Ⅰ
TESS AMBER
- ??? -
La calèche avançait lentement comparée à mon coeur qui n'avait jamais battu aussi vite. Des années que ma mère parlait de se débarrasser de moi - sans l'avoir jamais formulé ainsi bien sûr - et voici qu'elle avait enfin atteint son but. Je présumais que me voir devait lui rappeler sans cesse comment l'amour pouvait gâcher une vie. J'en étais le fruit, il fallait que je rattrape les erreurs que je n'avais pas commises, que je serve à quelque chose, que je lui serve à quelque chose. Depuis le départ de mon père, tout avait tellement changé avec elle, je savais que plus jamais je ne verrai l'Alicia Amber que j'avais un jour connue, celle qui m'avait élevée et aimée. Je lui jetai un regard. Elle était assise droite, armée d'un sourire forcé et regardant droit devant elle. Mais je pouvais voir ses doigts trembler, je savais qu'elle angoissait, peut-être même plus que moi. Ce qui n'avait pas de sens, soit dit en passant.
Le trajet fut si long, il me parut durer le double de la réalité. J'étais déjà épuisée, d'autant plus que dû au stress je n'avais dormis que trois heures au grand maximum et je n'avais rien pu avaler. Heureusement, la calèche finit par s'arrêter dans une allée qui, je devais bien l'avouer, m'intriguait particulièrement. En regardant à l'extérieur je pu voir de somptueux jardins, une forêt au loin, et surtout un immense palais qui me coupa le souffle. J'entendis ma mère me parlait, sûrement pour me refaire son discours sur la conduite parfaite que je devais avoir, la voix emplie d'anxiété non pas pour moi mais pour elle. Je ne l'écoutais pas, je laissai mon esprit divaguer et imaginer toutes les choses qui pourraient bien se passer lors de notre séjour ici, tout ce que je pourrais vivre et comment tout pourrait devenir meilleur. Je me surpris à sourire d'espoir, ignorant le ton montant de ma mère derrière moi. Elle s'arrêta lorsqu'on vint nous ouvrir la porte et, désespérée, elle sortit en première en marmonnant des "que vais-je faire de cette enfant" ou je ne sais quoi.
- Merci, dis-je en souriant au servant lorsque je sortis
Il me gratifia d'un sourire robotique et referma sur mon passage. Ne sachant pas vraiment quoi faire, je suivis ma mère qui s'avançait avec sa grâce parfaite habituelle.
- Fermez votre bouche, me réprimanda-t-elle en voyant que je l'avais entrouverte d'admiration face à la vue que j'avais, lui décochant un soupir, Je vous en prie Tess faites un effort ce n'est plus la cour de votre tante où vous pouvez passer inaperçue ! Ici tout le monde vous regardera, nous sommes tous là pour vous, alors par pitié essayez au moins de vous comporter convenablement, nous sommes les invités.
- Oui mère, répondis-je mécaniquement sans même la regarder
J'avais jeté un oeil vers la forêt et mon regard avait eu le malheur de se poser sur une étrange espèce d'arbre que je n'avais jamais vue auparavant. Il abordait des fleurs violettes, étonnantes mais magnifiques, et était très large comparé aux autres. Seulement je ne pouvais bien le distinguer, je ne voyais que la couleur parmi les troncs élargie sur plusieurs mètres, il faudrait que m'en approche plus tard. Mais plus tard n'était pas maintenant; ma mère me donna un coup d'éventail pour me forcer à me redresser car j'avais penché la tête pour mieux observer. Ce n'est pourtant pas elle qui me fit faire volte face, ce fut le bruit des portes s'ouvrant. Je réalisai soudainement que lorsqu'elles se refermeraient je serai de l'autre côté, et il se pouvait que jamais plus je n'en sorte.
Je pris une grande inspiration saccadée.
