le stade Auguste Bonal serait une nouvelle fois remplie, comme il aurait dû le rester si des gens n'avaient pas jouer avec le club qui était désormais en leur propriété. Quand elle finit par rentrer dans l'enceinte, elle y pense. Sochaux c'est nous n'a jamais semblé aussi vrai que depuis le jour où les supporteurs, entrepreneurs locaux et la municipalité a pris le contrôle de ce qui aurait dû à jamais rester entre leurs mains. Et ce jour-là, elle est heureuse de voir le jaune et le bleu présent sur chacune des personnes qui viennent voir rejouer le club local. Des centaines de places ont été distribuées à la Peuge. Ce n'était malheureusement pas grâce à l'action de Stellantis, mais du club. Parce qu'il voulait un stade plein pour les retrouvailles de la première équipe professionnelle avec le championnat professionnel.
Les chants s'élèvent alors que les bleus et jaunes pénètrent sur la pelouse. Sur les genoux de Jeanne se trouve sa fille alors qu'elle est assise sur un des sièges de la tribune principale du stade Auguste Bonal. Sa voix les rejoint lui valant quelques regards étonnés de ses voisins. Elle ne leur prête pas attention et continue, bientôt suivie par une bande de jeunes installés quelques mètres à sa droite.
Ses yeux clairs trainent une seconde sur la tribune supporters où elle espère bientôt retourner. Pour cela, il lui faudrait se débarrasser le temps de quelques heures de sa progéniture. Les yeux verts de l'enfant de quatre ans sont légèrement émerveillés par les lumières que les étincelles font se réverbérer dans le stade alors que l'équipe pénètre sur la pelouse.
L'ovation est immense et les applaudissements de tout le stade résonne alors que tous se lèvent comme un seul homme et félicitent ceux qui sont de retour en Ligue deux huit ans après l'avoir quittée. Jeanne pense aux larmes roulant sur ses joues quelques mois plus tôt alors qu'elle se cassait la voix quand son club de cœur finissait à la deuxième place du championnat de National et validait sa montée à la maison par une belle journée de mai.
Sur le banc, lui faisant face, elle peut détailler le visage de Louis particulièrement concentré. Une joie particulière emplie son ventre alors qu'elle le sait infiniment heureux depuis qu'il a été réembauché plusieurs années après avoir travaillé dans un cabinet, se spécialisant sur le rétablissement de sportifs amateurs au sein de celui-ci.
Elle finit par se rassoir, reposant sa fille aux cheveux blond clair malgré leurs deux têtes plus sombres sur ses cuisses. D'un geste du doigt, elle lui montre un joueur
— Ça c'est le joueur préféré de maman ?
Elle voit la petite main faire le même mouvement vers le milieu de terrain désormais en train de se placer au centre du terrain.
— Et papa ?
— Papa, il revient bientôt, il est en face. Tu le vois ?
Elle lui montre de l'index et sourit quand sa fille fronce les sourcils en tentant de le trouver sans succès pendant un moment. Elle comprend à quel moment elle le reconnait à son visage s'éclairant fortement.
— Papa !!
Elle rit tout en la ramenant vers elle quand elle cherche à lui échapper, prête à sauter les barrières et rejoindre son père de l'autre côté du terrain. Le son des tambours se met à résonner de l'autre côté du stade et les lèvres s'étirent de façon heureuse. À l'avant de la tribune située derrière le but se tient Yanis, mégaphone à la main, prêt à lancer les chants comme il le faisait des années plus tôt et avait continué à le faire lorsqu'ils se retrouvaient sur le bord de terrain de campagne parfois ruinés par les taupes pendant plusieurs années.
Le responsable de production avait toujours été présent pour l'équipe. Plus loin dans la tribune, elle reconnait Théo. Cela fait bien longtemps qu'il ne travaille plus à la Peuge, s'étant complétement reconvertit et étant désormais à la tête d'une petite exploitation agricole perdue dans la campagne environnante. À ses côtés, elle peut distinguer des enfants portant les mêmes traits que lui.
Elle a hâte d'essayer de le retrouver à la fin du match pour prendre de ses nouvelles avant de retrouver son mari. Elle sait que parmi la foule, son grand-père doit être installé avec ses amis restant. Au fur et à mesure des années, leur nombre diminue mais il lui avait dit qu'il serait présent pour l'ouverture de la saison.
— BUUUUUUT du numéro douze, Zéphyr...
— GUEZET !
Le nom du joueur préféré de Louis résonne dans le stade alors qu'il vient de mettre le premier but d'une nouvelle ère d'une tête parfaitement placée sur un corner. La joie est véritable sur son visage alors qu'il est resté au club contre vent et marée, ses parents trouvant dans un salarié du club une personne prête à l'héberger la semaine pour qu'il puisse continuer de s'entrainer sous leurs couleurs malgré la fermeture du centre de formation et des infrastructures allant avec.
Don't you know I'm still standing better than I ever did
Looking like a true survivor, feeling like a little kid
I'm still standing after all this time
Picking up the pieces of my life without you on my mind
I'm still standing
La sono du stade crache la musique d'Elton John alors que le FC Sochaux-Montbéliard vient de s'imposer pour le match d'ouverture de la saison de Ligue deux. L'intégralité du public reprend en cœur une partie des paroles comme il le fait suite à chaque victoire depuis leur relégation administrative des années plus tôt.