Un homme sortit du palais et vint à notre rencontre avec un grand sourire accueillant. Ses cheveux étaient noirs, contrastant avec ses yeux d'un étonnant bleu qui me rappelèrent les pierres de saphirs. Je remarquai bien sûr l'imposante couronne dorée sur sa tête et les six joyaux incrustés dedans. Il n'avait pas de collier contrairement à nous, un jour peut-être mon tour viendrait d'ôter le mensonge qui pendait autour de mon cou une bonne fois pour toutes. Un sourire germa sur mon visage tandis que je m'inclinai suivie de ma mère. Il s'arrêta face à nous et lui tendit une main qu'elle serra volontiers.
- Bienvenue, mesdames. J'espère que le chemin fut confortable.
- Plus que confortable, mon roi, répondit Alicia Amber et son masque d'aristocrate modèle
Si seulement ils savaient, pensai-je, S'ils savaient tous la vérité.
Ils échangèrent quelques mots puis le roi se tourna vers moi et inclina sa tête en signe de respect. Je lui rendis ce geste en souriant sincèrement.
- Mademoiselle Amber, je suis heureux de vous voir ici. J'ai bon espoir que vous vous y plaisiez et que vous souhaitiez allonger votre séjour.
Il me fit un clin d'oeil complice. Ses paroles déclenchèrent un gloussement typique de lady à ma mère qui me dégoûta d'autant plus lorsqu'elle sortit son éventail pour se faire de l'air. Malgré tout mon expression ne changea pas et j'hochai la tête.
- Je ne vous décevrai pas, répondis-je ce qui fit d'autant plus sourire notre interlocuteur
Une femme arriva alors derrière lui, marchant rapidement hors des portes pour nous rejoindre. La première chose qui me frappa furent ses cheveux d'un blanc immaculé ornés d'une couronne similaire à celle du roi. Quel beau couple cela était deux teintes opposées, ils se complétaient, le noir et le blanc. La seconde chose qui me frappa - et cela fut bien plus puissant que la première - fut son aura. A le seconde où elle était apparue, elle avait dégagé quelque chose de très spécial et fort, un sentiment à la fois de sécurité et d'acceptance. Je restais sans voix face à elle, je crois même que ma bouche s'entrouvrit à nouveau.
Arrivée à notre hauteur elle sourit, cela sembla si naturel chez elle et même ma mère le remarqua. Je la vis avec satisfaction pincer des lèvres, comme outrée de rencontrer quelqu'un qui était naturellement tout ce qu'elle s'était toujours forcée d'être avec beaucoup de difficulté.
- Excusez mon retard, je cherchai notre fils, avoua la reine en nous serrant à tour de rôle la main (je notais sa douceur dans ses gestes), Mais il est introuvable... Pour être honnête je suis surprise, ce n'est pas dans ses habitudes de se comporter ainsi, il est toujours si ouvert... Mais on dirait qu'il se cache, car je doute qu'il se soit perdu ou qu'il ai oublié que vous arriviez aujourd'hui.
- C'est ma faute assurément, dis-je en esquissant un rire moqueur, Il n'a pas voulu me rencontrer, je l'ai fait fuir avant même qu'il n'ai pu me voir.
Il y eut un silence après cette phrase, je compris l'erreur que j'avais fait en la prononçant. Moi qui avait voulu faire de l'humour - certes un peu dérisoire - j'avais totalement manqué mon coup. Je déglutis difficilement et dû détourner le regard de ceux étonnés de mes interlocuteurs. Mais il y eut un petit rire qui me fit immédiatement relever la tête sur la reine.
- Mon enfant je peux t'assurer que tu es bien la dernière chose qui pourrait faire fuir Olympe, tu es son seul sujet de conversation depuis un mois.
Elle posa une main sur mon bras et ce geste me rassura presque instantanément. J'avais parlé avec humour mais tout était basé sur une pensée réelle; et si finalement le prince n'avait pas envie de me rencontrer ? s'il s'était rendu compte de la réalité ? et si tout était pire une fois qu'il me verrait ?
- Pourquoi ne pas se diriger vers le château, nous le ferons chercher, proposa le roi en s'adressant à la fois à sa femme et à ma mère
- Très bonne idée, j'en profiterai pour faire visiter notre maison à Mlle Amber.
La reine m'adressa un clin d'oeil en prenant mon bras sous le sien tandis que nous commencions à marcher. Contrairement à celui du roi, son clin d'oeil donnait un vrai sentiment de complicité. Grâce à son geste, mon coeur s'apaisa et je pu hocher la tête sans avoir de mal à sourire ou à respirer.
Indéniablement, le château était immense. Mon piètre sens de l'orientation m'affola et je le confiais à la reine qui me rassura en m'avouant que même elle s'égarait parfois. Nous avions beaucoup rit toutes les deux, avec simplicité et légèreté. Je serais honnête en disant que je n'avais aucun souvenir d'un tel sentiment auparavant. Je ne saurais pas dire si c'était parce que ma mère n'était pas là ou parce que je n'étais pas à la cour de Topaze, mais tout semblait tellement plus simple ici. Les portes s'étaient refermées et je n'avais pas envie qu'elles ne se rouvrent pour moi. Avec une exception, il y avait quelque chose que je voulais vraiment voir.
- Cela vous dérange si je sors pour voir l'extérieur ? demandai-je à la reine à la fin de notre visite
Elle secoua la tête en souriant.
- Fais donc. De toute manière, je dois aller m'occuper des préparatifs de ce soir et mon fils est toujours introuvable. Mais si tu as besoin d'aide pour quelque chose n'hésite pas à demander au personnel du château, tu peux même leur demander de t'emmener jusqu'à moi. Je serai en cuisines si tu me cherches.
J'acquiesçai et après de rapides salutations, je pris la direction des jardins. Il me fallut revenir sur mes pas à plusieurs reprises mais au final, je retrouvai le bon chemin. Mon objectif était simple et précis: la forêt. S'il y avait quelque chose que depuis toute petite j'adorais, c'était bien la nature et encore plus m'y promener. Ma mère n'avait jamais aimé ça, ce n'était selon elle pas digne de mon rang et en temps que princesse je devais être digne et propre. La nature était propre pour moi mais pas pour elle.
Qu'importe, elle n'était pas là lorsque je passais l'orée du bois avec enchantement. Je marchais pendant quelques minutes à pas rapides et fini par atteindre le grand arbre aux fleurs violettes que j'avais aperçu. Le sourire aux lèvres, je vérifiais rapidement que personne ne m'avait suivie et je relevai ma robe du mieux que je le pouvais pour commencer à escalader le tronc. Je faisais toujours ça petite, notamment avec les entraînements traditionnels de Topaze, mais moins aux troncs des arbres. Néanmoins j'avais appris quelques techniques et celui-ci était assez simple, il y avait plusieurs appuis qui me permirent de me hisser dans grande difficulté. Heureuse, je m'assis sur une branche épaisse et remarquai tout de même bon nombre de de petites branches sortant de part et d'autres de l'arbre. Je passais ma main sur l'écorce, les yeux levés sur la pluie de pétales violets s'offrant à moi. Certains se posèrent sur mes vêtements et mes cheveux, j'en remassais un et remarquai avec un sourire à quel point ils étaient doux et plutôt épais.
Le soleil commençait à décliner à l'horizon et de ma hauteur, je pouvais facilement voir à travers les feuillages les tons orangés et rosés du ciel. L'harmonie créée avec la couleur violette de l'arbre était tout simplement sublime et m'émût profondément, à tel point que je songeais déjà à la prochaine fois que je pourrais venir ici.
J'essayais d'attraper une fleur pour demander à la reine si elle savait comment s'appelait cet arbre mais j'étais toujours trop loin. En faisant attention à ou je me tenais, je saisis une branche - assez petite c'est vrai - et m'y accrochais pour me mettre debout et tendre lentement l'autre bras en direction d'une fleur.
- ATTENTION ! cria une voix d'en bas
Et j'eus le malheur de baisser le regard, le malheur de sursauter. Mon pied glissa, ma jambe droite s'effondra et tout mon corps tomba sur les petites branches que je sentis déchirer une partie de mes vêtements et de mon visage. J'hurlai et sombrai dans une chute interminable. La dernière chose dont je me souvins fut d'atterrir sur une surface dure sans pouvoir en déterminer l'essence.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top