Jeanne fait passer sa fille par dessus la balustrade et bientôt, elle la suit rejoignant son compagnon et serrant sa famille fort contre son cœur. C'est la main glissée dans celle du kiné qu'elle fait le tour du stade, s'arrêtant plus particulièrement près des supporters. Des amis lui font des grands signes et elle leur répond d'un immense sourire et d'un geste de la main avant de porter les mains aux oreilles de sa famille pour les protéger du chaos.
Alors qu'elle passe devant un coin du stade, elle reconnait Mathilde et son compagnon. L'ancien employé a fini par retrouver son rôle au sein du club après plusieurs mois à faire de l'intérim à la Peuge. Leurs lèvres se redressent quand elle croise leurs regards heureux.
Elle finit par se retrouver à l'intérieur du stade, en compagnie des compagnes des joueurs et des dirigeants. Elle prend le verre de jus d'orange qu'on lui offre et en tend également un à sa fille en attendant le retour des vestiaires de son mari. Quelques dizaines de minutes plus tard c'est parfaitement heureux qu'ils pénètrent dans une Taverne blindée.
Quand elle s'installe sur sa chaise entouré de ses proches et le bar empli de supporters locaux, Jeanne remonte dans le passé. Dans cette époque où des étrangers avaient tenté de les faire plonger, eux, leur club et leur ville. Tout avait bien changé, désormais Sochaux c'était eux et grâce à leur lutte et solidarité, ils étaient toujours debout.
En mille-huit-cent-quatre-vingt-dix-huit, Auguste naissait à Sèvres. C'était une petite commune d'Ile-de-France.
En mille-neuf-cent-trente-trois, Auguste devenait l'un des dirigeants du FC Sochaux-Montbéliard en rentrant dans son conseil d'administration alors qu'il comptait également parmi les dirigeants de l'usine Peugeot.
En mille-neuf-cent-quarante, Auguste observait l'entreprise qu'il dirigeait, celle dans laquelle il travaillait depuis des années passer à l'ennemi sans qu'il ne put faire quelque chose pour l'en empêcher. Alors qu'il avait consacré sa vie à construire des voitures on lui interdisait désormais d'en fabriquer. Il décida alors avec d'autres dirigeants et l'aide des ouvriers de les sauver du service du travail obligatoire en obéissant aux ordres données. Pourtant, rapidement, ils faisaient baisser de quatre-vingt pour-cent la productivité en se servant de machines anciennes ou de pénuries créées et des opérations de sabotage des objets fabriqués débutaient.
En mille-neuf-cent-quarante-et-un, Auguste devenait directeur sportif du FC Sochaux-Montbéliard. En parallèle, le dirigeant de l'usine continuait avec les autres responsables d'y mener la résistance en sabotant l'effort de guerre allemand.
En mille-neuf-cent-quarante-trois, Auguste Bonal était arrêté pour la première fois. Celui qui prenait le nom de Tobus dans la résistance était accusé d'obstruction à la collaboration. Sous les ordres de Porsche désormais à la tête de l'usine, les V1 n'étaient pas produites suffisamment rapidement, notamment grâce à des sabotages de la résistance que Jean-Pierre Peugeot autorisait son frère Rodolphe à réaliser en accord avec Londres. Grèves étaient organisées et les ouvriers prévenus des descentes de la Gestapo par l'équipe dirigeante. Les actions permirent d'envoyer les plans des fusées à Londres et de détruire le site d'assemblage final, retardant grandement leur lancement, mais également à tant retarder la production qu'elle fut annulé sur le site de Sochaux.
En mille-neuf-cent-quarante-quatre, Tobus était arrêté par les forces d'occupations allemande pour sabotage avec d'autres membres du conseil d'administration à la sortie d'une réunion. D'abord enfermé, il fut ensuite déporté en Allemagne dans des camps de travail. La résistance locale évitait en parallèle un nouveau bombardement allié de l'usine, protégeant ainsi également toutes les habitants proches, en sabotant toute l'électricité du site.
En mille-neuf-cent-quarante-cinq, Auguste était tué, assassiné au fin fond de l'Allemagne pour ses idées. Le résistant avait tenté sans succès de s'échapper. C'est à quinze jours de la capitulation qu'il est fusillé à Bad-Waldsee. Quelques mois plus tard, son nom s'inscrivait dans la ville à tout jamais : c'était à son nom que le Stade de la Forge était renommé.
En mille-neuf-cent-cinquante-trois, Auguste était décédé depuis huit ans quand il fut fait Chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur à titre postume.
En deux-mille trente-et-un, le stade Auguste Bonal est de nouveau plein à craquer. Les supporters si amassent pour voir jouer les bleus et jaunes semaines après semaines comme ils le font depuis des dizaines d'années. Grâce à eux, le club de celui dont le lieu porte le nom est sauvé, et au plus profond d'eux, tous se disent qu'Auguste Bonal serait certainement très fier d'eux.
C'était la conclusion de cette nouvelle. J'avoue ne pas trop savoir quoi en penser à la fin.
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